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04/09/2024 | FRANCE | N°21/01381

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 04 septembre 2024, 21/01381


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 5]


JUGEMENT N°24/03329 du 04 Septembre 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01381 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YZI5

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [M] [O]
né le 07 Juillet 1971 à (TUNISIE)
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Fabienne BENDAYAN-CHETRIT, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.C.P. [10], liquidateur judiciaire de la société [15]
[Adresse 9]
[Localité 4]
non comparante, ni r

eprésentée

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 6]
dispensée de comparaître


DÉBATS : À l'audience publi...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 5]

JUGEMENT N°24/03329 du 04 Septembre 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01381 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YZI5

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [M] [O]
né le 07 Juillet 1971 à (TUNISIE)
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Fabienne BENDAYAN-CHETRIT, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.C.P. [10], liquidateur judiciaire de la société [15]
[Adresse 9]
[Localité 4]
non comparante, ni représentée

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 6]
dispensée de comparaître

DÉBATS : À l'audience publique du 05 Juin 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : LEVY Philippe
TRAN VAN Hung

L’agent du greffe lors des débats : KALIMA Rasmia
L’agent du greffe lors du délibéré : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 04 Septembre 2024

NATURE DU JUGEMENT

réputé contradictoire et en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE

Le 26 novembre 2014, [M] [O], salarié de la société [15] en qualité de maçon VRD depuis le 2 juillet 2014, a été victime d'un accident de travail décrit dans la déclaration effectuée par le salarié le 17 février 2015 comme suit : " Activité de la victime lors de l'accident : coupe à la disqueuse un morceau de fer ; Nature de l'accident : à la suite j'ai reçu un bout de fer sur l'œil gauche".

Le certificat médical initial établi le 27 novembre 2014 par le Docteur [D], ophtalmologue, mentionne la présence d'une ulcération cornéenne majeure à l'œil gauche.

Cet accident du travail a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône le 11 mai 2015, et l'organisme a déclaré l'état de [M] [O] consolidé le 4 mars 2017.

Suite à la contestation de son assuré, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a organisé une expertise médicale sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale, laquelle a confirmé la date de consolidation.

Par courrier daté du 19 juillet 2017, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a informé [M] [O] que son taux d'incapacité permanente est fixé à 30 % et qu'une rente lui est attribuée à compter du 5 mars 2017.

Suite à la saisine de la CPCAM des Bouches-du-Rhône d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [15], un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 23 octobre 2017.

Par requête enregistrée le 20 mai 2021, [M] [O] a saisi le tribunal judiciaire de Marseille, spécialement désigné en application de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la société [15], dans la survenance de l'accident du travail du 26 novembre 2014.

Après une phase de mise en état au cours de laquelle un calendrier de procédure a été établi, les débats ont été clôturés par ordonnance en date du 17 janvier 2024 avec effet différé au 14 mai 2024 et les parties ont été convoquées à une audience de plaidoirie du 5 juin 2024.

[M] [O], représenté par son conseil qui reprend oralement ses dernières conclusions, demande au tribunal, au bénéfice de l'exécution provisoire, de :
déclarer son recours recevable et débouter la CPAM de son exception d'irrecevabilité pour prescription ;dire et juger que l'accident dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [15], en ce qu'elle a manqué à son obligation de sécurité ;En conséquence :
ordonner la majoration de la rente à son taux maximum ;désigner un médecin expert pour l'examiner et évaluer les préjudices qu'il a subis avec la mission détaillée dans ses conclusions ; lui allouer une provision de 30.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;condamner l'employeur au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
S'agissant de la recevabilité, [M] [O] expose que l'action formée devant la juridiction prudhommale a interrompu le délai.
Sur le fond, [M] [O] soutient que son employeur a commis une faute inexcusable en mettant à sa disposition pour accomplir ses missions une disqueuse non professionnelle sans lui fournir d'équipement de protection individuelle.

La CPCAM des Bouches du Rhône, dispensée de comparaître, aux termes de ses écritures régulièrement communiquées aux parties en amont de l'audience, soulève, à titre principal, l'irrecevabilité de la demande pour prescription et, subsidiairement, s'en rapporte à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en réclamant la réduction de la provision réclamée par [M] [O] à de plus justes proportions.
S'agissant de la prescription, elle fait valoir que l'absence de demande devant la juridiction prudhommale de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur par [M] [O] ne permet pas à l'interruption de la prescription de s'étendre d'une action à une autre puisqu'elles ne tendent pas aux mêmes fins.

