ORDONNANCE DU : 18 juillet 2024
DOSSIER N° : N° RG 23/02260 - N° Portalis DBWH-W-B7H-GNR3
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOURG EN BRESSE
Chambre Civile 2
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
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Juge de la mise en état : Stéphane THEVENARD,
Greffier : Camille BOIVIN,
DEMANDEURS AU PRINCIPAL
DÉFENDEURS A L’INCIDENT
Madame [A] [G] [Z] épouse [S]
née le 20 décembre 1957 à CHAZEY-SUR-AIN (01150)
demeurant 561 chemin de la Lyonnière - 01370 SAINT-ETIENNE-DU-BOIS
représentée par Me François ROBBE, avocat au barreau de Villefranche-sur-Saône
Madame [F] [G] [Z] épouse [V]
née le 30 septembre 1946 à CHAZEY-SUR-AIN (01150)
demeurant 2 rue Clos de Saint-Jean - 01800 MEXIMIEUX
représentée par Me François ROBBE, avocat au barreau de Villefranche-sur-Saône
Monsieur [D] [L]
né le 29 avril 1939 à AMBÉRIEU-EN-BUGEY (01500)
demeurant 76 avenue Jules Pellaudin - 01500 AMBÉRIEU-EN-BUGEY
représenté par Me François ROBBE, avocat au barreau de Villefranche-sur-Saône
DÉFENDEURS AU PRINCIPAL
DEMANDEURS A L’INCIDENT
S.E.L.A.R.L. CGDM
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourg-en-Bresse sous le numéro 819 651 704, représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, dont le siège social est sis 191 bis rue Alexandre Bérard - BP 328 - 01500 AMBÉRIEU-EN-BUGEY
représentée par Me Stéphane CHOUVELLON, avocat au barreau de Lyon (T. 719)
Monsieur [T] [P]
notaire, domicilié 10 rue des Archers - 69002 LYON
représenté par Me Stéphane CHOUVELLON, avocat au barreau de Lyon (T. 719)
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EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [X] [O] [Z], née à Chazey-sur-Ain (Ain) le 23 août 1950, est décédée à Bourg-en-Bresse (Ain) le 12 décembre 2016, laissant pour lui succéder ses trois soeurs :
- Madame [F] [G] [Z], épouse de Monsieur [Y] [C] [J] [V],
- Madame [W] [Z], épouse de Monsieur [D] [L],
- Madame [A] [G] [Z], épouse de Monsieur [H] [B] [S].
Les opérations de liquidation et partage de la succession de Madame [X] [O] [Z] ont été confiées à Maître [T] [P], notaire associé de la SELARL CGDM, titulaire d’un office notarial à Ambérieu-en-Bugey (Ain).
Le notaire a dressé le 8 février 2017 un acte de notoriété et le 28 juin 2017 une attestation immobilière et une déclaration de succession.
Madame [W] [Z] est décédée à Lyon 8ème arrondissement le 23 août 2021, laissant pour lui succéder :
- Monsieur [D] [L], son époux,
- Monsieur [M] [L], son fils.
Les opérations de liquidation et partage de la succession de Madame [W] [Z] ont également été confiées à Maître [P].
Par courrier du 26 septembre 2022, Madame [A] [G] [Z] épouse [S] a reproché à Maître [P] des erreurs commises dans l’évaluation des biens immobiliers dépendant de la succession de Madame [X] [O] [Z], notamment une surévaluation de terrains en réalité non constructibles et une erreur sur la surface de la parcelle B 1103 à Chazey-sur-Ain, les erreurs ayant entraîné un trop-versé de 45 396 euros au titre des droits de succession.
Maître [P] a adressé une déclaration de sinistre à son assureur de responsabilité civile.
Par courrier du 8 février 2023, la société LSN assurances, indiquant intervenir en qualité de courtier du notariat, a répondu à Madame [A] [G] [Z] épouse [S] que tant la faute prêtée au notaire dans l’évaluation des parcelles que le préjudice qui serait dû à une prétendue surévaluation des parcelles litigieuses ne sont pas démontrés et qu’il n’est pas possible de donner une suite favorable à sa demande d’indemnisation.
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Par actes de commissaire de justice du 7 juillet 2023, Madame [F] [G] [Z] épouse [V], Madame [A] [G] [Z] épouse [S] et Monsieur [D] [L] ont fait assigner la SELARL CGDM et Maître [P] devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse aux fins de voir :
“Vu les 1240 et suivants du code civil, la jurisprudence citée, les moyens qui précèdent et les pièces versées aux débats,
CONDAMNER solidairement l’Etude de notaires « CGDM » et Maître [T] [P] à réparer l’entier dommage issu des manquements professionnels commis par Maître [T] [P] dans le règlement de la succession de Madame [X] [O] [Z], ayant causé un préjudice né, direct et certain à Madame [F] [G] [V], Madame [A] [G] [S], Monsieur [D] [L], venant aux droits de sa défunte épouse Madame [E] [L], sauf à parfaire outre intérêts de droit à compter de la date de l’assignation ;
En conséquence,
CONDAMNER solidairement l’Etude de notaires « CGDM » et Maître [T] [P] à verser la somme 16 893€ par héritier soit 50 679€ au total à Madame [F] [G] [V], Madame [A] [G] [S], Monsieur [D] [L], venant aux droits de sa défunte épouse Madame [E] [L], sauf à parfaire outre intérêts de droit à compter de la date de l’assignation ;
Etant précisé que l’entier dommage se décompose ainsi :
- 36€ par héritier pour le trop versé au titre de la contribution à la sécurité immobilière ;
- 159€ par héritier pour le trop versé au titre des frais de notaire dus pour l’établissement de l’attestation immobilière ;
- 16 503€ par héritier pour le trop versé au titre des droits de succession ;
- 195€ par héritier pour le trop versé au titre des frais de notaire dus pour l’établissement de la déclaration de succession.
