Abstract
Action en justice
Recevabilité - Intérêt pour agir - Syndic de faillite - Inopposabilité à la masse d'une convention.
Faillite
Actif de la masse - Somme provenant d'un délit - Failli étranger au délit.
Paiement - Inopposabilité à la masse - Article 417 alinéa 3 du Code de Commerce - Caractère limitatif - Cession de créance.
Résumé
Le syndic d'une faillite a intérêt à agir et est donc recevable à faire déclarer inopposable à la masse une convention ayant eu pour effet de faire sortir à compter de sa date, du patrimoine du failli, une somme qui y était jusque là demeurée.
Si, dans certaines circonstances, la masse des créanciers d'une faillite ne saurait faire valoir des droits sur des sommes frauduleusement acquises par le failli et retrouvées en espèces dans le patrimoine de celui-ci, il ne saurait en être ainsi quand le failli n'a pas été l'auteur du délit commis par un tiers, antérieurement à l'appréhension régulière par le failli du bien dont l'appropriation lui est contestée.
Il résulte de l'article 417 alinéa 3 du Code de Commerce, dont les dispositions ont un caractère limitatif, qu'est nul et sans effet relativement à la masse, tout paiement intervenu dans la période suspecte quand la dette n'est pas échue et tout paiement fait autrement qu'en espèces ou en effets de commerce dans le cas contraire ; il en va ainsi, quelle que soit la qualification donnée par les parties à leur convention, dès lors que celle-ci s'analyse en une cession de créance au moyen de laquelle s'est effectué le paiement.
Motifs
La Cour,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme par la Caisse Régionale de Garantie des Notaires de la Cour d'appel d'Aix en Provence et la Société d'Assurances Winterthur, à l'encontre d'un jugement rendu le huit janvier mil neuf cent soixante-dix, par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel a déclaré inopposable à la masse des créanciers de la faillite S.M.F. la seule partie de la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept qui constitue le paiement d'une somme de un million de francs, a rejeté la demande de paiement assortie d'une astreinte initialement formée par le syndic O. et a dit que la somme de un million de francs virée le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit, en exécution de la convention sus mentionnée sera réintégrée au compte de la S.M.F. en l'étude du notaire A. et sera affectée, sans privilège de part ni d'autre, au paiement des créanciers d'A. lors de la réalisation de la valeur de l'étude ;
Statuant également sur l'appel incident régulièrement interjeté en la forme par le syndic O. à l'encontre de la même décision ;
Considérant que les appelants principaux font grief au jugement attaqué d'avoir déclaré inopposable à la masse partie de la convention dont il s'agit et que l'appelant incident fait grief aux premiers juges d'avoir limité l'inopposabilité au versement de la somme de un million de francs ;
Considérant, qu'aux termes de leurs dernières écritures, les appelants principaux demandent de juger :
qu'en l'absence de toute intention libérale, le protocole d'accord du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept est un acte à titre onéreux et que les engagements que chacune des parties y ont pris ont une cause effective,
Que faute de contestation sur ce point, est tenue pour acquise la date de la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six, adressée par D., Président de la S.M.F. à la Société d'Assurances Winterthur ;
Que dans la mesure où elle tend à obtenir le remboursement de la somme de un million de francs versée le douze mai mil neuf cent soixante-six, l'action du syndic est irrecevable, faute d'intérêt, le transfert de cette somme ayant été définitivement réalisé dès le seize mai mil neuf cent soixante-six, c'est-à-dire avant la période suspecte ;
Que les sommes obtenues par crime ou délit n'ont pu entrer légitimement dans le patrimoine du failli ; qu'elles ne sont jamais devenues propriété de la masse et qu'elles ne peuvent de ce fait être revendiquées sous quelque forme que ce soit par le syndic ni quiconque d'autre ;
Que le protocole du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept est constitutif d'une transaction et qu'en conséquence, il ne tombe pas lui-même sous le coup des inopposabilités de plein droit selon l'article 417 du Code de Commerce, ce texte étant d'interprétation stricte ;
Que les renonciations contenues dans ce protocole s'analysent en une répartition entre la S.M.F. et la Caisse de Garantie des notaires d'une partie du gage à des débiteurs communs ;
