T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 3ème section No RG : 05/10941 No MINUTE : Assignation du : 17 Mai 2005 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 20 Décembre 2006
DEMANDEURS Monsieur Michel X... DIT Y...
... 67000 STRASBOURG Société LA SAIF SOCIETE DES AUTEURS DES ARTS VISUEL ET DE L'IMAGE FIXE 3 rue Cassini 75014 PARIS représentée par Me Gilles VERCKEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 414 DÉFENDEURS S.A.R.L. MAIA FILMS 9 Rue René Boulanger 75010 PARIS représentée par Me Roland RAPPAPORT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D983 Monsieur Alain Z...
... 94360 BRY SUR MARNE défaillant Monsieur Georges A...
... 89200 AVALLON défaillant Monsieur Jean-Paul B...
... 89000 PERRIGNY défaillant Madame Martine C... épouse D...
... 89100 SENS défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Elisabeth BELFORT, Vice-Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice-Président Pascal MATHIS, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision DEBATS A l'audience du 31 Octobre 2006 tenue publiquement JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoire en premier ressort FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES: M. Michel X..., dit Y... est un dessinateur-illustrateur qui a crée, notamment, les illustrations de la collection "SUPER GAFI CP". Cette collection, couramment utilisée pour l'apprentissage de la lecture en CP et CE1, a pour personnage principal "Gafi le fantôme". Elle se compose de divers manuels pour les élèves et le maître mais également de posters et d'images portant des mots clés, ci-après dénommés "planches éducatives". Ces planches éducatives, d'un format de 32,5cms par 22 cms destinées à être suspendues aux murs des salles de classes, comportent :-48 images "mots clés", destinés à l'affichage mural en classe, que aide à la
mémorisation des relations sons/graphies en associant à des lettres et à des mots des illustrations (à titre d'exemple, la lettre "V" que l'on trouve dans le mot "locomotive" est illustrée par le dessin d'une locomotive.) -12 posters reproduisant les textes et illustrations des séquences des deux premiers modules, -3 posters reprenant les pages documentaires des modules 3,4 et 5, -1 poster abécédaire sur le thème du fantôme. Sur ces planches éducatives destinées à l'affichage mural, la partie illustrée occupe un espace important. La SAIF (SOCIETE DES AUTEURS DES ARTS VISUELS ET DE L'IMAGE FIXE) dont M. X... est membre depuis le 9 mars 2000, est une société de gestion collective des droits d'auteurs d'oeuvres en deux ou trois dimensions des arts visuels, notamment d'oeuvres plastiques, graphiques, photographiques, infographiques, architecturales, oeuvres des arts appliqués ou dessins et modèles. Par l'adhésion de M. X..., la SAIF est devenue cessionnaire exclusif des droits patrimoniaux de reproduction et de représentation de ses oeuvres. La société MAIA FILMS a notamment produit le film documentaire "ETRE ET AVOIR" réalisé par M. Nicolas E..., dont le thème est la vie d'une classe unique en milieu rural au cours d'une année scolaire. Sorti en salle le 28 août 2002, ce film a totalisé plus de 1,8 million d'entrées et fait l'objet d'une exploitation sur des supports DVD et par télédiffusion. Au cours du film vingt sept "planches éducatives" de la méthode "SUPER GAFFI" se trouvant suspendues aux murs de la salle de classe apparaissent à l'écran, tantôt en gros plan tantôt en fond de décor. Il ressort d'un chronométrage de la durée totale d'apparition, des planches que les oeuvres sont visibles, selon les demandeurs, durant un temps total cumulé d'au moins 18 minutes, dont 10 minutes en plein écran. Dans le bonus du DVD, il faut ajouter 55 secondes durant lesquelles les planches sont montrées à l'écran. La société MAIA FILMS qui a produit
