T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 1ère section
No RG : 07/00452
No MINUTE :
JUGEMENT
rendu le 17 Juin 2008
DEMANDEUR
Monsieur Jérôme X...
...
76000 ROUEN
représenté par Me Charles LIBMAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C1808
DÉFENDEURS
Monsieur Jérôme David X...
...
92320 CHATILLON
représenté par Me Simon TAHAR - SCP SIMON TAHAR et BARBARA ROSNAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P394
S.A. UNIVERSAL MUSIC
20/22, rue des Fossés Saint-Jacques
75005 PARIS
représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E.329
Société EC 7 SAS
20 rue de Prony
75017 PARIS
représentée par Me Caroline BIRONNE - SCP WOLMARK BIRONNE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.404
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie- Christine COURBOULAY, Vice Présidente
Guillaume MEUNIER, Juge
Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une ordonnance du 1er président de la Cour d'Appel de Paris en date du 31 mars 2008, et déléguée à la 3e chambre en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 31 mars 2008,
assistés de Léoncia BELLON, Greffier
DÉBATS
A l'audience du 26 Mai 2008 tenue publiquement devant Marie-Christine COURBOULAY et Sylvie LEFAIX, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par remise au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur Jérôme X... exerce la profession d'artiste de variété depuis 1994 et a enregistré "X... Jérôme" à titre de marque auprès de l'INPI le 14 mars 2001 sous le no3090112 en classe 16 et 41, soit pour les produits et services d'activité culturelle et artistique, chanteur et comédien et tout usage promotionnel y afférent, et tout support ou usage de ce nom à des fins promotionnelles et artistiques.
En mars 2004, il s'est aperçu qu'un artiste porte les mêmes nom et prénom que lui et doit se produire à compter de septembre 2004 dans la comédie musicale Gladiateur produite par la société EC 7 et dont les enregistrements discographiques sont produits par la société UNIVERSAL MUSIC et déjà en vente.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 mars 2004, Monsieur X... à mis en demeure son homonyme ainsi que les sociétés UNIVERSAL MUSIC et EC 7 de cesser d'utiliser sa marque.
Ayant été déclaré irrecevable en son action en référé, par ordonnance en date du 28 juin 2004, puis débouté par ordonnance en date du 27 septembre 2004, Monsieur Jérôme X... a fait assigner au fond Monsieur Jérôme (David) X..., la société UNIVERSAL MUSIC
et la société EC 7 respectivement par exploits en date du 10 septembre 2004 pour le premier et du 6 septembre 2004 pour les secondes, sur le fondement des articles L 712-1, L 713-2, L 713-1 et L 716-1 du code de la propriété intellectuelle.
Par ordonnance du juge de la mise en état en date de 19 septembre 2005, l'affaire a été radiée du rôle, puis rétablie le 13 février 2007 à la demande de Monsieur Jérôme (David) X..., défendeur, sur le fondement de l'article 383 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures visées au greffe le 12 décembre 2007, Monsieur Jérôme X... demandeur, qui n'a pas repris ses demandes à l'égard de la société EC 7, qui fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, sollicite du tribunal :
- qu'il accueille Monsieur Jérôme X... en son action et déboute Monsieur X... défendeur et la société UNIVERSAL MUSIC de leurs demandes,
- qu'il condamne solidairement les défendeurs à :
• cesser tous actes de contrefaçon de la marque "X... Jérôme" sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard en application de l'article 491du code de procédure civile, à compter de la signification du jugement à intervenir,
• faire retirer définitivement le nom de Jérôme X... de tous les documents relatifs aux activités artistiques de Jérôme X... défendeur, ainsi que tous supports mis à la vente ou diffusés dans le public sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
• indiquer le nom que Jérôme X... défendeur adoptera dorénavant et publier la décision à intervenir aux frais des défendeurs dans une revue spécialisée,
• verser au demandeur une somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice économique, une somme de 25.000 euros en réparation de son préjudice moral, une somme de 3.000 euros au titre des frais exposés pour faire cesser la contrefaçon litigieuse et une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- qu'il ordonne l'exécution provisoire,
- qu'il condamne les défendeurs aux dépens, dont distraction au profit de Maître LIBMAN en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Monsieur Jérôme X... expose que l'enregistrement de la marque "X... Jérôme" lui a attribué un droit de propriété absolu sur celle-ci et par suite le droit d'agir contre ceux qui y porte atteinte. Il précise que cette marque désigne effectivement des produits et des services et non pas seulement une personne, puisqu'elle figure sur différents supports et désigne une activité professionnelle de prestation de service, son activité de chanteur de variété.
