Georges Nader Jr. Vs Erika Arendts Théard et Consorts
18 juillet 2006
Sommaire
Faux incident civil - Demande en intervention forcée - Erreur matérielle commise dans l'acte de vente en ce qui concerne le nom du notaire - Prescription, application du 3ème alinéa de l'article 461 C. Civ.
Il est de règle que le juge est obligé de statuer sur tous les moyens de défense qui lui sont soumis.
L'omission de statuer sur un moyen de défense donne ouverture à cassation et non à requête civile.
Si la demande en intervention forcée proprement dite peut être formée en cause d'appel, celle en garantie doit subir les deux degrés de juridiction (tribunal de première instance et Cour d'Appel).
Il est de principe que la responsabilité du garant se limite à supporter les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcées contre le garanti.
Il est de règle que le tribunal saisi de faux incident civil peut le rejeter d'emblée, s'il estime que le demandeur n'a énoncé aucun argument valable à la base de son action.
L'erreur matérielle commise dans un acte de vente en ce qui concerne le nom du notaire, détenteur d'une procuration n'affecte en rien la validité de cette procuration et, par voie de conséquence, celle de la vente elle-même qui demeure consacrée et consacre les droits de propriété de l'acquéreur sur le terrain, objet de cette vente.
Lorsque le propriétaire constate qu'on entreprend des constructions sur sa propriété, sans pour autant, les arrêter, il laisse, pour le moins, augurer qu'il préfère conserver ces constructions et tombe, par conséquent, sous l'empire du 3ème al de l'article 461.C. Civ.
Lorsqu'aucune faute n'est relevée en charge d'une partie aucuns dommages-intérêts ne peuvent être accordés.
La Cour de Cassation, Sections Réunies, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi du sieur Georges Nader Jr, propriétaire, demeurant et domicilié à Pétion-Ville, identifié au No. 003-013-328-1, ayant pour Avocats constitués Mes. Pierre C. Labissière, Serge Henri Vieux, Jean Level Louis et Sarah Péan Vieux du Barreau de Port-au-Prince et Me Harry Sanchez du Barreau du Cap-Haïtien, dûment identifiés, patentés et imposés, avec élection de domicile en leur Cabinet sis en cette Ville, Rue Capois No. 22.
En cassation d'un arrêt de la Cour d'Appel du Cap-Haïtien, rendu sur renvoi de la Cour de Cassation, à la date du 25 janvier 2005, entre ledit sieur Nader et la dame Erika Arendts Théard, aujourd'hui décédée, représentée dans l'instance en Cassation par ses héritières et continuatrices juridiques, les dames Erika, Géraldine Alexandra Théard, Veuve Sinai, Dominique Marie Féréna Béatrice Théard, épouse Russo, Helga Janine, Daphné Monica Théard et Hélène Daphnée, Lydie Shirley-Rose Théard, propriétaires, demeurant et domiciliées à Port-au-Prince, identifiées respectivement aux Nos. 003-019-656-4; 003-083-302-8; 004-187-902-7; 009-347-028-3, ayant pour Avocats Mes. Jean Eugène Pierre-Louis, Rolès Théard, Jean Joseph Exumé et Justin O. Fièvre, dûment identifiés, patentés et imposés, avec élection de domicile au Cabinet Jean Joseph Exumé, sis à Port-au-Prince Rue Vilmenay, Bois-Verna.
Oui, à l'audience solennelle et publique du vendredi 26 mai 2006, Mes. Pierre C. Labissière et Serge-Henri Vieux, puis à celle du vendredi 16 juin 2006, encore Me Serge-Henri Vieux, et Me Jean-Joseph Exumé et Jean-Eugène Pierre-Louis dans leurs observations respectives, et enfin Monsieur Kesner Michel Thermesi, Substitut du Commissaire du Gouvernement, en la lecture des conclusions du Commissaire Emmanuel Dutreuil tendant à la cassation de l'arrêt entrepris.