d'oeuvre audiovisuelle "ETRE ET AVOIR", n'a requis l'autorisation ni de la SAIF, au titre du droit de reproduction et de représentation des oeuvres dont cette dernière à la gestion, ni de l'auteur, au titre de son droit moral. M. X... a en outre constaté que son nom n'était pas mentionné au générique du film et que les "planches éducatives" apparaissant à l'écran ont été dénaturées puisqu'elles ont été coloriés. Par acte d'huissier de justice en date du 17 mai 2005, La SAIF et M. X... ont assigné la société MAIA FILMS devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur. Par actes d'huissier de justice en date des 26 janvier 2006 et 27 février 2006, la SAIF a assigné Mme Martine C..., M. Georges A..., M. Jean-Paul B... et M. Alain Z... en qualité de coauteurs de la méthode "SUPER GAFI CP". Ceux ci n'ayant pas constitué d'avocat, le jugement sera en conséquence réputé contradictoire, l'instance étant susceptible d'appel.. Par dernières conclusions communiquées le 5 octobre 2006, la SAIF et M. X... demandent de : au visa notamment des articles L112-2, L121-1, L122-5, L123-1, L122-4, 131-3, L131-1, L335-2 et L335-3 du code de propriété intellectuelle, des articles 515, 699 du nouveau code de procédure civile et 700 du nouveau code de procédure civile. Dire recevable et bien fondés les demandeurs, dire et juger qu'en intégrant à l'oeuvre audiovisuelle et par la même en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse les oeuvres dont M. X... est auteur la défenderesse a commis des actes de contrefaçon au sens des articles L122-4 et L335-2 du code de propriété intellectuelle, condamner la défenderesse à payer à la SAIF la somme de 165 000 euros à titre d'indemnité réparatrice du préjudice pécuniaire causé à M. X... dont elle gère les droits, patrimoniaux, la condamner à verser à M. X... la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité réparatrice de son préjudice moral,
dire qu'en reproduisant sans autorisation préalable et expresse les oeuvres, la société défenderesse a porté atteinte à l'intérêt collectif des peintres et illustrateurs professionnels dont la SAIF défend les intérêts, la condamner à verser à la SAIF la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'atteinte à l'intérêt collectif qu'elle représente, ordonner l'exécution provisoire, condamner la société MAIA FILMS à payer à la SAIF la somme de 5000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamner la société MAIA FILMS à payer à M. X... la somme de 5000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamner la société MAIA FILMS aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Gilles VERCKEN en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. Par dernières conclusions communiquées le 18 octobre 2006, la société MAIA FILMS demande de :
au visa de l'article L115-3 du code de propriété intellectuelle, dire et juger irrecevable la SAIF, venant aux droits de M. X..., dans son action en réparation d'un prétendu préjudice patrimonial, faute d'avoir agi en commun avec les autres auteurs de l'oeuvre collective à laquelle M. X... a participé et qu'il prétend contrefaite, subsidiairement et sur le droit moral, débouter les demandeurs, la représentation d'éléments de la méthode "SUPER GAFI CP" dans le film "ETRE ET AVOIR", en particulier des planches éducatives servant de décor mural à la classe et comportant notamment des illustrations de M. X... dit Y... ayant un caractère fortuit, occasionnel et inévitable, constituant un simple accessoire au sujet traité par le film et dès lors ne procurant pas la communication de l'oeuvre prétendument contrefaite au public, déclarer par voie de conséquence la SAIF irrecevable et subsidiairement mal fondée dans sa demande de réparation au titre des intérêts collectifs des peintres et