CONDAMNER solidairement l’Etude de notaires « CGDM » et Maître [T] [P] à verser la somme de 1 500€ par héritier soit 4 500€ au total au titre de l’article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens à Madame [F] [G] [V], Madame [A] [G] [S], Monsieur [D] [L], venant aux droits de sa défunte épouse Madame [E] [L].”
La SELARL CGDM et Maître [P] ont constitué avocat par acte notifié par voie électronique le 16 août 2023.
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Par conclusions récapitulatives d’incident aux fins de prescription notifiées par voie électronique le 8 février 2024, la SELARL CGDM et Maître [P] demandent au juge de la mise en état de :
“Vu les dispositions de l’article 2224 du Code Civil,
JUGER prescrite l’action engagée le 7 juillet 2023 par Madame [A] [S] née [Z], Madame [F] [V] née [Z], Monsieur [D] [L] agissant dans les droits de sa défunte épouse, Madame [E] [L] née [Z].
JUGER irrecevables les prétentions de Madame [A] [S] née [Z], de Madame [F] [V] née [Z], de Monsieur [D] [L] agissant dans les droits de sa défunte épouse, Madame [E] [L] née [Z].
DEBOUTER Madame [A] [S] née [Z], Madame [F] [V] née [Z], Monsieur [D] [L] agissant dans les droits de sa défunte épouse, Madame [E] [L] née [Z] de l’intégralité de leurs prétentions en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de la SELARL CGDM et Maître [T] [P].
DEBOUTER Madame [A] [S] née [Z], Madame [F] [V] née [Z], Monsieur [D] [L] agissant dans les droits de sa défunte épouse, Madame [E] [L] née [Z] de l’intégralité de leurs prétentions en paiement de la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Madame [A] [S] née [Z], Madame [F] [V] née [Z], Monsieur [D] [L] agissant dans les droits de sa défunte épouse, Madame [E] [L] née [Z] à payer à la SELARL CGDM et à Maître [T] [P] chacun la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Les CONDAMNER in solidum aux entiers dépens de l’instance.”
La SELARL CGDM et Maître [P] opposent aux demandeurs à l’instance la fin de non-recevoir tirée de la prescription de leur action, expliquant que :
- il résulte des dispositions de l’article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer,
- les héritières ont déposé une déclaration de succession le 28 juin 2017,
- le notaire n’a jamais été sollicité pour procéder à une évaluation des terres et les valeurs ont été déterminées par les héritières,
- les valeurs et surfaces erronées résultent des actes mêmes, régularisés par les héritières elles-mêmes en toute connaissance de cause,
- il ne saurait être invoqué de leur part le fait de ne pas avoir à l’époque “vérifié” pour prétendre reporter ainsi à l’envi le départ du délai de prescription,
- la prescription est acquise dans la présente instance, les héritières ayant, dès avant le dépôt de la déclaration, bénéficié de toutes les informations qu’elles critiquent aujourd’hui, tant en termes de valeur qu’en termes de surface, qu’elles pouvaient aisément vérifier, voire modifier si tant est qu’elles soient erronées comme elles le soutiennent,
- l’action engagée de plus de cinq ans apparaît manifestement prescrite.
