T R I B U N A L JUDICIAIRE
D E D R A G U I G N A N
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O R D O N N A N C E D E R É F É R É
CONSTRUCTION
RÉFÉRÉ n° : N° RG 24/00758 - N° Portalis DB3D-W-B7I-KDT6
MINUTE n° : 2024/421
DATE : 04 Septembre 2024
PRÉSIDENT : Monsieur Frédéric ROASCIO
GREFFIER : M. Alexandre JACQUOT
DEMANDEURS
Madame [L] [B], demeurant [Adresse 10]
représentée par Me Jean philippe FOURMEAUX, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Monsieur [H] [R] [N], demeurant [Adresse 10]
représenté par Me Jean philippe FOURMEAUX, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
DEFENDERESSE
S.A.S. NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD, dont le siège social est sis [Adresse 5]
représentée par Me Marie ALEXANDRE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat postulant) et Me Stéphane BONNET, avocat au barreau de LYON (avocat plaidant)
DÉBATS : Après avoir entendu à l’audience du 26 Juin 2024 les parties comparantes ou leurs conseils, l’ordonnance a été rendue ce jour par la mise à disposition de la décision au greffe.
copie exécutoire à
Me Marie ALEXANDRE
Me Jean philippe FOURMEAUX
2 copies service des expertises
1 copie dossier
délivrées le :
Envoi par Comci à Me Marie ALEXANDRE
Me Jean philippe FOURMEAUX
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [L] [B] et Monsieur [H] [R] [N] sont propriétaires d'une maison individuelle édifiée sur la parcelle cadastrée section BE numéro [Cadastre 8] située [Adresse 11] à [Localité 13].
Par arrêté municipal du 31 mai 2021, la SAS NEXITY IR PROGRAMMES COTE D'AZUR (en réalité REGION SUD), en qualité de maître de l'ouvrage, a obtenu le permis de construire 69 logements collectifs et 13 maisons individuelles sur les parcelles voisines cadastrées section BE numéros [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 7], donnant lieu à une déclaration d'ouverture du chantier le 25 novembre 2021, ce chantier étant toujours en cours à ce jour.
Estimant que les travaux n'étaient pas conformes au permis de construire et leur occasionnaient des troubles anormaux de voisinage en leur laissant une vue sur un mur en gabions surplombant leur propriété, les consorts [B]-[R] [N] ont, par exploit de commissaire de justice délivré le 29 janvier 2024, fait assigner en référé la société NEXITY aux fins de solliciter à titre principal la désignation d'un expert ainsi que le versement d'une provision ad litem de 10 000 euros.
Suivant leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 mai 2024, Madame [L] [B] et Monsieur [H] [R] [N] sollicitent du juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan, au visa des articles 145, 835 d code de procédure civile, 1240, 544 du code civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinage, de :
DESIGNER tel expert qu'il plaira avec mission décrite dans le corps de l'assignation, et ce au contradictoire de la société NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD ;
CONDAMNER la société NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD, dont l'obligation n'est pas sérieusement contestable, à leur payer une provision ad litem de 10 000 euros ;
DONNER ACTE à la société NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD de ses protestations et réserves s'agissant de la mesure d'expertise ;
DEBOUTER la société NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions ;
CONDAMNER la société NEXITY IR PROGRAMMES COTE D'AZUR à leur payer la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens.
Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 juin 2024, la SAS NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD sollicite, au visa de la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux de voisinage, des articles 145, 835, 6, 9, 15, 699, 700 du code de procédure civile, 1353 du code civil, de :
Lui DONNER ACTE de ses protestations et réserves sur la demande d'expertise des consorts [B] et [R] [N] ;
Le cas échéant, ORDONNER tel expert qu'il lui plaira avec mission décrite dans le corps des présentes écritures ;
EXCLURE du périmètre des opérations d'expertise les troubles résultant de la présence des murs en gabions, dès lors que ceux-ci vont être détruits ;
CONDAMNER les consorts [B] et [R] [N] à faire l'avance des frais d'expertise ;
DEBOUTER les consorts [B] et [R] [N] de leur demande de provision ;
CONDAMNER les consorts [B] et [R] [N] à lui payer à la société Nexity la somme de 2000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER les mêmes aux entiers frais et dépens de la présente instance.
Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, il est renvoyé aux écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la mesure d'instruction
Les requérants se fondent sur l'article 145 du code de procédure civile, selon lequel « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Il est constant que l'existence de contestations sérieuses n'est pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l'article 145 précité.
Il appartient au juge saisi de l'application de ce texte de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction sans toutefois procéder préalablement à l'examen de la recevabilité d'une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès sur le fond.
Il suffit de constater qu'un tel procès est possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée et que celle-ci ne porte aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui. De plus, le litige potentiel ne doit pas être manifestement voué à l'échec.
En l'espèce, les requérants versent aux débats un procès-verbal de commissaire de justice du 3 août 2023, qui constate l'édification du mur en gabions sur la parcelle voisine mesurant plus de 2,20 mètres de haut, implanté à une distance d'environ 1,75 mètres du mur séparatif Sud/Sud-Ouest des requérants et qui leur bouche la vue. Il est en outre constaté que l'habillage en parement du mur des requérants au niveau du barbecue s'est partiellement décollé et qu'une fissure verticale est présente dans l'angle droit inférieur de la chambre parentale située sur le mur Sud/Sud-Ouest.
De même, les requérants communiquent un rapport d'expertise non contradictoire établi le 31 août 2023 par Monsieur [V] [K] sur la détermination de la perte de valeur résultant d'une nouvelle construction, qui conclut à l'application sur la propriété des requérants d'un coefficient d'abattement de – 0,66 pour trouble de voisinage (perte d'ensoleillement, perte d'intimité, trouble sonore et trouble sanitaire) sur la valeur du bien établi à 399 000 euros, soit une moins-value estimée à 134 000 euros. Il est en outre constaté que les requérants ont effectué des démarches pour vendre le bien en 2022 et 2023.
Il est établi un motif légitime en lien avec un litige potentiel au sens de l'article 145 précité de sorte qu'il sera fait droit à la demande de désignation d'un expert. Il sera donné acte à la société NEXITY de ses protestations et réserves, lesquelles n'impliquent aucune reconnaissance de responsabilité.
Sur la mission de l'expert, les requérants maintiennent leur demande tendant à ce que le mur en gabions soit inclus dans la mission de l'expert, car, même si elle s'y est engagée, il n'est pas avéré que la société NEXITY ait procédé à sa démolition, qu'il est ignoré par quel ouvrage le mur serait remplacé et que les préjudices ont été subis par les requérants en raison de cette réalisation comme en témoigne l'échec de deux compromis de vente.
La défenderesse objecte qu'elle s'engage à démolir le mur en litige, ce qui est dans l'intérêt des requérants et alors qu'une mission de l'expert sur ce point l'empêcherait d'y procéder.
Elle suggère par ailleurs une mission conforme aux pratiques habituelles en la matière.
La démolition du mur en gabions est dans l'intérêt des requérants et il convient d'éviter que la mission d'expertise empêche cette démolition, à laquelle la défenderesse s'est engagée. Aussi, la mission sera libellée de telle sorte qu'elle n'empêche pas la démolition, l'expert judiciaire étant tenu de vérifier notamment les nuisances générées par le mur, passées comme le cas échéant futures au cas où le mur ne serait pas détruit.
La mission proposée par la défenderesse sera reprise.
Sur la demande de provision
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En droit, il est admis que la contestation sérieuse est appréciée souverainement par le juge des référés, et qu'elle ne saurait être constituée par la seule expression d'une contestation des demandes par le défendeur.
Les requérants soutiennent que le promoteur reconnaît implicitement sa faute par l'édification du mur en gabions en méconnaissance du permis de construire, ce qui leur a causé un préjudice en les empêchant de vendre leur bien immobilier.