illustrateurs, dire n'y avoir lieu à exécution provisoire, rejet les demandes d'indemnités formées par la SAIF et M. X... sur la base de l'article 700 du nouveau code de procédure civile condamner condamner la SAIF et M. X... à lui payer la somme de 4000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamner la SAIF et M. X... aux entiers dépens. Le tribunal dans sa formation collégiale, assisté du greffier, a visionné le film "ETRE ET AVOIR" sur grand écran, en présence des différentes parties MOTIFS DE LA DECISION Le tribunal relève que la SAIF a mis en cause les co auteurs de la méthode pédagogique illustrée par M. X.... Il importe peu que ces assignations aient été délivrées à mairie ou à des personnes présentes au domicile et que des destinataires de ces assignations, co auteurs, n'aient pas comparu dans la présente instance. En effet , l'action de la SAIF est recevable, dès lors que les co auteurs ont été régulièrement attraits dans la cause. Il est souligné, de surcroît, qu'en l'espèce, l'oeuvre graphique de M. X..., figurant sur des "planches éducatives " et des posters . était clairement individualisable par rapport au texte écrit de à la méthode pédagogique. Il n'est pas contesté par la défenderesses que les illustrations de M. X... figurant sur les "planches éducatives " et posters portent bien l'empreinte de la personnalité de leur auteur. L'article L123-1 du code de propriété intellectuelle dispose que "l'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire." L'article L122-4 du dit code précise, quant à lui que "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle fait sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. " La loi no 2006 961 du 1er août 2006 qui a retranscrit la directive 2001/29/CE du Parlement et du Conseil du 22 mai 2001 a prévu un certain nombre d'exception aux droits
d'auteur. Comme toutes exceptions, celles-ci doivent s'interpréter restrictivement. La loi n'a pas repris au titre des exception celle relative à "l'inclusion fortuite d'une oeuvre ou d'un autre objet protégé dans un autre produit" , ni "l'utilisation d'oeuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics." Dès lors, il n'est plus possible de retenir l'exception de l'accessoire telle qu'envisagée antérieurement par la Cour de Cassation. En toute hypothèse il convient de noter que les oeuvres de M. X... apparaissent à vingt deux reprises, de manière distincte, parfaitement identifiables au cours du film "ETRE ET AVOIR". Le temps de passage en plein écran des ces oeuvre dont le chronométrage a été effectué par les demandeurs, qui n'est pas formellement contredit par la défenderesse, et correspond aux observations du tribunal, s'élève à dix minutes et une seconde. Les illustrations suivantes sont notamment identifiables : - la tortue, - les moustaches - le crayon - la quille - la peluche - le col. Par ailleurs, ces oeuvres sont également reproduites à trois reprises dans la bande-annonce du film et à deux reprises dans le bonus "récitation" qui figurent dans le DVD; Le tribunal a constaté qu'à plusieurs reprises, le cadrage est réalisé de telle manière que le personnage filmé est placé soit sur la droite soit sur la gauche de l'écran, l'image est ainsi centrée, non sur le personnage filmé mais sur les planches éducatives litigieuses. Dès lors, ce n'est pas de manière totalement fortuite et non identifiable qu'apparaissent à l'écran les illustrations dont M. X... est l'auteur. Il importe peu qu'à aucun moment l'oeuvre de M. X... soit le sujet principal du film, ou que l'attention du spectateur soit spécialement attiré par les acteurs du film sur ces illustrations. Il suffit que ses oeuvres soient parfaitement identifiables par le spectateur. Le tribunal retient que le tournage
ayant été réalisé dans un lieu privé, la classe de M. F..., il aurait été possible éventuellement de lui demander de retirer les planches éducatives litigieuses qui décoraient la classe, ou, si l'auteur du documentaire voulant "coller" au réel, répugnait à une telle mise en scène, de solliciter préalablement au tournage l'autorisation de l'auteur des illustrations reproduites. Dans ces conditions la reproduction et la représentation des oeuvres de M. X... dans le film "ETRE ET AVOIR"et dans le DVD correspondant, sans son autorisation préalable, sont des actes de contrefaçon. Ils constituent des atteintes aux droits patrimoniaux de M. X... dont la SAIF est actuellement titulaire. M. X... se plaint également d'une dénaturation de ses oeuvres au motif que ses "planches éducatives" figurant