Vu la lettre par laquelle le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant le Syndicat des pilotes d'Air France et autres (SPAF) venant aux droits du syndicat des pilotes d'Air Inter (SPIT) et le Syndicat national des pilotes de ligne Air Inter (SNPLIT) et autres à la Compagnie nationale Air France en son nom propre et venant aux droits et obligations de la SA Air France Europe devant la cour d'appel de Paris ;
Vu le déclinatoire présenté le 10 juin 1999 par le préfet de l'Essonne, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour apprécier la légalité de l'article 1-2 du statut du personnel de la société Air France précisant que ledit statut s'applique aux salariés dont le contrat de travail est transféré par application de l'article L. 122-12 du Code du travail, nonobstant le dernier alinéa de l'article L. 132-8 du même Code, ainsi que pour apprécier la légalité de la publicité dudit statut ;
Vu l'arrêt du 26 janvier 2000 par lequel la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l'arrêté du 7 février 2000 par lequel le préfet de l'Essonne a élevé le conflit ;
Vu l'arrêt du 28 février 2000 par lequel la cour d'appel de Paris a sursis à statuer jusqu'à la décision du Tribunal des Conflits ;
Vu le mémoire présenté par le syndicat des pilotes de ligne Air Inter, le syndicat Solidaires unitaires démocratiques, dit SUD Aérien, le syndicat UGICT CGT Air France, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit en raison de sa nullité en la forme au motif d'une part, qu'il a été pris au-delà du délai de quinze jours et d'autre part, qu'il n'est pas motivé ; qu'en tout état de cause, la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître d'un litige portant sur l'application aux personnels de la société Air France Europe, à l'occasion des opérations de location gérance puis de fusion-absorption par la société Air France, d'une convention collective de travail ;
Vu le mémoire présenté par le ministre de l'Emploi et de la Solidarité, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit au motif que s'il n'est pas contestable que le statut du personnel d'Air France revêt le caractère d'un acte administratif réglementaire, le litige soumis au tribunal de grande instance d'Evry puis à la cour d'appel de Paris ne conduit pas à mettre en cause sa légalité ; qu'en effet, conformément à l'avis rendu le 3 décembre 1996 par le Conseil d'Etat, l'article 1-2 du statut n'est pas incompatible avec l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail, dans la mesure où les dispositions des conventions et accords collectifs en vigueur contribuent à compléter le statut et à en déterminer les modalités d'application, dans les limites qu'il fixe ;
Vu le mémoire présenté pour la société Air France tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit au motif que, tant que les dispositions de l'article 1-2 du statut du personnel de la société Air France bénéficient de la présomption de légalité qui s'attache à tout acte réglementaire, légalité que le juge administratif est seul compétent pour apprécier, le juge judiciaire ne saurait, sans excéder sa compétence au regard de la séparation des pouvoirs, ignorer l'existence et la portée de ces dispositions statutaires réglementaires, à l'occasion de l'application des conventions et accords collectifs dont une application générale et automatique est exclue par ledit statut ;
Vu le mémoire présenté pour le Syndicat des pilotes d'Air France et autres, venant aux droits du syndicat des pilotes d'Air Inter, le syndicat national des pilotes de ligne Air Inter, le syndicat dit SUD Aérien et le syndicat UGICT-CFT Air France Europe, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit au motif que la légalité du nouvel article 1-2 des statuts n'est pas contestée mais seulement son opposabilité en raison de l'absence de publication suffisante ; qu'en tout état de cause, il ne pourrait y avoir de question préjudicielle relevant de la compétence de la juridiction administrative que si l'article 1-2 des statuts s'avérait effectivement opposable et que le débat mît en cause une pure question de légalité ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la directive 77/187/CEE du Conseil du 14 février 1977 ;
Vu les articles L. 341-1 et R. 343-13 du Code de l'aviation civile ;
Vu les articles L. 122-12, L. 131-2, L. 132-8 et L. 134-1 du Code du travail ;
