Abstract
Chose jugée
Jugement interlocutoire - Objet - Moyens de preuve - Admissibilité ou rejet - Conditions nécessaires - Réunion - Question tranchée débattue - Autorité chose jugée (oui)
Actes de l'état civil
Généalogie - Registres de l'État Civil - Absence, destruction ou disparition - Articles 132 et 452 du Code Civil italien - Naissance, mariage et mort - Preuve par tous moyens
Résumé
Un jugement interlocutoire, s'il ne possède pas l'autorité de la chose jugée sur le fond du droit, possède, en revanche, cette autorité en ce qui concerne l'admissibilité ou la non-admissibilité de certains moyens de preuve. Les conditions exigées pour qu'une décision ait l'autorité de la chose jugée se trouvent réunies : identité de parties, d'objet et de cause. Enfin la question tranchée par le jugement dont s'agit a été débattue devant les premiers juges (1).
Une question de généalogie, comme celle de l'espèce, se distingue d'une question d'état en ce qu'elle a pour objet d'établir des relations de parenté très anciennes dont les preuves régulières sont, par la suite, impossibles à réunir et à ce qu'elle ne met pas en jeu l'état du successible mais tend seulement à déterminer son degré de parenté avec le de cujus.
L'article 452 du code civil italien permet la preuve de la naissance ou de la mort par tous moyens en cas de défaut, de destruction ou de disparition des registres de l'état-civil. L'article 132 du même code renvoie à l'article précité pour la preuve de l'existence du mariage. Dans ces cas, les actes religieux sont reconnus comme probants par les autorités judiciaires et administratives italiennes (2).
Motifs
LA COUR,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, en la forme, par la dame Z., Veuve G., d'un jugement rendu le 6 janvier 1972 par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel a déclaré la dame Z. mal fondée en son action, a homologué les conclusions du rapport d'expertise de Monsieur Villarem, a dit qu'en l'état de l'existence prouvée, dans le cadre de filiations légitimes continues d'héritiers au 6e degré de feu A. G., décédé intestat, la part héréditaire de sa veuve s'élève à la moitié de l'usufruit de la valeur représentative de sa succession immobilière à Monaco ; a débouté la dame Veuve G. de ses demandes tendant à l'attribution de la totalité de ladite succession ; a fait droit à sa demande subsidiaire tendant à voir assurer son usufruit partiel dans des conditions satisfaisantes ; a rapporté l'ordonnance d'envoi en possession du 14 mai 1959, et désigné Maître Rey, notaire, pour procéder, conformément aux dispositions qui précèdent, à la liquidation de la succession immobilière monégasque de feu G. ;
Considérant que l'appelante fait grief à la décision attaquée d'avoir favorablement accueilli la pétition d'hérédité des intimés, en admettant que les documents produits à l'expertise diligentée établissent leur qualité d'héritiers à un degré successible ; qu'elle demande le déboutement des intimés, faute par eux d'établir une filiation légitime continue dans la descendance, à partir de l'auteur commun, tant dans la branche paternelle que dans la branche maternelle ;
Considérant que les intimés sollicitent la confirmation du jugement entrepris ;
Considérant que la dame Veuve G. conteste la légitimité des filiations des piliers des deux branches paternelle et maternelle de son mari ; qu'elle soutient que le mariage d'A.-M. G. avec C. M., le 13 avril 1906, d'où sont issus les collatéraux de la branche paternelle, et celui de B. B. avec C. F. (30 septembre 1810) d'où sont issus les collatéraux de la branche maternelle l'ont été l'un et l'autre, non sous le régime du Code Napoléon, mais seulement devant un prêtre et n'ont pas pu conférer un caractère légitime aux enfants qui en sont nés ; que seules des filiations légitimes continues à tous les degrés de la parenté peuvent permettre une vocation successorale ;
Considérant que les intimés soutiennent que la question a déjà été tranchée par le jugement du 25 juin 1964, et l'arrêt confirmatif du 9 janvier 1967, et qu'il y a autorité de la chose jugée ;
Considérant que le jugement avant dire droit du 25 juin 1964 a désigné un expert avec mission de « rechercher et déterminer, au moyen des actes de l'état civil applicables ou, à leur défaut, justifier par tout moyen de preuve, ainsi que l'admet l'article 452 du Code civil italien, quel est le lien de parenté des divers demandeurs à l'égard de feu A. G. »,
Considérant que ce jugement contient également le motif suivant : « que les extraits de registres de paroisses concernant des actes antérieurs à l'institution de l'état civil qui est intervenue à des dates variables suivant les régions de l'Italie, mais a été générale à partir de 1864, doivent être considérés comme de valables moyens de preuve dans lesquels l'expert devra rechercher si la filiation légitime se poursuit de façon certaine et régulière dans les conditions dont se prévalent les demandeurs » ;
Considérant que l'arrêt du 9 janvier 1967 a confirmé ce jugement ;