Aux arguments des défendeurs, le demandeur rétorque que sa marque ne porte pas atteinte aux droits de la personnalité de Monsieur X... défendeur en raison de l'absence de notoriété de ce dernier et de la licéité du dépôt de sa marque. Il en déduit la validité de celle-ci etexpose que l'usage qui en est fait par les défendeurs, qui ont procédé à une reproduction servile de chaque terme pour des produits et des services identiques à ceux qui ont fait l'objet du dépôt, en est une imitation contrefaisante.
Il précise que la circonstance que l'inversion de l'ordre des mots "X..." et "Jérôme" n'empêche pas que l'imitation soit constituée, l'impression d'ensemble produite étant la même. Il ajoute que l'identité des produits et service est indéniable, la différence dans les styles musicaux des deux chanteurs étant indifférente selon lui, d'autant plus qu'ils évoluent tous deux dans le domaine de la variété française.
Monsieur Jérôme (David) X... défendeur, dans ses dernières conclusions visées au greffe le 29 mars 2007 et au visa des articles L 711-4, L 713-6 et L 716-6 du code de la propriété intellectuelle, demande au tribunal :
- qu'il constate l'existence de l'homonymie et le fait que l'usage de son propre nom par le défendeur ne désigne aucun produit ou service et n'est donc pas utilisé à titre de marque,
- qu'il juge qu'il possède le droit le plus absolu à utiliser son nom patronymique dans le cadre de son activité habituelle, et déboute le demandeur de ses demandes,
- subsidiairement, qu'il prononce la nullité de la marque "X... Jérôme" enregistrée à l'INPI sous le no013090112 comme portant atteinte au nom patronymique antérieur du défendeur,
- en tout état de cause qu'il juge que la marque litigieuse ne lui est pas opposable,
- qu'il condamne le demandeur à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile "dont distraction au profit de la SCP TAHAR et ROSNAY" (sic),
- qu'il ordonne l'exécution provisoire.
Monsieur X... défendeur soutient qu'il exerce son métier de chanteur depuis 1998 sous son patronyme, et a acquis une notoriété importante, notamment par sa participation au spectacle musical Notre-Dame de Paris, créé par Messieurs A... et B..., ou au spectacle musical Gladiateur, produit en 2004. Invoquant la seconde ordonnance de référé rendu le 27 septembre 2004, Monsieur X... fait valoir qu'un artiste de variété n'est pas reconnu comme produit et service, qu'il a un droit absolu à l'usage de son nom patronymique qui est un droit fondamental de la personnalité auquel nul ne peut porter atteinte et dont nul ne peut interdire l'emploi, qu'un titulaire légitime d'un nom ne peut faire interdiction à un autre titulaire légitime de porter son propre nom. Il souligne en outre que les deux artistes ont pu évoluer pendant 10 ans dans des secteurs différents sans que l'homonymie ne pose difficulté, estimant par ailleurs qu'il bénéficie d'une notoriété beaucoup plus importante que le demandeur compte tenu du succès des spectacles auxquels il a participé. Il invoque
également le caractère répandu du patronyme Jérôme X..., et souligne qu'il n'utilise pas son nom pour désigner un produit ou un service mais bien sa propre personne physique, déduisant par là qu'il ne s'est rendu coupable d'aucune contrefaçon de marque.
