Abstract
Baux commerciaux
Commission arbitrale des loyers commerciaux - Compétence - Procès-verbal de non-conciliation - Existence ou nature du bail.
Résumé
La commission arbitrale des loyers commerciaux ne peut, d'une part, statuer que sur le différend dont elle a été saisie par le procès-verbal de non-conciliation, d'autre part, trancher les contestations relatives à l'existence ou à la nature du bail, lesquelles ressortissent à la compétence du juge de droit commun.
Motifs
La Cour,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme par la Société Civile Immobilière J. R., d'un jugement rendu le douze juin mil neuf cent soixante-huit, par la Commission arbitrale des loyers commerciaux, lequel a dit que le bail commercial à durée déterminée consenti par ladite Société à M. G. et qui venait à expiration le trente septembre mil neuf cent soixante-sept, après une période de neuf ans, s'est trouvé renouvelé pour une durée égale à ses conditions anciennes, hors le prix, a déclaré M. G. fondée en sa demande, telle que résultant notamment de ses dernières conclusions et rejeté la demande en refus de renouvellement de bail opposé par la Société J. R. ; a enfin désigné Monsieur Roussel comme expert, avec la mission de rechercher la valeur locative équitable du local commercial ;
Considérant que la Société J. R. fait grief à la décision attaquée, à titre principal, d'avoir accueilli la demande de M. G., alors que la Commission arbitrale était incompétente pour en connaître et, à titre subsidiaire, d'avoir jugé que la Société bailleresse était déchue de son droit de s'opposer au renouvellement, en raison du silence dans lequel elle avait persisté au-delà du trente septembre mil neuf cent soixante-sept, date d'expiration du bail, qu'elle soutient à l'appui de son appel que M. G. l'avait appelée en conciliation le sept avril mil neuf cent soixante-sept, « pour avoir renouvellement de son bail » ; que cette convocation en justice impliquait nécessairement le refus auquel ladite M. G. s'était heurtée pour obtenir ce renouvellement ; que le huit novembre mil neuf cent soixante-sept, devant le magistrat conciliateur, M. G. n'avait pas modifié sa demande initiale et s'était bornée, devant le refus cette fois explicite du bailleur, de faire toutes protestations et réserves ; que sortant ensuite de ce cadre bien délimité, de la procédure de conciliation, elle allait soutenir, pour la première fois devant la Commission arbitrale, que son bail se trouvait renouvelé de plein droit depuis le premier octobre mil neuf cent soixante-sept ; que la Commission arbitrale ne pouvait accueillir cette demande sans se heurter aux dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, qui limite sa compétence au différend dont elle a été saisie par le procès-verbal de non-conciliation ;
Considérant que la Société J. R. soutient encore que le droit, pour le locataire, d'obtenir le renouvellement de son bail implique en contre partie que le propriétaire puisse s'opposer à ce droit ; que le jugement entrepris a créé, sans motif valable, une situation dans laquelle le propriétaire est déchu de son droit de s'opposer au renouvellement du bail ; qu'elle ajoute enfin que la loi ne soumet à aucune forme particulière la manifestation de cette opposition ; qu'en l'espèce, il s'agissait d'un bail écrit, à durée déterminée et qu'en application de l'article 1577 du Code civil, le bail cessait de plein droit à l'expiration du terme fixé, sans qu'il fut nécessaire de donner congé ;
Considérant qu'elle demande, en définitive, à titre principal, de dire que par « demande » de dame G. il faut exclusivement entendre sa demande de renouvellement de bail, telle que formulée à l'occasion de la procédure de conciliation ; que devant le magistrat conciliateur, M. G. n'a opposé aucun moyen d'irrecevabilité au refus de la Société J. R. de renouveler le bail ; que la Commission arbitrale ne pouvait examiner que la demande initiale de M. G. et n'avait pas compétence pour juger sur une autre demande, en particulier sur celle qui, tenant le bail litigieux pour renouvelé, excluait la recevabilité d'un refus de renouvellement de la part du propriétaire ;
Considérant qu'à titre très subsidiaire, la Société J. R. demande encore de juger que l'attitude de M. G. impliquait le refus pour son bailleur de renouveler le bail ; que ce bail prenait fin à son terme sans qu'il fut besoin de congé et qu'il y avait lieu, en conséquence, de désigner un expert pour examiner, évaluer et décrire l'offre de règlement faite à M. G. ;
Considérant que cette dernière conclut à la confirmation de la décision entreprise ;
Considérant que M. G. occupe dans l'immeuble sis à Monte-Carlo, un local à usage commercial suivant un bail sous seing privé en date du quatre novembre mil neuf cent vingt-deux, pour une durée de trois, six ou neuf années consécutives au gré du seul preneur ; que ce bail a été régulièrement renouvelé depuis et prenait fin le trente septembre mil neuf cent soixante-sept ; que la Société J. R., actuel propriétaire se proposant de démolir l'immeuble pour le remplacer par une construction nouvelle, n'encaissait plus les loyers depuis l'année mil neuf cent soixante et un et que ceux-ci étaient consignés par la locataire ; qu'elle n'adressait à cette dernière, ni le congé destiné à mettre fin au bail, ni le préavis de l'article 16 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, ni aucune manifestation explicite de sa volonté de ne point renouveler le bail à son terme ; qu'en cet état, dame G. appelait son bailleur en conciliation le sept avril mil neuf cent