Vu l'acte déclaratif du pourvoi, les requêtes des parties et les pièces à l'appui; l'arrêt attaqué ensemble l'exploit de sa signification, le récépissé constatant la consignation de l'amende prescrite, les susdites conclusions du Ministère Public et les textes de loi invoqués.
Et, après délibération en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu qu'il ressort des faits et circonstances de la cause que la dame Erika Théard, voulant faire effectuer un rafraîchissement des lisières d'une propriété située au Canapé Vert, se heurta à l'opposition du sieur Georges Nader Jr qui se déclara propriétaire du bien en question; qu'alors elle assigna ce dernier à comparaître au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince pour voir annuler l'opposition à l'opération d'arpentage et reconnaître ses droits de propriété sur le terrain, action favorablement accueillie par ledit Tribunal qui ordonna la démolition des constructions érigées sur la propriété, mais refusa toute condamnation de Nader à des dommages-intérêts, que l'appel relevé de cette décision par Nader, qui avait par la même occasion appelé la société «Immobiliers et Manufactures S.A.» en intervention forcée, aboutit à un premier arrêt avant-dire droit ordonnant la jonction de l'action en intervention forcée à la demande principale, puis à un second arrêt ordonnant une communication de pièces par l'intimée à l'appelant; que la dame Erika Théard s'étant pourvue contre cette dernière décision, la Cour de Cassation l'annula et renvoya la cause et les parties par devant la Cour d'Appel du Cap-Haïtien. La Cour de renvoi, devant laquelle l'appelant introduisit une action en faux incident civil, rendit un arrêt au dispositif suivant:
«Par ces motifs, la Cour...... rejette la demande en faux incident civil; rejette également la demande en intervention forcée; rejette les moyens de l'appelant; maintient le jugement du 9 août 200l rendu par le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince; reconnaît les dommages subis par la dame Erika Théard pour le préjudice souffert depuis ledit jugement; condamne le sieur Georges Nader Jr à six millions de gourdes au profit de la dame Erika Théard née Arendts comme dommages-intérêts et aux entiers dépens».
Attendu que le sieur Georges Nader Jr poursuit la cassation de cet arrêt en produisant dans sa requête sept moyens combattus par les défenderesses.
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches, de violation des règles de la compétence, de violation de l'article 282 C.P.C par dénaturation des faits, motifs erronés ou absence de motifs, violation des Droits de la Défense, violation de l'article 37 du décret du 26 février l975, excès de pouvoir, en ce que le Tribunal de Première Instance et, à sa suite, la Cour d'Appel du Cap-Haïtien, loin de se déclarer incompétents pour connaître de l'action en nullité d'opposition à l'opération d'arpentage, laquelle, soutient le pourvoyant, compète, au Tribunal de Paix, ont accueilli ladite action et prononcé la nullité de l'opposition.
Attendu que des deux chefs de demande soumis par la demanderesse originaire au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, il est évident que l'un, la reconnaissance de ses Droits de Propriété, est une action pétitoire qui, comme telle, est de la compétence dudit Tribunal lequel, comme la Cour d'Appel du Cap-Haïtien, a bien fait de la retenir et d'y statuer.
Mais attendu, quant à l'autre chef, que l'article 39 du décret du 26 février l975 sur l'arpentage donne compétence au Tribunal de Paix pour connaître de toute opposition intervenue au moment d'une opération d'arpentage; que l'action en nullité de l'opposition à l'opération d'arpentage que faisait effectuer Erika Théard n'aurait pas dû être portée par celle-ci au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, et ce Tribunal n'aurait pas dû l'accueillir ni la Cour d'Appel du Cap-Haïtien confirmer cette décision, ce qui justifie le reproche formulé par le pourvoyant contre l'arrêt entrepris, lequel sera cassé par la Cour.