Subsidiairement, le défendeur estime que la marque litigieuse doit être annulée, sur le fondement de l'article L 711-4 g) du code de la propriété intellectuelle compte tenu de sa notoriété au moment du dépôt par le demandeur.
Dans le cas où elle ne serait pas annulée, Monsieur X... défendeur expose que la marque "X... Jérôme" ne peut lui être opposée, aucune confusion dans l'esprit du public n'étant établie, les deux artistes évoluant dans des répertoires très différents et Monsieur X... demandeur ayant attendu plusieurs années avant de réagir alors que son homonyme défendeur était déjà largement connu du public.
S'agissant des demandes financières, le défendeur souligne leur caractère exorbitant, et, pour justifier ses propres demandes d'indemnisation, invoque le fait que le demandeur ait agi en référé au moment de la première représentation de Gladiateur, en troublant manifestement les relations professionnelles entre le défendeur et ses employeurs.
Dans ses dernières écritures visées au greffe le 21 juin 2007, la société UNIVERSAL MUSIC conclut au rejet des demandes de Monsieur X... demandeur comme irrecevables et mal fondées, ainsi qu'à sa condamnation à lui verser la somme de 5.000 euros pour procédure abusive, compte tenu des décisions rendues en référé, la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société UNIVERSAL MUSIC estime qu'un signe ne peut contrefaire une marque qu'à la condition d'exercer la même fonction que celle-ci, c'est-à-dire de désigner un produit ou un service, ce qui n'est pas le cas selon elle, Jérôme (David) X... n'utilisant son nom et son prénom que pour être désigné en tant que personne, en l'occurrence artiste dont les interprétations sont reproduites sur des supports phonographiques.
La société UNIVERSAL MUSIC en conclut que le demandeur ne peut qu'être débouté de son action en contrefaçon, sa marque n'étant pas valable en ce qu'elle désigne un artiste de variété, de théâtre et de cinéma au regard de l'article L 711-1 du code de la propriété intellectuelle.
La procédure n'ayant pas été régularisée à l'égard des organes de la procédure collective de la société EC 7 pour laquelle une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte en 2004, toutes les demandes formées à son encontre sont irrecevables puisqu'elle n'a plus d'existence juridique, et considérées comme abandonnées par le demandeur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2008.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la contrefaçon de marque
Attendu qu'aux termes de l'article L 711-1 du code de la propriété intellectuelle, la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les
produits ou services d'une personne physique ou morale. Peuvent notamment constituer un tel signe les dénominations sous toutes les formes telles que ... les noms patronymiques et géographiques ;
Que l'article L 713-1 du même code dispose que l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés ;
Que l'article L 713-3 interdit également, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou des services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, sauf autorisation du propriétaire ;
Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que Jérôme X..., défendeur, utilise son patronyme dans le cadre de son travail d'artiste, et que son nom et son prénom reproduisent à l'identique mais dans un ordre inversé les mots "X... Jérôme", déposés à titre de marque par le demandeur ;
Que cependant, l'artiste Jérôme X..., demandeur, né en 1967, exerce depuis 1994 sa profession de chanteur dans le répertoire de la chanson populaire française de la fin des années 1930, et des années 1940 et 1950 ;
Que l'artiste Jérôme X..., né en 1972, après avoir débuté sur scène avec son groupe le "Boot Tortu's Band", participe au spectacle musical Notre-Dame de Paris depuis sa création en 1998, au spectacle musical Gladiateur en 2004 ainsi qu'à l'enregistrement d'une version de la comédie musicale Emilie Jolie en 2002 ;
Qu'il en résulte que ces deux artistes évoluent dans deux genres musicaux très différents ;
Qu'en conséquence, le risque de confusion dans l'esprit du public, nécessaire pour que des actes de contrefaçon par imitation soient constitués, n'est pas établi ;
