Aff. Civ.
Guy Emmanuel Faustin et Consorts Vs les Consorts Denis Tanis
7 juin 1982
Sommaire
Action possessoire - prescription - Mesure d'instruction.
Si le Juge du fond a l'entière liberté de repousser une mesure d'instruction, c'est à la condition qu'il trouve dans les faits, circonstances et documents du procès des moyens suffisants pour asseoir sa conviction et liquider le fond.
La mesure d'instruction est nécessaire lorsque les pièces soumises par les parties ont fait l'objet de critiques sérieuses et que la décision attaquée ne repose pas sur des motifs concluants.
Toute décision qui n'en tient pas compte doit être cassée.
La Cour de Cassation, Première Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur les pourvois exercés le premier par le sieur Guy Emmanuel Faustin, propriétaire, demeurant, domicilié à Port-au-Prince, identifié au No......., ayant pour Avocat Me Léon Dupiton, dûment identifié, patenté et imposé; le second par les sieurs et dames Emmanuel Guy Faustin, Edgar Faustin, Ludovic Faustin, Soeurette Faustin, Fernande Saint-Surin, Léonide Saint-Surin, la veuve Dunois Louissaint, Duverneau Faustin et Nicolas Faustin, propriétaires, demeurant et domiciliés à Pétion Ville, à l'exception de Faustin Emmanuel qui demeure et a son domicile à Port-au-Prince, respectivement identifiés aux Nos..
Ayant pour avocats Mes. Eribert Saint-Surin et Christian Alcindor, dûment, identifiés, patentés et imposés avec élection de domicile en leur cabinet, sis à Port-au-Prince, Rue de la Révolution, No. 13.
Contre un arrêt de la Cour d'Appel de Port-au-Prince, rendu le 29 juin 1981;
Entre les pourvoyants et le sieur Denis Tanis, continuateur Juridique de Désira Tanis, propriétaire, demeurant et domicilié à Port-au-Prince, identifié au No......., ayant pour avocats, Mes. Louis Raymond, Jean Méhu et Joseph Crève-Cour dûment identifiés, patentés et imposés avec élection de domicile au cabinet du second avocat, sis à Port-au-Prince, Place Louverture No. 39.
Ouï, aux audiences publiques des 17 et 24 Février 1982, Mes Eribert Saint-Surin et Jean Méhu en la lecture de leur requête et en leurs observations respectives, et Monsieur le Substitut, Jean D. Kalim, en la lecture de ses conclusions.
Vu les actes déclaratifs de pourvoi, l'arrêt dénoncé, les requêtes et défenses des parties, les pièces à l'appui, les cartes d'identité des litigants, le réquisitoire du Ministère Public, les récépissés relatifs à la consignation des amendes et les textes de lois invoqués;
Et, après délibération en la Chambre du Conseil, au vou de la loi:
A la suite d'une action possessoire initiée le 30 mars 1964 par la dame Sylvia Cajuste contre les consorts Faustin sus-qualifiés par devant le tribunal de Paix (Section Est) de Port-au-Prince, dont la décision, entreprise en appel, a été infirmée par le Tribunal Civil de la Capitale, lequel, statuant sur une exception, s'est déclaré incompétent, la même dame Cajuste assigna ses adversaires au Tribunal Civil sus-indiqué en revendication d'un carreau de terre, sis en la Commune de Port-au-Prince. Il en sortit le 1er mars 1978 un jugement contradictoire dont le dispositif est ainsi conçu: «Par ces motifs, déclare reprise par Désira Tanis l'action engagée par Sylvia Cajuste suivant acte du 24 septembre 1966, rejette la mesure d'instruction sollicitée par les défendeurs; déclare Désira Tanis propriétaire par juste titre et prescription de la propriété d'un hectare et 29 ares, situé à St Martin, arpenté par Me. Daniel Prudent le 6 mars 1950 à la réquisition de Sylvia Cajuste; confirme son droit de propriété sur ledit terrain; condamne les défendeurs aux dépens; ordonne quant au principal l'exécution provisoire sans caution du présent jugement vu qu'il y a tire authentique».
Mécontents de cette décision, les succombants l'entreprirent en Appel, et le 29 juillet 1981; la Cour d'Appel de Port-au-Prince rendit son arrêt par lequel, après avoir reçu le recours en la forme, confirma au fond l'ouvre du premier Juge pour produire son plein et entier effet.
C'est contre cet arrêt que Guy Faustin d'une part et les consorts Faustin et Saint-Surin de l'autre se sont pourvus en Cassation, le premier, par déclaration faite le 7 novembre 1981 au greffe de la Cour qui avait décidé, les seconds, par déclaration faite le 12 novembre suivant au greffe de la même juridiction d'Appel. Pour le faire casser et annuler, les pourvoyants ont proposé dans leur requête des 13 et 21 novembre de la même année cinq moyens, lesquels sont combattus par le défendeur au pourvoi dans ses défenses notifiées le 9 décembre 1981.
Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des deux pourvois sollicitée par Denis Tanis, vu qu'il s'agit des mêmes parties, de la même demande tranchée par le même arrêt du 29 juin 1981.
Sur la fin de non-recevoir proposée par Denis Tanis.
Et tendant à l'irrecevabilité du recours au motif que la requête contenant les moyens des pourvoyants a été signifiée le 21 novembre 1981, plus de 8 jours après le délai légal.
Attendu qu'il se constate dans les pièces des dossiers des parties a) que l'arrêt attaqué a été signifié aux litigants le 13 octobre 1981; b) que le pourvoi de Guy Faustin a été exercé le 7 novembre 1981 et sa requête notifiée le 13 novembre suivant; donc dans le délai de la loi; c) que le pourvoi des consorts Faustin et Saint-Surin a été exercé le 12 novembre 1981 et leur requête notifiée le 21 novembre suivant dans le délai légal.
Attendu qu'il ressort de ces constatations que les formalités ont été accomplies à temps, d'où le rejet de la fin de non-recevoir.
Sur les quatrième et cinquième moyens réunis et pris de la violation du droit de la défense et d'excès de pouvoir:
ATTENDU QUE les pourvoyants font grief à l'arrêt entrepris d'avoir confirmé le jugement du Tribunal Civil de Port-au-Prince, par conséquent, d'avoir, comme le premier Juge, rejeté une mesure d'instruction qu'ils avaient sollicitée et qui s'avérait indispensable pour la manifestation de la vérité dans l'instance pendante; que, pour ne l'avoir pas ordonnée, concluent-ils, la Cour a violé le droit de la défense et excédé ses pouvoirs.
Attendu qu'il résulte des pièces du procès, notamment du jugement de Première Instance que les Faustin dans leurs conclusions lues et déposées à l'audience du 12 octobre 1977, ont sollicité du tribunal saisi une visite des lieux suivie d'expertise; qu'ils ont repris en appel le même chef de demande.
Attendu que les parties au litige ont soulevé, chacune, la prescription du bien, comme conséquence de leur possession respective des lieux litigieux; que les défendeurs originaires ont invoqué une possession, par eux ou par leur auteur, remontant à l'année 1859, «soit 115 ans, disent-ils, de possession paisible, publique et non équivoque, appuyée, ajoutent-ils, de titres translatifs de propriété», que, de son côté, la partie demanderesse, a fait état de sa possession personnelle remontant à mars 1950 et fondé également sur des titres et faisant suite à la possession de ses auteurs, Philistin Méricain, Céliasse Siméon et Métellus Saint-Fort.
Attendu que si le Juge du fond a l'entière liberté de repousser une mesure d'instruction, c'est à la condition qu'il trouve dans les faits, circonstances et documents du procès des moyens suffisants pour asseoir sa conviction et liquider le fond; ce qui n'est pas en l'espèce, vu que les pièces soumises par les parties ont fait l'objet de part et d'autre de critiques sérieuses et que l'arrêt attaqué repose sur les motifs plutôt non concluants.
Attendu que cette mesure était d'autant nécessaire que les actes notariés et ceux d'arpentage situant le bien en question tantôt sur l'habitation Musseau, tantôt sur Fragneau, tantôt sur Caradeux, tantôt en la Section rurale de St-Martin, tantôt en celle de Bellevue la Charbonnière.
Attendu que, pour avoir décidé autrement en rejetant la mesure d'instruction, l'arrêt du 29 juin 1981 est fautif et mérite le reproche qui lui est adressé; ce qui le fera casser avec les conséquences de droit.
Par ces motifs, la Cour, sur les conclusions, en partie, conformes du Ministère Public, déclare joindre les deux pourvois, rejette la fin de non-recevoir du défendeur, casse et annule l'arrêt du 29 juin 1981 rendu par la Cour d'Appel de Port-au-Prince entre Denis Tanis, continuateur juridique de Désira Tanis et les consorts Faustin et Saint-Surin; ordonne la restitution de l'amende consignée; renvoie la cause et les parties par devant la Cour d'Appel des Gonaïves; condamne le défendeur au pourvoi aux frais et dépens de l'instance liquidés à la somme de.......... Gourdes, ce, non compris le coût du présent arrêt.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Rock J. Raymond, Président, Ambert Saindoux, Pierre Jeannot, Gilbert Austin et Alfred Blaise, Juges, à l'audience publique du lundi sept juin mil neuf cent quatre-vingt-deux, en présence de Monsieur le Commissaire, Luc D. Hector de la Cour avec l'assistance de Mr. Louis A. Day, Greffier.