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26/06/1972 | MONACO | N°25038

Monaco | Cour d'appel, 26 juin 1972, Ministre d'État c/ dame K.


Abstract

Locaux d'habitation

Local vacant - Droit de rétention - 1° Conditions d'exercice - 2° Besoins normaux du bénéficiaire - Définition.

Résumé

1° Le propriétaire qui entend conserver un local vacant pour l'occuper lui-même ou par ses ascendants ou descendants doit justifier qu'il tient ses droits soit d'une dévolution successorale, soit d'un acte ayant acquis date certaine depuis au moins trois ans au jour de la vacance et, en outre, que l'occupation alléguée répond à des besoins normaux ; ces dispositions, dérogatoires au droit de propriété,

sont d'interprétation restrictive.

2° Les besoins du bénéficiaire du droit de rétention ...

Abstract

Locaux d'habitation

Local vacant - Droit de rétention - 1° Conditions d'exercice - 2° Besoins normaux du bénéficiaire - Définition.

Résumé

1° Le propriétaire qui entend conserver un local vacant pour l'occuper lui-même ou par ses ascendants ou descendants doit justifier qu'il tient ses droits soit d'une dévolution successorale, soit d'un acte ayant acquis date certaine depuis au moins trois ans au jour de la vacance et, en outre, que l'occupation alléguée répond à des besoins normaux ; ces dispositions, dérogatoires au droit de propriété, sont d'interprétation restrictive.

2° Les besoins du bénéficiaire du droit de rétention doivent s'entendre, non seulement des conditions dans lesquelles il se trouve logé, mais encore des conditions plus générales de sa vie propre et de la vie des siens ; qu'il suffit donc au propriétaire d'établir que son besoin répond à un intérêt personnel et familial assez important pour pouvoir être considéré comme légitime, à l'exclusion de pures convenances privées ou de fraude aux droits d'autrui.

Motifs

La Cour,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme par Monsieur le Ministre d'Etat d'un jugement rendu le vingt-six janvier mil neuf cent soixante-douze par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel a jugé que dame D.-K. épouse K. remplissait les conditions légales pour exercer, en vue de son occupation personnelle, le droit de rétention sur l'appartement dont elle est propriétaire, 10, boulevard des Moulins, devenu vacant par le décès de son locataire ;

Considérant que Monsieur le Ministre d'Etat fait grief à la décision entreprise d'avoir accueilli dame D.-K. épouse K. en sa demande ;

Qu'il prétend que l'intimée n'est pas recevable à exercer le droit de rétention ou, du moins, que sa demande doit être rejetée en vertu d'une exception péremptoire de fond ;

Qu'il soutient que la demanderesse, dont le mari, industriel à l'étranger, vient d'être mis à la retraite, est actuellement domiciliée hors de la Principauté ; que la recherche du « besoin normal » du propriétaire ne peut se faire qu'en comparant le local où il habite avec celui qu'il désire reprendre ; que cette comparaison ne peut être faite qu'entre des appartements situés à Monaco et que, par conséquent le propriétaire doit habiter à Monaco au moment où il exerce le droit de rétention, pour satisfaire normalement à des besoins locatifs qui, par suite de diverses circonstances, n'étaient plus satisfaits ; qu'il serait en effet impossible de se livrer à des comparaisons entre des situations locatives dont l'une existerait à Monaco et l'autre, aux antipodes ;

Considérant que l'appelant fait encore grief au jugement attaqué d'avoir donné de l'expression « besoins normaux » une définition purement subjective, en admettant comme suffisant au sens de la loi le simple désir du propriétaire d'un appartement de venir habiter dans la Principauté, en constatant seulement qu'il n'y dispose d'aucun autre appartement que celui qu'il désire retenir et alors, de surcroît, qu'il demeure à l'étranger ;

Qu'il soutient à cet égard que l'alinéa troisième de l'article 6 de la loi 669, tel que modifié par la loi 888, en employant l'expression « besoin », se réfère à l'évidence et exclusivement, à des « besoins locatifs », caractérisés par des situations locatives concrètes, c'est-à-dire par le nombre de pièces d'un appartement ou sa situation dans l'immeuble ;

Qu'en appliquant l'adjectif « normal » au concept de « besoins » sur le plan locatif, le législateur, en précisant le critère légal, a permis aux tribunaux, comme à l'administration, en présence de la volonté du propriétaire d'exercer le droit de rétention, de comparer les besoins locatifs, pour distinguer ceux qui sont normaux de ceux qui ne le seraient point ;

Qu'en s'écartant de ce critère objectif pour se référer à un critère purement psychologique ou à des mobiles si respectables soient-ils, les juridictions aboutiraient à rendre pratiquement caduques les dispositions de l'article 6, alinéa 3, de la loi ;

Qu'en l'espèce, ce serait dénaturer cette dernière que d'assimiler à un besoin normal du propriétaire son simple désir de venir habiter à Monaco ;

