Hrs. Sér.
Jean Longchamp Vs la dame Armande Lauture
19 décembre 1991
Sommaire
Révocation illégale et abusive - Salaire - Préavis - Congé
L'article 507 C.T. qui règle la façon de procéder pour se pourvoir contre les jugements des Tribunaux de Travail n'exige du pourvoyant que la signification à l'autre partie d'une requête contenant sa déclaration de pourvoi et les moyens de son recours; qu'il ne l'oblige nullement à l'assigner à produire ses défenses, encore, en l'espèce, moins à lui indiquer le délai imparti pour le faire; que toute mention de ce genre contenue dans la signification de la requête est superfétatoire et n'entraîne point la déchéance du pourvoyant.
L'article 508, 1er alinéa C.T. stipule que: «dans les huit jours francs suivants, le défendeur au pourvoi résidant en Haïti répondra, à peine de déchéance, aux moyens du recours par une requête signifiée au demandeur à domicile réel ou élu, et remettra ses pièces au greffe».
L'article 506 C.T. stipule que: «les jugements des Tribunaux de Travail ne pourront être attaqués que par la voie de recours en Cassation». Cependant, cette disposition, impliquant l'exclusion des voies de recours ordinaires comme l'opposition et l'appel, n'emporte pas l'interdiction de la requête civile, si l'interdiction il y avait, il serait expressément stipulée.
Il est de principe qu'on doit recourir au Droit Commun pour tout ce qui n'est pas prévu par une loi spéciale. Partant, les jugements des Tribunaux de Travail, étant en dernier ressort, peuvent être attaqués par la voie de la requête civile.
Si aux termes de l'article 489 C.T., la saisine du Tribunal se fait par requête de la Direction du Travail, ce sont, pourtant, les conclusions du demandeur qui constituent le mandat du Juge. En occurrence, le Tribunal spécial de Travail, statuant sur les conclusions de la partie demanderesse, a le droit de considérer tout ce qui a trait à sa demande.
Condamnation
La Cour de Cassation, Deuxième Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi du sieur Jean Longchamp, propriétaire du Restaurant Hide-Away sis à Pétion ville, y demeurant et domicilié, identifié au No. 308-91-046, ayant pour Avocats Mes. Bertholand Edouard et Josué Pierre, du barreau de Port-au-Prince, dûment identifiés, patentés et imposés, avec élection de domicile au Cabinet desdits Avocats sis en cette ville, Rue Lamarre, No. 20.
Contre un jugement du Tribunal Spécial de Travail rendu le 11 septembre 1990 entre lui et la dame Armande Lauture, propriétaire, demeurant et domiciliée à Port-au-Prince, identifiée au No. 305-55-887, ayant pour Avocats Mes. Calixte Délatour et Charles Jean-Baptiste du barreau de Port-au-Prince, dûment identifiés, patentés et imposés, avec élection de domicile en leur Cabinet sis à Delmas 29.
Ouï, à l'audience publique du 10 décembre 1991 le Juge Raoul Lyncée, en la lecture de son rapport, les parties n'étant pas représentées à la barre, le Substitut Luc S. Fougère en la lecture des conclusions prises par Monsieur G. Myrbel Jean-Baptiste, Commissaire du Gouvernement.
Vu la requête contenant la déclaration de pourvoi, celle de la défenderesse, avec les pièces à l'appui, le jugement attaqué, les dispositions de loi invoquées et les conclusions du Ministère Public.
Et, après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil, conformément à la loi.
Attendu qu'à la date du 24 juillet 1990, le Tribunal Spécial de Travail rendit un jugement condamnant le sieur Jean Longchamp à payer à la dame Armande Lauture, son employée révoquée ill1également et abusivement, son salaire du mois de décembre, préavis, congé, boni, heures supplémentaires et dommages-intérêts.
Attendu que ledit sieur Jean Longchamp attaqua cette décision par la voie de la requête civile, et le Tribunal Spécial de Travail rendit un second jugement en date du 11 décembre 1990, déclarant irrecevable ladite requête civile et maintenant la décision du 24 juillet 1990.