Que ces renonciations n'ont donné lieu et ne donnent lieu à aucun paiement, autrement qu'en espèces ou en effet de commerce et ne sauraient donc être soumises aux sanctions de l'article 417 du Code de Commerce ;
Considérant que l'appelant incident demande de dire :
que par application de l'article 417 du Code de Commerce, le procès-verbal d'accord du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, ainsi que les clauses, engagements, obligations et renonciations qu'il contient, doivent être déclarés nuls et de nul effet relativement à la masse des créanciers de la S.M.F. avec toutes les conséquences de droit ;
Que notamment, le virement effectué le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit en l'étude de Me A. de la somme de un million de francs, du compte de la S.M.F. au compte de la Caisse de Garantie des notaires et de la Société d'Assurances Winterthur, est nul tant pour avoir été ordonné par l'accord du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, que pour avoir été réalisé après le jugement déclaratif de faillite en date du vingt-et-un décembre mil neuf cent soixante-sept et qu'ainsi ladite somme devra être inscrite à nouveau au compte de la S.M.F. sous les conditions prévues au reçu du douze mai mil neuf cent soixante-six et à la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six ;
Qu'en conséquence, lors de la répartition du prix de cession de l'étude et des honoraires de Me A., chacune des parties fera valoir ses droits, moyens et actions, sans que la Caisse de Garantie des notaires et la Société Winterthur puissent se prévaloir de l'acte du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept ;
Considérant que dans le courant de l'année mil neuf cent soixante-cinq, un sieur A. qui se proposait d'acquérir une étude de notaire à Antibes, parvint par diverses manœuvres à capter la confiance des dirigeants de la S.M.F. banque monégasque, au point d'obtenir des avances excédant même le prix de l'étude et s'élevant à deux millions cinq cent vingt-huit mille huit cent trente-deux francs, six centimes ; que dès le lendemain de sa prestation de serment, A. déposait le vingt-neuf juillet mil neuf cent soixante-cinq, à la S.M.F. en un autre compte, les fonds des clients de l'étude, représentant plus de trois millions neuf cent mille francs ;
Que cependant, la Chambre départementale des Notaires, en une inspection du six août mil neuf cent soixante-cinq, relevait l'irrégularité de ce dépôt effectué hors d'un établissement français agréé et que le même jour, A. vidait, au moyen d'un chèque, ce second compte et transférait les fonds de ses clients à l'agence d'Antibes du Crédit Agricole Mutuel des Alpes-Maritimes qui en était créditée le neuf août ;
Que la S.M.F. privée de la garantie que ce second compte apportait au découvert personnel d'A., s'efforçait de ramener dans sa caisse une partie des fonds ; qu'à cet effet, D., Président de la S.M.F. obtenait notamment d'A. la remise, le seize septembre mil neuf cent soixante-cinq, un chèque de un million de francs, que le notaire tirait à nouveau sur le compte de ses clients, et d'un billet à ordre de cinq cent cinquante mille francs à échéance de fin octobre mil neuf cent soixante-cinq ;
Que les agissements frauduleux d'A. entraînaient l'ouverture, en France, d'une information au cours de laquelle étaient inculpés, outre lui-même et E., D. Président, et son neveu C., Directeur de la S.M.F. ;
Que sur l'intervention de ses conseils, verbale, puis par lettre du trente avril mil neuf cent soixante-six, adressée au Parquet de Grasse, D. remettait le douze mai mil neuf cent soixante-six à Maître G., gérant de l'étude A., un chèque de un million de francs, « pour être porté au compte de la S.M.F. en l'étude, conformément aux engagements pris par la lettre adressée au Parquet de Grasse, le trente avril mil neuf cent soixante-six » ;
Que le seize mai mil neuf cent soixante-six, D., comme Président de la S.M.F. écrivait à la Compagnie Winterthur, assureur de la Caisse Régionale de Garantie des Notaires de la Cour d'appel d'Aix, elle-même engagée à couvrir les détournements envers les clients, pour l'assurer que le million remis le douze mai, dans des conditions rappelées « ne sera pas retiré de la caisse de l'étude et constituera partie de la créance de la banque, exécutoire après la vente de l'étude et sur le montant de son prix sous réserve d'un recours complémentaire éventuel contre A. à titre personnel » ;
