Aff. Civ.
Veuve Chenier Drouin et le sieur Francklin Drouin
Vs
La dame Gabrielle Cathleen Isaac
19 juillet 1984
Sommaire
Adjudication - Irrecevabilité pour défaut d'indication du numéro de la quittance de l'impôt locatif - prescription - action en paiement de loyers et en déguerpissement de l'immeuble litigieux - Omission de statuer sur un chef de demande.
A violé l'article 1119 C. Civ. et commis un excès de pouvoir les Juges d'Appel qui n'ont fait aucun cas d'une demande de compulsoire régulièrement posée devant eux.
Les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée, article 1119 C. Civ.
La Cour de Cassation, Deuxième Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi de la Veuve Chenier Drouin et du sieur Francklin Drouin, propriétaire, demeurant et domiciliés à Port-au-Prince, identifiés aux Nos. 4615-E et 48-BC imposés locativement au No. 64231-Q, ayant pour Avocats Mes. Ernest, Rossini et Herriot Mallebranche du barreau de Port-au-Prince, dûment identifiés, patentés et imposés avec élection de domicile en leur cabinet sis en cette ville, Avenue Marie Jeanne, cité de l'exposition No. 9, contre un arrêt de la Cour d'Appel de Port-au-Prince, rendu le 10 juin 1983 entre eux et la dame Gabrielle Cathleen Isaac, propriétaires, demeurant et domiciliés en cette ville, identifiée au No. 6476-BX, ayant pour Avocat Me Christian D. Alcindor dûment identifié, patenté et imposé avec élection de domicile en son cabinet sis en cette ville, Rue de la Révolution, Etage Lamothe No. 13.
Ouï, à l'audience publique du 31 janvier de cette année, les pourvoyants n'étant pas représentés à la barre, Me Alcindor dans le développement de sa requête en défense et Monsieur le Substitut Luc D. Michel en la lecture des conclusions de son collègue, Claude D. Hippolyte tendant à l'admission du pourvoi.
Vu l'acte déclaratif de ce pourvoi, l'arrêt attaqué, les requêtes des parties, les pièces, par elles, produites à l'appui, le récépissé de l'amende consignée, les textes de loi invoqués et les susdites conclusions du Ministère Public.
Et, après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu que, selon exploit d'huissier en date du 31 mars 1975, la dame Isaac fit ajourner les Drouin au Tribunal Civil de ce ressort à l'effet de s'entendre déclarer propriétaire, en vertu de l'adjudication prononcée en sa faveur au mois d'avril 1968, d'un immeuble fonds et bâtisses, sis en cette ville à l'Avenue John Brown, d'entendre ordonner leur déguerpissement des lieux, avec une allocation de mille cinq cents dollars de dommages-intérêts, sous réserve d'une action à entreprendre contre eux pour indue-jouissance.
Attendu qu'en réponse, les défendeurs avaient conclu à l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'indication du numéro de la quittance de l'impôt locatif de l'immeuble litigieux, et, en cas de rejet, à un sursis à statuer, pour permettre la représentation du procès-verbal d'adjudication, dressé, par le Notaire Willy Douyon, puis, au fond, à ce que le tribunal les reconnaisse propriétaires, tant par titre que par prescription de dix ans, de l'immeuble revendiqué, acquis par leur feu mari et père, Chenier Drouin de Dufor Tudor, le 20 décembre 1959 suivant acte passé au rapport du Notaire Edouard Paul, tout en invoquant, pour fortifier ce moyen de défense, un exploit à eux signifié à la requête de la demanderesse, le 11 décembre 1968, portant renonciation formelle de celle-ci à une action en paiement de loyers et en déguerpissement de l'immeuble litigieux, par elle, initiée contre eux.
Attendu que par son jugement, rendu le 13 mai 1981, par défaut contre la demanderesse, le Juge de Première Instance accueillit la fin de non-recevoir, en constatant effectivement l'absence, dans les actes de la procédure, du numéro de la quittance locative, l'immeuble revendiqué étant assujetti à cet impôt.
