COUR DE CASSATION ARRET N° DEUXIEME CHAMBRE CIVILE (CASSATION) Audience publique du 22 juillet 2021 Président : Constantin NGOUALI MOUELI
REPUBLIQUE GABONAISE, AU NOM DU PEUPLE GABONAIS
La Cour de cassation, Deuxième Chambre civile, a rendu l’arrêt suivant : Sur le pourvoi formé le 11 septembre 2017, par Maître AGONDJO RETENO Justine, Avocate au barreau du Gabon, au nom et pour le compte de l’Etat Gabonais et de la SCI PING AN, en cassation d’un arrêt rendu le 21 juin 2017, par la Cour d’Appel Judiciaire de Libreville qui, après avoir dit que la vente des parcelles de terrain réalisée au cabinet du Notaire, Me MOULOUNGUI Abel, n’était pas parfaite, a annulé la mutation des titres fonciers correspondants, au profit de l’acheteur ; Les demandeurs invoquent au soutien de leur pourvoi, un moyen unique de cassation, subdivisé en trois branches, pris de la violation de la loi, notamment des articles 61 et 63 de l’ordonnance n° 00005/PR/2012, du 13 février 2012, fixant le régime de la propriété foncière en République Gabonaise et ratifiée par la loi n 03/2012 du 13 aout 2012, et les articles 349, 357 et 552 du code de procédure civile ; Sur quoi, la Cour ; Sur le rapport de M. MOMBO Alex, Président de Chambre, les observations de Maître AGONDJO RETENO, pour les demandeurs, celles de Maître BOGUI KOUMA, pour les défendeurs, et les conclusions de M. Y Ae, Procureur Général- adjoint ; Après en avoir délibéré conformément à la loi : Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué ainsi que des productions, que par acte unique sous seing privé daté à Libreville, le 28 mars 2013, intitulé "MANDAT EXCLUSIF DE VENTE DE PARCELLES", Messieurs X Ad, Z Aa et YAMA Théophile, respectivement attributaires, sans titres fonciers, des parcelles numéros 37 YD2, 38 YD2 et 42 YE2 du plan cadastral de Libreville, ont autorisé l’Entreprise des Personnes Eveillées, en abrégé EPE, représentée par Mme B A Ab, à vendre lesdites parcelles, sans détermination préalable du prix de vente ; Que la SCI PING AN s’étant portée acquéreur, chacun des attributaires consentait, par acte séparé, intitulé "ACTE SOUS SEING PRIVE PORTANT CESSION D’UNE PARCELLE", établi le 23 mai 2013, par Maître NTCHORERET ONGONWOU Robert, Huissier de justice, à lui céder sa parcelle de terrain, sans indication du prix, mentionnant simplement que « l’acquéreur s’acquittera du montant symbolique de la cession » ; Qu’à l’occasion, les parties confirmaient le mandat donné à Mme B A Ab, Directrice Générale de l’Entreprise des Personnes Eveillées, avec mission précise, cette fois, de « prendre toutes les dispositions nécessaires pour l’obtention du titre foncier au nom de la SCI PING AN », condition nécessaire de la réalisation de la vente ; Que les titres fonciers numéros 18845, 1847 et 1848 ayant été créés respectivement au profit de MM. Z Aa, YAMA Théophile et X Ad, la conservation foncière procédait à leur mutation au profit de la SCI PING AN, ce, après dépôt de l’expédition des actes de vente établis par Maître MOULOUNGUUI Abel, Notaire à Libreville ; Que le 27 octobre 2014, Messieurs X Ad, Z Aa et YAMA Théophile, saisissaient le tribunal de première instance de Libreville, en annulation de la mutation des trois (3) titres fonciers, alléguant que la SCI PING AN avait décidé de se faire rembourser les sommes par elle remises, mettant ainsi un terme à la transaction ; que par ailleurs, ils n’ont jamais reçu les sommes indiquées dans les actes de mutation, tout comme ils ne se sont jamais rendus chez le Notaire pour conclure la vente ; Qu’au soutien de leur demande, ils versaient au dossier une pièce intitulée "ATTESTATION DE RECEPTION D’ESPECES" datée du 16 septembre 2013, faisant état de la restitution par MM. Z Aa et YAMA Théophile des sommes respectives de 5.788.800 F CFA et 5.797.200 F CFA avancées par la SCI PING AN dans le