Abstract
Sociétés civiles
Liquidation - Porteurs de parts -Cession - Possibilité - Dissolution - Effet
Résumé
La liquidation d'une société civile immobilière doit avoir lieu à l'égard tant des anciens porteurs de part que des nouveaux, la dissolution d'une société ne faisant pas obstacle à ce que les associés cèdent leur titre demeuré personnel pendant la durée de la liquidation.
S'il est de principe qu'une société dissoute pour une cause quelconque ne cesse pas d'exister brusquement et que, pour les besoins de la liquidation, elle se survit jusqu'à l'issue de celle-ci, sa survie ne peut être envisagée que pour la réalisation des choses antérieures à sa dissolution, la liquidation ne pouvant porter que sur le passé et ne pouvant donner une existence légale à des faits totalement nouveaux et indépendants de ceux qui ont précédé la dissolution.
Motifs
LA COUR,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés en la forme, à titre principal, par les époux A. D. et le sieur S. D., et, à titre incident, par D., G. et R., d'un jugement rendu le 9 décembre 1971 par le Tribunal de première instance de Monaco ;
Attendu, d'une part, qu'il résulte des documents de la cause, que, par jugement du 14 novembre 1963, ce Tribunal, à la demande des époux D., porteurs avec la dame S. des parts de la société civile immobilière « Iris », propriétaire à Monaco de l'immeuble dénommé « I. », a prononcé la dissolution anticipée de cette société et a nommé O. pour procéder aux opérations de sa liquidation ; que, les 4 et 8 juin 1964, la dame S. a cédé ses parts au sieur B., agissant en qualité de président délégué de la société anonyme monégasque « Compagnie générale d'études techniques » (COGETEC) ; que le 4 novembre 1969, B. sus-nommé a cédé lui-même, en sa qualité, les parts dont sa société était devenue propriétaire au sieur S. D. ; que, le 22 juin 1970, A. D. a également vendu la totalité de ses propres parts à la dame V. ; que toutes ces cessions ont eu lieu sans le concours d'O., liquidateur ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte également des documents de la clause, que le 20 novembre 1964, avec la participation d'O., un protocole d'accord pour le partage en nature d'appartements sis dans l'immeuble « I. » est intervenu entre les époux D. et la société « COGETEC », représentée par B., son président délégué, et que, postérieurement, le 22 janvier 1965, les époux A. D., mariés sous le régime de séparation de biens, en vertu d'un autre protocole d'accord, ont convenu du partage en nature entre eux des appartements qui leur avaient été attribués par le protocole du 20 novembre 1964 ; que ces conventions, ayant fait l'objet d'actes sous-seing privé, n'ont jamais été enregistrées, ni transcrites à la conservation des hypothèques ;
Attendu que c'est dans ces conditions que, par exploit du 23 octobre 1970, O., liquidateur, a assigné devant le Tribunal de première instance de Monaco les époux A. D., la dame S., le sieur B. et la société « COGETEC », dont la déclaration en état de faillite commune avait été prononcée, faillite commune dont il était lui-même le syndic, ainsi que le sieur S. D. et la dame V. ; qu'il a demandé qu'à l'égard de tous ces défendeurs, il soit jugé qu'il devait être mis fin à la mission qui lui avait été confiée par le jugement du 14 novembre 1963 et que quitus lui soit donné de ses opérations de liquidation ;
Attendu qu'à l'instance sont intervenus les sieurs D., G. et R. qui, en déclarant être respectivement créanciers d'A. D., outre leurs intérêts, des sommes de 150 000, 5 000 et 207 353,46 F, ont demandé, comme le mentionne la décision déférée « avec la liquidation de la société Iris, l'annulation de tous les actes de disposition ayant eu pour conséquence de réduire la part du capital social revenant ou devant revenir à A. D., et, plus généralement, de tous actes passés en fraude de leurs droits, le liquidateur recevant la mission de recenser toutes les créances dudit D., de procéder à la vente judiciaire ou en cas d'accord, à l'attribution amiable de tous les biens, sommes ou valeurs aux créanciers dont les créances seront évaluées, compte tenu des intérêts conventionnels ou de droit » ;
Attendu qu'est également intervenu le Directeur des services fiscaux de la Principauté lequel, en déclarant agir en vertu de la convention franco-monégasque du 18 mai 1963, a fait connaître que « les membres de la famille D. » devaient au Trésor la somme de 69 634,97 F, montant de contraintes, et a requis « qu'acte lui soit donné de ses réserves de poursuivre la nullité de tout acte ou convention qui aurait eu pour effet de diminuer les attributions des consorts D. à l'occasion d'opérations relatives à l'actif de la société Iris » ;
Attendu que, par le jugement entrepris, aux motifs duquel la Cour se réfère, le Tribunal :
1° a dit que la société civile immobilière Iris avait été dissoute par son jugement du 14 novembre 1963 et que sa liquidation partielle avait été réalisée par un partage en nature entre la société « COGETEC », cessionnaire de la dame S., la dame B., épouse séparée de biens du sieur A. D., et ce dernier ;
2° a dit que sa présente décision tiendrait lieu d'acte de partage sur la base des protocoles d'accord intervenus entre eux les 20 novembre 1964 et 22 janvier 1965, et qu'elle serait transcrite au bureau de la Conservation des hypothèques ;