Considérant que Monsieur le Ministre d'Etat demande, d'une part, de lui donner acte que l'exception d'irrecevabilité soulevée par lui devant les premiers juges est une exception péremptoire de fond ; de l'accueillir en cette exception ;

D'autre part, de juger que l'expression « besoins normaux » doit s'entendre comme « besoins locatifs normaux » ; que l'appréciation de ces besoins doit se faire concrètement par la comparaison entre la situation locative subie au moment où se manifeste la volonté d'exercer le droit de rétention et la situation locative souhaitée par celui qui prétend l'exercer ; que l'expression du simple désir par celui qui est propriétaire à Monaco, mais n'y demeure pas, de venir y habiter, ne caractérise pas le besoin normal ;

Qu'ainsi dame D.-K. épouse K. doit être déboutée de sa demande ;

Considérant que l'intimée conclut à la confirmation du jugement ;

Considérant que les deux griefs formés par l'appelant sont, dans ses dernières écritures, appuyés sur des moyens qu'il soutient indifféremment à l'appui de chacune de ses prétentions ; qu'il convient par conséquent de les soumettre à un seul et même examen ;

Considérant que, selon l'article 6 de l'Ordonnance-Loi 669 du dix-sept septembre mil neuf cent cinquante-neuf, modifiée par la loi 888 du vingt-cinq juin mil neuf cent soixante-dix, le propriétaire qui entend conserver un local vacant pour l'occuper lui-même doit justifier qu'il tient ses droits soit d'une dévolution successorale, soit d'un acte ayant acquis date certaine depuis au moins trois ans au jour de la vacance et, en outre, que l'occupation alléguée répond à des besoins normaux ;

Considérant que ce texte, dérogatoire au droit de propriété, doit être interprété restrictivement ; qu'il n'impose aucune autre condition à l'exercice du droit de rétention et que ce serait en tous cas y ajouter que d'exiger du propriétaire, comme le demande l'appelant, l'obligation d'habiter déjà en Principauté ; que, supplémentairement, la Constitution, qui garantit l'inviolabilité de la propriété, n'introduit pas de distinction entre les propriétaires, selon qu'ils résident ou non en Principauté ;

Considérant que la loi ne donne point d'autre qualificatif aux besoins du propriétaire que celui d'être normaux ; qu'en particulier, elle ne les définit pas comme des « besoins normaux locatifs », ainsi que le prétend le Ministre d'Etat, ce qui aboutirait encore à ajouter au texte une condition qu'il ne contient pas ;

Considérant que le législateur de mil neuf cent soixante-dix, dont l'intention libérale est incontestable, a volontairement remplacé l'exigence très stricte de « l'impérieuse nécessité » par celle, beaucoup plus large et plus facile à établir, de « besoins normaux » ; qu'il a ainsi laissé un large pouvoir d'appréciation au juge du fond ;

Considérant qu'en l'absence dans la loi de toute définition restrictive, les besoins du bénéficiaire du droit de rétention doivent s'entendre, non seulement des conditions dans lesquelles il se trouve logé, mais encore des conditions plus générales de sa vie propre et de la vie des siens ; que telle était d'ailleurs la référence à la notion jurisprudentielle française introduite par le Gouvernement dans l'exposé des motifs de la loi du vingt-cinq juin mil neuf cent soixante-dix ; qu'il suffit donc au propriétaire d'établir que son besoin répond à un intérêt personnel et familial assez important pour pouvoir être considéré comme légitime ; que sa prétention ne pourrait être rejetée que s'il poursuivait la satisfaction de pures convenances privées ou s'il agissait en fraude des droits d'autrui ;

Considérant qu'en l'espèce il n'est pas contesté que la demanderesse et son époux sont âgés respectivement de soixante et de soixante-cinq ans, qu'ils ont jusqu'à présent résidé à Strasbourg où le mari, qui exerçait la profession d'industriel, a été admis à faire valoir ses droits à la retraite le trente juin mil neuf cent soixante et onze ; que, dans ces conditions, et alors qu'il ne leur est pas reproché d'agir avec un esprit de fraude, l'intention manifestée, à leur âge, de quitter un pays au climat plus rude que celui de la Principauté, où ils désirent légitimement jouir de leur repos, correspond à un besoin normal au sens de la loi ;

Qu'il y a lieu, par conséquent, de confirmer la décision entreprise ;

Considérant qu'il n'est par ailleurs apporté aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

En la forme, reçoit Monsieur le Ministre d'Etat en son appel ;

Au fond, dit cet appel mal fondé, l'en déboute ;

Confirme le jugement entrepris ;

Composition

MM. Cannat, prem. prés., François, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boéri et Marquet, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25038
Date de la décision : 26/06/1972

Analyses

Immeuble à usage d'habitation ; Secteur protégé ; Droit des successions - Successions et libéralités ; Droit de propriété


Parties
Demandeurs : Ministre d'État
Défendeurs : dame K.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1972-06-26;25038 ?

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