Aff. Civ.
Big G. Ranch S.A. Vs Marie Jose Roy et Consorts
18 janvier 1982
Sommaire
Action possessoire - Mission du Juge du possessoire.
L'action possessoire est une instance établie en faveur de ceux qui possèdent pour eux-mêmes, une instance roulant seulement sur des faits de possession qu'on peut prouver par enquête, présomption, expertise, visite des lieux, comparution personnelle, une instance dans laquelle l'emploi des titres est facultatif et laissé à l'entière discrétion du Juge qui peut et doit en user avec prudence seulement pour caractériser la possession invoquée.
Pour la recevabilité de l'action possessoire, l'article 39 du C.P.C., nouveau style, pose les conditions suivantes:
1o) Que le demandeur justifie avoir introduit son action dans l'année du trouble;
2o) Qu'il justifie avoir été, depuis une année, au moins, à partir du trouble, en possession paisible, par lui ou par les siens à titre de propriétaire.
Les prescriptions de l'article 28 C.P.C, relatives à l'énonciation par le Juge de l'objet de la preuve à fournir, ne sont pas sanctionnées de nullité et n'ont pas, non plus, un caractère d'ordre public.
La Cour de Cassation, Première Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi exercé par la BIG G. RANCH, S.A., Société Anonyme établie à Port-au-Prince, identifiée et patentée aux Nos. 58862-B et 47898-WM, représentée par le Vice-Président de son Conseil d'Administration, le sieur André P. Guerrier, identifié au No. 26-E, demeurant et domicilié à Port-au-Prince, ayant pour Avocat Me. Daniel Carrénard, dûment identifié, patenté et imposé, avec élection de domicile à Port-au-Prince, au Cabinet dudit Avocat, sis au Champ de Mars, Place des Héros de l'indépendance, Rue Piquant No. 37.
Contre un jugement en date du 30 juin 1981, rendu par le Tribunal Civil de Port-au-Prince, jugeant en ses attributions civiles et d'Appel entre la pourvoyante et les consorts Marie José Roy, Denise Roy, Gisèle Royet Lucienne Roy, toutes propriétaires, demeurant et domiciliées à Port-au-Prince, respectivement identifiées aux Nos. .......
Ouï, à l'audience publique du 16 novembre 1981, les parties n'étant pas représentées à la barre, Monsieur le Commissaire près la Cour, Me. Luc D. Hector, en la lecture de ses conclusions;
Vu au dossier de la demanderesse: le jugement entrepris, l'acte déclaratif de pourvoi, la requête de la pourvoyante, les pièces à l'appui, les cartes d'identité, les conclusions du Ministère Public, les textes de lois invoqués, ainsi que le récépissé relatif au dépôt de l'amende;
Et, après délibération en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Sur une action possessoire initiée par les demoiselles Marie José et Denise Roy et consorts aux fins de faire cesser les troubles apportées par la société BIG G. RANCH S.A. à leur possession sur un terrain de 16 carreaux de terre, situés sur l'Habitation Leroux, Commune de la Croix des Bouquets, qu'elles prétendent occuper dans toutes les conditions légales comme héritières de leur feu père Emile Roy et dont elles avaient entrepris le rafraîchissement des lisières, sortit le 2 mai 1980 une décision qui rejeta une double exception de communication des actes de naissance et de vente réclamée des demanderesses et qui ordonna la communication du procès-verbal d'opposition à ladite opération d'arpentage; puis le 7 juin suivant une seconde décision dont le dispositif est ainsi conçu: «Par ces motifs,ordonne notre transport sur les lieux litigieux à Leroux, suivi d'expertise des hommes de l'art, en l'occurrence des arpenteurs, le Samedi 19 juillet 1980 à 10 heures du matin pour visiter les lieux contentieux, entendre les témoins à l'enquête, la contre-enquête de droit réservée.