dans le film ont été coloriés. Le tribunal observe sur ce point que le guide de la méthode pédagogique "SUPER GAFi" dont font partie indiscociablement les illustrations dont s'agit précise "la présentation de ces panneaux s'effectue après les activités d'analyse et de reconnaissance du son (...) On veillera à les afficher à bonne hauteur pour une lisibilité maximum. Les enfants pourront manifester le désir "d'enrichir" ces panneaux ". Dans ces conditions, l'auteur des illustrations ne sauraient se plaindre d'un "enrichissement" de ses oeuvres recommandé par ladite méthode. M. X... argue enfin, à juste titre, de l'atteinte à son droit de paternité, son nom ne figurant pas au générique du film. Ceci constitue une atteinte à son droit moral. Sur la violation de l'intérêt collectif En application d e l'article L3121-1 du code de propriété intellectuelle la SAIF a qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge; En l'espèce, c'est à juste titre que la SAIF se plaint de ce que les autorisations nécessaires n'ont pas été sollicitées préalablement à la réalisation du film portant ainsi préjudice aux intérêts collectif
de la profession des peintres et illustrateurs dont elle défend les droits. Sur les mesures réparatrices Le tribunal estime que compte tenu de la nature du film en cause les dommages subis par M. X... et par la SAIF, gestionnaire de ses droits patrimoniaux, sont d'ordre symbolique. Ils seront donc réparés par l'octroi à chacun des demandeurs d'une somme de 1 euro. Il en va de même en ce qui concerne le préjudice subi par la SAIF du fait de l'atteinte à l'intérêt collectif des peintres et illustrateurs professionnels dont la SAIF défend les intérêts. Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile Il parait inéquitable de laisser à la charge de M. X... et de la SAIF les frais irrépétibles et non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer à ce titre à chacun une indemnité de 5000 Euros. Sur l'exécution provisoire, Il parait nécessaire en l'espèce et compatible avec la nature de l'affaire d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision. Sur les dépens La défenderesse qui succombe dans ses prétentions doit être condamnée aux dépens avec distraction au profit de la Maître Gilles VERCKEN en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Le tribunal statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en premier ressort, Déclare recevable l'action introduite par la SAIF et M. X..., Dit que la société MAIA FILMS en reproduisant et en représentant dans le film documentaire "ETRE ET AVOIR" réalisé par Nicolas E..., sans autorisation préalable de l'auteur, les "planches éducatives" et posters de la méthode "SUPER GAFI" illustrés par M. X... a commis des actes de contrefaçon et a porté atteinte à ses droits patrimoniaux gérés par la SAIF, Dit qu'en ne faisant pas figurer au générique du film "ETRE ET AVOIR" et sur la pochette du DVD le nom de M. X... dit Y..., la société MAIA FILMS a porté atteinte à son droit de paternité, Condamne la société MAIA FILMS à payer à M.
SCHICKLER la somme de 1 EURO (UN EURO) à titre de dommages-intérêts pour l'atteinte à son droit moral, Condamne la société MAIA FILMS à payer à la SAIF : - la somme de 1 EURO (UN EURO) à titre de dommages-intérêts au titre des droits patrimoniaux de M. X..., -la somme de 1EURO (UN EURO) à titre de dommages-intérêts au titre de l'atteinte aux intérêts collectifs qu'elle représente, Condamne la société MAIA FILMS à payer à M. X... la somme de 5000 euros (CINQ MILLE EUROS) en application de larticle 700 du nouveau code de procédure civile Condamne la société MAIA FILMS à payer à la SAIF la somme de 5000 euros (CINQ MILLE EUROS) en application de larticle 700 du nouveau code de procédure civile Ordonne l'exécution provisoire, Condamne la société MAIA FILMS aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Gilles VERCKEN, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. Fait à Paris, le 20 décembre 2006 LE GREFFIER
LE PRESIDENT Marie-Aline PIGNOLET
Elisabeth BELFORT