Qu'au lendemain de la remise du chèque, D. bénéficiait d'un non lieu ; qu'un autre non lieu ultérieur, en faveur de C. était frappé d'appel par la Caisse de Garantie, partie civile ; qu'un arrêt de la Chambre d'Accusation de la Cour d'Aix en Provence ordonnait un complément d'information à la suite duquel C. était renvoyé en Cour d'Assises avec A. et E. ;
Que peu avant la date de l'audience intervenait le vingt neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, un procès verbal d'accord entre la S.M.F. d'une part, la Caisse de Garantie et la Compagnie Winterthur de l'autre, ayant pour but essentiel et ayant eu pour effet d'obtenir le désistement de la constitution de partie civile de la Caisse ; qu'en cette convention un premier chapitre intitulé « Exposé » rappelle les faits et procédures et le dépôt d'un million au compte de la banque en l'étude ;
Qu'un deuxième, dit « Transaction » comporte trois engagements de la S.M.F. :
a) de remettre à la Winterthur un ordre donné à l'administrateur de l'Etude A. « d'opérer novation du dépôt en date du douze mai mil neuf cent soixante-six, de un million, en paiement au profit de la Caisse de Garantie et de la Winterthur » cet ordre devant, en outre, constater que la S.M.F. n'a plus aucun droit sur cette somme ;
b) de renoncer à toute somme devant lui être attribuée au moment de la distribution du prix de cession de l'étude tant que la Caisse et la Winterthur n'auraient pas récupéré, en sus du million ci-dessus visé, la somme de un million trois cent soixante mille deux cent cinquante francs, quarante et un centimes ;
c) de renoncer à tous droits sur les honoraires revenant à A. et qui ont été encaissés par l'administrateur de son étude jusqu'à la destitution d'A. ;
Qu'à ceci font suite les engagements pris, en contre partie, par la Caisse et la Winterthur :
a) de se désister de la constitution de partie civile en tant qu'elle était dirigée contre C. ;
b) de laisser à la S.M.F. le droit de récupérer les honoraires encaissés par l'Administrateur à partir de la destitution d'A. ;
Que la S.M.F. s'interdit enfin toute manœuvre tendant à priver la Caisse et son assureur du droit qu'elle leur reconnaît d'être payés par préférence et à concurrence de la somme indiquée, sur le prix de cession de l'étude, faute de quoi, ceux-ci seraient fondés à se considérer ses créanciers pour une somme totale de deux millions neuf cent trente huit mille deux cent deux francs, soixante et onze centimes, comprenant celle de un million sus visée ;
Que cet accord, considéré comme forfaitaire et définitif, a été exécuté : par la Caisse qui s'est désistée avant les débats de sa constitution de partie civile ; par D. qui donnait par lettre du trente novembre à l'administrateur de l'étude, conformément à la convention de la veille, l'ordre de débiter le compte de la S.M.F. du million correspondant au dépôt opéré le trente avril mil neuf cent soixante-six... manifestant ainsi son intention de transformer le caractère de dépôt affecté à ce versement en un paiement au profit de la Caisse de Garantie et de la Winterthur ; que ce virement de compte est intervenu le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit ;
Que devant les difficultés pécuniaires graves de la S.M.F., la Commission de contrôle des banques lui désignait le cinq décembre mil neuf cent soixante-sept, comme administrateur provisoire, Monsieur O., lequel en l'absence de fonds, fermait dès le lendemain les guichets et déposait le dix-huit décembre une requête tendant à obtenir le bénéfice de la liquidation judiciaire ; qu'en visant le retrait d'autorisation d'exploiter intervenu, le Tribunal, par jugement du vingt-et-un décembre mil neuf cent soixante-sept, déclarait la S.M.F. en état de faillite ouverte, désignait Monsieur O. comme syndic et fixait au six décembre mil neuf cent soixante-sept, la date de cessation des paiements ;
Considérant que le syndic O. fonde son action en inopposabilité de la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, sur les seules dispositions de l'alinéa 3 de l'article 417 du Code de Commerce, renonçant en appel, à soutenir que l'accord litigieux était intervenu à titre gratuit ; que par ailleurs, ne fait l'objet d'aucune contestation, la date de la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six, adressée par D. à la Société Winterthur ;
Sur la recevabilité de l'action du syndic :