cadre du règlement de la redevance domaniale des parcelles N38yY DS et 4YE2 ; Que par jugement du 24 janvier 2015, le tribunal de première instance de Libreville constatait que le contrat ayant lié la SCI PING AN aux requérants avait été rompu et prononçait par voie de conséquence l’annulation de la mutation des titres fonciers n 18845, 18847 et 18848 ainsi que leur radiation du livre foncier ; Que par arrêt rendu le 21 juin 2017, la Cour d’appel judiciaire de Libreville allait dans le même sens après avoir jugé que la vente réalisée au Cabinet du Notaire n’était pas parfaite et ne pouvait donc emporter transfert de propriété ; Sur le premier moyen, en sa première branche : Attendu que les demandeurs font grief à l’arrêt querellé d’avoir déclaré, recevable, l’action de Messieurs X Ad, Z Aa et YAMA Théophile tendant à faire annuler les titres fonciers, et examiné le fond de l’affaire ; alors, selon le moyen, qu’en raison de ce que le titre foncier a un caractère définitif, irrévocable, imprescriptible et inattaquable, d’une part, et qu’aucun recours ne peut être exercé sur l’immeuble à raison d’un droit réel par suite d’une immatriculation, que toutefois, tout intéressé peut exercer une action en responsabilité contre la personne qui aurait établi ou fait établir un titre foncier en usant du dol, de moyens illicites ou frauduleux (…), d’autre part, ladite action aurait dû être déclarée irrecevable ; Mais attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, que contrairement aux énonciations du moyen, les juges d’appel ont statué, non pas sur l’annulation des titres fonciers, mais plutôt sur l’annulation de la mutation desdits titres au profit de la SCI PING AN ; D’où il suit que le moyen manque en fait ; Sur la deuxième branche du moyen : Attendu que les demandeurs font également grief à l’arrêt querellé d’avoir rejeté l’exception de nullité du jugement soulevée en appel pour violation des règles sur la composition du tribunal, le jugement du 24 janvier 2015 ayant été rendu par une formation différente ; alors, selon le moyen, qu’il appartient aux juges devant lesquels la cause a été débattue d’en délibérer, et qu’en cas de changement survenu dans la composition du tribunal après l’ouverture des débats, ceux-ci doivent être repris ; Mais attendu, selon les dispositions de l’article 360 du code de procédure civile, que le jugement est valablement prononcé par l’un des juges qui l’ont rendu, alors même que les autres et le Ministère public ne seraient pas présents ; Attendu, selon les affirmations des demandeurs au pourvoi, eux-mêmes, que l’un des juges présents au moment du rendu de la décision a siégé au moment des débats ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Sur la troisième branche du moyen ; Attendu que les demandeurs font enfin grief au Président de la Cour d’appel d’avoir interdit au Greffier de transmettre le dossier à la Cour de cassation consécutivement au pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel du 25 avril 2016 ; alors qu’il résulte de l’article 552 du code de procédure civile que le pourvoi en cassation est formé par requête écrite […], la requête est inscrite sur un registre spécial par le greffe qui délivre récépissé et le transmet dans les quinze jours au greffe […], ainsi que le dossier de l’affaire ; Mais attendu, qu’indépendamment de ce que le pourvoi contre une décision avant-dire-droit ne pourra être formé qu'avec la décision sur le fond, le moyen ne formule aucune critique contre l’arrêt attaqué, du 21 juin 2017 ; D’où il suit qu’il doit être rejeté ;
