Abstract
Lettres de change
Défaut de provision - Tiers porteur - Mauvaise foi - Preuve non rapportée
Garantie
Action en garantie -Rapport fondamental - Nullité - Preuve non rapportée - Obligation - Extinction - Preuve non rapportée - Rejet (oui)
Résumé
La société qui a accepté une lettre de change ne pourrait se prévaloir du défaut de provision par elle invoqué qu'en établissant que le tiers porteur a acquis l'effet de mauvaise foi, c'est-à-dire en sachant pertinemment que le tireur ne fournirait pas la provision à l'échéance, preuve non rapportée en l'espèces.
Cette société, n'ayant rapporté la preuve ni de la nullité du rapport principal, d'ailleurs non invoquée, ni du fait qui aurait produit l'extinction de son obligation, n'a pas renversé la présomption résultant de l'article 86 du Code de Commerce et doit être déboutée de son action récursoire.
Motifs
LA COUR,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la S.A. « Le Palais de l'Automobile » d'un jugement du Tribunal de Première Instance de Monaco du 2 juin 1972 lequel, tout en écartant une demande en déclaration de faillite formée à son encontre, l'a condamnée à payer à la société « L. » la somme de 10 000 F, avec intérêts, montant d'une traite par elle acceptée, a déclaré fondé son recours en garantie exercé contre la faillite du tireur et l'a renvoyée, après paiement, à faire admettre sa créance au passif chirographaire de ladite faillite ; statuant également sur l'appel interjeté par le sieur O., es-qualités de syndic de la faillite de la société « Générale Automobile de Monaco » (ci-après désignée sous le sigle de G.A.M.), tireur de la traite dont s'agit ;
Considérant que l'appelant principal fait grief au jugement entrepris d'avoir admis que la société L. était un tiers porteur de bonne foi alors que la Banque Commerciale d'Italie qui détenait la traite litigieuse pour son compte ne l'a lui a remise qu'avec l'autorisation du syndic O., ce qui aurait dû l'inciter à demander à ce dernier tous renseignements utiles sur la nature de l'opération qui avait motivé l'émission et l'acceptation de la traite ; qu'elle conclut en conséquence à l'infirmation de la décision dont appel en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société « L. » le montant de l'effet litigieux ; qu'elle demande en outre qu'il soit jugé que la société « G.A.M. » qu'elle a appelée en intervention forcée à cet effet, est seule redevable envers la société L. du montant de ladite traite ;
Considérant qu'à titre subsidiaire, et pour le cas où il ne serait pas fait droit à son appel sur ce point, la société « Le Palais de l'Automobile » demande la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré fondé le recours exercé par elle contre la faillite de la G.A.M. pour le montant de la condamnation prononcée à son encontre et l'a renvoyée, après paiement, à faire admettre sa créance au passif chirographaire selon la procédure prévue à l'article 474 du Code de commerce ; qu'elle fait valoir à cet égard que la lettre de change litigieuse a été créée, avec trois autres, en paiement d'un lot de 5 voitures à elle vendues par la G.A.M. suivant convention du 31 janvier 1969 ; que par la suite la G.A.M. a repris les véhicules sans pour autant restituer l'effet contesté, contrairement à ce qui avait été stipulé ; qu'ainsi, en l'absence de toute valeur fournie, elle a payé pour le compte du tireur et que celui-ci doit en conséquence la garantir de ce chef,
Considérant que de son côté, le sieur O., es-qualité, critique le jugement entrepris d'avoir analysé comme une demande en garantie l'appel en intervention forcée formée par « Le Palais de l'Automobile » contre la « G.A.M. » alors que cette action qui n'avait d'autre objet « une fois seulement la faillite survenue, que d'opposer à la masse des créanciers l'exception prétendue qui n'avait pas été opposée au tireur, alors in bonis » aurait été de ce fait irrecevable ; qu'il fait valoir en outre que l'acceptation supposant la provision la motivation du jugement querellé concernant l'inexistence de cette provision au motif que les traites auraient constitué des actes simulés n'est pertinente ni en fait ni en droit, alors d'une part, que « le Palais de l'Automobile » a formellement reconnu qu'au moment de l'acceptation des traites la valeur fournie existait bien, et par conséquent la cause, et alors d'autre part que les délits ou les quasi-délits qu'un commerçant a pu commettre alors qu'il était in bonis ne sauraient être opposés à la masse ;
Considérant enfin que la société L. demande la confirmation de la décision dont appel en ce qu'elle a reconnu sa bonne foi et a condamné la société « Le Palais de l'Automobile » à lui payer le montant de la traite litigieuse ; que par ailleurs elle s'en rapporte à justice sur l'appel formé par le sieur O., es-qualités, contre « Le Palais de l'Automobile »,
Sur l'action de la société L. contre le Palais de l'Automobile