La société [15], régulièrement convoquée en la personne de son liquidateur judiciaire qui a signé l'accusé de réception le 2 février 2024, n'a pas comparu de sorte que le jugement susceptible d'appel sera réputé contradictoire.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action

Selon les dispositions de l'article L. 431-2, 1e du code de sécurité sociale, " les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ".

L'article L. 431-2 précité prévoit, en outre, en son dernier alinéa qu'en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, et ce jusqu'à ce que la décision soit irrévocable en application d'une jurisprudence constante.

La jurisprudence considère également comme causes d'interruption la saisine de la caisse tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable et ce tant qu'elle n'a pas fait connaître à l'intéressé le résultat de la tentative de conciliation.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que les indemnités journalières versées à [M] [O] au titre de son accident de travail ont cessé le 5 mars 2017, date à laquelle la prescription a donc commencé à courir.

Le délai de prescription a été interrompu par la saisine de la caisse d'une requête tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur de sorte que le point de départ de la prescription a été reporté au 23 octobre 2017, date de l'établissement du procès-verbal de non-conciliation établi par l'organisme.

L'article 2241 du code civil dispose : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ".

Si l'effet interruptif de prescription est, en principe, limité à l'action en justice concernée, dirigée contre un défendeur désigné, et ne s'étend pas à d'autres actions, la jurisprudence admet que ce principe de l'effet relatif soit écarté lorsque deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent vers un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
S'agissant de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la jurisprudence est souple et admet que l'engagement de cette action " interrompt la prescription à l'égard de toute autre action procédant du même fait dommageable ".

Inversement, l'effet relatif de l'interruption de prescription est écarté lorsqu'avant d'engager l'action en reconnaissance de faute inexcusable, la victime introduit une action indemnitaire pour les mêmes faits devant une autre juridiction, sur un autre fondement juridique.

En l'espèce, la CPCAM des Bouches-du-Rhône soutient que les deux actions ne tendaient pas au même but au sens de la jurisprudence précitée, l'une tendant à voir la responsabilité de l'employeur engagée dans l'accident du travail dont le salarié avait été victime sur le fondement de la faute inexcusable, l'autre à voir principalement prononcer la résiliation du contrat de travail de l'intéressé et la condamnation de l'employeur pour licenciement injustifié et manquement à l'obligation de sécurité.

Il résulte du jugement du 17 avril 2018 rendu par le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence qu'il a été saisi par [M] [O] des demandes suivantes:
Résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur ;Indemnité pour travail dissimulé ;Remises sous astreinte de divers documents ;Indemnité de préavis ;Congés payés sur préavis ;Indemnité pour rupture abusive ;Manquement à l'obligation de sécurité de résultat.
Il résulte de la décision que [M] [O] a fondé cette dernière demande en reprochant à son employeur d'avoir mis à sa disposition une disqueuse non-professionnelle sans lui fournir un équipement de protection individuelle, ledit manquement ayant entraîné la projection d'un matériau dans son œil gauche.
Le jugement a condamné l'employeur au titre de ce manquement à une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts.

Dès lors l'action engagée devant le conseil des prudhommes par la victime en ce qu'elle visait, au moins en partie, à l'indemnisation d'un préjudice résultant du même fait dommageable, à savoir l'accident du travail survenu le 26 novembre 2014, tend au même but que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, qui tend à l'indemnisation des préjudices complémentaires subis par la victime à l'occasion de ce même accident.

Dès lors, la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable a été interrompue par l'action prudhommale introduite par [M] [O] le 29 juillet 2016.

L'article 2242 du code civil précise que l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ce qui signifie l'extinction du procès de sorte que le nouveau délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la décision qui met fin à l'instance.

Il n'est pas contesté que l'affaire prudhommale est pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence de sorte que le nouveau délai de prescription n'a pas encore couru.

Par conséquent, l'exception d'irrecevabilité sera rejetée et l'action engagée par [M] [O] déclarée recevable.

Sur la faute inexcusable de l'employeur

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne tant les accidents du travail que les maladies professionnelles.

L'employeur a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation de ces mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452 1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie (de l'accident) du salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il incombe au demandeur de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur et qu'aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

Enfin, la conscience du danger exigée de l'employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d'autres termes, il suffit de constater que l'auteur " ne pouvait ignorer " celui-ci ou " ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience " ou encore qu'il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Enfin, il est constant que l'absence de poursuite pénale ou de condamnation pénale est sans incidence sur l'action civile que peut exercer le salarié en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, à charge pour lui de rapporter la preuve que les conditions de cette faute sont réunies.