Mais sur le moyen de pur droit relevé d’office ; Vu les articles 1984, 1991, 1998, 2003 et 2004 du code civil gabonais, ancien ; Attendu qu’il résulte de la combinaison de ces textes, que le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés en son nom par le mandataire tant que celui-ci en demeure chargé ; Attendu, comme l’ont relevé les défendeurs dans leur mémoire responsif daté du 21 août 2020 et notifié aux parties adverses, que la Cour d’appel judiciaire de Libreville a annulé la mutation des titres fonciers numéros 18845, 1847 et 1848 faite par la conservation foncière au profit de la SCI PING AN, aux motifs propres et adoptés « que les nommés X Ad, YAMA Théophile et Z Aa ne se sont jamais rendus chez le Notaire pour conclure la vente ; qu’ils n’ont pas reçu les sommes indiquées dans les actes de mutation ; qu’il est constant et non contesté que la SCI PING AN a récupéré les sommes versées lors de la vente sous seing privé, mettant ainsi fin à toute relation contractuelle avec les vendeurs ; que dès lors, le mandat donné a dame B A était devenu désuet (…), qu’aux termes de l’article 1599 du code civil gabonais ancien, la vente de la chose d’autrui est nulle (…) surtout si elle a été effectuée sur la base de fausses données ; qu’en conséquence, la vente réalisée en l’étude de Me Abel MOULOUNGUI, Notaire, est nulle et n’est pas opposable aux sieurs X Ad, YAMA Théophile et Z Aa ; attendu que c’est sur le fondement de cette vente irrégulière qu’ est intervenue la mutation des titres fonciers de MPIGA et autres au profit de la SCI PING AN (…) ; que dès lors, la mutation ainsi créée au profit de la SCI PING AN doit être déclarée nulle et de nul effet… ;
Qu’en statuant ainsi, alors d’une part qu’après avoir donné un mandat exclusif à l’Entreprise des Personnes Eveillées (EPE), représentée par Mme B A Ab, de vendre en leur nom, les parcelles de terrain dont ils étaient attributaires, et à prendre toutes dispositions pour l’obtention des titres fonciers, la présence des mandants n’était plus indispensable au moment de la conclusion de la vente au cabinet du Notaire ; et alors, d’autre part, que l’attestation de réception qui fait état de la restitution des sommes évoquées, en dehors du fait qu’ elle n’est pas un acte de révocation du mandat donné à Mme B A Ab, fait référence non pas au prix de vente des parcelles, d’ailleurs, non préalablement fixé par les parties, mais à des sommes avancées dans le cadre du règlement de la redevance domaniale ; et alors, surtout, que l’attestation de restitution d’espèces évoquée renseigne que les sommes restituées avaient été avancées dans le cadre du règlement de la redevance domaniale des parcelles N38yY DS et 4YE2, alors que la vente conclue au Cabinet de Me MOULOUNGUI Abel, laquelle a abouti aux mutations contestées portent, elles, sur les parcelles n° 138/YD2, n° 42/YE2 et n° 37/YD2 ; la Cour d’appel judiciaire de Libreville a violé les textes susvisés ; Et attendu qu’il ne reste plus rien à juger ; PAR CES MOTIFS ; CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu entre les parties le 21 juin 2017, par la Cour d’Appel Judiciaire de Libreville, confirmatif du jugement en date du 24 février 2015, qui a constaté la rupture du contrat de vente ayant lié les parties, et annulé en conséquence les mutations des titres fonciers des nommés X Ad, YAMA Théophile et Z Aa, au profit de la SCI PING AN ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Condamne les défendeurs aux dépens ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, Deuxième Chambre civile, siégeant au Palais de justice de Libreville, en son audience publique du jeudi vingt-deux juillet deux-mille-vingt-un, à laquelle ont siégé :
M. Constantin NGOUALI MOUELI, Président de Chambre, Président ; M. NDONG ABOGHE Pierre, Président de Chambre, membre ; M. SOUGOU Paterne, Président de Chambre, membre ; Me REVEGHE ONANGA Berthe, Greffier en chef-adjoint ; M. C Ac Marie, Procureur Général-adjoint ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé après lecture faite par le Président de Chambre qui l’a rendu et le Greffier-/-