205-62/63 28 mai 1963 11 704
Ahmed ben Kaddour ben Larbi c/société «African-Embal» et autres.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 19 mai 1962.
La Cour,
SUR LE DEUXIEME ET LE TROISIEME MOYENS :
Vu les articles 189 du dahir de procédure civile et 78 du dahir des obligations et contrats;
Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, les jugements et arrêts doivent contenir les motifs propres à les justifier; sue le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs;
Que d'après le second chacun doit répondre du dommage matériel et moral qu'il a causé par sa
faute;
Attendu qu'Ahmed ben Kaddour a assigné la société «African-Embal» et la Compagnie d'Assurances Générales en réparation du préjudice matériel et moral qu'il avait subi du fait du décès de son frère Mahjoub victime d'un accident de la circulation; que l'arrêt attaqué qui a accueilli sa demande ne lui a cependant accordé qu'une somme de un franc à titre de dommages-intérêts;
Attendu qu'au soutien de sa décision la Cour d'appel, par adoption de motif des premiers juges, se borne à relever qu'il n'était pas contesté que la victime était à la charge du demandeur, et que dès lors le préjudice subi par celui-ci n'était qu'un préjudice moral ne pouvant donner lieu qu'à une réparation de principe;
Or attendu que, d'une part, ce seul motif qui ne répond pas aux conclusions du demandeur tendant l'allocation d'une indemnité due à la victime pendant les quatre jours de sa survie et tombée dans le patrimoine de ses héritiers, et à la réparation du préjudice matériel résultant des frais consécutifs aux blessures et au décès de la victime, ne satisfait pas aux exigences du premier des textes visés au moyen;
Qu'en décidant, d'autre part, qu'un préjudice moral ne pouvait donner lieu qu'à une réparation «de principe» la Cour d'appel a faussement appliqué et donc violé le second de ces textes;
PAR CES MOTIFS
Et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen,
Casse.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. zamouth.__Avocat général : M. Neigel.-Avocats : MM. Cohen, Sabas.
Observations
I.-Les souffrances subies par la personne blessée font naître à son profit une créance indemnitaire contre l'auteur du dommage. Si la victime meurt avant d'avoir fait valoir ses droits à cet égard, sa créance tombe dans le patrimoine de ses héritiers qui peuvent, en cette qualité, en réclamer le paiement à la personne responsable (sur le cas où le décès de la victime a été instantané, v. T. I, arrêt n°59, p. 110 et la note).
Les héritiers peuvent d'autre part agir en réparation du préjudice moral et du préjudice matériel propres qu'ils ont personnellement subis du fait du décès de leur parent. Ce préjudice matériel peut résulter des dépenses entraînées par les blessures et le décès (frais médicaux et pharmaceutiques, frais d'obsèques) ou encore du manque à gagner lorsque la victime participait à l'entretien du demandeur.
En l'espèce la Cour d'appel ne pouvait évidemment se borner à constater que la victime était à la charge de son frère pour rejeter les demandes que celui-ci avait formées tant en qualité d'héritier qu'à titre personnel.
II.-La difficulté de procéder à l'évaluation pécuniaire d'un préjudice moral ne dispense pas les juges du fait d'apprécier in concreto, dans les limites de la demande dont ils sont saisis et compte tenu des circonstances particulières de la cause, l'importance réelle du préjudice, afin d'assurer non à titre de principe ou à titre symbolique, mais aussi exactement que possible sa réparation effective (v. C.S. crim. 19 déc. 1963, n°1522, Rec. IV, p. 173).