soixante-sept, pour, selon l'avertissement délivré par le Greffe Général « avoir renouvellement du bail commercial concernant le magasin de fourrure de Mme G., bail venant à expiration conventionnelle le premier octobre mil neuf cent soixante-sept » ; que la tentative de conciliation ouverte le vingt-six avril mil neuf cent soixante-sept, devait se terminer sans succès le huit novembre seulement ; que le magistrat conciliateur, après avoir rappelé qu'il était saisi par la demande de M. G. en vue d'obtenir le renouvellement de son bail, constatait que la Société J. R. refusait ce renouvellement pour démolition et reconstruction de l'immeuble et contestait devoir l'indemnité d'éviction, puisqu'elle offrait le relogement pendant la durée des travaux ; que, de son côté, M. G. faisait, toutes protestations et réserves, d'une manière très générale et sans qualifier les moyens ou les arguments qu'elle opposait à son bailleur pour l'empêcher d'exercer son droit de refus ;
Considérant qu'il est également constant que le cinq décembre mil neuf cent soixante-sept, M. G. assignait la Société J. R. devant la Commission arbitrale, à l'effet de « constater que le refus de renouvellement opposé par ladite société étant intervenu postérieurement à la date d'expiration du contrat c'est-à-dire à un moment où le bail se trouvait renouvelé de plein droit, était aujourd'hui inopérant » ; qu'elle reprenait ce moyen dans ses conclusions du quatorze mars mil neuf cent soixante-huit ; qu'enfin dans des conclusions ultérieures du neuf novembre mil neuf cent soixante-huit, elle opposait à son adversaire le défaut du congé que celui-ci aurait dû lui adresser en vertu de l'article 1579 alinéa 3 du Code civil ;
Sur la recevabilité de l'action de M. G. ;
Considérant que la Commission arbitrale a compétence pour connaître des difficultés s'élevant entre le propriétaire et le locataire, à l'occasion de l'exercice, par celle-ci, de son droit au renouvellement du bail ; qu'elle ne peut, d'une part, statuer que sur le différend dont elle a été saisie par le procès-verbal de non-conciliation et qu'elle ne peut, d'autre part, trancher les contestations relatives à l'existence ou à la nature du bail ou encore à la détermination des rapports juridiques existant entre les parties eu égard au local litigieux lesquelles ressortissent à la compétence du juge de droit commun ;
Considérant, sur l'application de la première règle, que le magistrat conciliateur doit, en cas de désaccord entre les parties, faire consigner leurs prétentions, c'est-à-dire l'ensemble des résultats qu'elles espèrent obtenir, soit à titre principal, soit à titre incident, et dont la confrontation constitue le différend qui les oppose ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles 4 et 6 de la loi n° 490 que la Commission arbitrale puise dans le contenu du procès-verbal de non-conciliation, la connaissance du différend sur lequel elle a compétence pour statuer et qu'elle ne peut connaître d'un différend reposant sur des prétentions autres que celles qui ont été consignées au procès-verbal ; qu'il convient encore d'observer que le vœu de la loi, en instituant le préliminaire de conciliation, a été, d'une part, de permettre aux parties comme au magistrat chargé de les concilier, de connaître l'ensemble des éléments de leur opposition d'intérêts et d'éviter qu'en ignorant un de ces éléments, elles ne puissent exercer leurs droits en toute connaissance de cause ; d'autre part, de mettre en mesure la Commission arbitrale d'apprécier sans ambiguïté le mérite de la contestation tel qu'il existait entre les parties au moment où la tentative de conciliation a échoué ;
Considérant qu'en l'espèce, la prétention originaire de M. G. était « d'avoir le renouvellement de son bail » ; que le huit novembre mil neuf cent soixante-sept, devant le magistrat conciliateur, elle n'a pas opposé au refus de la Société J. R. une autre prétention déterminée ; qu'elle s'est bornée à exprimer très généralement des protestations et des réserves ; que pour la première fois devant la Commission arbitrale, elle a soutenu que la Société était déchue de son droit de s'opposer au renouvellement du bail parce qu'elle n'avait pas manifesté son intention avant la date d'expiration du contrat ; qu'elle demandait, en conséquence, à la Commission, de constater que le bail était renouvelé de plein droit ;
Considérant que cette dernière prétention n'avait pas été exprimée lors de la tentative de conciliation et ne figurait pas au procès-verbal ; qu'ainsi la Commission arbitrale était incompétente pour connaître de la demande de renouvellement de bail de M. G., sur le fondement de son assignation du cinq décembre mil neuf cent soixante-sept, et de ses conclusions ultérieures ; qu'il y a donc lieu de réformer la décision entreprise ;
Considérant qu'il n'est par ailleurs apporté aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
En la forme, reçoit la Société J. R. en son appel ;
Au fond, dit cet appel bien fondé ;
Réformant le jugement entrepris, dit que la Commission arbitrale des loyers commerciaux était incompétente pour statuer sur la demande de renouvellement de bail de M. G. sur le fondement de son assignation du cinq décembre mil neuf cent soixante-sept et de ses conclusions ultérieures ;
Renvoie cette dernière à se mieux pourvoir ;
Rejetant en tant que de besoin comme inutiles ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ;
Composition
MM. Cannat, prés., François, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquet et Lorenzi, av. déf.
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