161-62/63 17 avril 1963 8593
M'Hamed ben El Mir c/Mohamed ben Aa Af et autres.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 14 juin 1962.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE PRIS EN SA PREMIERE BRANCHE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Rabat 14 juin 1961) que pour déclarer partiellement fondée l'opposition résultant du chevauchement des réquisitions 23 751/C et 23 752/C déposées par Ac Ab Aa sur les bornages 23 721/C et 23 722/C dont l'immatriculation était requise par M'Hamed ben el Mir, la Cour d'appel a rejeté les allégations de ce dernier selon lesquelles il a recueilli les propriétés objet des réquisitions 23 751/C et 23 752/C dans l'héritage de son père, El Mir ben Aa, qui en était devenu propriétaire exclusif à la suite d'un partage avec l'opposant Ac Ab Aa des biens laissés par l'auteur commun Aa ben Hachemi;
Attendu que M'Hamed ben el Mir soutient que c'est au prix d'une «dénaturation des faits de la cause» que la Cour d'appel a statué comme elle l'a fait, alors qu'il a produit des actes et des témoignages formels et alors que la vente par l'opposant susnommé d'une partie des biens successoraux, attestée par les témoins, implique l'existence d'un partage;
Mais attendu que le demandeur au pourvoi, sans préciser les déclarations des témoins ni les mentions des actes que la Cour aurait dénaturées, se borne à une discussion de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour suprême;
Que le moyen ne peut donc être accueilli en sa première branche;
SUR LE MEME MOYEN PRIS EN SA SECONDE BRANCHE :
Attendu qu'il est encore fait grief à la Cour, qui a déclaré partiellement fondée l'opposition formée par Ad Ab Ae à l'immatriculation de la réquisition 23722, d'avoir dénaturé les faits en ce qu'elle a prêté à tous les témoins la déclaration selon laquelle «Ad Ab Ae qui n'est pas parent du requérant avait toujours cultivé la parcelle qu'il revendique, depuis une trentaine d'années », alors qu'un seul a attesté l'avoir vu cultiver pendant de nombreuses années;
Mais attendu qu'il résulte du procès-verbal de transport sur les milieux que les seuls témoins entendus sur ce point, Ac Ab Aa, M'Hamed ben Tahar et Ac Ab Ac, ont attribué à Ad Ab Ae une possession d'une durée illimitée ou de «près de trente ans »; que les juges du fond qui, au surplus, ne l'ont fait bénéficier que de la prescription décennale, n'ont donc pas encouru le grief de dénaturation;
Qu'ainsi le moyen, en sa seconde branche, manque en fait;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Azoulay.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats: MM. Ayoub, Bliah.
Observations
I et II.-L'arrêt rapporté offre un bon exemple de la différence existant entre, d'une part la dénaturation des faits, trop souvent invoquée par les plaideurs en méconnaissance du rôle dévolu au juge de cassation, et d'autre part la dénaturation de documents ou de témoignages précisés par le demandeur et considérés comme déterminants par la décision attaquée.
Le moyen en sa première branche était irrecevable puisqu'il tendait seulement à remettre en discussion les conséquences de fait que les juges d'appel avaient tirées de l'ensemble des témoignages et documents versés aux débats, sans que soit invoquée la dénaturation de tel ou tel d'entre eux en particulier, ni à plus forte raison que soit précisé en quoi elle consistait.
La seconde branche, au contraire, était à priori recevable; en effet elle visait expressément la dénaturation de dépositions déterminantes recueillies au cours de l'enquête : le demandeur soutenait que les juges d'appel s'étaient fondés à tort sur l'unanimité des témoignages concernant la possession de son adversaire puisque, affirmait-il, un seul d'entre eux avait attesté l'existence de cette possession. Mais en se reportant, comme elle en avait dès lors le droit et le devoir, aux dépositions ainsi visées, la Cour suprême a constaté que, contrairement à ce que prétendait le demandeur, tous les témoins entendus avaient effectivement affirmé l'existence de la possession contestée. Le moyen manquait donc en fait.
Sur le rôle respectif du juge du fait et du juge de cassation en matière de dénaturation, v. notamment : Besson, n. 1504 et s. et T. I, note sous l'arrêt n°126, p. 227.