Considérant que les appelants principaux dénient au syndic le droit d'agir, faute d'intérêt à faire déclarer inopposable à la masse une convention qui n'a pas eu pour résultat de distraire un million du patrimoine du failli, le transfert de cette somme étant intervenu dès le seize mai mil neuf cent soixante-six, c'est-à-dire près de dix-huit mois avant la date de la cessation des paiements ;
Considérant qu'effectivement le douze mai mil neuf cent soixante-six, D., pressé de prouver sa bonne foi, a remis à l'administrateur de l'étude A. en un chèque n° 040484 tiré sur la Compagnie Industrielle de Banque, la somme de un million de francs, correspondant au virement frauduleux que lui avait fait le notaire au mois de septembre précédent, en sorte que cette somme paraît à première vue, être sortie à cette époque du patrimoine de la S.M.F. ;
Que toutefois, le million dont s'agit n'a pas été, comme il eût dû l'être, restitué au compte « client » de l'étude, d'où il avait été malhonnêtement prélevé par A., mais a été porté « au compte de la S.M.F. en l'étude », ainsi qu'il est expressément stipulé sur le reçu n° 002582 remis par l'administrateur à D. ;
Qu'une telle affectation correspondait à la volonté du déposant ainsi qu'il résulte :
1° d'une lettre versée aux débats, adressée le cinq octobre mil neuf cent soixante-sept, par Me S., à son client D. « Je vous ai donné le conseil de restituer, au moins, provisoirement, à l'étude cette somme de un million ........ ces fonds sont donc à tout moment susceptibles d'être retirés par vous des caisses de l'étude ........ mais sur le plan pratique il serait tout à fait inopportun de procéder au retrait de la somme de un million de francs, tant que l'affaire n'est pas définitivement jugée.... » ;
2° d'une lettre versée aux débats, adressée le six mai mil neuf cent soixante-six, par Maître M. à son client D. « il est dès maintenant acquis que dès le reversement entre les mains de Maître G., administrateur provisoire de l'étude A., de la somme de un million de francs, correspondant au dernier paiement d'A. du seize septembre mil neuf cent soixante-cinq, une ordonnance de non lieu sera rendue en ce qui vous concerne ........ Bien entendu, cette remise sera portée à votre crédit dans les livres de l'étude ........ » ;
Qu'ainsi, le million litigieux continuait après la remise du chèque, à faire partie du patrimoine de la S.M.F. et n'avait fait l'objet que d'un dépôt en un compte de l'étude, à la fois distinct de celui du notaire et de celui des autres clients ;
Considérant que l'on ne saurait avoir égard à la discussion instaurée par les appelants principaux quant à l'impropriété du terme « compte », un compte supposant des remises dans les deux sens, alors d'une part, qu'il s'agissait d'un compte de dépôt et non d'un compte courant, et d'autre part, que l'ordre de virement donné par D. à l'administrateur de l'étude le trente novembre mil neuf cent soixante-sept, établit que le dépositaire pouvait, de toutes façons, disposer dudit compte tant pour le créditer que pour le débiter ;
Considérant que, probablement inquiète sur le sort du million apparemment restitué au notaire, mais juridiquement demeuré la propriété de la S.M.F., la Winterthur obtenait le seize mai mil neuf cent soixante-six, de D., l'assurance écrite que la somme ne serait pas retirée de la caisse de l'étude ;
Qu'il était toutefois stipulé, in fine, par D. que cette somme constituerait partie de la créance de la banque, exécutoire après la cession de l'étude et sur le montant du prix de celle-ci, sous réserve de l'éventuel recours complémentaire de la banque contre A., à titre personnel, en sorte que la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six, si elle bloquait provisoirement le million dans le compte de l'étude où il avait été versé, n'affectait en rien le droit de créance de la S.M.F. correspondant à cette somme ; qu'ainsi, si d'autres conventions n'étaient pas postérieurement intervenues entre les parties à la cause, le syndic eût pu - soit qu'il l'ait considéré comme un dépôt, soit comme un titre de créance sur le prix de cession de l'étude - faire figurer le million à l'actif de la faillite ;
Considérant cependant que dix-huit mois plus tard, à la veille de la comparution des accusés en Cour d'Assises, et en contre partie du désistement de la Caisse de Garantie et la Société Winterthur de leur constitution de partie civile à l'encontre de C., directeur de la S.M.F. et neveu de D., ce dernier a pris, au nom de la S.M.F. et à l'égard de la Caisse et de la Société d'Assurances, d'autres engagements contenus dans un procès-verbal d'accord en date du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept ;