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Dans leurs conclusions n° 1 en réponse sur incident notifiées par voie électronique le 15 mars 2024, les consorts [Z] et [L] demandent au juge de la mise en état de :
“Vu les dispositions de l’article 2224 du Code civil,
Vu les pièces produites au débat,
Vu les jurisprudences citées,
CONSTATER que le dommage n’a été révélé à Madame [A] [S] née [Z], à Madame [F] [V] née [Z], à Monsieur [D] [L] qu’au moment de la communication par Maitre [P] du tableau détaillant les calculs réalisés, soit le 28 avril 2021 ;
DIRE ET JUGER que la prescription de l’action en cause n’a pu courir avant cette date ;
En conséquence,
DEBOUTER l’étude CGDM et Maitre [P] de leur demande aux fins de prescription ;
CONDAMNER solidairement l’étude CGDM et Maitre [P] à payer à à Madame [A] [S] née [Z], de Madame [F] [V] née [Z], de Monsieur [D] [L] chacun la somme 1 500€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER l’étude CGDM et Maitre [P] aux entiers dépens de l’instance ;
ENJOINDRE l’étude CGDM et Maitre [P] à conclure au fond”
Pour conclure au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, les consorts [Z] et [L] font valoir que :
- Maître [P] était chargé, en tant que notaire, d’évaluer le patrimoine de Madame [X] [Z], composé de 88 parcelles pour un total de 69ha 92a 05ca,
- cette évaluation, étant donné sa complexité, ne pouvait être réalisée que par un professionnel,
- le notaire s’est chargé de cette prestation en éditant et en remplissant un tableau Excel répertoriant l’ensemble des parcelles accompagnées de leur superficie et de leur valeur, le tableau ayant été créé le 9 mai 2017,
- ce n’est qu’à partir du 28 avril 2021, à réception du tableau établi Maître [P] et indiquant le coût au m² de chaque parcelle, que les héritiers ont été en mesure de constater les erreurs par le notaire et le trop-versé causé par ces erreurs,
- dès lors, le 28 avril 2021 correspond à la date à partir de laquelle le dommage a été révélé aux victimes,
- le délai de prescription a commencé à courir à partir de cette date, avant d’être régulièrement interrompu par l’assignation du 7 juillet 2023.
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Par application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer, pour l’exposé complet des moyens des parties, aux conclusions sus-visées.
A l’audience du 6 juin 2024, la décision a été mise en délibéré au 18 juillet 2024.
MOTIFS
Aux termes de l’article 2224 du code civil, “Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.”
En l’espèce, le tribunal judiciaire est saisi d’une action en responsabilité dirigée par les consorts [Z] et [L] à l’encontre de la SELARL CGDM et Maître [P] en réparation des préjudices causés par les erreurs reprochées au notaire dans l’évaluation du patrimoine de Madame [X] [O] [Z].
Les demandeurs à l’instance produisent en pièce numéro 10 un courriel de la SELARL CGDM du 28 avril 2021 à 16 heures 32. Ce message est ainsi libellé “Mesdames, suite à votre mail, veuillez trouver ci-joint le détail des calculs de la valorisation des terrains, très cordialement, Maître [T] [P]”. A ce courriel a été joint un tableau Excel intitulé “Succession [Z]_1_xlsx.xlsx”. Le tableau, produit en pièce numéro 11, comporte le détail des parcelles dépendant de la succession et leur évaluation. Le document a été créé par Monsieur [U] [I] le 9 mai 2017 à 17 heures 58.
Au vu de ces pièces, il est établi, d’une part, que le recensement et l’évaluation des parcelles dépendant de la succession de Madame [X] [O] [Z] ont été réalisés par l’étude notariale, dont l’un des préposés a créé un tableau récapitulatif le 9 mai 2017, d’autre part, que le tableau a été transmis aux héritiers le 28 avril 2021.
La SELARL CGDM et Maître [P] ne rapportent pas la preuve que les demandeurs à l’instance auraient eu connaissance antérieurement du détail de l’évaluation des parcelles de terrain, alors que la déclaration de succession signée par les héritières ne comporte aucune évaluation détaillée de chacune des parcelles, mais des évaluations globales pour chaque commune.
Ce n’est qu’à compter du 28 avril 2021 que les héritières de Madame [X] [O] [Z] ont pu constater l’existence des erreurs alléguées concernant l’évaluation des parcelles de terrain et la superficie de la parcelle B 1103 à Chazey-sur-Ain.
Les demandeurs à l’instance n’ont eu connaissance des faits leur permettant d’agir en justice que le 28 avril 2021.
L’action en responsabilité, introduite par actes de commissaire de justice du 7 juillet 2023, moins de cinq années à compter de la découverte des erreurs invoquées, n’est pas prescrite et doit être déclarée recevable.
La SELARL CGDM et Maître [P], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens de l’incident. Les demandeurs à l’incident seront déboutés de leur demande d’indemnité judiciaire et condamnés in solidum à verser aux défendeurs à l’incident la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SELARL CGDM et Maître [T] [P],
Déclare recevable l’action en responsabilité intentée par Madame [F] [G] [Z] épouse [V], Madame [A] [G] [Z] épouse [S] et Monsieur [D] [L] à l’encontre de la SELARL CGDM et Maître [T] [P],
Déboute la SELARL CGDM et Maître [T] [P] de leur demande d’indemnité judiciaire,
Condamne in solidum la SELARL CGDM et Maître [T] [P] à payer à Madame [F] [G] [Z] épouse [V], Madame [A] [G] [Z] épouse [S] et Monsieur [D] [L] la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la SELARL CGDM et Maître [T] [P] aux dépens de l’incident,
Renvoie l’affaire à la mise en état électronique du jeudi 19 septembre 2024,
Donne avis à Maître Stéphane Chouvellon de conclure au fond au plus tard le 16 septembre 2024.
Prononcé le dix-huit juillet deux mille vingt-quatre par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Stéphane Thévenard, vice-président, et par Camille Boivin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le juge de la mise en état
copie exécutoire + ccc le :
à
Me Stéphane CHOUVELLON
Me François ROBBE