Sur la première branche du cinquième moyen prise d'excès de pouvoir par violation de l'article 282 C.P.C, violation du droit de la défense.
Attendu que par cette branche du moyen, Georges Nader Jr fait grief aux juges de la Cour d'Appel du Cap-Haïtien de n'avoir pas examiné le moyen relatif à la démolition des constructions par lui érigées sur le terrain litigieux.
Attendu qu'il est de règle que le juge est obligé de statuer sur tous les moyens de défense qui lui sont soumis.
Attendu qu'il se vérifie que l'arrêt d'appel querellé est absolument muet sur ce moyen pourtant contenu dans les conclusions de l'appelant reproduites dans l'arrêt.
Attendu que le moyen en question, tendant à contrecarrer la demande de démolition des constructions produite par la demanderesse originaire,constitue un véritable moyen de défense, et l'omission de statuer sur ce moyen donne ouverture à cassation et non à requête civile comme le soutiennent les défenderesses au pourvoi.
Par ces motifs, la Cour sur les conclusions du Ministère Public, casse et annule l'arrêt de la Cour d'Appel du Cap-Haïtien du 25 janvier 2005; ordonne la remise de l'amende consignée.
Statuant au fond en vertu des articles l78 de la constitution et l39 du décret du 22 août l995 sur l'organisation judiciaire, par les motifs de cassation et ceux qui suivent.
Sur la demande en intervention forcée
Attendu qu'au cours de l'instance d'appel Georges Nader Jr a assigné la société "Immobiliers et Manufactures S.A" en intervention forcée en vue d'obtenir la condamnation de cette société à des dommages-intérêts compensatoires des préjudices qu'il aurait subis au cas où il aurait succombé sur la demande produite contre lui par la dame Erika Théard.
Attendu que la société "Immobiliers et Manufactures S.A" est celle qui avait vendu à Nader la propriété qu'il occupe et qui est revendiquée par Théard; que, par conséquent, c'est une action en garantie qui devait être exercée contre elle, action qui, tout en étant une forme d'intervention forcée, obéit à une procédure différente.
Attendu que si la demande en intervention forcée proprement dite peut-être formée en cause d'appel, celle en garantie doit subir les deux degrés de juridiction; elle devait être portée devant le juge de Première Instance comme l'a soutenu la demanderesse originaire.
Attendu, d'ailleurs, qu'il est de principe que la responsabilité du garant se limite à supporter les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcées contre le garanti, la société ne pourrait donc pas être condamnée aux dommages-intérêts réclamés pour lui-même par Nader, il devra les solliciter par une action séparée à introduire contre sa garante.
Sur le faux incident civil
Attendu qu'au cours de l'instance d'appel à la Cour du Cap-Haïtien, le sieur Georges Nader s'est inscrit en faux contre un acte de vente dressé à la date du l9 décembre l984 par le Notaire Dantès RAMEAU, à la résidence de Port-au-Prince.
Attendu qu'en réalité Nader reproche à l'acte en question de mentionner qu'une procuration a été donnée par un acte reçu par le Notaire Gérard Coradin le 3l juillet l984, alors que le successeur de ce notaire a délivré un certificat attestant que pareil acte n'a jamais existé.
Attendu qu'il ressort des documents de la cause qu'il s'agit d'une erreur matérielle commise par le Notaire Dantès Rameau, laquelle ne tire à aucune conséquence; qu'à la vérité, cette procuration, était contenue dans un acte sous-seing privé déposé en l'étude du Notaire Raoul Kénol qui en a dressé un acte de dépôt à la même date du 3l juillet l984 portée dans l'acte de vente par le Notaire Rameau comme date de la procuration, ce qui prouve que ce dernier n'a fait que confondre, involontairement d'ailleurs, les Notaires Coradin et Kénol.
Attendu que la règle étant que le Tribunal saisi du faux- incident civil peut le rejeter d'emblée s'il estime que le demandeur n'a énoncé aucun argument valable à la base de son action, c'est le sort que connaîtra l'inscription en faux initiée par Nader.