Que cet accord dit « transaction » a consisté, en ce qui concerne le million litigieux à remettre à la Winterthur un ordre donné à l'administrateur de l'étude A. d'opérer « novation du dépôt précédemment effectué, en paiement au profit de la Caisse de Garantie et de la Société d'Assurances », l'ordre devant en outre constater que la S.M.F. n'avait plus aucun droit sur cette somme ; que l'ordre a été effectivement donné par D. le lendemain à Me G., de débiter le compte de la S.M.F. du million ; que D. y manifeste expressément son intention de transformer le caractère de dépôt, affecté à son versement antérieur, en un paiement au profit de la Caisse et de la Société d'Assurances ;
Que le virement de compte à compte, ordonné par D. a été effectué le vingt-trois janvier suivant ;
Considérant qu'il résulte de l'analyse ainsi faite des opérations intervenues à partir du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, que la « transaction » dont l'ordre et le virement ne sont que les suites matérielles, (ainsi qu'il en sera justifié plus loin), a eu pour effet de faire sortir le million litigieux du patrimoine de la S.M.F. alors qu'il y était jusque là demeuré ;
Que dès lors, et sans qu'il soit même nécessaire déjà de relever le préjudice supplémentaire résultant pour la masse des renonciations contenues dans la transaction, il convient de reconnaître au syndic O. un intérêt à agir en inopposabilité du protocole du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, et de rejeter l'exception d'irrecevabilité opposée par les appelants principaux ;
Sur l'exception tirée de ce que la somme litigieuse n'étant pas entrée légitimement dans le patrimoine du failli, n'a pu devenir propriété de la masse :
Considérant que les appelants principaux, tirent argument de ce que le million litigieux a été remis par A. à D., à l'occasion d'un délit, pour soutenir que cette somme n'avait pu entrer légalement dans le patrimoine de la banque S.M.F., en sorte qu'elle doit être distraite de l'actif de la faillite de ladite banque ;
Que nul n'a intenté à l'égard de cette somme une action en revendication contre le syndic ;
Considérant toutefois que dans certaines circonstances un syndic ne saurait faire valoir des droits sur des sommes frauduleusement acquises par le failli à l'occasion d'un délit et retrouvées en espèces, sommes qui n'ont pu devenir la propriété de la masse et qui appartiennent aux victimes de l'infraction commise ;
Mais que cette distraction trouve sa justification dans les dispositions des articles 13, 32 et 34 du Code pénal qui prévoient la restitution à la partie lésée des biens soustraits à son détriment, et qu'il ne saurait en être ainsi quand le failli n'a pas été l'auteur du délit, lequel a été commis par un tiers, antérieurement à l'appréhension régulière par le failli du bien dont on lui conteste l'appropriation ;
Qu'en l'espèce, l'infraction pénale a été commise par A., que D. a fait l'objet d'un non-lieu eu égard à son éventuelle complicité dans le détournement du seize septembre mil neuf cent soixante-cinq, des fonds de clients de l'étude à concurrence du million et que C. n'a pas été recherché et condamné à l'occasion de cet agissement ;
Qu'il ne saurait donc être retenu de l'exception soulevée que le million litigieux était entré illégalement dans le patrimoine de S.M.F. et que ce million ne saurait dès lors en être distrait antérieurement à la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept ;
Sur l'application de l'article 417 du Code de Commerce à la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept :
Considérant que cette convention est intervenue entre D., d'une part, la Caisse de Garantie et la Société Winterthur, d'autre part, moins de dix jours avant la date à laquelle le Tribunal a fixé la cessation des paiements de la S.M.F. ;
Considérant que l'article 417, alinéa 3 du Code de Commerce ne rend opposables à la masse s'ils sont intervenus pendant la période suspecte, que les paiements faits par le failli et tout à la fois, ont eu pour objet d'éteindre des dettes échues et ont été effectués en espèces ou en effets de commerce ;
Que le caractère limitatif, traditionnellement attaché à l'énumération de l'article 417, doit s'entendre en ce sens que demeure opposable tout acte qui n'étant pas visé aux trois derniers alinéas de ce texte, ne constitue ni un acte translatif de propriété à titre gratuit, ni un paiement, ni l'une des sûretés stipulées à l'alinéa final, mais que ce caractère limitatif ne saurait être pris en considération à l'égard des modes de paiement, en raison même de l'inclusion dans le texte de l'alinéa 3 des mots « ou autrement » ;
