LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été blessé à la suite du déraillement du train dans lequel il voyageait, provoqué par la présence sur les voies d'une remorque appartenant à M. A..., laquelle avait dévalé une pente alors que M. Z... y chargeait des bottes de foin ; que M. Y... a assigné la SNCF en indemnisation de ses préjudices ; que la SNCF a assigné en responsabilité et garantie M. A... et son assureur de responsabilité civile, la société MMA IARD , M. Z..., ainsi que la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles, dite société Groupama Centre Atlantique, recherchée comme assureur de la remorque ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen et sur la première branche du second moyen, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu que pour débouter les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF mobilités et SNCF réseau (la SNCF) de leurs demandes, l'arrêt retient que, malgré la présence anormale de la remorque appartenant à M. A... sur la voie ferrée provoquée par l'action de M. Z..., la cause immédiate et directe du dommage était le défaut de communication efficace entre le régulateur et le conducteur du train n° 3661 et le défaut de recours à la procédure de coupure de courant d'urgence des trains circulant sur voie ferrée et que, si M. A... avait pu commettre des manquements en qualité de commettant, il n'en demeure pas moins que l'absence de réaction utile de la SNCF due à une accumulation de dysfonctionnements a été un événement directement causal et un paramètre déterminant dans la réalisation du dommage, en sorte que l'action de la SNCF a été déterminante et directe dans les circonstances et la réalisation de l'accident même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une cause chronologiquement première ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que, sans la présence de la remorque sur la voie ferrée, aucune collision ne serait intervenue, de sorte que cette remorque constituait l'une des causes nécessaires du dommage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne M. Z..., M. A..., les sociétés MMA IARD , MMA IARD assurances mutuelles, Groupama SA et la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles, dite société Groupama Centre Atlantique, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes ; condamne in solidum M. A..., les sociétés MMA IARD , MMA IARD assurances mutuelles, Groupama SA et la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles, dite société Groupama Centre Atlantique, à payer aux établissements publics SNCF mobilités et SNCF réseau la somme globale de 3 000 euros et condamne, in solidum, ces deux derniers à payer à M. Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour les EPIC SNCF réseau et SNCF mobilités
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré la SNCF entièrement responsable, au titre de la responsabilité civile contractuelle, de l'accident dont avait été victime le 3 juillet M. Y..., passager du train n° 3661, d'avoir condamné SNCF Mobilités à verser à M. Y... la somme de 20.668,30 € au titre du préjudice subi sous réserve de la provision de 3.000 € fixée par le juge de la mise en état ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les premiers juges ont parfaitement retenu l'absence de force majeure opposée par la SNCF en ce que la présence d'un obstacle sur une voie ferrée n'est nullement imprévisible du fait d'incidents extérieurs, ni irrésistible dès lors qu'il incombe au transporteur de prévoir des procédures techniques adaptées et efficaces et qu'en l'espèce le temps d'action de la SNCF - cela ressort des conclusions de l'expertise confiée à M. D... dans le cadre de la procédure pénale - lui permettait de réagir utilement afin d'arrêter le train nº 3661 si les procédures utiles avaient été mises en oeuvre ; que le tribunal a analysé la situation avec justesse en relevant que malgré la présence anormale de la remorque appartenant à M. A... sur la voie ferrée provoquée par l'action de M. Z..., la cause immédiate et directe du dommage était le défaut de communication efficace entre le régulateur et le conducteur du train nº 3661 et le défaut de recours à la procédure de coupure de courant d'urgence des trains circulant sur voie ferrée ; qu'en effet, il ressort des éléments soumis à la cour que si M. Z..., gardien