Ordonne également que les experts ainsi qualifiés seront désignés par les parties en cause dans les trois jours de la signification du présent jugement par la partie la plus diligente; dit que ces experts se transporteront sur les lieux à Leroux pour remplir la mission qui leur est confiée et qu'en cas de retard, de refus ou de non désignation de ceux-ci par les parties dans le délai imparti, il sera pourvu à leur nomination par le Tribunal, conformément à la loi».
Déclare, au surplus, que les experts devront prêter le serment requis, n'est pas un officier ministériel et déposer ledit rapport dans le délai de 15 jours, à compter de la fin de leur opération; qu'en cas de discontinuation desdites opérations, elles (sic) recommenceront, sans qu'il en soit besoin de jugement, d'ordonnance, de cédule et de citation. Dépens réservés (sic).
La BIG RANCH S.A, releva appel de ces décisions par exploit du 22 août 1980. Le tribunal Civil de Port-au-Prince rendit le 30 juin 1981 un jugement contradictoire au dispositif qui suit: «Par ces Motifs, reçoit l'appel en la forme; dit qu'il a été bien jugé et mal appelé; maintient le jugement dont est appel; renvoie les parties par devant le premier Juge pour la continuation de l'exécution de l'interlocutoire dont est appel».
C'est contre ce jugement, signifié le 29 juillet 1981 que la BIG G. RANCH S.A. s'est pourvue en Cassation par déclaration du 27 août suivant de son avocat dûment mandaté à cette fin; que pour le faire casser et annuler, elle a proposé deux moyens auxquels les Consorts Roy, n'ont pas répondu.
Sur le premier moyen, pris d'excès de pouvoir, violation du droit de la défense, dénaturation des faits de la cause, violation de l'article 282 du Code de Procédure Civile, motifs erronés ayant exercé une influence décisive sur le dispositif, fausse interprétation et fausse application de l'article 1100 et suivants du Code Civil.
Attendu que la pourvoyante reproche au jugement du 30 juin 1981 d'avoir, par un motif unique jugé erroné, confirmé les sentences des 2 mai et 7 juin 1980 rendues par le Tribunal de Paix de la Croix des Bouquets en ses attributions civiles et dont la première a rejeté arbitrairement la demande de communication des actes de naissance des Consorts Roy établissant leur qualité d'héritières de feu Emile Eugène Roy ainsi que celle des actes d'acquisition des 16 carreaux de terres de Leroux passés en faveur de l'auteur des demanderesses originaires.
Attendu que le litige en question est une action possessoire initiée par Denise Roy et consorts à l'occasion d'une opposition faite par la BIG G. RANCH S.A. au rafraîchissement des lisières desdites terres que les Roy faisaient effectuer, opposition que ces dernières considèrent comme un trouble à leur possession; pourquoi les demanderesses réclament de la juridiction saisie de faire cesser ce trouble et d'ordonner la continuation des travaux d'arpentage.
Attendu que l'action possessoire est une instance spéciale établie en faveur de ceux qui possèdent pour eux-mêmes, une instance roulant seulement sur des faits de possession qu'on peut prouver par enquête, présomption, expertise, visite des lieux, comparution personnelle, une instance dans laquelle l'emploi des titres est facultatif et laissé à l'entière discrétion du Juge qui peut et doit en user avec prudence seulement pour caractériser la possession invoquée.
Attendu que l'article 39 (1er et 2ème alinéas) du C.P.C. a pris soin de poser les deux conditions pour l'exercice et la recevabilité de pareille action, savoir: 1o) que le demandeur justifie avoir introduit son action dans l'année du trouble; 2o) qu'il justifie avoir été, depuis une année au moins à partir du trouble, en possession paisible par lui ou les siens à titre de propriétaire; qu'il n'a donc pas à rendre compte de l'origine ou de la provenance de ses droits; que, de même, le Juge du possessoire doit éviter de statuer sur les questions qui n'entrent pas dans le cadre de la possession (sic).
Attendu que, c'est à bon droit que le premier Juge comme celui de l'appel a écarté cette demande de communication des actes réclamés par la BIG G. RANCH S.A. d'autant que les Roy ont seulement invoqué leur possession personnelle; qu'en effet, dans la citation du 15 avril 1980, elles ont déclaré être en possession paisible, publique, non équivoque et à titre de maître des 16 carreaux de terre qu'elles possèdent à Leroux, commune de la Croix des Bouquets.