Qu'ainsi est nul et sans effet relativement à la masse, tout paiement quand la dette n'est pas échue et tout paiement fait autrement qu'en espèces ou en effets de commerce dans le cas contraire ;
Qu'il importe peu dès lors, que la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, s'intitule « protocole » et qu'il y soit fait état d'une « novation » ; qu'il suffit de rechercher si elle a constitué un paiement et dans l'affirmative si ce paiement a été fait en espèces ou en effets de commerce ; enfin, - mais seulement s'il y est attaché le caractère d'un paiement fait de telle façon - si la dette éteinte était échue ;
Considérant que la convention litigieuse contient, en ce qui concerne la S.M.F. d'une part l'engagement de remettre un ordre en faveur de ses partenaires, d'autre part, diverses clauses dont deux renonciations ;
I. - En ce qui concerne l'engagement de faire :
Considérant que cet engagement consiste en l'obligation que la S.M.F. s'impose, de donner à l'administrateur de l'étude A., l'ordre de payer à la Caisse de Garantie et à la Winterthur le million déposé le douze mai mil neuf cent soixante-six ; qu'il s'agit bien d'un paiement puisque tout à la fois :
le terme est utilisé et dans la convention (paragraphe a) et dans l'ordre délivré le lendemain ;
il est stipulé que l' « ordre opèrera novation du dépôt en un paiement » ;
la S.M.F. constate qu'elle n'aura plus aucun droit sur cette somme ;
que plus exactement la S.M.F. créancière de l'étude pour le million déposé, comme il était expliqué dans la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six, a, par la convention du dix-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept, promis de céder sa créance aux appelants principaux, afin que ceux-ci viennent à ses lieu et place lors de la distribution du prix de vente de l'office ;
que la clause a) s'analyse donc en une promesse de cession de créance au moyen de laquelle s'est effectué un paiement ;
que ce n'est, ni l'ordre postérieur, ni le virement terminal, qui a opéré la cession de créance, mais la convention elle-même puisque c'est elle qui a investi les appelants principaux des droits cédés sous la condition que chacune des parties au contrat satisfasse à ses propres obligations ; que la promesse bilatérale de cession d'une créance est parfaite entre le cédant et le cessionnaire, par le seul effet du consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix, l'accomplissement - intervenu en l'espèce - des conditions auxquelles était subordonnée la promesse de cession ayant eu pour conséquence de faire produire à la promesse tous les effets d'une cession pure et simple et de faire remonter ses effets rétroactivement au jour où la promesse a été consentie et acceptée ;
Considérant que le paiement ainsi effectué au moyen d'une promesse de cession de créance ne l'a été ni en espèces, ni en effets de commerce, mais par un virement interne de compte à compte effectué le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit par un jeu d'écritures ;
Qu'en conséquence, la clause a) de la convention litigieuse n'est pas opposable à la masse des créanciers de la faillite S.M.F. ;
II. - En ce qui concerne les autres clauses et renonciations :
Considérant que la partie de la convention désignée sous le vocable de « transaction » constitue un tout indivisible où l'ensemble des engagements de l'un des contractants a sa cause dans l'ensemble des engagements de l'autre ;
Qu'il n'est en effet pas possible de distinguer à quelle des stipulations de l'un correspond chacune des stipulations des autres ; que le désistement de la Caisse de Garantie et de la Winterthur et l'abandon à la S.M.F. des honoraires encaissés par l'Administrateur de l'étude à partir de la destitution d'A., constituent la contrepartie aussi bien de l'ensemble des trois engagements de la S.M.F. sus mentionnés, que des stipulations portées à l'un des derniers paragraphes de l'accord ;
Que telle a bien été la volonté des parties, en raison de la rédaction même de l'acte ;
Qu'au surplus cet état d'indivisibilité est reconnu dans leurs écritures d'appel tant par la S.M.F. (conclusions du seize novembre mil neuf cent soixante-dix p. 13 § 4) que par ses adversaires, conclusions du vingt-cinq février mil neuf cent soixante et onze p. 12 avant dernier alinéa mais que les parties en déduisent des conséquences opposées : l'une l'inopposabilité, les autres l'opposabilité, du tout ;