Au fond:
Attendu que la dame Erika Théard a fait l'acquisition de la propriété litigieuse du sieur Hervé Hardy, mandataire par substitution de la dame Michel Alfred Hardy, elle-même détentrice d'une procuration de la société "Immobiliers et manufactures S.A", propriétaire du bien, l'acte de vente étant dressé par le ministère du susdit Notaire Dantès Rameau à la date du l9 décembre l984.
Attendu que l'erreur matérielle commise dans l'acte de vente en ce qui concerne le nom du notaire qui avait reçu l'acte de procuration n'affecte en rien la validité de cette procuration et, par voie de conséquence, celle de la vente elle même qui demeure consacrée et consacre les droits de propriété de Erika Théard sur le terrain, objet de cette vente.
Attendu que dès lors, la vente consentie du même terrain quatorze ans plus tard par la société "Immobiliers et Manufactures S.A" à Georges Nader Jr. est nulle et de nullité radicale, cette dernière ayant vendu un bien qui ne lui appartenait plus pour être sorti de son patrimoine depuis l'année l984.
Attendu que le droit de propriété que procurent ses titres à Erika Théard est renforcé par la prescription de dix ans admise par l'article 2033 du Code Civil en faveur de celui qui a acquis de bonne foi et qui détient un juste titre; la dame Théard sera donc déclarée propriétaire incommutable du terrain litigieux.
Mais attendu que le sieur Georges Nader Jr., ayant lui aussi acheté en toute bonne foi un bien qu'il croyait appartenu à sa venderesse, avait entrepris sur le terrain des constructions qui, comme l'avait constaté le Juge de Paix amené par Théard le jour de l'opération d'arpentage avortée, étaient en voie d'achèvement et que Théard n'avait nullement entrepris d'arrêter.
Attendu que dans pareil cas, l'article 46l, 3e alinéa du Code Civil ne permet pas de démolir les constructions, mais donne plutôt le choix aux ayants-droit d'Erika Théard ou de rembourser à Nader la valeur des matériaux et du prix de la main-d'ouvre, ou de rembourser une somme égale à la plus-value apportée au fonds par les constructions
Attendu que les demandes respectives de dommages-intérêts seront rejetées, aucune faute n'étant relevée à la charge de l'une ou l'autre des parties.
Attendu que les dépens seront compensés, les deux parties ayant succombé respectivement sur certain chef.
Par ces motifs, la Cour, le Ministère Public entendu, rejette la demande en intervention forcée ainsi que l'inscription en faux incident civil; déclare Erika Théard propriétaire incommutable du terrain sis à Canapé-Vert, actuellement occupé par Georges Nader Jr.; dit que les défenderesses au pourvoi, ayants cause de Erika Théard Arendts, auront le choix ou bien de rembourser à Nader la valeur des matériaux et de la main- d'oeuvre employés dans les constructions, ou bien de rembourser une somme correspondant à la plus-value apportée au fonds par Nader, dans les deux cas, selon les estimations qui seront faites par deux experts immobiliers choisis un par chacune des parties; dit que Georges Nader Jr. retiendra la possession du bien litigieux jusqu'à ce qu'il lui soit tenu compte de la valeur de ses constructions ou de la plus value; rejette les demandes respectives de dommages-intérêts;
compense les dépens.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Georges Moise, Vice-Président, Charles Danastor, Rénold J. B. Pierre, Arthur Gérard Delbeau, Antoine Norgaisse, Jean Metzgher Théodore et Bien-Aimé Jean, Juges, à l'audience solennelle extraordinaire du mardi dix-huit juillet deux mille six, en présence de Monsieur Gilbaud Robert, Substitut du Commissaire du Gouvernement près cette Cour, avec l'assistance de Monsieur Marc Lapierre Bédéjuste, Greffier du siège.