de la remorque, avait - comme le soutient la SNCF - mal positionné la remorque dans le champ, omis de mettre le frein, utilisé des cales adaptées, appelé M. A... le propriétaire de la remorque avant la gendarmerie et si M. A... avait pu commettre des manquements en qualité de commettant, il n'en demeure pas moins que l'absence de réaction utile de la SNCF due à une accumulation de dysfonctionnements a été un événement directement causal et un paramètre déterminant dans la réalisation du dommage ; que le long temps de réponse de 56 secondes du CRO (centre régional opérationnel) à l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, l'absence de réponse du conducteur du train nº 3661 qui n'a pas entendu l'appel du régulateur puisqu'il circulait alors fenêtre ouverte dans un tunnel, l'incompréhension d'opérateurs qui - faute de se présenter par le numéro du train - croient avoir averti les deux trains (nº 3661 et nº 74520)
alors que seul le train nº 74520 qui s'est arrêté avant l'obstacle avait été avisé à deux reprises (le conducteur du train nº 3661 n'ayant pas été averti en temps utile et n'ayant pu stopper le convoi en découvrant dans une courbe l'obstacle sur la voie), et surtout l'absence de coupure de courant en urgence sont autant d'éléments qui démontrent un manque de rigueur évident dans les procédures techniques alors que, compte tenu de l'obligation de sécurité résultat renforcée d'un transporteur d'une telle importance que la SNCF et du nombre de vies humaines en jeu, les règles devraient s'appliquer selon une organisation et une procédure quasi militaire ; qu'il sera rappelé que lors de l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, décroché à 20 h 37 mn 26 soit 56 secondes plus tard et retranscrit, les opérateurs SNCF - s'interpellant ainsi : Non ça servira à rien le contrôleur, contrôler. Oh feuh, fait une coupure d'urgence s'il faut Kiki... » (C.F. Expertise D... page 28) - envisageaient une coupure de courant qui aurait évité le déraillement du train si elle avait été effective ; que d'autre part, les appels respectifs à la gendarmerie de M. A... et M. Z... à 20 h 35 mn 17 s et 20 h 36 mn 55 permettaient à la SNCF de couper le courant avant l'arrivée du train sur l'obstacle, arrivée estimée par l'expert judiciaire à 20 h 41 mn 30 s soit plus de cinq minutes avant (arrêt, p. 6 et 7) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE la demande de la SNCF d'être « mise hors de cause », dont la formulation est étonnante puisqu'elle est nécessairement dans la cause en sa qualité de transporteur
, doit s'entendre comme l'expression de faire valoir l'exonération de sa responsabilité contractuelle, qu'elle argumente en exposant ce qu'elle analyse comme les fautes multiples de Cédric Z... et Joseph A... qui seraient la cause exclusive de l'accident ; que s'il est évident que la chute de la remorque agricole de balles de foin, appartenant à Joseph A... et en cours de chargement par Cédric Z... a été un événement ayant abouti à la survenance de la collision du train Corail 3661, il ne peut être démontré par la SNCF que cela ait constitué pour elle un événement imprévisible et irrésistible ; qu'en effet :
- d'abord la chute d'obstacles sur les voies ferrées est un événement qui peut se produire en tout lieu du réseau ferré et qui est nécessairement envisagé dans les procédures de conduite et de gestion des trains sur ce réseau (règlement S2B applicable à partir du 10 décembre 2006, pièce 2 du dossier de MMA), pour permettre une procédure efficace d'alerte et de protection tant du matériel roulant de la SNCF que des passagers et marchandises transportées,
- ensuite et surtout il est établi par le rapport d'expertise de M. D... du 9 décembre 2010 et son complément du 6 mai 2011 (réalisé dans le cadre du dossier d'instruction ouvert au tribunal de grande instance de Limoges)
et/ou par le rapport d'enquête du Bureau d'Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre (ci-après nommé BEA-TT) rédigé en janvier 2011 que :
- deux trains se dirigeaient en sens inverse vers le lieu de l'obstacle, le train n° 3661 (sens Paris-Limoges) et le train n° 74520 (sens Limoges-Paris) ; or ce train a pu être arrêté 1 minute 30 s avant son arrivée sur les lieux de la chute de la remorque ;