Considérant que la nécessité reconnue par tous les plaideurs de réserver un sort identique à l'ensemble des clauses de la convention, conduit à apprécier quelle a été dans l'intention des parties l'élément dominant de leur accord ;
Qu'en ce qui concerne l'appelant incident, il n'est pas douteux que cet élément est dans le désistement de ses co-contractants de la constitution de partie civile, à l'égard de C., que c'est un tel désistement que la S.M.F. a payé à la Caisse de Garantie et à la Winterthur ;
Que c'est ce paiement qui, dans l'intention de ces dernières, a constitué le motif déterminant de leur abandon ; mais qu'un tel paiement eût été singulièrement réduit en importance, si les deux créanciers principaux de l'étude étaient venus en concours sur le prix de cession, seul élément d'actif probable ; qu'en effet la S.M.F. - selon les indications non contestées des appelants principaux tirées de l'arrêt de la chambre d'accusation - est créancière pour une somme de deux millions cinq cent trente neuf mille huit cent neuf francs, cinquante-six centimes, et la remise de garantie selon ses affirmations, l'est pour une somme de deux millions neuf cent trente huit mille deux cent deux francs, soixante et onze centimes en y englobant la créance de un million cédée ;
Qu'ainsi, dans une distribution au marc le franc du seul actif probable du débiteur commun, les appelants principaux seraient venus à sensible équivalence avec l'appelant incident, de telle sorte que le prix payé pour le désistement eût été pratiquement réduit environ de moitié ;
Qu'il échet, dès lors, de considérer que les autres clauses de la convention - y comprises celles de renonciation à certains honoraires et la promesse finale incluse à l'acte - n'ont été que des modalités destinées à donner une pleine efficacité au paiement intervenu et qu'elles doivent, en conséquence, suivre le sort de celle constituant le but essentiel que les parties avaient en vue ;
Que ces clauses sont donc également inopposables à la masse ;
Sur les conséquences de l'inopposabilité à la masse en toutes ses clauses de la convention du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept :
Considérant que cette inopposabilité entraîne la nullité et l'absence d'effets relativement à la masse des créanciers de la faillite S.M.F., du virement effectué le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit ; que la somme virée doit être inscrite à nouveau au compte de la S.M.F. en l'étude A. sous les conditions stipulées au reçu du douze mai mil neuf cent soixante-six et à la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six ;
Que lors de la répartition du prix de cession de l'étude et des honoraires d'A., chacune des parties fera valoir ses droits, moyens et actions, sans que la Caisse de Garantie et la Winterthur puissent se prévaloir de l'acte du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept ;
Considérant qu'il n'est par ailleurs apporté aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
En la forme,
reçoit la Caisse Régionale de Garantie des notaires de la Cour d'Appel d'Aix, la Société d'Assurances Winterthur et O., es-qualités, en leur appel ;
Au fond,
Réformant pour partie le jugement déféré ;
Déclarant fondé l'appel incident et infondé l'appel principal ;
Dit recevable l'action d'O. es-qualités ;
Déclare inopposables à la masse des créanciers de la S.M.F. en faillite, toutes les clauses du procès-verbal d'accord intervenu le vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept et ce par application des dispositions de l'article 417, alinéa 3 du Code de Commerce ;
Dit qu'est nul et relativement à la masse le virement effectué le vingt-trois janvier mil neuf cent soixante-huit, en l'étude d'A. de la somme de un million de francs ;
Dit que cette somme sera inscrite à nouveau au compte de la S.M.F. en l'étude, sous les conditions prévues au reçu du douze mai mil neuf cent soixante-six, et à la lettre du seize mai mil neuf cent soixante-six ;
Dit que lors de la répartition du prix de cession de l'étude et des honoraires d'A., chacune des parties au présent procès fera valoir ses droits, moyens et actions, sans que la Caisse de Garantie des notaires et la Compagnie d'Assurances La Winterthur puissent se prévaloir de l'acte du vingt-neuf novembre mil neuf cent soixante-sept ;
Composition
MM. Cannat, prem. prés., François, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquet, av. déf. ; Boisson, Bargélini et Magagli, av.
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