La défenderesse relève que la provision demandée ne peut être légitimement versée en l'absence de preuve d'une obligation non sérieusement contestable, qu'en l'espèce l'expertise sollicitée a notamment pour objet de démontrer leur préjudice et qu'il n'est ainsi pas démontré de tels préjudices. Elle soutient que les frais d'expertise judiciaire constituent des dépens mis à la charge de la partie perdante et qu'à ce stade elle ne peut être considérée comme telle.
En l'espèce, la provision ad litem ne peut être considérée comme une prise en charge de la totalité des frais d'expertise judiciaire sollicitée, dont l'avance sera consignée par la partie requérante et dont la charge finale sera décidée le cas échéant par la juridiction saisie au fond du litige introduit sur la base du rapport d'expertise.
Les requérants sont ainsi bien fondés, indépendamment de ces éléments, à solliciter une telle avance s'ils démontrent que la défenderesse engage sans contestation sérieuse sa responsabilité.
A ce titre, il est acquis que la défenderesse s'engage à démolir le mur en gabions, que la construction de ce mur méconnaît manifestement le permis de construire délivré et en tout état de cause lui cause des nuisances de caractère visiblement anormal par sa proximité et sa hauteur importante, ayant conduit les époux [E] [O], selon attestation versée aux débats, à renoncer à l'acquisition du bien des requérants.
Ces éléments suffisent à démontrer que la défenderesse engage manifestement sa responsabilité, étant à l'origine des préjudices invoqués par les requérants, et qu'aucune contestation sérieuse n'est opposée.
Il n'est pas davantage pertinent de relever le caractère indéterminé du préjudice à ce jour, alors que les requérants demandent seulement la prise en charge des frais de procédure à venir consécutivement à ces faits imputables à la défenderesse.
Il convient de faire droit à la demande de provision ad litem à hauteur de 10 000 euros et de condamner la société NEXITY à payer cette somme aux consorts [B]-[R] [N].
Sur les demandes accessoires
La société NEXITY est partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile s'agissant de la demande principale de versement d'une provision. Elle sera condamnée aux dépens de l'instance de référé.
Il n'apparaît pas équitable de condamner l'une des parties à payer les frais irrépétibles de l'autre de sorte qu'il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et que les deux parties seront déboutées de leurs demandes de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Nous, Juge des référés, statuant après débats en audience publique, par décision contradictoire mise à disposition au greffe, exécutoire de droit et en premier ressort :
ORDONNONS une expertise et désignons pour y procéder :
Monsieur [U] [W]
Architecte DPLG
[Adresse 6]
Tél : [XXXXXXXX01] Port. : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 12]
lequel aura pour mission, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait communiquer tous documents utiles, avoir entendu les parties ainsi que tout sachant :
- se rendre sur les lieux [Adresse 9] et [Adresse 11] à [Localité 13], les visiter ;
- indiquer avec précision, pour les travaux litigieux accomplis par la société NEXITY, quelles personnes étaient chargées de les concevoir, de les réaliser, d'exercer le contrôle de leur exécution ou leur coordination ; s'il y a lieu, inviter les parties de préférence dès le début de ses opérations à appeler en la cause les locateurs d'ouvrage dont la responsabilité serait susceptible d'être engagée ;
- vérifier l'existence de chacun des troubles allégués par la partie demanderesse dans son acte introductif d'instance et dans son procès-verbal de constat de commissaire de justice du 3 août 2023 ; les décrire, en indiquer la nature et l'origine ; si le mur en gabions en litige a été démoli par la société NEXITY, se prononcer sur les désordres uniquement passés qui auraient été causés par ce mur et faire toute remarque utile sur l'ouvrage destiné à remplacer le mur ; s'il n'a pas été démoli, se prononcer tant sur les désordres passés que futurs relatifs à ce mur ;
- pour chacun de ces désordres :