Que contre ce second jugement Jean Longchamp s'est pourvu en Cassation et a proposé un moyen unique pris de violation de l'article 391 C.P.C., d'absence de motif et de violation du Droit de la Défense.
Sur une première fin de non-recevoir soulevée d'office par le Ministère Public prise de défaut de consignation d'amende.
Attendu que l'article 507, 3ème alinéa du Code du Travail Actualisé prescrit le dépôt par le pourvoyant non salarié d'un récépissé attestant la consignation à la caisse des dépôts et consignations d'une amende de vingt cinq gourdes qui sera acquise à l'Etat en cas d'échec.
Attendu qu'au dossier du pourvoyant se retrouve un récépissé de la Direction Générale des impôts en date du 5 février 1991 attestant la consignation d'une valeur de cent gourdes pour requête civile; qu'aucun cautionnement n'étant exigé pour la recevabilité de pourvoi, il en résulte que le pourvoyant a consigné plus d'argent qu'il n'en fallait, et ainsi le fisc est satisfait; cette fin de non-recevoir sera rejetée.
Sur une deuxième fin de non-recevoir du Ministère Public prise du fait que la défenderesse a été assignée à fournir ses défenses dans un délai plus long que celui prescrit par la loi.
Attendu que l'article 507 C.T. qui règle la façon de procéder pour se pourvoir contre les jugements des Tribunaux de Travail n'exige du pourvoyant que la signification à l'autre partie d'une requête contenant sa déclaration de pourvoi et les moyens de son recours; qu'il ne l'oblige nullement à l'assigner à produire ses défenses, encore, en l'espèce, moins à lui indiquer le délai imparti pour le faire; que toute mention de ce genre contenue dans la signification de la requête en date du 29 décembre 1990 est superfétatoire et n'entraîne point la déchéance du pourvoyant, la durée du délai, quelle qu'elle soit, n'exerçant aucune influence sur la régularité du pourvoi; cette deuxième fin de non-recevoir sera elle aussi rejetée.
Attendu que par contre l'article 508, 1er alinéa, C.T. stipule: «dans les huit jours francs suivants, le défendeur au pourvoi résidant en Haïti répondra à peine de déchéance aux moyens du recours par une requête signifiée au demandeur à domicile réel ou élu, et remettra ses pièces au greffe».
Que la requête du pourvoyant ayant été signifiée le 29 décembre 1990, la défenderesse avait jusqu'au 7 janvier 1991 pour signifier ses moyens de défense; que l'ayant fait le 28 janvier, soit 21 jours plus tard, elle se trouve, comme l'a justement souligné le Ministère Public, dans sa troisième fin de non-recevoir, déchue de son droit de répondre, et ses moyens de défense seront écartés.
Sur le moyen unique du pourvoyant pris de violation de l'article 391 C.P.C., absence de motifs, violation du Droit de la Défense.
Attendu que le pourvoyant reproche au premier Juge d'avoir déclaré irrecevable sa requête civile contre le jugement du Tribunal de Travail en se basant sur l'article 506 C.T qui stipule: «les jugements des Tribunaux de Travail ne pourront pas être attaqués que par la voie de recours en Cassation.».
Attendu que cette disposition, impliquant l'exclusion des voies de recours ordinaires comme l'opposition et l'appel, n'emporte pas l'interdiction de la requête civile, laquelle interdiction devait être expressément stipulée; qu'il est de principe qu'on doit recourir au droit commun pour tout ce qui n'est pas prévu par une loi spéciale; il s'ensuit que les jugements des tribunaux de travail, étant en dernier ressort, peuvent être attaqués par la voie de la requête civile, et le jugement querellé mérite le reproche du pourvoyant, pourquoi il sera cassé.
Statuant à nouveau en vertu de l'article 118, 3ème alinéa de la loi sur l'organisation judiciaire.