Considérant que le syndicat UGICT-CGT Air France Europe et le syndicat dit SUD Aérien ont assigné la Compagnie nationale Air France, devant le tribunal de grande instance d'Evry, aux fins de voir dire et juger que les dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail devaient s'appliquer dans leur intégralité à l'occasion des transferts des contrats de travail des salariés d'Air France Europe à Air France, tant à la date de prise en location gérance du fonds d'Air France Europe par Air France qu'à la date ultérieure de la fusion-absorption entre les deux sociétés ; que plusieurs organisations syndicales se sont associées à ces demandes et notamment le syndicat des pilotes d'Air Inter dont l'action a été reprise par le Syndicat des pilotes d'Air France et autres ; que le tribunal de grande instance, après avoir soulevé dans un jugement avant dire droit du 12 mai 1997 la question de la publicité dont a fait l'objet la rédaction nouvelle de l'article 1-2 du statut du personnel a, par son jugement du 8 juin 1998, décliné la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; que la cour d'appel de Paris a, au contraire, par un arrêt rendu le 26 janvier 2000, rejeté le déclinatoire de compétence dont l'avait saisi le préfet de l'Essonne ; que le conflit a été élevé par un arrêté en date du 7 février 2000 ;
Sur la régularité de la procédure :
Considérant, d'une part, que, conformément aux prescriptions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828, dans sa rédaction issue du décret n° 60-728 du 25 juillet 1960, le conflit a été élevé dans " quinzaine de réception " de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2000 ;
Considérant, d'autre part, que, comme l'exigent les dispositions de l'article 9 de ladite ordonnance, telles qu'elles résultent du décret du 25 juillet 1960, l'arrêté de conflit est motivé ;
Sur la compétence :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 134-1 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi du 13 novembre 1982, combinées avec celles de l'article R. 343-13 du Code de l'aviation civile, les personnels de la société Air France sont au nombre des catégories de personnels relevant d'un statut réglementaire particulier, qui n'est susceptible d'être complété par des conventions ou accords d'entreprises que " dans les limites fixées par le statut " ; que les dispositions statutaires élaborées par le conseil d'administration puis soumises à l'approbation de l'autorité de tutelle apparaissent comme des éléments de l'organisation du service public exploité, qui présentent le caractère d'un acte administratif réglementaire ; que la juridiction administrative est seule compétente pour en apprécier la légalité ;
Considérant, en revanche qu'il n'appartient qu'aux tribunaux de l'ordre judiciaire de se prononcer aussi bien sur les litiges individuels que sur les litiges collectifs opposant selon le cas, le personnel ou une ou plusieurs organisations syndicales à la société Air France, qui est une société d'économie mixte à caractère industriel et commercial, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle relative à la légalité du statut lorsque celle-ci se trouve soit directement, soit même indirectement mais nécessairement mise en cause ;
Considérant que pour rejeter le déclinatoire de compétence dont elle était saisie, la cour d'appel a relevé que le litige qui lui était soumis portait sur l'application aux personnels de la société Air France Europe d'une convention collective de travail dans les conditions fixées par le Code du travail ; que, dans la mesure où il n'y a pas d'incompatibilité entre les dispositions de l'article 1-2 du statut et celles des dispositions des conventions et accords collectifs applicables aux personnels de la société Air France Europe qui contribuent à compléter le statut du personnel de la société Air France et à en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par ledit statut, la position adoptée par la cour d'appel n'implique pas qu'elle ait entendu mettre en cause, fut-ce indirectement, la légalité du statut à caractère réglementaire ; qu'elle a, au demeurant, réservé la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la légalité de ce règlement ;
Considérant, par ailleurs, que le défaut de publication d'un acte administratif à caractère réglementaire ne constitue pas un vice propre de cet acte ; que les tribunaux de l'ordre judiciaire sont compétents pour constater, s'il y a lieu, une publicité incomplète d'un tel acte ; que c'est par suite, de façon erronée mais surabondante que la cour d'appel a cru devoir réserver l'hypothèse d'un renvoi préjudiciel devant le juge administratif qui porterait sur les conditions d'opposabilité en la forme des dispositions du statut du personnel de la société Air France ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le conflit a été élevé ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 7 février 2000 par le préfet de l'Essonne est annulé.