Attendu que sur l'appel interjeté par la défaillante, la Cour de Port-au-Prince s'est prononcée dans les termes suivants, appert le dispositif de son arrêt du 10 juin 1983, objet du présent recours.
"Reçoit l'appel en la forme, y faisant droit au fond, dit qu'il a été mal jugé et bien appelé; infirme, en conséquence, le jugement dont est appel; émendant et jugeant à nouveau, déclare la dame Gabrielle Cathleen Isaac propriétaire incommutable par l'adjudication dudit immeuble; ordonne le déguerpissement de la Veuve Chenier Drouin et de Franckel Drouin dudit immeuble, les condamne solidairement l'un pour l'autre à mille dollars de dommages-intérêts en faveur de l'appelante en réparation des préjudices subis; accorde l'exécution provisoire sans caution etc.".
Attendu que, pour faire annuler cet arrêt, les pourvoyants excipent de six moyens qui sont combattus par la défenderesse dans sa requête responsive.
Sur le sixième moyen pris de violation des articles 1119 et 1100 C. C., excès de pouvoir, motifs erronés ayant exercé une influence déterminante sur le dispositif, en ce que, malgré leurs conclusions formelles tendant à la représentation de la minute du procès-verbal d'adjudication, titre servant de base à l'action, la Cour d'Appel n'a pas statué sur ce moyen fondamental et a, au contraire, admis comme valable l'expédition produite, sans se livrer à aucune vérification.
Attendu qu'il appert des documents de la cause, que dans leurs conclusions tirées au Tribunal Civil, à l'audience du 29 avril 1981, les Drouin ont eu, après avoir posé leur fin de non-recevoir, à solliciter par application de l'article 1119 C. C., la représentation de la minute du procès-verbal d'adjudication sur le motif que certaines mentions de la copie signifiée à la requête de la dame Isaac paraissaient suspectes.
Que, de plus, ils ont réitéré cette demande à l'audience du 7 mai 1982 de la Cour d'Appel, comme en témoignent les qualités de l'arrêt attaqué où il est mentionné qu'ils: «déclarent se référer exclusivement à leurs moyens pris en Première Instance et insérés au jugement entrepris» (sic).
Attendu, cependant, que les seconds juges, auxquels il est fait obligation de considérer tant les conclusions d'appel que celles de Première Instance auxquelles les parties n'ont pas renoncé, n'ont fait aucun cas de cette demande de compulsoire régulièrement posée devant eux, encore qu'ils aient consacré les prétentions de l'appelante sur le fondement de l'expédition incriminée du procès-verbal d'adjudication.
Or, attendu qu'il est stipulé en l'article 1119 C. C. que les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée.
Qu'ainsi pour n'avoir pas obéi au prescrit de ce texte, la décision entreprise en a, non seulement violé les dispositions, mais se trouve encore entachée d'un excès de pouvoir caractérisé, non par une simple omission de statuer, mais par une violation de droit de la défense.
Qu'il échet, en conséquence, d'en prononcer l'annulation.
Par ces motifs, la Cour, sans s'arrêter à l'examen des précédents moyens, et sur les conclusions conformes du Ministère Public, casse et annule l'arrêt de la Cour d'Appel de Port-au-Prince rendu le 10 juin 1983 entre les parties; ordonne la remise de l'amende consignée, et, pour voir statuer conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel des Cayes; condamne la défenderesse aux dépens liquidés à la somme de ...... Gourdes, en ce, non compris le coût du présent arrêt.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Pierre L. Jeannot, Vice-Président, Georges Henri, Alfred Blaise, Félix R. Kavannagh et Emile Bastien, Juges, en audience publique du dix neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-quatre, en présence de Me Jean D. Kalim, Substitut du Commissaire du Gouvernement, avec l'assistance du greffier, Simone Ulysse.