- il s'est écoulé un temps de 56 secondes avant que le Centre Opérationnel de Gestion de la Circulation (COGC) de la SNCF ne réponde à l'appel de la gendarmerie qui avait été prévenue par Joseph A..., temps qui nécessairement a retardé la mise en oeuvre par la SNCF d'une réponse appropriée à la situation,
- le conducteur du train n° 3661 circulait vitres ouvertes, de façon justifiée en raison de la chaleur et de l'absence de climatisation de sa cabine de conduite, ce qui créait un bruit d'air important qui l'a empêché d'entendre l'appel d'alerte émis par le régulateur, appelant de suite les conducteurs des trains par la radio sol-train, et exécutant les ordres du coordonnateur régional du COGC d'arrêter les trains, et ce d'autant plus que le train n° 3661 se trouvait alors dans un tunnel, situation rendant assourdissants les bruits d'air dans la cabine,
- l'agent régulateur a commis une confusion en croyant avoir averti les deux conducteurs alors qu'il n'avait eu de contact direct qu'avec le conducteur du train n° 74520, à deux reprises : or cette confusion est née d'une mauvaise application des consignes et notamment de l'obligation pour les conducteurs de s'identifier précisément à chaque communication : le rapport D... reprend très précisément les communications et le processus pages 30 et 31 de son rapport, et le rapport BEA-TT souligne le manque de discipline et de rigueur dans les communications entre le régulateur et ses interlocuteurs (pas ou peu d'identification, pas de temps de pause, début de dialogue sans attendre son tour, discussions autour du régulateur, etc),
- il n'a été émis par le régulateur aucune demande de coupure d'urgence électrique de la tension caténaire : or, cette action techniquement possible et prévue dans le règlement S2B susvisé aurait entraîné obligatoirement un arrêt du train, et le train n° 3661 aurait alors stoppé à 2 kms (selon l'expert D...) ou à 3 kms (selon le rapport BEA-TT) du lieu de la collision : il a été constaté que le document métier du régulateur ne mentionnait pas la possibilité d'utiliser cette coupure comme moyen d'arrêter les trains
,
- l'état du train, de la radio-train, de la qualité technique des transmissions radio, de la voie, était normal ; qu'en conséquence, il apparaît que la causalité directe de la collision entre le train n° 3661 et la remorque agricole vient des dysfonctionnements internes des organes de la SNCF après que le COGC de Limoges ait été prévenu par la gendarmerie, et qu'en cas de fonctionnement correct, cette collision aurait été évitée, comme elle a été évitée pour le train n° 74250 ; que la SNCF est jugée responsable, dans le cadre de la responsabilité civile contractuelle en sa qualité de transporteur de Bertrand Y... de l'accident survenu le 3 juillet 2009, et doit indemniser celui-ci des dommages subis (jugement, p. 9 et 10) ;
1°) ALORS QUE si le transporteur ferroviaire est tenu envers les voyageurs régulièrement transportés d'une obligation de sécurité de résultat, il peut néanmoins s'exonérer de sa responsabilité en cas de survenance d'une force majeure, c'est-à-dire une cause étrangère imprévisible et irrésistible ; que la condition d'imprévisibilité s'apprécie au regard de ce qui est raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat ; qu'en l'espèce, pour considérer que la chute d'une remorque agricole sur une voie ferrée n'était pas imprévisible et ne constituait pas une cause exonératoire de la responsabilité de la SNCF recherchée par les consorts F..., la cour d'appel a jugé, par motifs propres, que « la présence d'un obstacle sur une voie ferrée n'est nullement imprévisible du fait d'incidents extérieurs » (arrêt, p. 6 § 13) et par motifs adoptés que « la chute d'obstacles sur les voies ferrées est un événement qui peut se produire en tout lieu du réseau ferré et qui est nécessairement envisagé dans les procédures de conduite et de gestion des trains sur ce réseau (règlement S2B applicable à partir du 10 décembre 2006, pièce 2 du dossier de MMA), pour permettre une procédure efficace d'alerte et de protection tant du matériel roulant de la SNCF que des passagers et marchandises transportées » (jugement, p. 9 § 4) ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté que le retard résultait de la chute, sur une voie ferrée, en dehors de tout passage à niveau et de tout croisement, d'une remorque à usage agricole, événement qui ne pouvait être raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat de transport, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1147 et 1148 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, pour écarter l'irrésistibilité de l'accident, la cour d'appel a retenu, par motifs propres que selon l'expert judiciaire, M. D..., « le temps d'action de la SNCF [