Attendu qu'elles n'ont pas invoqué la possession de leur auteur, ni demandé la jonction de cette possession à la leur, ce qui eût pu justifier à la rigueur l'exception de communication soulevée par la BIG G. RANCH S.A.
Attendu que la prétendue dénaturation des faits de la cause signalée en ce premier moyen et relative à la déclaration formelle des dames Roy, savoir qu'elles agissent en qualité d'héritières de feu Emile Roy, déclaration considérée par le Juge comme une simple hypothèse, n'a pu exercer aucune influence sur le jugement confirmatif de la sentence du 2 mai 1980, lesquelles décisions reposent plutôt, quant à cette communication, sur des motifs de principes ci-dessus relatés.
Attendu qu'il ressort de toutes ces considérations que le premier moyen n'est pas fondé; qu'il sera, en conséquence, rejeté.
Sur le deuxième moyen du pourvoi, pris d'excès de pouvoir, violation du droit de la défense, dénaturation des faits de la cause, violation de l'article 282 du C.P.C., défaut de point de droit, motifs dubitatifs, équivalant à défaut de motifs, violation des articles 1100 du Code Civil et 28 du Code de Procédure Civile;
Attendu que la pourvoyante allègue que, en violation de l'article 28 du C.P.C., le premier Juge a ordonné une enquête sans en fixer l'objet, sans spécifier les faits admis en preuve; qu'elle conclut que le jugement du 30 juin 1981 qui a confirmé la sentence du 7 juin 1980 est fautif sur ce point et doit être cassé.
Attendu que les prescriptions de cet article, savoir que le Juge de paix qui ordonne la preuve doit en fixer l'objet, ne sont pas sanctionnées de nullité; qu'elles n'ont pas, non plus, un caractère d'ordre public; que de plus, dit-il, la mission du Juge du possessoire est de rechercher si le demandeur justifie d'une possession utile présentant les caractères requis par la loi; qu'en l'espèce pendante, l'enquête ne peut porter que sur un seul fait: la possession des demanderesses originaires relativement aux 16 carreaux de terre de l'Habitation Leroux; qu'il ne peut y avoir de doute sur cette unique question en cause; qu'en pareil cas, le Juge de Paix n'est pas obligé de préciser cet objet et le jugement qu'il a ainsi rendu ne peut être attaqué pour ce motif.
Attendu que le jugement attaqué n'a fait que confirmer la sentence du 7 juin 1980 qui a seulement ordonné une mesure d'instruction (visite des lieux suivie d'enquête et d'expertise) et dont le motif déterminant demeure la contradiction des parties sur la possession desdites terres et l'absence d'élément d'appréciation pour statuer sur les prétentions respectives quant à la possession exclusive des lieux; que la dénaturation reprochée au second Juge d'avoir parlé de deux portions de terre limitrophes n'a exercé aucune influence sur un dispositif qui, d'ailleurs, n'a rien tranché au fond.
Qu'il ressort de ces considérations que le deuxième moyen n'est pas fondé; qu'il doit avoir le même sort que le premier.
Par ces motifs, la Cour, le Ministère Public entendu, rejette le pourvoi exercé par la BIG G. RANCH S.A. contre le jugement rendu contradictoirement le 30 juin 1981 entre la pourvoyante et les dames Denise Roy et consorts; ordonne la confiscation de l'amende consignée; condamne la pourvoyante aux dépens de l'instance liquidé à la somme de ......, en ce, non compris le coût du présent arrêt.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Roc J. Raymond, Président, Gabriel H. Volcy, Marc Narcisse, Pierre Jeannot et Gilbert Austin, Juge, à l'audience publique du lundi dix-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-deux, en présence de Monsieur Luc D. Hector, Commissaire du Gouvernement de ce ressort, avec l'assistance de Louis A. Day, Greffier du siège.