[M] [O] expose qu'il a reçu un projectile dans l'œil alors qu'il faisait usage d'une disqueuse pour couper de la ferraille.
Ses déclarations sont confortées par les témoignages de [J] [I] et [K] [P], auxquels a demandé de l'aide [M] [O] après avoir reçu le projectile dans l'œil alors qu'il se trouvait sur un mur, une machine à la main.

Par ordonnance du 22 juillet 2015, l'employeur a été condamné en référé par le conseil de prudhommes à remettre à [M] [O] la déclaration d'accident du travail, ce qu'il n'a jamais fait.
Toutefois, au cours de la procédure prudhommale ayant donné lieu au jugement du 17 avril 2018, l'employeur, par le biais de son conseil, n'a pas contesté l'existence et les circonstances l'accident puisqu'il a indiqué qu'à cette date [M] [O] travaillait seul en sa qualité d'ouvrir qualifié sur un chantier à [Localité 14], qu'il devait à ce titre prendre des précautions en tant qu'employé confirmé et était conscient des risques de son métiers soit de l'existence d'outil adapté et des normes de sécurité à appliquer.

Il en ressort qu'en laissant [M] [O] travailler avec une disqueuse, seul sur un chantier, la société [15] ne pouvait qu'avoir conscience du danger auquel celui-ci était exposé.

Il résulte des déclarations de l'employeur devant le conseil de prud'hommes qu'il n'a pas contesté ne pas avoir remis d'équipement individuel de travail à son salarié.

La société [15] a dès lors de toute évidence manqué à son obligation légale de sécurité et de protection de la santé, à l'égard de [M] [O], en méconnaissant les règles de sécurité les plus élémentaires.

En effet, il appartient à l'employeur, après avoir engagé la procédure d'évaluation des risques des tâches auxquelles il soumet ses employés, de prendre les mesures de prévention efficaces.
La manipulation d'une disqueuse nécessitait de fournir à [M] [O] a minima des équipements de protection individuels, et notamment des lunettes afin de protéger ses yeux de toute projection, ainsi de de l'informer des risques contre lesquels cet équipement le protégeait et de ses conditions d'utilisation et de mise à disposition.

Dès lors, il y a lieu de considérer que la société [15] aurait dû avoir conscience du danger auquel elle a exposé son salarié, et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires à l'en préserver.

Par conséquent, l'accident dont a été victime [M] [O] le 26 novembre 2014 sera jugé imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [15].

Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur

Sur la majoration de la rente versée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône

Seule la faute inexcusable de la victime - entendue comme une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience - est susceptible d'entraîner une diminution de la majoration de la rente ou du capital.

La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue à l'exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

Sur la demande d'expertise

Conformément à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, " indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ".

Selon la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En outre, par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, la Cour de cassation a précisé l'étendue de la réparation des préjudices due à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur.

Il en résulte que la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :
Le déficit fonctionnel permanent (couvert par L. 431-1, L. 434-1 et L. 452-2) ;Les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431 1 et suivants, et L. 434-2 et suivants) ;L'incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l'allocation d'un capital ou d'une rente d'accident du travail (L. 431-1 et L. 434-1) et par sa majoration (L. 452-2) ;L'assistance d'une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L. 434 2 alinéa 3) ;Les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.
En revanche, la victime peut notamment prétendre à l'indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
Du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire ;Des dépenses liées à la réduction de l'autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation ;Du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d'agrément.
Jusqu'en 2023, la Cour de cassation jugeait de manière constante que la rente prévue par le code de la sécurité sociale versée aux victimes de maladie professionnelle ou d'accident du travail en cas de faute inexcusable de l'employeur, indemnisait tout à la fois la perte de gain professionnel, l'incapacité professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (le handicap dont vont souffrir les victimes dans le déroulement de leur vie quotidienne). Pour obtenir de façon distincte une réparation de leurs souffrances physiques et morales, ces victimes devaient rapporter la preuve que leur préjudice n'était pas déjà indemnisé au titre de ce déficit fonctionnel permanent.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a opéré un revirement de jurisprudence en décidant non seulement que les souffrances physiques et morales endurées après consolidation pourront dorénavant faire l'objet d'une réparation complémentaire, mais également que la rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle n'indemnise pas leur déficit fonctionnel permanent.