] lui permettait de réagir utilement afin d'arrêter le train n° 3661 si des procédures utiles avaient été mises en oeuvre (arrêt, p. 6 § 13) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. D... indiquait, en page 92 de son rapport (prod. 1), que le temps qui s'était écoulé « aurait dû être suffisant » pour éviter la collision, tout en précisant que cette collision n'avait pas pu être évitée en raison d'un concours de circonstances qu'il imputait notamment à M. Z... et M. A..., la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d'expertise de M. D... et a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, pour écarter l'irrésistibilité de l'accident, la cour d'appel a retenu, par motifs propres comme adoptés, que selon l'expert judiciaire, M. D..., la coupure d'urgence électrique de la tension caténaire aurait permis un arrêt du train (jugement, p. 10 § 2 et arrêt, p. 6 § 13 et 14) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. D... avait indiqué, dans son complément d'expertise, que, si la coupure d'urgence aurait permis d'arrêter le train n° 3661, le régulateur n'avait pas à utiliser ce dispositif d'urgence compte tenu des circonstances (prod. 2, p. 7 in fine), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du complément d'expertise de M. D... et a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
, SUBSIDIAIRE :IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté l'ensemble des demandes de la SNCF envers Joseph A..., Cédric Z..., MMA IARD et Groupama ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les premiers juges ont parfaitement retenu l'absence de force majeure opposée par la SNCF en ce que la présence d'un obstacle sur une voie ferrée n'est nullement imprévisible du fait d'incidents extérieurs, ni irrésistible dès lors qu'il incombe au transporteur de prévoir des procédures techniques adaptées et efficaces et qu'en l'espèce le temps d'action de la SNCF - cela ressort des conclusions de l'expertise confiée à M. D... dans le cadre de la procédure pénale - lui permettait de réagir utilement afin d'arrêter le train nº 3661 si les procédures utiles avaient été mises en oeuvre ; que le tribunal a analysé la situation avec justesse en relevant que malgré la présence anormale de la remorque appartenant à M. A... sur la voie ferrée provoquée par l'action de M. Z..., la cause immédiate et directe du dommage était le défaut de communication efficace entre le régulateur et le conducteur du train nº 3661 et le défaut de recours à la procédure de coupure de courant d'urgence des trains circulant sur voie ferrée ; qu'en effet, il ressort des éléments soumis à la cour que si M. Z..., gardien de la remorque, avait - comme le soutient la SNCF - mal positionné la remorque dans le champ, omis de mettre le frein, utilisé des cales adaptées, appelé M. A... le propriétaire de la remorque avant la gendarmerie et si M. A... avait pu commettre des manquements en qualité de commettant, il n'en demeure pas moins que l'absence de réaction utile de la SNCF due à une accumulation de dysfonctionnements a été un événement directement causal et un paramètre déterminant dans la réalisation du dommage ; que le long temps de réponse de 56 secondes du CRO (centre régional opérationnel) à l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, l'absence de réponse du conducteur du train nº 3661 qui n'a pas entendu l'appel du régulateur puisqu'il circulait alors fenêtre ouverte dans un tunnel, l'incompréhension d'opérateurs qui - faute de se présenter par le numéro du train - croient avoir averti les deux trains (nº 3661 et nº 74520)