préciser s'ils sont susceptibles d'entraîner un trouble de nature à porter préjudice aux requérants,le cas échéant, donner des éléments permettant de déterminer s'ils sont susceptibles d'excéder les inconvénients normaux de voisinage au regard de l'environnement, notamment urbain, du bien,- donner à la juridiction éventuellement saisie tous éléments de nature à apprécier les caractéristiques, notamment urbaine de l'environnement dans lequel se situe le bien litigieux ;
- rechercher la ou les causes de ces désordres, malfaçons et défauts de conformité, au regard notamment du permis de construire délivré le 31 mai 2021 à la société NEXITY ; dire s'ils proviennent d'une erreur de conception, d'une faute de surveillance du chantier, d'un vice des matériaux, d'une malfaçon dans leur mise en œuvre, d'une négligence dans l'entretien ou l'exploitation des ouvrages, ou de toute autre cause ; donner tous éléments d'ordre technique ou de fait permettant d'apprécier les imputabilités ou responsabilités encourues et sur la proportion des responsabilités ;
- décrire les travaux nécessaires pour remédier à l'anormalité éventuelle des troubles et nécessaires à assurer la conformité des ouvrages exécutés au permis de construire ;
- évaluer le coût de ces travaux, poste par poste, après avoir accordé aux parties, si elles le souhaitent, un délai pour présenter leurs propres devis ou propositions chiffrées et avoir examiné et discuté ceux-ci ; préciser la durée des travaux préconisés ;
- donner au tribunal tous éléments permettant d'apprécier les préjudices subis par les parties ; en proposer une évaluation chiffrée ;
- le cas échéant si des entrepreneurs présents en la cause allèguent d'un problème de paiement, donner au tribunal tous éléments permettant d'établir le compte entre les parties ;
- faire toute observation jugée utile à la manifestation de la vérité ;
DISONS que l'expert fera connaître sans délai s'il accepte la mission,
DISONS qu'à la fin de ses opérations, l'expert adressera un pré-rapport aux parties et leur impartira un délai leur permettant de lui faire connaître leurs observations,
DISONS qu'il répondra aux dites observations en les annexant à son rapport définitif,
DISONS que l'expert commis convoquera les parties par lettre recommandée avec accusé de réception à toutes les réunions d'expertise avec copie par lettre simple aux défenseurs, leurs convenances ayant été préalablement prises,
DISONS toutefois que, dans l'hypothèse où l'expert aurait recueilli l'adhésion formelle des parties à l'utilisation de la plate-forme OPALEXE, celle-ci devra être utilisée pour les convocations, les communications de pièces et plus généralement pour tous les échanges,
DISONS que Madame [L] [B] et Monsieur [H] [R] [N] verseront au régisseur d'avances et de recettes du tribunal une provision de 4000 euros (QUATRE MILLE EUROS) à valoir sur la rémunération de l'expert, dans le délai de TROIS MOIS à compter de la notification de la présente décision, sauf dans l'hypothèse où une demande d'aide juridictionnelle antérieurement déposée aurait été accueillie, auquel cas les frais seront avancés par le trésorier payeur général,
DISONS qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l'expert sera caduque,
DISONS que, lors de la première réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,
DISONS qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au juge la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours, et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,
DISONS que l'expert devra déposer son rapport dans le délai de HUIT MOIS suivant la date de la présente ordonnance,
DISONS qu'en cas de refus, carence ou empêchement, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance rendue d'office ou à la demande de la partie la plus diligente,
DISONS que l'expert devra aviser le tribunal d'une éventuelle conciliation des parties,
DISONS que le contrôle des opérations d'expertise sera assuré par le magistrat désigné pour assurer ce rôle par le président du tribunal judiciaire de Draguignan,
CONDAMNONS la SAS NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD à payer à Madame [L] [B] et Monsieur [H] [R] [N] une provision ad litem de 10 000 euros (DIX MILLE EUROS),
CONDAMNONS la SAS NEXITY IR PROGRAMMES REGION SUD aux dépens de l'instance,
DISONS n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETONS le surplus des demandes.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe, les jours, mois et an susdits.
LE GREFFIER LE PRESIDENT