Considérant que ces décisions ont définitivement tranché le point de savoir si les liens de parenté peuvent être établis autrement que par des actes de l'état civil, notamment par tout moyen de preuve et particulièrement par les registres des paroisses ;
Considérant que les questions définitivement résolues ont autorité de chose jugée, encore qu'elles l'aient été à l'occasion d'un jugement avant dire droit ;
Considérant qu'un jugement interlocutoire, s'il ne possède pas l'autorité de la chose jugée sur le fond du droit, en revanche, possède cette autorité en ce qui concerne l'admissibilité ou la non admissibilité de certains moyens de preuve ;
Considérant que les conditions exigées pour qu'une décision ait l'autorité de la chose jugée se trouvent réunies, à savoir qu'il y ait identité de parties, d'objet et de cause ; qu'il s'agit, en effet de régler la dévolution successorale de feu G. entre les mêmes parties, sa veuve et ses héritiers collatéraux ;
Considérant également que la question tranchée par le jugement du 25 juin 1964 a été débattue ; qu'en effet, dans ses conclusions en première instance du 5 juin 1964, la dame Veuve G. écrivait que « les actes religieux invoqués ne peuvent même pas être retenus comme un commencement de preuve nécessaire des liens de parenté » ;
Considérant qu'une question de généalogie, comme celle de l'espèce, se distingue d'une question d'état en ce qu'elle a pour objet d'établir des relations de parenté très anciennes, dont les preuves régulières sont par suite, impossibles à réunir, et en ce qu'elle ne met pas en jeu l'état du successible, mais tend seulement à déterminer son degré de parenté avec le de cujus ; qu'en effet, ce n'est pas l'état des collatéraux successibles qui serait mis en jeu, mais celui des descendants directs des piliers des deux branches ;
Qu'en admettant, même par impossible que ces enfants ne soient pas légitimes, cela n'aurait pas d'influence sur l'état de leurs descendants, qui ne seraient pas automatiquement à leur tour illégitimes ; qu'enfin, se trouvant au sommet de la pyramide généalogique la question de leur successibilité par rapport à leurs ascendants, ne pourrait pas se poser comme elle le pourrait s'ils se trouvaient à la base ;
Considérant que le jugement du 25 juin 1964 a définitivement tranché la question de l'application de l'article 452 du Code civil italien qui dispose « que s'il n'est pas tenu de registres, ou s'ils ont été détruits, ou s'ils ont disparu ou si pour quelque cause que ce soit ils manquent en tout ou partie, la preuve de la naissance ou de la mort pourra être donnée par tous moyens » ; que l'article 132 du Code civil italien renvoie à l'article 452, en cas de destruction ou de disparition des registres de l'état civil pour la preuve de l'existence du mariage ;
Considérant qu'il ne peut pas être soutenu que l'article 452 ne s'applique pas en cas d'absence des registres de l'état civil, car au moins pour la branche maternelle cette question ne se pose pas, puisque dans l'acte de paroisse du mariage de B. B. avec F. C., célébré le 30 septembre 1810 à Fossalta Maggiore il est indiqué qu'a été visé, au préalable, le certificat du mariage civil ; qu'il y a donc présomption de l'existence d'un mariage civil préalable, dont la trace ne peut pas être retrouvée par suite de l'ancienneté et de la disparition des registres de l'état civil anciens, lors des bombardements de Milan de 1943, ainsi qu'en attestent les autorités civiles italiennes ;
Considérant qu'au surplus, et pour affirmer la régularité du mariage de B. B. avec F. C., les intimés fournissent également les actes de décès de B. B. et de F. C., dans lesquels les défunts sont respectivement portés veuf de F. et épouse de B. ; qu'ils produisent aussi l'acte de naissance d'un de leurs enfants, G. L.-F. B., dans lequel celui-ci est déclaré fils de B. B. et de F. C. « mariés », et enfin l'acte de naissance de la grand-mère du de cujus, M., M. B., dans lequel elle est indiquée fille de B. et de F. C. « mariés » ;
Considérant, par ailleurs, que les intimés justifient par la production de plusieurs certificats de coutume que « l'autorité judiciaire et les autorités administratives italiennes ont toujours considéré comme probants les actes religieux pour la période d'inexistence ou de destruction des actes de l'état civil » ;
Considérant, dans ces conditions, qu'au moins les héritiers de la branche maternelle sont des successibles à un degré exigé par la loi, et que dès lors, la prétention de la dame Veuve G. est mal fondée ;
Qu'il convient donc de confirmer purement et simplement le jugement entrepris ;
Considérant qu'il n'est apporté, par ailleurs, aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
et ceux non contraires des premiers juges ;
En la forme, reçoit dame Z. Veuve G. en son appel ;
Au fond, dit cet appel mal fondé ;
Confirme le jugement du 6 janvier 1972 ;
Composition
MM. Cannat prem. pr., François prem. subst. gén., MMe Boisson et Boeri av. déf., Milhé et Chambraud (tous deux du barreau de Nice) av.
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