alors que seul le train nº 74520 qui s'est arrêté avant l'obstacle avait été avisé à deux reprises (le conducteur du train nº 3661 n'ayant pas été averti en temps utile et n'ayant pu stopper le convoi en découvrant dans une courbe l'obstacle sur la voie), et surtout l'absence de coupure de courant en urgence sont autant d'éléments qui démontrent un manque de rigueur évident dans les procédures techniques alors que, compte tenu de l'obligation de sécurité résultat renforcée d'un transporteur d'une telle importance que la SNCF et du nombre de vies humaines en jeu, les règles devraient s'appliquer selon une organisation et une procédure quasi militaire ; qu'il sera rappelé que lors de l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, décroché à 20 h 37 mn 26 soit 56 secondes plus tard et retranscrit, les opérateurs SNCF - s'interpellant ainsi : « Non ça servira à rien le contrôleur, contrôler. Oh feuh, fait une coupure d'urgence s'il faut Kiki... » (C.F. Expertise D... page 28) - envisageaient une coupure de courant qui aurait évité le déraillement du train si elle avait été effective ; que d'autre part, les appels respectifs à la gendarmerie de M. A... et M. Z... à 20 h 35 mn 17 s et 20 h 36 mn 55 permettaient à la SNCF de couper le courant avant l'arrivée du train sur l'obstacle, arrivée estimée par l'expert judiciaire à 20 h 41 mn 30 s soit plus de cinq minutes avant ; qu'il est constant que le train roulant en sens inverse a pu être arrêté par la SNCF ; qu'il apparaît donc de ces éléments que l'action de la SNCF a été déterminante et directe dans les circonstances et la réalisation de l'accident même s'il ne s'agit pas à proprement parler, d'une cause chronologiquement première ; que dès lors il n'y a pas lieu de retenir, comme le demande la SNCF sur le fondement des dispositions des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, un relevé indemne et une responsabilité in solidum de M. A..., propriétaire de la remorque agricole, ni de M. Z... qui, accomplissant un travail d'entraide agricole, a été renvoyé des fins des poursuites pénales pour blessures involontaires engagées contre lui aux termes d'un arrêt infirmatif de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Limoges du 21 juin 2013 ; que les demandes à l'encontre des assureurs de MM. A... et Z... ont été également rejetées par le jugement qui sera confirmé sur ce point (arrêt, p. 6 et 7) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE la demande de la SNCF d'être « mise hors de cause », dont la formulation est étonnante puisqu'elle est nécessairement dans la cause en sa qualité de transporteur
, doit s'entendre comme l'expression de faire valoir l'exonération de sa responsabilité contractuelle, qu'elle argumente en exposant ce qu'elle analyse comme les fautes multiples de Cédric Z... et Joseph A... qui seraient la cause exclusive de l'accident ; que s'il est évident que la chute de la remorque agricole de balles de foin, appartenant à Joseph A... et en cours de chargement par Cédric Z... a été un événement ayant abouti à la survenance de la collision du train Corail 3661, il ne peut être démontré par la SNCF que cela ait constitué pour elle un événement imprévisible et irrésistible ; qu'en effet :
- d'abord la chute d'obstacles sur les voies ferrées est un événement qui peut se produire en tout lieu du réseau ferré et qui est nécessairement envisagé dans les procédures de conduite et de gestion des trains sur ce réseau (règlement S2B applicable à partir du 10 décembre 2006, pièce 2 du dossier de MMA), pour permettre une procédure efficace d'alerte et de protection tant du matériel roulant de la SNCF que des passagers et marchandises transportées,
- ensuite et surtout il est établi par le rapport d'expertise de M. D... du 9 décembre 2010 et son complément du 6 mai 2011 (réalisé dans le cadre du dossier d'instruction ouvert au tribunal de grande instance de Limoges)
et/ou par le rapport d'enquête du Bureau d'Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre (ci-après nommé BEA-TT) rédigé en janvier 2011 que :
- deux trains se dirigeaient en sens inverse vers le lieu de l'obstacle, le train n° 3661 (sens Paris-Limoges) et le train n° 74520 (sens Limoges-Paris) ; or ce train a pu être arrêté 1 minute 30 s avant son arrivée sur les lieux de la chute de la remorque ;