Qu'en outre, le demandeur, titulaire d'une marque composée de son nom et de son prénom et désignant des activités artistiques ne saurait, sans procéder à un détournement de l'esprit du texte et mettre à mal droit personnel et fondamental de chacun sur son nom et son prénom, faire grief à un homonyme d'utiliser son nom et son prénom dans l'exercice de sa profession d'artiste, mais pour le désigner en tant que personne physique, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant de Monsieur Jérôme (David) X..., dont le nom apparaît sur les supports litigieux en tant qu'interprète des personnages qu'il endosse ;
Qu'en effet, une personne physique, fut-elle artiste, n'est pas encore considérée comme un produit ou un service ;
Qu'en conséquence, la condition que l'usage de la marque imitée le soit pour des produits et des services similaires à ceux faisant l'objet de l'enregistrement n'est pas non plus remplie ;
Attendu que par ailleurs, il résulte de l'article L 711-1 précité que le dépôt d'une marque a pour but de désigner et distinguer des produits et des services ;
Qu'en l'espèce, et bien que les classes choisies par le déposant protègent "l'activité culturelle et artistique ; artiste de variété (chanteur), de théâtre et de cinéma (comédien) et tout usage promotionnel y afférent : affiches, affichettes de spectacles, de film, de théâtre ou de music hall sur lesquelles ce nom peut figurer" d'après la description du dépôt rédigée par l'INPI, il n'en demeure pas moins que la disposition légale prime et que, dans l'esprit du législateur tant national que communautaire, une marque n'a pas pour but de distinguer une personne, fut-elle artiste de variété (chanteur), de théâtre et de cinéma (comédien), mais un produit ou un service comme il a été dit plus haut ;
Qu'ainsi, prétendre qu'en désignant une activité de chanteur, la marque composée du prénom et du nom du chanteur désigne bien une activité de prestation de service conformément au texte précité revient à dénaturer la notion de marque définie par le législateur ;
Qu'en conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la question de la validité de la marque déposée, Monsieur Jérôme X... doit être débouté de son action en contrefaçon de sa marque;
Sur les autres demandes
Attendu que Monsieur X... a été débouté à deux reprises en juin et septembre 2004 dans les deux instances qu'il a introduites en référé;
Qu'il a néanmoins assigné au fond, après avoir écrit à l'employeur de son homonyme, ce dernier, la société productrice du spectacle auquel il participait et la société productrice des enregistrements dudit spectacle ;
Que cette assignation est intervenue quelques jours avant la première représentation de la comédie musicale à grand spectacle dans laquelle il devait tenir le rôle principal ;
Que ces circonstances démontrent que le demandeur à fait dégénérer son droit d'agir en justice en abus, ce qui a causé un préjudice à Monsieur Jérôme (David) X... et à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE qu'il convient de réparer respectivement à hauteur de 10.000 euros et 3.000 euros ;
Attendu que le demandeur devra en outre verser à chaque défendeur la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que compte tenu de la durée du litige, l'exécution provisoire sera ordonnée ;
Que Monsieur Jérôme X... demandeur et partie perdante sera condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,
Dit que Monsieur Jérôme (David) X... et la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE n'ont pas commis d'acte de contrefaçon de la marque "X... Jérôme" déposée le 14 mars 2001 sous le no3090112 par Monsieur Jérôme X...,
Déboute en conséquence Monsieur Jérôme X... de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Monsieur Jérôme X... à verser à Monsieur Jérôme (David) X... la somme de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) et à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE la somme de 3.000 euros (TROIS MILLE EUROS) en réparation de leur préjudice subi à raison du caractère abusif de la procédure qui leur a été intentée,
Condamne Monsieur Jérôme X... à verser à Monsieur Jérôme (David) X... et à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE la somme de 3.000 euros (TROIS MILLE EUROS) chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne l'exécution provisoire,
Condamne Monsieur Jérôme X... aux dépens.
FAIT ET PRONONCE A PARIS le DIX SEPT JUIN 2008 par Marie-Christine COURBOULAY, Vice Président, assistée de Léoncia BELLON, Greffier
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT