Abstract
Appel civil
Ministère Public - Action d'office - Ordre public - Recevabilité.
Commission arbitrale des loyers commerciaux - Compétence.
Baux commerciaux
Commission arbitrale des loyers commerciaux - Compétence - Procès-verbal de non-conciliation.
Résumé
Le Ministère Public dispose au civil de l'action d'office lorsque l'ordre public est en jeu.
La Cour d'appel, saisie d'une décision de la Commission arbitrale des loyers commerciaux, n'est compétente que dans la mesure où l'est également cette juridiction d'exception.
La Commission arbitrale des loyers commerciaux ne peut statuer sur un différend étranger à celui mentionné au procès-verbal de non-conciliation.
Motifs
La Cour,
Statuant sur l'appel interjeté par Monsieur le Procureur Général de la Principauté de Monaco à l'encontre d'une décision rendue le vingt-trois juin mil neuf cent-soixante-neuf par la Commission Arbitrale des Loyers commerciaux, dans un différend intervenu entre le sieur M. et Monsieur le Maire de Monaco, aux termes de laquelle a été fixée à cinq mille francs par an à compter du premier juillet mil neuf cent soixante-huit, le loyer que M. devra payer à son bailleur le Maire de Monaco, pour le local commercial qu'il occupe ;
Considérant que, bien qu'étranger en 1re instance, à ce litige, Monsieur le Procureur Général, agissant par voie d'action, fait grief à la juridiction qui a prononcé de ne pas s'être déclarée incompétente et demande à la juridiction d'appel de réformer sur ce point la décision des premiers juges ;
Que Monsieur le Maire de Monaco s'en rapporte à justice ;
Que M. oppose l'irrecevabilité de l'action intentée par l'appelant et invoque à cet égard un certain nombre de moyens énumérés au dispositif de ses conclusions du seize février mil neuf cent soixante-dix ;
Que par ailleurs Monsieur le Procureur Général sollicite le bâtonnement dans les conclusions du vingt-sept avril mil neuf cent soixante-dix de Me Lorenzi, avocat-défenseur de M., de deux phrases qui constituent, selon lui, des imputations graves contre l'honneur et la réputation du Parquet Général ;
Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de ce qu'en dehors d'un texte formel qui n'existe pas dans le cas d'espèce, Monsieur le Procureur Général ne peut agir par voie d'action ;
Considérant que les parties ayant préalablement convenu de ne porter d'abord devant la juridiction d'appel que la discussion sur la recevabilité de l'appel et de ne pas aborder actuellement le fond du litige, il n'y a lieu d'examiner, en l'état, que le point de savoir, si, d'une façon générale, le Ministère Public - en se targuant, comme il entend le faire, en l'espèce, de la défense de l'ordre public - peut utiliser la voie de l'action principale, droit que lui dénie l'intimé M. ;
Considérant à cet égard, que le texte applicable antérieurement à la loi du quinze juillet mil neuf cent soixante-cinq, sur l'organisation judiciaire, c'est-à-dire l'article 67 de l'Ordonnance du dix juin 1859 sur l'ordre judiciaire disposait en son deuxième alinéa « ils (les officiers du Ministère Public) n'agissent d'office (au civil) que dans les cas spécifiés par la loi » ;
Que cette rédaction proche de celle du premier alinéa de l'article 46 de la loi française du vingt avril mil huit cent dix, compte tenu supplémentairement de l'analogie existant entre l'alinéa 1er de l'article 63 de ladite ordonnance et l'alinéa 2 de l'article 46 de la loi française susvisée, était alors de nature à justifier des controverses sur l'opportunité d'étendre à Monaco l'interprétation extensive donnée par les juridictions françaises au texte de l'article 46 de la loi du 20 avril 1810 ;
Qu'il convenait en effet, d'apprécier si la rédaction utilisée par le législateur monégasque (n'agissent d'office que...), en ce qu'elle était plus restrictive que celle du législateur français (agissent d'office dans les cas...) n'impliquait pas l'interdiction faite au parquet d'agir au civil par voie d'action à défaut d'une disposition légale ;
Considérant qu'il n'en est plus ainsi depuis que la loi du 15 juillet 1965 en son article 73, a substitué au 2e alinéa de l'article 67 susvisé, la rédaction suivante « Ils (les officiers du Ministère public) agissent d'office (au civil) lorsque l'ordre public le commande » ;
Que se trouve désormais vidée d'intérêt la controverse sur l'étendue en la matière des droits du Ministère public quand la voie d'action n'est stipulée par aucun texte, puisque le législateur monégasque a introduit dans la loi nouvelle l'essentiel de la jurisprudence française sur la question, à savoir le droit d'action d'office du Parquet quand l'ordre public est en jeu ;