- il s'est écoulé un temps de 56 secondes avant que le Centre Opérationnel de Gestion de la Circulation (COGC) de la SNCF ne réponde à l'appel de la gendarmerie qui avait été prévenue par Joseph A..., temps qui nécessairement a retardé la mise en oeuvre par la SNCF d'une réponse appropriée à la situation, - le conducteur du train n° 3661 circulait vitres ouvertes, de façon justifiée en raison de la chaleur et de l'absence de climatisation de sa cabine de conduite, ce qui créait un bruit d'air important qui l'a empêché d'entendre l'appel d'alerte émis par le régulateur, appelant de suite les conducteurs des trains par la radio sol-train, et exécutant les ordres du coordonnateur régional du COGC d'arrêter les trains, et ce d'autant plus que le train n° 3661 se trouvait alors dans un tunnel, situation rendant assourdissants les bruits d'air dans la cabine,
- l'agent régulateur a commis une confusion en croyant avoir averti les deux conducteurs alors qu'il n'avait eu de contact direct qu'avec le conducteur du train n° 74520, à deux reprises : or cette confusion est née d'une mauvaise application des consignes et notamment de l'obligation pour les conducteurs de s'identifier précisément à chaque communication : le rapport D... reprend très précisément les communications et le processus pages 30 et 31 de son rapport, et le rapport BEA-TT souligne le manque de discipline et de rigueur dans les communications entre le régulateur et ses interlocuteurs (pas ou peu d'identification, pas de temps de pause, début de dialogue sans attendre son tour, discussions autour du régulateur, etc),
- il n'a été émis par le régulateur aucune demande de coupure d'urgence électrique de la tension caténaire : or, cette action techniquement possible et prévue dans le règlement S2B susvisé aurait entraîné obligatoirement un arrêt du train, et le train n° 3661 aurait alors stoppé à 2 kms (selon l'expert D...) ou à 3 kms (selon le rapport BEA-TT) du lieu de la collision : il a été constaté que le document métier du régulateur ne mentionnait pas la possibilité d'utiliser cette coupure comme moyen d'arrêter les trains
,
- l'état du train, de la radio-train, de la qualité technique des transmissions radio, de la voie, était normal ; qu'en conséquence, il apparaît que la causalité directe de la collision entre le train n° 3661 et la remorque agricole vient des dysfonctionnements internes des organes de la SNCF après que le COGC de Limoges ait été prévenu par la gendarmerie, et qu'en cas de fonctionnement correct, cette collision aurait été évitée, comme elle a été évitée pour le train n° 74250 ; que la SNCF est jugée responsable, dans le cadre de la responsabilité civile contractuelle en sa qualité de transporteur de Bertrand Y... de l'accident survenu le 3 juillet 2009, et doit indemniser celui-ci des dommages subis (jugement, p. 9 et 10) ; que, sur la demande subsidiaire de la SNCF de condamnation solidaire de Joseph A..., Cédric Z..., MMA et Groupama à la relever indemne de toutes les condamnations, [
] il est d'une part souligné que la cour d'appel de Limoges ayant prononcé par un arrêt du 21 juin 2013 la relaxe de Cédric Z... qui avait été poursuivi pour blessures involontaires, en relevant « il n'est pas établi qu'il ait commis une faute d'imprudence, de négligence ou qu'il ait manqué à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ni qu'il n'ait pas accompli les diligences normales » « il n'est pas établi à son encontre une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer », il ne peut être retenu, en raison de l'autorité de la chose jugée, de faute civile à l'encontre de Cédric Z... ; que, d'autre part, la responsabilité de Joseph A..., propriétaire de la remorque pour le compte duquel le chargement de bottes de foin était réalisé par Cédric Z... et celle de Cédric Z... qui avait manoeuvré la remorque et faisait son chargement ne pourraient être retenues et entraîner une condamnation à garantir la SNCF en tout ou partie que s'il était établi que la présence de cette remorque sur la voie ferrée le 3 juillet 2009 avait été de nature à entraîner directement et nécessairement la collision ; qu'il résulte des éléments ci-dessus relevés des rapports D... et BEA-TT que la présence de la remorque sur la voie ne devait pas inéluctablement entraîner une collision dès lors que Joseph A..., prévenu par Cédric Z..., avait informé la gendarmerie qui avait alors prévenu le COGC de Limoges de la SNCF qui pouvait faire en sorte, s'il n'y avait eu les dysfonctionnements caractérisés par ces pièces et notamment les problèmes de communication entre le régulateur et le conducteur du train n° 3661 et le défaut de recours à la coupure d'urgence de l'alimentation électrique caténaire, d'éviter toute collision (jugement, p. 13 et 14) ;
