Vu, enregistrée à son secrétariat le 22 décembre 2023, l'expédition de la décision du même jour par laquelle le Conseil d'Etat, saisi en référé par les sociétés JCDecaux et autres, sur le fondement de l'article R. 557-3 du code de justice administrative, de demandes tendant à ce que, à la suite de l'annulation de décisions du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence de lever la protection au titre du secret des affaires dans le cadre de l'instruction de pratiques anticoncurrentielles, il soit ordonné à l'Autorité, d'une part, de requérir de la société Clear Channel France, à laquelle ont été communiqués à l'appui d'une notification de griefs des éléments sur lesquels portaient ces décisions, que cette société détruise ou restitue les documents litigieux et s'interdise d'en faire un quelconque usage, d'autre part, de s'abstenir de toute nouvelle communication d'un élément protégé par le secret des affaires de JCDecaux, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'arrêt du 15 juin 2023 par lequel la cour d'appel de Paris a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour statuer sur ces demandes ;
Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à l'Autorité de la concurrence, à la société JCDecaux S.E. et au ministre de l'économie et des finances ;
Vu, enregistrés les 9 février et 7 mars 2024, les mémoires de l'Autorité de la concurrence tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître de ces demandes, par le motif que la notification des griefs ne fait pas partie des actes dont le contentieux est expressément confié au juge judiciaire par l'article L. 464-8 du code de commerce ;
Vu, enregistré le 23 février 2024, le mémoire des sociétés JCDecaux et autres tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente par le motif que ces demandes, qui tendent à obtenir le prononcé de mesures de nature à faire cesser une atteinte au secret des affaires et à prévenir toute nouvelle atteinte, ne sont pas dissociables des décisions prises par le rapporteur général en application de l'article L. 463-4 du code de commerce ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de commerce ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Julie Vigneras, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Piwnica et Molinié pour les sociétés JCDecaux et autres,
- les observations de la SCP Duhamel pour l'Autorité de la concurrence,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 21 avril 2017, la société Clear Channel France a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles mises en œuvre, dans le secteur de la publicité extérieure, par des sociétés des groupes JCDecaux et Publicis.
2. Par quatre décisions des 24 mars, 28 mars, 5 avril et 7 avril 2022, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, estimant que certaines des informations transmises par les sociétés JCDecaux et autres dans le cadre de l'instruction de l'affaire étaient nécessaires à l'exercice des droits de la défense d'autres parties et aux débats, a rendu accessibles à l'ensemble des parties des pièces comprenant des informations concernant notamment la politique commerciale, la stratégie et l'organisation de ces sociétés, lesquelles avaient été initialement classées comme confidentielles au motif qu'elles mettaient en jeu le secret des affaires. Le 12 avril 2022, ces pièces ont été communiquées à l'ensemble des parties, en annexe à la notification d'un grief à plusieurs sociétés des groupes JCDecaux et Publicis. Par une ordonnance du 25 mai 2022, ayant fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 20 décembre 2023, la déléguée du premier président de la cour d'appel de Paris a annulé partiellement les décisions du rapporteur général.
3. Par une ordonnance du 27 décembre 2022, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 juin 2023 frappé d'un pourvoi en cassation encore pendant, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, saisi de demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Autorité de la concurrence et à son rapporteur général, sous astreinte, d'une part, de requérir de la société Clear Channel France qu'elle détruise ou restitue la notification de griefs et ses annexes communiquées le 12 avril 2022 sans en conserver aucune copie et s'interdise d'en faire un quelconque usage, d'autre part, de s'abstenir de communiquer à l'une des sociétés du groupe Clear Channel l'un quelconque des éléments visés par les quatre décisions du rapporteur général accordant une protection au titre du secret des affaires, a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige.
4. Par une décision du 22 décembre 2023, le Conseil d'Etat, saisi en référé sur le fondement de l'article R. 557-3 du code de justice administrative, estimant qu'il appartenait aux seules juridictions de l'ordre judiciaire de connaître de ces demandes, a sursis à statuer et a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence, en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015.
5. Aux termes de l'article L. 463-4 du code de commerce : " Sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie mise en cause, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles. [...] ". Aux termes de l'article L. 464-8-1 du code de commerce : " Les décisions prises par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 463-4 de refuser la protection du secret des affaires ou de lever la protection accordée peuvent faire l'objet d'un recours en réformation ou en annulation devant le premier président de la cour d'appel de Paris ou son délégué. "
6. Le litige né de demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Autorité de la concurrence, d'une part, de solliciter d'une société à laquelle ont été communiqués à l'appui d'une notification de griefs des éléments ayant fait l'objet de décisions du rapporteur général de l'Autorité de lever la protection au titre du secret des affaires, qu'elle détruise ou restitue les documents litigieux, d'autre part, de s'abstenir de toute nouvelle communication d'éléments protégés par ce secret, n'est pas dissociable de la contestation des décisions du rapporteur général prises au cours de l'instruction de refuser ou de lever cette protection, dont le contentieux relève du premier président de la cour d'appel de Paris en vertu de l'article L. 464-8-1 du code de commerce.
7. Le litige ressortit, par conséquent, à la compétence de la juridiction judiciaire.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des demandes formées par les sociétés JCDecaux et autres.
Article 2 : L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 juin 2023 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant cette juridiction.
Article 3 : La procédure suivie devant le Conseil d'Etat est déclarée nulle et non avenue, à l'exception de la décision rendue le 22 décembre 2023 par le Conseil d'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée aux sociétés JCDecaux et autres, à l'Autorité de la concurrence et au ministre de l'économie et des finances.