Considérant que le Palais de l'Automobile qui a accepté la lettre litigieuse ne pourrait se prévaloir du défaut de provision par elle invoqué qu'en établissant que le tiers porteur, en l'espèce la société L., a acquis l'effet de mauvaise foi, c'est-à-dire en sachant pertinemment que le tireur ne fournirait pas la provision à l'échéance ;
Considérant qu'une telle preuve n'est pas rapportée ; qu'au contraire, il est établi que la Banque Commerciale d'Italie détenait la lettre de change pour le compte de la société « L. » avant même la première réclamation du « Palais de l'Automobile » ; qu'en outre le tirage du tireur sur le tiré pouvait paraître vraisemblable en raison de leur appartenance à la même branche commerciale et des relations d'affaires existant entre eux ; qu'il échet en conséquence de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné « Le Palais de l'Automobile » à payer à la société « L. » le montant de l'effet dont s'agit ;
Sur l'appel en intervention forcée de la faillite de la « G.A.M. »
Considérant qu'en raison de la condamnation ci-dessus prononcée, il y a lieu de constater, sans même avoir à rechercher si elle était recevable, que la demande du « Palais de l'Automobile » tendant à se voir substituer purement et simplement la « G.A.M. » comme débitrice est devenue sans objet ;
Considérant qu'il échet en conséquence d'examiner l'appel en garantie formé, à titre subsidiaire, contre la « G.A.M. » dont la Cour, en l'absence de toute contestation relative à la nouveauté de la demande, est régulièrement saisie par l'effet de l'appel interjeté par le « Palais de l'Automobile » ;
Considérant que le tireur, pour renverser la présomption de provision édictée par l'article 86 du Code de commerce doit, soit prouver la nullité du rapport fondamental, soit établir la nature de l'opération en vue de laquelle il a donné son acceptation ainsi que le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation,
Considérant que « Le Palais de l'Automobile » qui ne se prévaut pas de la nullité du rapport fondamental soutient au contraire que la valeur fournie, constituée par le dépôt-vente d'un certain nombre de voitures constaté par l'acte du 31 janvier 1969 a disparu en raison de la reprise ultérieure desdites voitures par la « G.A.M. », reprise qui ne se serait pas accompagnée, de la restitution de l'effet litigieux,
Considérant que « Le Palais de l'Automobile » entend prouver cette reprise par la mention « retirés le 21 avril 1969 » portée au bas d'une lettre du 28 février précédent par laquelle la « G.A.M. » portait à sa connaissance qu'elle lui expédiait 4 véhicules,
Mais considérant d'une part, que rien n'établit que la convention du 31 janvier 1969 ait été la cause de l'émission de la lettre litigieuse qui, à s'en tenir à sa date non contestée, a été créée le 4 juin suivant, soit plus de 4 mois après,
Considérant d'autre part, que même à tenir ce fait pour établi, il n'est pas prouvé que l'acte du 31 janvier 1969 et la lettre du 28 février suivant, aient eu trait aux mêmes voitures ; qu'il apparaît au contraire que s'il en avait été ainsi, l'effet litigieux n'aurait pu être accepte en considération d'une valeur fournie qui, d'ores et déjà, avait cessé d'exister ;
Considérant par ailleurs que la thèse des premiers juges, selon laquelle l'effet litigieux aurait été de pure complaisance, l'opération du 31 janvier 1969 devant être considérée comme une simulation réalisée à cette fin, doit être écartée, en l'absence, ainsi qu'il a été vu plus haut, de tout lien prouvé entre l'opération invoquée et la lettre du 4 juin 1969,
Considérant ainsi que n'a été rapportée la preuve, ni de la nullité du rapport fondamental, d'ailleurs non invoquée, ni du fait qui aurait produit l'extinction de l'obligation du « Palais de l'Automobile » ; qu'il échet dès lors de constater que ladite société n'a pas renversé la présomption résultant de l'article 86 du Code de commerce et qu'il convient, par voie de conséquence, de la débouter de son action récursoire contre la « G.A.M. » ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
En la forme,
Reçoit la société « Le Palais de l'Automobile » et le sieur O., es-qualités, en leur appel,
Au fond,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société « Le Palais de l'Automobile » à payer à la société « L. » la somme de 10 000 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
L'infirme à ce qu'il a fait droit à la demande en garantie formée par la société « Le Palais de l'Automobile » contre R. O., es-qualités de syndic de la faillite de la société « Générale Automobile de Monaco » ;
Statuant à nouveau de ce chef, déboute la société « Le Palais de l'Automobile » de ladite demande en garantie ;
Composition
M. Cannat prem. pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Sanita. Boisson et Marquet av. déf.
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