Abstract
Responsabilité de la puissance publique
Principes évoqués - Accident survenu dans le port - Explosion d'un navire indéterminée - Présomption de responsabilité du gardien du port - Cas fortuit exonérant le gardien du port - Absence de faute de service
Résumé
Il est constant qu'une explosion produite en juillet 1945 détruisant la goélette « l'Intermondia » laquelle était ancrée dans le port de Monaco où furent détectés, après la Libération, par la marine française des mines abandonnées laissées par les occupants ; que la propriétaire de la goélette détruite a intenté une action en responsabilité contre l'État en tant que gardien du port.
C'est à bon droit que les premiers juges ont admis que les principes posés en matière de responsabilité par les articles 1229 et 1231 du Code civil s'appliquaient à l'Administration comme aux particuliers, sauf à tenir compte des différences fondamentales qui séparent la personne publique de l'État, des personnes privées, des causes d'exonération particulières tenant à la nature des services publics et des circonstances de fait exceptionnelles en l'espèce.
Cette jurisprudence découle en partie de l'arrêt du Tribunal suprême du 25 avril 1950 dont les motifs touchant à la garde juridique du port de Monaco ne peuvent être sans influence dans le litige actuel. Il échet en conséquence de rechercher si la présomption de responsabilité qui pèse sur l'État monégasque, considéré comme gardien du port a été détruite par suite d'un cas fortuit ou de force majeure, et, si d'autre part il y a eu faute de la part de l'un de ses agents ou préposés.
La question de savoir si la destruction de l' « Intermondia » est due à une explosion interne ou externe n'a jamais été élucidée, malgré l'information minutieuse, suivie par M. le juge d'instruction de Monaco.
En effet, les experts Rimattei et Neu, ingénieurs de l'artillerie navale française, commis par le magistrat instructeur n'excluent pas formellement dans les conclusions de leur rapport du 15 janvier 1945 l'hypothèse d'une explosion provenant de l' « Intermondia » qui aurait, par influence, provoqué l'explosion d'une autre mine gisant au fond du port et considérée comme inerte ou inactive. Les experts des compagnies d'assurances, demanderesses au procès, ont de leur côté nettement conclu dans leur rapport du 1er février 1946 que « les dommages relevés tant sur le navire que sur le quai ont pour cause initiale une explosion partie de l'intérieur de l'»Intermondia« ».
Ainsi, il n'est pas absolument établi que la cause initiale et originaire de la catastrophe, en l'espèce la première des deux explosions qui se sont produites, soit due à l'éclatement d'une mine restée dans le port de Monaco.
Il est vrai que l'incertitude sur l'origine d'un dommage ne saurait être considérée comme une cause majeure d'exonération de responsabilité, mais en l'espèce les éléments de fait ci-dessus relevés, se rattachant au surplus aux opérations d'une guerre étrangère, forment un ensemble d'événements imprévisibles et inévitables qui constituent bien le cas fortuit, de nature à écarter les présomptions de responsabilité qui pèsent sur le gardien juridique du port.
Par ailleurs, aucune faute ou négligence ne peut être imputée au préposé de l'Administration.
En définitive l'Administration des Domaines ne saurait être valablement recherchée en raison d'une responsabilité de plein droit, qui est détruite par l'existence d'un cas fortuit, ni en raison d'une faute de service d'un de ses agents, laquelle n'est nullement établie.
Motifs
La Cour,
Statuant sur les appels interjetés :
1°) par la dame G. S., épouse séparée de biens du sieur Q. ;
2°) par les Compagnies d'assurances l'Unité et dix autres, d'un même jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance de Monaco, le 16 novembre 1950 qui les a déboutées de leurs demandes en paiement des dommages par elles attribués à l'explosion survenue le 2 juillet 1945 de la goélette « Intermondia » dans le port de Monaco ;
* En la forme :
Considérant que les appels dont s'agit, interjetés suivant les formes et dans les délais de la loi sont réguliers et recevables ; que ces instances tendant au même objet et portant sur les mêmes éléments sont connexes et qu'il y a lieu d'en ordonner la jonction pour être statué sur le tout par un seul et même arrêt ;
* Au fond :
Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont admis que les principes posés en matière de responsabilité par les articles 1229 et 1231 du Code civil (correspondant aux articles 1382 et 1384 français) s'appliquaient à l'Administration comme aux particuliers, sauf à tenir compte des différences fondamentales qui séparent la personne publique de l'État, des personnes privées, des causes d'exonération particulières tenant à la nature des services publics et des circonstances de fait exceptionnelles en l'espèce ;
Que cette jurisprudence découle en partie de l'arrêt du Tribunal suprême du 26 avril 1950 dont les motifs touchant la garde juridique du port de Monaco ne peuvent être sans influence dans le litige actuel ;
Qu'il échet en conséquence de rechercher si la présomption de responsabilité qui pèse sur l'État monégasque, considéré comme gardien du port a été détruite par suite d'un cas fortuit ou de force majeure et si d'autre part il y a eu faute de la part d'un de ses agents ou préposés ;
Considérant qu'il est constant qu'à la fin des hostilités et dès la libération du territoire de la Principauté et de son port, le Gouvernement monégasque s'est efforcé, malgré les difficultés se rattachant à l'état de guerre bien qu'il eut été non belligérant, de faire repérer les mines qui avaient été jetées dans les eaux du port par les troupes allemandes ou italiennes, notamment au moment de leur départ, et de les faire détruire en faisant appel aux spécialistes les plus compétents de l'époque, à savoir ceux de la Marine nationale française, laquelle au surplus assurait alors la police de la navigation dans le secteur côtier de Monaco ; que le rapport du Commandant du port à M. le Conseiller de gouvernement pour les travaux publics en date du 9 juillet 1945 et les documents officiels versés aux débats attestent que les déminages successifs partiels furent effectués suivis d'un dragage magnétique et acoustique complet opéré le 19 février 1945 par les équipes de la marine française, à la suite desquelles opérations il fut admis qu'il n'existait dans le port, notamment le long du Quai du commerce que des mines inertes, soigneusement repérées et qui furent signalées à l'autorité maritime voisine ;
Que le caractère inoffensif de ces engins fut confirmé par le fait que dans la nuit du 23 au 24 avril 1945 un bateau-torpille vint exploser au dessus d'eux sans qu'aucune réaction se soit produite ;
Qu'enfin les 3 et 6 mai 1945 deux navires de guerre français le chasseur « 125 » et le torpilleur « Tempête » vinrent, sans incidence évoluer et l'un d'eux s'amarrer aux lieux mêmes où, deux mois plus tard, devait se produire l'explosion de l'Intermondia.