Dès lors que le déficit fonctionnel permanent n'est plus susceptible d'être couvert en tout ou partie par la rente et donc par le livre IV du code de sécurité sociale, il peut faire l'objet d'une indemnisation, compte-tenu de la réserve d'interprétation posée par le conseil constitutionnel et rappelée ci-dessus, selon les conditions de droit commun.

Eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et non le poste de préjudice personnel.

Par conséquent, le taux d'IPP fixé par la caisse sert pour la majoration de la rente en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et le déficit fonctionnel permanent ainsi que le taux retenu pour l'évaluer relèvent désormais de l'application du droit commun, étant rappelé que ce poste de préjudice répare les incidences du dommage qui touchent exclusivement la sphère personnelle de la victime.

Ainsi, [M] [O] est bien-fondé à solliciter, en complément de la rente accident et de sa majoration qu'il perçoit sur le fondement de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent.

Ce poste de préjudice permet d'indemniser non seulement le déficit fonctionnel au sens strict, c'est-à-dire la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel définitive, après consolidation, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence.

Il convient donc de compléter la mission d'expertise aux fins de faire évaluer par l'expert le déficit fonctionnel permanent en tenant compte de la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel définitive, après consolidation, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence.

L'évaluation des préjudices nécessitant dans le cas d'espèce une expertise médicale, elle sera ordonnée en application de l'article R. 142-16 du code de la sécurité sociale, selon les modalités précisées dans le dispositif du présent jugement.

Il convient de rappeler, s'agissant du préjudice d'agrément, que l'expert pourra caractériser l'impossibilité de pratiquer de manière régulière une activité sportive ou de loisir du fait de la maladie, et il appartiendra le cas échéant à [M] [O] de rapporter la preuve de la pratique régulière de cette activité avant la survenance de son accident.

Toutefois, la preuve d'un préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle et aux frais divers ne relève pas quant à elle d'investigation médicale.

Sur la demande de provision

[M] [O] formule une demande provisionnelle à hauteur de 30.000 €.

Il a été victime d'une blessure par projection d'un élément métallique ayant nécessité une greffe de cornée en novembre 2015 ainsi que l'extraction du cristallin, puis une injection intravitréenne janvier 2016 en raison d'un œdème rétinien.

Il se plaint de ne pas voir de son œil gauche. Le Docteur [N], dans l'expertise médicale mise en œuvre par l'organisme, a indiqué que l'acuité visuelle de cet œil consistait en de vagues perceptions lumineuses et conclut à une récupération fonctionnelle nulle.

[M] [O] a été consolidé à 2 ans et 3 mois après l'accident.

Ces éléments justifient d'allouer à [M] [O] une provision d'un montant de 10.000 € dont la CPCAM des Bouches-du-Rhône assurera l'avance en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande d'allouer à [M] [O] une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de faire supporter à l'employeur qui succombe les dépens.

La présente instance a été introduite après le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société [15].

La créance de dépens et de frais irrépétibles est postérieure au jugement d'ouverture conformément à une jurisprudence constante selon laquelle " la créance des dépens et des frais résultant de l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, mis à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais et entre dans les prévisions de l'article L. 621-32 [devenu L. 622-17] du code de de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ".

Il résulte de la combinaison des articles L. 622-24, alinéa 6 et L. 622-17, I du code de commerce que les créances postérieures au jugement d'ouverture et qui ne sont pas nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, n'ont pas vocation à être payées à leur échéance,

Il résulte de la jurisprudence que pour relever du traitement préférentiel prévu à l'article L. 622-17 du code de commerce, une créance de dépens ou de frais irrépétibles doit non seulement être postérieure au jugement d'ouverture du débiteur mais aussi respecter les autres critères fixés par ce texte, soit être utile au déroulement de la procédure collective ou être due par le débiteur en contrepartie d'une prestation à lui fournie après le jugement d'ouverture.

Ces conditions n'étant en l'espèce manifestement pas remplies compte-tenu de la nature de l'action engagée, les créances de dépens et au titre de l'article 700 sont donc soumises à déclaration au passif de la procédure et ne peuvent faire l'objet que d'une fixation.