1°) ALORS QUE l'autorité absolue de la chose jugée au pénal n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été nécessairement jugé par la juridiction répressive relativement aux éléments constitutifs de l'infraction ; que la relaxe fondée sur l'absence de l'élément matériel, si elle interdit définitivement de reconnaître au fait qui a donné lieu aux poursuites les caractères d'une faute civile, n'empêche pas de se prévaloir devant le juge civil d'autres faits présentant de tels caractères ; qu'en outre, lorsque le juge civil est saisi d'une action en responsabilité fondée sur un principe de responsabilité sans faute, il demeure libre de condamner l'auteur d'un fait pour lequel le juge pénal a prononcé la relaxe ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs supposés adoptés, qu'il ne pouvait être retenu de faute civile à l'encontre de M. Z... en raison de l'autorité de chose jugée au pénal attachée à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Limoges le 21 juin 2013, laquelle avait relevé qu'il « n'est pas établi qu'il ait commis une faute d'imprudence, de négligence ou qu'il ait manqué à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ni qu'il n'ait pas accompli les diligences normales » et qu'il « n'est pas établi à son encontre une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer » (jugement, p. 13 dernier §) ; que l'appréciation factuelle de la cour d'appel au soutien de cette motivation n'était cependant relative qu'à l'absence de preuve que M. Z... n'avait pas enclenché le frein de la remorque agricole (arrêt du 21 juin 2013, p. 15 § 1) ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée (concl., p. 5 et 6), si M. Z... avait mal positionné la remorque agricole, utilisé des cales inadaptées et prévenu les secours avec retard, faits distincts de ceux sur lesquels le juge pénal s'était fondé pour prononcer la relaxe, et s'il avait en toute hypothèse engagé sa responsabilité de plein droit en tant que gardien de la remorque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1351, 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et 480 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE tout fait générateur sans lequel le dommage ne serait pas survenu constitue une cause nécessaire de ce dommage ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs de l'arrêt, que M. Z... avait mal positionné la remorque dans le champ et omis de mettre le frein, tandis que M. A... avait commis des manquements en qualité de commettant (arrêt, p. 7 § 1) et que l'action de la SNCF n'était pas la cause « chronologiquement première » de l'accident (arrêt, p. 7 § 4) ; qu'il résultait de ces constatations que, sans la présence de la remorque manoeuvrée par M. Z... et appartenant à M. A... sur la voie ferrée, aucune collision ne serait intervenue avec le train n° 3661, de sorte que cette remorque constituait l'une des causes nécessaires du dommage ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la demande en garantie formée par la SNCF à l'encontre de M. Z..., de M. A..., et de ses assureurs les sociétés Groupama Centre Atlantique et MMA IARD , et peu important la relaxe pénale prononcée à l'encontre de M. Z..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, le fait générateur constitue une cause du dommage lorsque, d'après le cours ordinaire des choses, ce fait était en soi propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, que « la présence de la remorque sur la voie ne devait pas inéluctablement entraîner une collision dès lors que Joseph A..., prévenu par Cédric Z..., avait informé la gendarmerie qui avait alors prévenu le COGC de Limoges de la SNCF qui pouvait faire en sorte, s'il n'y avait eu les dysfonctionnements caractérisés par ces pièces et notamment les problèmes de communication entre le régulateur et le conducteur du train n° 3661 et le défaut de recours à la coupure d'urgence de l'alimentation électrique caténaire, d'éviter toute collision » (jugement, p. 14 § 2) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ces constatations que la présence de la remorque sur la voie ferrée était la cause adéquate de la collision, puisqu'elle pouvait normalement faire prévoir cet événement accidentel, la cour d'appel a violé les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.