Qu'il convient, en conséquence, de rejeter ce moyen d'irrecevabilité ;
Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'incompétence de la juridiction d'appel pour connaître du litige ;
Considérant que la Cour, saisie en appel d'une décision de la commission arbitrale des loyers commerciaux, n'est compétente que dans la mesure où l'est également cette juridiction d'exception ;
Que selon l'alinéa 1er de l'article 6 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, sur les loyers commerciaux, la Commission arbitrale ne peut statuer que sur le différend dont elle a été saisie par le procès-verbal de non-conciliation visé aux articles qui précèdent l'article 6 ;
Considérant que le procès-verbal dont il s'agit, dressé le sept mai mil neuf cent soixante neuf devant le Président du Tribunal civil de Première Instance, n'a trait qu'à un différend entre M. et le Maire de Monaco relatif au montant annuel du loyer ;
Que par ailleurs, pour faire reconnaître l'incompétence de la commission, l'appelant appuie sa demande sur un motif qui en est le soutien nécessaire, à savoir l'inapplicabilité de la loi n° 490 aux locaux auxquels se réfère la décision litigieuse ;
Qu'il ne pourrait, en conséquence, être statué sur la compétence de la Commission arbitrale quant au litige qu'elle a tranché, qu'après avoir préalablement jugé sur la nature juridique des rapports existant entre M. et le Maire de Monaco, eu égard auxdits locaux ;
Qu'un tel litige en ce qu'il est étranger au différend mentionné au procès-verbal de non-conciliation, ne pouvait pas relever de la compétence de la Commission et ne peut davantage être examiné par la Cour ;
Qu'il échet, en conséquence, de faire droit audit moyen invoqué par M. et de déclarer irrecevable l'appel de M. le Procureur Général ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dès lors, d'examiner les autres moyens, qui ne sont que les divers autres supports de l'exception d'irrecevabilité chef unique de la défense, et dont l'introduction au dispositif des conclusions de l'intimé ne saurait altérer la nature juridique ;
Sur la demande de bâtonnement ;
Considérant qu'il est reproché à Maître Lorenzi, avocat-défenseur de M., d'avoir écrit dans ses conclusions du vingt-sept avril mil neuf cent soixante-dix :
« Il n'y a dans ce débat, si ce n'est la hâte et les intérêts occultes privés, aucune urgence véritable » ;
« Une bonne administration de la justice passe bien avant de pareils intérêts, au surplus non avoués, ni présents aux débats » ;
Vu les termes de l'article 15 de l'Ordonnance du 9 décembre 1913 sur l'exercice et la discipline de la profession d'avocat-défenseur et de l'article 44 de l'Ordonnance du 3 juin 1910 sur la liberté de la presse ;
Considérant que la première phrase en cause comporte un élément principal à l'égard duquel tout grief est exclu « Il n'y a dans ce débat aucune urgence véritable » et une incidente « si ce n'est la hâte et les intérêts occultes privés » ;
Que ce dernier membre de phrase ne peut s'entendre qu'en ce sens « Les seuls qui ont hâte de voir aboutir cette affaire sont ceux qui y ont des intérêts occultes privés » ;
Que l'affirmation à la fin de la deuxième phrase que ces intérêts privés ne sont pas présents aux débats, ne contient que la constatation d'un fait ;
Que l'on ne peut trouver ni dans le mot « occulte » de la première phrase, ni dans les mots « ni avoués », de la seconde, injure, outrage, diffamation ou personnalité offensante à l'égard du Parquet Général, dont l'intervention dans l'espèce - dont aucun de ces termes ne met explicitement en cause l'inspiration - peut parfaitement coïncider avec l'existence d'intérêts privés pressés de voir juger le litige et désireux de demeurer occultes ;
Que l'on ne peut pas davantage reprocher à Me Lorenzi des sous-entendus, le sens de ces écrits ne comportant aucune ambiguïté et le souci de l'avocat-défenseur ayant été visiblement d'informer le Juge des tractations qui seraient en cours quant à l'avenir des marchés de Monaco ;
Qu'il échet, en conséquence, de rejeter la demande de bâtonnement ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
Dit irrecevable l'appel de Monsieur le Procureur Général ; dit qu'il n'y a pas lieu à bâtonnement des conclusions de Me Lorenzi ;
Rejette en tant que de besoin comme inutiles ou mal fondées toutes autres conclusions plus amples ou contraire des parties ;
Composition
MM. Cannat, pr. prés., Barbat, pr. subst. proc. gén., MMe Lorenzi, Raybaudi, av. déf., Boeri, av.
Note
Voir Cour de révision, 2 novembre 1976, Procureur général c. Maire de Monaco et a. et la note qui lui est attachée en document associé.
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