S'agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l'exécution provisoire est facultative, en application de l'article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

Compte-tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté de l'accident et de la gravité des séquelles présentés par [M] [O], le tribunal ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort :

REJETTE l'exception d'irrecevabilité pour prescription ;

DÉCLARE [M] [O] recevable en son action ;

DIT que l'accident de travail dont [M] [O] a été victime est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [15] ;

ORDONNE à la CPCAM des Bouches-du-Rhône de majorer au montant maximum la rente versée en application de l'article L. 452 2 du code de la sécurité sociale ;

DIT que la majoration de la rente servie en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué ;

Avant-dire droit sur la liquidation des préjudices subis par [M] [O] :

ORDONNE une expertise judiciaire aux frais avancés de la CPCAM des Bouches du Rhône et commet pour y procéder le Docteur [L] [H] ([12] - [Adresse 8] - Tél : [XXXXXXXX02] - Fax : [XXXXXXXX01] - Mèl : [Courriel 13]), Expert judiciaire inscrit sur la liste établie près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix, avec mission de :

Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;
Se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs aux lésions subies, en particulier le certificat médical initial ;
Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d'études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l'accident ;
Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé de [M] [O] en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime en décrivant un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;
Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles ; si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux ;
Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation), du fait des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles ; les évaluer selon l'échelle de sept degrés ;
Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique temporaire (avant consolidation), le décrire précisément et l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;
Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire avant consolidation est alléguée, indiquer si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire en décrivant avec précision les besoins (nature de l'aide apportée, niveau de compétence technique, durée d'intervention quotidienne ou hebdomadaire) ;
Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent :dans l'affirmative chiffrer, par référence au " Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun " le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à l'accident ou la maladie, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation ;dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation ;dire si des douleurs permanentes existent et comment elles ont été prises en compte dans le taux retenu ;décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime ;
En cas de réduction définitive de l'autonomie :
dire quels moyens techniques palliatifs sont susceptibles d'accroître l'autonomie de la personne blessée (aide technique, aménagement du logement, aménagement du véhicule...) ;le cas échéant, décrire les gênes engendrées par l'inadaptation du logement, étant entendu qu'il appartient à l'expert de se limiter à la description scrupuleuse de l'environnement en question et aux difficultés qui en découlent sans empiéter sur une éventuelle mission qui serait confiée à un homme de l'art spécialisé en ergothérapie ;préciser les besoins en tierce personne en indiquant la qualité, la qualification ;lorsque la nécessité de dépenses liées à la réduction de l'autonomie (frais d'aménagement du logement, frais de véhicule adaptés, aide technique, par exemple) sont alléguées, indiquer dans quelle mesure elles sont susceptibles d'accroître l'autonomie de la victime ;
Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique permanent ; le décrire précisément et l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit ;
Lorsque la victime allègue un préjudice d'agrément, à savoir l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, ou une limitation de la pratique de ces activités, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;
Dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l'acte sexuel proprement dit (difficultés, perte de libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;
Lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser ; Étant rappelé que pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, la victime devra rapporter la preuve que de telles possibilités préexistaient ;
Lorsque la victime allègue une impossibilité de réaliser un projet de vie familiale " normale " en raison de la gravité du handicap permanent dont elle reste atteinte après sa consolidation, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;
Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission ;Rappelle que la consolidation de l'état de santé de [M] [O] résultant de l'accident du travail du 26 novembre 2014 a été fixée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à la date du 4 mars 2017 et qu'il n'appartient pas à l'expert de se prononcer sur ce point ;

Rappelle que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra faire l'avance des frais d'expertise ;

Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime il sera pourvu aussitôt à son remplacement ;

Dit que l'expert pourra s'entourer de tous renseignements utiles auprès notamment de tout établissement hospitalier où la victime a été traitée sans que le secret médical ne puisse lui être opposé ;

Dit que l'expert rédigera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu'il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d'un mois ;

Dit qu'après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l'expert devra déposer au greffe du pôle social du tribunal judiciaire un rapport définitif en double exemplaire dans le délai de huit mois à compter de sa saisine ;

Dit que l'expert en adressera directement copie aux parties ou à leurs conseils ;

FIXE à la somme de 10.000 € la provision qui sera versée à [M] [O] par la CPCAM des Bouches du Rhône ;

DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône versera directement à [M] [O] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation complémentaire ;

FIXE la créance de [M] [O] à l'égard de la société [15] en application de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 2.000 € ;

FIXE au passif de la procédure collective de la SOLUTION TP les dépens de l'instance ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision ;

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 21/01381
Date de la décision : 04/09/2024
Sens de l'arrêt : Expertise

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-09-04;21.01381 ?
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