Sur l'admission de la requête civile
Attendu que Jean Longchamp demande la rétractation du jugement du 24 juillet 1990 le condamnant à payer à son employée, Armande Lauture des heures supplémentaires qui, soutient-il, d'une part, n'avaient pas été mentionnées dans la requête adressée par la Direction du Travail au Tribunal Spécial de Travail, d'autre part, ont été calculées sur une base erronée.
Attendu que si, effectivement, aux termes de l'article 489 C.T., la saisine du Tribunal se fait par requête de la Direction du Travail, ce sont pourtant les conclusions du demandeur qui constituent le mandat du Juge; qu'en l'occurrence, le Tribunal Spécial de Travail, statuant sur les conclusions d'Armande Lauture, avait le droit de considérer la demande d'heures supplémentaires produite par cette dernière.
Attendu, cependant, qu'il se constate, à l'examen de la décision attaquée, que les heures supplémentaires ont été calculées sur la base du salaire journalier plutôt que du tarif horaire, il en résulte qu'il a été accordé huit fois plus que le montant réclamé; pour ce motif, la requête civile sera admise et le jugement rétracté avec toutes les conséquences de droit.
Par ces motifs, le Ministère Public entendu, rejette les deux premières fins de non-recevoir soulevées d'office par le Ministère Public; écarte la requête en défense de la défenderesse; admet le pourvoi de Jean Longchamp; casse le jugement du 11 décembre1990 du Tribunal Spécial de Travail; faisant ouvre nouvelle, admet la requête civile; rétracte le jugement du 24 juillet 1990 du susdit Tribunal; ordonne la restitution des amendes consignées.
Au fonds sur rescisoire
Attendu que dans ses conclusions la dame Armande Lauture avait demandé au Tribunal de déclarer sa révocation abusive et illégale et de condamner Jean Longchamp à lui payer son salaire du mois de décembre 1989, soit soixante dix dollars, trois mois de préavis ou deux cent dix dollars, soixante dix dollars de boni et trente cinq dollars à titre de congé annuel, le montant de 3.234 heures supplémentaires et des dommages-intérêts équivalant à douze mois de salaire.
Attendu qu'il découle de l'aveu même du pourvoyant, exprimé dans sa requête; qu'au Bureau de Conciliation et d'Arbitrage, les parties s'étaient entendues sur le salaire dû et les prestations légales, l'employeur sera condamné à les payer.
Attendu qu'en acceptant de payer le préavis à son employée, l'employeur, en dépit de ses dénégations postérieures, a, du même coup, reconnu l'avoir révoquée; que cette révocation, n'étant pas justifiée, sera considérée comme abusive et illégale, et motivera une condamnation à des dommages-intérêts.
Attendu que l'employeur conteste les heures supplémentaires réclamées par Armande Lauture en soutenant qu'elles n'avaient pas été fournies effectivement.
Attendu qu'il n'existe aucune preuve de la fourniture de ces heures supplémentaires, elles ne seront donc pas prises en considération.
Par ces motifs, condamne Jean Longchamp à payer à son employée, Armande Lauture, s'il ne l'a déjà fait: 1o) la somme de soixante dix dollars ($70.00) son salaire du mois de décembre 1989; 2o) celle de deux cent dix dollars ($210.00) à titre de préavis; 3o) soixante dix dollars ($70.00) de boni; 4o) trente cinq dollars ($35.00) représentant son congé annuel; 5o) l'équivalent de deux mois de salaire, soit cent quarante dollars ($140.00) à titre de dommages-intérêts; rejette la demande d'heures supplémentaires; compense les dépens.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Georges Henry, Vice-Président, Larousse B. Pierre, Raymond Gilles, Georges Moïse et Raoul Lyncée, Juges, en audience publique du dix neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-onze, en présence de Monsieur G. Myrbel Jean-Baptiste, Commissaire du Gouvernement, avec l'assistance de Monsieur Francis Dominique, Greffier du siège.