Considérant d'autre part que la question de savoir si la destruction de l'Intermondia est due à une explosion interne ou externe n'a jamais été élucidée, malgré l'information minutieuse, suivie par M. le Juge d'instruction de Monaco.
Qu'en effet les experts Rimattei et Neu, ingénieurs de l'artillerie navale française, commis par le magistrat instructeur n'excluent pas formellement dans les conclusions de leur rapport du 15 janvier 1946 l'hypothèse d'une explosion provenant de l'Intermondia qui aurait par influence provoqué l'explosion d'une autre mine gisant au fond du port et considérée comme inerte ou inactive.
Que les experts des Compagnies d'assurances, demanderesses au procès, ont de leur côté nettement conclu dans leur rapport du 1er février 1946 que « les dommages relevés tant sur le navire que sur le quai ont pour cause initiale une explosion partie de l'intérieur de l'Intermodia » ;
Qu'ainsi il n'est pas absolument établi que la cause initiale et originaire de la catastrophe, en l'espèce la première des deux explosions qui se sont produites, soit due à l'éclatement d'une mine restée dans le port de Monaco ;
Considérant, il est vrai, que l'incertitude sur l'origine d'un dommage ne saurait être considérée comme une cause majeure d'exonération de responsabilité, mais qu'en l'espèce les éléments de fait ci-dessus relevés se rattachant au surplus aux opérations d'une guerre étrangère forment un ensemble d'événements imprévisibles et inévitables qui constituent bien le cas fortuit de nature à écarter les présomptions de responsabilité qui pèsent sur le gardien juridique du port ;
Considérant d'autre part qu'aucune faute ne saurait être reprochée aux préposés de l'Administration, et spécialement au Commandant du port, qui avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour déminer le plan d'eau et qui, après le dragage effectué par la marine française, était, comme cette dernière, convaincu de l'efficacité de l'opération ;
Qu'il est constant que, par surcroît de précaution, la Capitainerie du port en interdisait l'accès aux navires à fort tirant d'eau ; que tel n'était pas le cas de l'Intermondia, goélette en bois tirant 3m15 à 3m20, alors que le fond est à 7 ou 8 mètres, au Quai de commerce et va jusqu'à 30 mètres et plus à mesure que l'on se rapproche de la passe ;
Que par ailleurs elle avait mis le capitaine de l'Intermondia au courant de la présence de la zone dangereuse (voir rapport du commandant de la Marine à Nice au contre-amiral Préfet maritime de Toulon du 3 juillet 1945 et le rapport du Commandant L. du 9 juillet 1945) ; qu'au surplus l'Intermondia n'était pas à quai, là précisément où se trouvaient les mines, mais à 15 mètres de la terre lorsqu'il a explosé pour une cause qui a été à juste titre qualifiée de mystérieuse par les premiers juges ;
Qu'enfin l'autorité maritime française qui connaissait l'existence des mines d'après les renseignements qui lui avaient été fournis le 1er janvier 1945 en réponse au questionnaire par elle adressé à l'Administrateur des Domaines de la Principauté, n'en autorisait pas moins ses bâtiments légers de guerre ou de commerce à se rendre dans le port de Monaco, ce qui impliquait suffisamment qu'elle ne le considérait pas elle-même comme dangereux ;
Qu'ainsi aucune faute ou négligence ne peut être imputée au préposé de l'Administration ;
Considérant en définitive que l'Administration des Domaines ne saurait être valablement recherchée en raison d'une responsabilité de plein droit qui est détruite par l'existence d'un cas fortuit ni en raison d'une faute de service d'un de ses agents, laquelle n'est nullement établie ;
Qu'il échet en conséquence de confirmer dans toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Et ceux des premiers juges,
En la forme :
* Reçoit les appels ; en ordonne la jonction ;
Au fond :
* Les dits non fondés ;
Et rejetant comme inutiles ou non fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ;
* Confirme le jugement entrepris lequel sortira son plein et entier effet ;
* Condamne les appelants à l'amende et aux dépens, distraits au profit de Maître Notari, avocat-défense en la cause sous sa due affirmation.
Composition
MM. De Bonavita, prem. prés. ; Brunhes, prem. subst. proc. gén. ; Mes Raybaudi, Jioffredy, av. déf. ; Bonello, av. bar. de Nice, Scapel, av. bar. de Marseille.
Note
Cet arrêt confirme un jugement du Tribunal de première instance du 16 novembre 1950.
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