AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par l'Etat français (ministère de l'Education Nationale), représenté par M. le préfet de l'Aveyron, domicilié en cette qualité hôtel de la Préfecture à Rodez (Aveyron), en cassation d'un arrêt rendu le 22 octobre 1992 par la cour d'appel de Montpellier, au profit :
1 / de M. Jean Z...,
2 / de Mme Z..., née Bernadette Y...,
3 / de Mlle Catherine Z..., tous trois demeurant à Lavencas par Saint-Georges de Luzençon (Aveyron),
4 / des Assurances générales de France, dont le siège social est ... (10ème), société anonyme,
5 / du lycée privé Jeanne d'X..., dont le siège social est ...,
6 / de la Mutualité sociale agricole du département de l'Aveyron, dont le siège social est ...,
7 / de la société Le Gamex, dont le siège social est ...,
8 / de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, dont le siège social est ... (Haute-Garonne),
9 / de la Caisse d'allocations familiales de la Haute-Garonne, dont le siège social est ... (Haute-Garonne), défendeurs à la cassation ;
Les consorts Z..., le lycée privé Jeanne d'X... et la compagnie Assurances générales de France ont formé un pourvoi provoqué contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les consorts Z..., demandeurs au pourvoi provoqué invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le Lycée privé Jeanne d'X... et la compagnie Assurances générales de France, demandeurs au pourvoi provoqué invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 octobre 1994, où étaient présents : M. Zakine, président, M. Dorly, conseiller rapporteur, MM. Michaud, Chevreau, Colcombet, Mme Solange Gautier, conseillers, M. Mucchielli, conseiller référendaire, M. Monnet, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dorly, les observations de Me Vincent, avocat de l'Etat français, de la SCP Célice et Blancpain, avocat des consorts Z..., de Me Vuitton, avocat des Assurances générales de France et du lycée privé Jeanne d'X..., les conclusions de M. Monnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le pourvoi principal :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 octobre 1992) qu'à l'occasion d'une journée de ski organisée pour ses élèves par le lycée privé Jeanne d'X... de Millau, Catherine Z..., âgée de 14 ans, une de ces élèves, a quitté la piste, heurté un arbre et s'est blessée ;
qu'elle et ses père et mère ont assigné en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices, d'une part l'Etat, d'autre part le lycée et son assureur, la compagnie Assurances générales de France (AGF) ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré l'Etat responsable alors que, d'une part, la cour d'appel, qui a déduit l'existence d'une faute de surveillance imputable aux trois professeurs présents lors de l'accident d'un défaut d'organisation dans la répartition des tâches entre les enseignants, rendant inefficace la surveillance, et de la transgression des recommandations données aux élèves, aurait violé les articles 1384 alinéa 6 et 8 du Code civil, 2 de la loi du 5 avril 1937 et 10 du décret du 22 avril 1960 ; alors que, d'autre part, la cour d'appel, qui a imputé à faute aux enseignants une improvisation dans les directives données aux élèves de 12 à 15 ans et le contrôle de leur exécution, en énonçant que tous les élèves n'y avaient pas prêté attention et que nombreux d'entre eux avaient réussi à les transgresser, mettant ainsi à la charge des enseignants une obligation de résultat quant à l'exécution des consignes données, aurait violé les articles 1384 alinéa 6 et 8 du Code civil, 2 de la loi du 5 avril 1937 et 10 du décret du 22 avril 1960 ; alors qu'enfin la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher si le non respect des consignes était normalement prévisible pour les enseignants et si ceux-ci auraient pu éviter la perte de contrôle de sa trajectoire par la jeune skieuse, aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1384 alinéa 6 et 8 du Code civil, 2 de la loi du 5 avril 1937 et 10 du décret du 22 avril 1960 ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir considéré, par motifs non critiqués, que l'encadrement des 69 élèves devant pratiquer le ski alpin par trois professeurs ne pouvait être qualifié d'insuffisant, retient que seuls les trois enseignants présents sur le site étaient en mesure de définir entre eux les tâches leur incombant, qu'ils ont agi avec une grande improvisation dans la répartition de leurs tâches respectives, les directives données aux enfants et le contrôle apporté à l'exécution de ces directives, alors qu'il leur fallait s'assurer de la compréhension de ces recommandations par les élèves et de leur stricte application ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, sans mettre à leur charge une obligation de résultat, a pu déduire l'existence d'un défaut de surveillance imputable aux trois professeurs, sans lequel Catherine Z..., qui aurait dû normalement être intégrée dans un groupe et
encadrée par les accompagnateurs, n'aurait pas abordé la descente, et déclarer l'Etat, qui leur était substitué, responsable de l'accident ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir retenu la responsabilité entière de l'Etat, alors que, d'une part, le motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel qui, pour écarter la faute de la victime qui n'avait pas observé les consignes données par les enseignants, a retenu qu'elle avait pu mal les interpréter, aurait violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, les motifs selon lesquels aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la victime qui, compte tenu de son âge au moment des faits et de l'inorganisation totale de la manifestation sportive, a pu mal interpréter les consignes données et a pu rejoindre sans difficulté le groupe d'élève plus expérimenté qu'elle qui skiait sans encadrement, n'excluent pas la faute d'une élève de 15 ans, dont il n'est pas constaté qu'elle aurait été incapable de comprendre les consignes reçues ; que, par suite, la cour d'appel, en refusant de qualifier de fautif le comportement de la victime, aurait violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que, compte tenu de son âge et de l'inorganisation totale de la manifestation sportive, Catherine Z... a pu, comme d'autres élèves, mal interpréter les consignes données ; que, par ce seul motif, qui n'est pas hypothétique, la cour d'appel a pu déduire qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre de la victime ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le pourvoi provoqué :
Attendu que les consorts Z... demandent la cassation de l'arrêt en sa disposition qui a rejeté leurs demandes contre le lycée Jeanne d'X... et les AGF pour le cas où il viendrait à être annulé sur le pourvoi formé par l'Etat ;
Mais attendu que, par suite du rejet du pourvoi de l'Etat, le pourvoi éventuel des consorts Z... est devenu sans objet ;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que le lycée privé Jeanne d'X... et la Cie Assurances générales de France sollicitent sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de dix mille francs (10 000 francs) ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi de l'Etat ;
Déclare sans objet celui des consorts Z... ;
Rejette également la demande présentée par le lycée privé Jeanne d'X... et la Cie Assurances générales de France sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne l'Etat français, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.