LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 31 août 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1011 F-D
Pourvoi n° M 20-13.315
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOÛT 2022
1°/ la société MMA Iard, société anonyme,
2°/ la société MMA Iard assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° M 20-13.315 contre l'arrêt n° RG : 19/01030 rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la SNCF voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8], venant aux droits de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF mobilités,
2°/ à la SNCF réseau, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à M. [F] [J], domicilié [Adresse 1],
4°/ à M. [O] [N], domicilié [Adresse 9],
5°/ à la société Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole Centre-Atlantique (Groupama Centre-Atlantique), dont le siège est [Adresse 5],
6°/ à M. [X] [B], domicilié [Adresse 6],
7°/ à la société Groupama, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
8°/ à la société Ram Gamex, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la SNCF réseau et de la SNCF voyageurs, venant aux droits de la SNCF mobilités, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte aux sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [J], la société Groupama, la société Ram Gamex, M. [B] et la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Centre-Atlantique (Groupama Centre-Atlantique).
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 14 janvier 2020), un train a déraillé, le 3 juillet 2009, à la suite d'une collision avec une remorque, appartenant à M. [N] et manoeuvrée par M. [J], laquelle a dévalé une pente pour s'immobiliser sur la voie ferrée.
3. M. [B] a assigné la SNCF réseau et la SNCF mobilités, aux droits de laquelle vient la SNCF voyageurs (la SNCF), devant un tribunal de grande instance aux fins d'obtenir, à titre principal, sa condamnation à l'indemniser de ses préjudices et, à titre subsidiaire, la condamnation à paiement de M. [J], M. [N] et ses assureurs « responsabilité civile », les sociétés MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles (les assureurs) et la société Groupama, assureur de la remorque, appelées en intervention forcée par la SNCF.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Les assureurs font grief à l'arrêt de dire que la responsabilité de M. [N] était engagée, avec celle de SNCF mobilités et SNCF réseau, dans la survenance de l'accident du 3 juillet 2009, de dire qu'ils devaient leur garantie au titre de cet accident engageant la responsabilité de leur assuré M. [N] et de condamner in solidum ce dernier et les assureurs à relever et garantir la SNCF à hauteur de 50 % des condamnations prononcées contre elles au profit de M. [B] en principal, intérêts et indemnité de procédure, alors « que la répartition de la charge définitive de la dette d'indemnisation entre deux coresponsables fautifs d'un même dommage condamnés in solidum doit être déterminée en fonction de la gravité des fautes respectives ; qu'en répartissant la charge définitive de la dette d'indemnisation par moitié entre M. [N] et la SNCF, aux motifs que « plusieurs facteurs avaient été défavorables à l'éventuelles possibilité d'éviter l'accident », qu'il n'était pas certain que la SNCF aurait pu éviter l'accident et que celui-ci résultait d'un « exceptionnel concours de circonstances » quand il lui appartenait de statuer sur la contribution de chacun des auteurs du dommage dans leurs rapports réciproques en fonction de la gravité des fautes qu'ils avaient commises, la cour d'appel a violé l'article 1213 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause et les principes régissant l'obligation in solidum. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir relevé que la SNCF demande à être relevée indemne des condamnations à indemniser le préjudice subi par M. [B] prononcées à son encontre, l'arrêt énonce notamment que si la remorque de M. [N] constitue bien l'une des causes nécessaires du dommage litigieux, les assureurs sont fondés à faire valoir que la présence de cette remorque ne constitue pas la cause exclusive de l'accident dès lors qu'il ressort du rapport de l'expert judiciaire et du rapport d'enquête technique quatre facteurs défavorables à l'éventuelle possibilité d'éviter l'accident, la perte de temps que représente l'appel de M. [J] à M. [N] plutôt qu'à la gendarmerie, le caractère laborieux de la communication entre M. [N] et la gendarmerie, le temps de réponse de la SNCF à l'appel des gendarmes et l'incompréhension entre le régulateur et le conducteur du train n° 74520, qu'ainsi, deux facteurs ne relèvent pas de réactions inappropriées de la SNCF, et en tout état de cause, le technicien ne tient nullement pour certain que l'accident aurait pu être évité de toute façon dès lors que la remorque se trouvait sur la voie et qu'il évoque aussi un « exceptionnel concours de circonstances » lié au rôle déterminant du tunnel situé 5 kilomètres en amont dans la survenance de l'accident.
6. L'arrêt en déduit que, dans ces conditions, la responsabilité de la SNCF et de M. [N] dans l'accident peut être fixée, dans leurs rapports réciproques, à 50 % chacun.
7. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir la gravité des fautes respectives des coresponsables du dommage, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la responsabilité de M. [N] était engagée, avec celle de SNCF Mobilités et SNCF Réseau, dans la survenance de l'accident survenu le 3 juillet 2009, d'AVOIR dit que les sociétés MMA IARD et MMA IARD Mutuelles du Mans devaient leur garantie au titre de cet accident engageant la responsabilité de leur assuré M. [N] et d'AVOIR condamné in solidum M. [N] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Mutuelles du Mans à relever et garantir la SNCF Mobilités et la SNCF Réseau à hauteur de 50% des condamnations prononcées contre elles au profit de M. [B] en principal, intérêts et indemnité de procédure ;
AUX MOTIFS QUE la SNCF demande à être relevée indemne des condamnations à indemniser le préjudice subi par M. [B] prononcées à son encontre ; que cet accident, qui résulte de la collision entre un train et une remorque, a assurément été causé par la présence de cette remorque agricole sur la voie, en vertu de cette évidence qu'il n'aurait pas eu lieu si elle ne s'était pas trouvée là , de sorte que la remorque de [O] [N] constitue bien l'une des causes nécessaires du dommage litigieux ; que les mutuelles MMA et Groupama ne sont pas fondées à soutenir que ce fait serait trop éloigné du préjudice invoqué pour se rattacher encore à lui par un lien de causalité suffisant et pertinent au point qu'il puisse n'en être point tenu compte, alors que la présence de la remorque sur la voie de chemin de fer est constamment restée en relation causale nécessaire, efficace et adéquate avec le dommage, puisqu'elle constitue l'un des deux objets entrés en collision, sans lequel cette collision n'existerait pas ; que le rôle causal de cette remorque dans l'accident engage la responsabilité de [O] [N], son propriétaire ; - qui en était le gardien au sens des dispositions - explicitement invoquées - de l'article 1242 du code civil - sans qu'il importe que ce fût [F] [J] qui oeuvrait à y placer des bottes de foin, puisqu'il est établi que celui-ci agissait en cela en qualité de préposé (quand bien même aucun contrat n'avait été formalisé entre eux)
et que la qualité de préposé est incompatible avec celle de gardien ; - et dont il apparaît au vu des conclusions, non démenties, de l'expert judiciaire (cf. notamment page 70, 71 et 97 du rapport) et du BEA-TT, et des productions, qu'il a doté son préposé, pour cette tâche, de cales du modèle AL KO UK 36 trop petites pour bloquer les roues arrières de la remorque ; que les sociétés d'assurance intimées sont, en revanche, fondées à faire valoir que la présence de cette remorque ne constitue pas la cause exclusive de l'accident, dès lors qu'il ressort du rapport de l'expert judiciaire commis dans le cadre de l'information judiciaire ouverte pour blessures involontaires (cf. notamment page 98), et du rapport d'enquête technique du BEA-TT, sans réfutation par la SNCF, qu'à la suite d'une mauvaise mise en oeuvre des protocoles d'alerte ferroviaire, la coupure d'urgence n'a pas été déclenchée, le régulateur ayant eu la conviction, erronée, que tous les conducteurs des trains concernés avaient été alertés y compris celui du "Teoz", alors que tel n'était pas le cas ; que l'expert judiciaire écrit « s'il est aisé de spéculer sur la possibilité d'un évitement a posteriori, en tirer des conséquences probables est plus hasardeux », avant d'indiquer : « on peut néanmoins estimer que plusieurs facteurs ont été défavorables à l'éventuelle possibilité d'éviter l'accident », en en citant quatre : la perte de temps que représente l'appel de M. [J] à M. [N] plutôt qu'à la gendarmerie ; le caractère laborieux de la communication entre M. [N] et la gendarmerie ; le temps de réponse de la SNCF à l'appel des gendarmes ; et l'incompréhension entre le régulateur et le conducteur du train n°74520 ; qu'ainsi, deux facteurs ne relèvent pas de réactions inappropriées de SNCF, et en tout état de cause, le technicien - inscrit sur la liste nationale des experts - ne tient nullement pour certain que l'accident aurait pu être évité de toute façon dès lors que la remorque se trouvait sur la voie ; qu'il évoque aussi (cf. rapport p. 99) un « exceptionnel concours de circonstances » lié au rôle déterminant du tunnel situé 5 kilomètres en amont dans la survenance de l'accident ; que, dans ces conditions, la responsabilité de SNCF et de [O] [N] dans l'accident peut être fixée, dans leurs rapports réciproques, à 50% chacun ;
ALORS QUE la répartition de la charge définitive de la dette d'indemnisation entre deux coresponsables fautifs d'un même dommage condamnés in solidum doit être déterminée en fonction de la gravité des fautes respectives ; qu'en répartissant la charge définitive de la dette d'indemnisation par moitié entre M. [N] et la SNCF, aux motifs que « plusieurs facteurs avaient été défavorables à l'éventuelles possibilité d'éviter l'accident », qu'il n'était pas certain que la SNCF aurait pu éviter l'accident et que celui-ci résultait d'un « exceptionnel concours de circonstances » (arrêt, p. 11, al. 2 et 3), quand il lui appartenait de statuer sur la contribution de chacun des auteurs du dommage dans leurs rapports réciproques en fonction de la gravité des fautes qu'ils avaient commises, la cour d'appel a violé l'article 1213 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause et les principes régissant l'obligation in solidum.