3° a dit qu'il n'y avait lieu, en l'état, de donner décharge et quitus au liquidateur O., et « qu'il convenait de lui confier la mission complémentaire de déterminer, en tenant compte de la durée de la vie sociale de chacun des porteurs de parts anciens et nouveaux de la société Iris, le montant des charges devant leur incomber et des sommes devant leur revenir dans le cadre d'un apurement définitif des comptes de ladite société » ;
4° a dit qu'O. déposerait un rapport de ses opérations dans les trois mois de sa saisine, pour qu'il soit conclu et statué comme il appartiendrait ;
5° a maintenu dans la cause jusqu'à l'apurement définitif des comptes de la liquidation de la société Iris, B. et la société « COGETEC », en état de faillite commune, et O., es qualités de syndic de cette faillite ;
6° a reçu D., G. et R. en leur intervention respective, et sans faire droit à leurs prétentions précédemment exposées, leur a donné acte de ce qu'il résultait de ces prétentions qu'ils entendaient poursuivre à l'égard d'A. D. la nullité de tout acte qui aurait eu pour effet de diminuer la part du capital social lui revenant ou devant lui revenir ;
7° a reçu également le Directeur des services fiscaux de la Principauté en son intervention et lui a délivré l'acte requis par lui ;
8° a dit que les dépens comprendraient tous droits d'enregistrement, de partage et de transcription, mais « qu'ils devaient être réservés en fin de cause » ;
Attendu que, par leur appel principal, les époux D. et le sieur S. D. demandent à la Cour :
1° de juger, par réformation du jugement entrepris, « que les causes de la demande en dissolution de la société Iris ayant disparu, celle-ci peut se perpétuer, et qu'en conséquence, la décision du 14 novembre 1963 est nulle et de nul effet, en ce qui concerne la liquidation de cette société » ;
2° « de dire et juger, en tout état de cause, et au cas où la liquidation serait reconnue comme devant se terminer, qu'il ne saurait être fait abstraction des actes intervenus entre les parties jusqu'à la date du jugement critiqué, savoir le 9 décembre 1971, et que c'est en fonction de l'ensemble de ces actes, et non pas en prenant uniquement pour référence et pour base les accords passés entre les associés de l'époque, les 20 novembre 1964 et 22 janvier 1965, que doit être établi le compte du liquidateur » ;
3° d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a déclaré recevables les interventions de D., G., R., et du Directeur des services fiscaux de la Principauté, « qui se prévalaient de la qualité de créanciers personnels et se voyaient, par le jeu du jugement intervenu, consacrés créanciers sociaux » ;
Attendu qu'O., es qualités de liquidateur de la société Iris et de syndic de la faillite commune de la société « COGETEC » et de B., la dame S., et le Directeur des services fiscaux de la Principauté, tous intimés, concluent à la confirmation de la décision déférée ;
Que, par contre, par leur appel incident, D., G. et R., également intimés, en sollicitent la réformation, en ce qu'elle n'a pas fait droit à toutes leurs prétentions d'intervention originaires dans lesquelles ils déclarent persister ;
Attendu que la dame V., autre intimée, n'a pas comparu et n'a pas été représentée, bien que régulièrement réassignée, en exécution des dispositions de l'article 214 du Code de procédure civile ;
Qu'il y a lieu, dans ces conditions, de statuer à l'égard de toutes parties par un seul et même arrêt ;
I. - Sur les prétentions des appelants principaux, tendant à ce qu'il soit jugé, par réformation du jugement entrepris, que la société Iris peut se perpétuer, les causes de sa dissolution ayant disparu, et qu'elle ne saurait être liquidée
Attendu qu'il est constant que le jugement du 14 novembre 1963, par lequel la société Iris a été déclarée dissoute par anticipation et sa liquidation ordonnée, est définitif ; qu'en conséquence, la force de la chose jugée lui étant attachée, ses effets sont irrévocables, et que les prétentions susmentionnées ne sont pas fondées ;
Que, dans ces conditions, le jugement déféré du 9 décembre 1971 doit être confirmé, en ce que sur la demande en décharge de sa mission et en quitus de ses opérations formée par O., liquidateur, il a, après avoir constaté que la société Iris était définitivement dissoute, statué sur sa liquidation ;
II. - Sur cette liquidation
Attendu, d'une part, que c'est à juste titre que le Tribunal a considéré qu'elle avait été partiellement réalisée par un partage en nature d'appartements de l'immeuble « I. », propriété de la société Iris, intervenu entre les époux A. D. et la société « COGETEC » représentée par son président délégué, le sieur B., en vertu d'un protocole d'accord établi le 22 novembre 1964 sous la direction du liquidateur O., et, postérieurement, en vertu d'un deuxième protocole en date du 22 janvier 1965, par le partage entre les époux D. des appartements que le protocole leur avait attribués :
Qu'en effet, le partage partiel des biens d'une société avant sa liquidation définitive ne constitue qu'une phase de cette liquidation, qui n'est pas de nature à empêcher le règlement ultérieur de toutes les affaires sociales ;
Attendu, dès lors, que le jugement entrepris doit être confirmé, en ce qu'il a admis l'existence de partages partiels, comme il doit l'être également, en ce qu'il a déclaré justement qu'il tiendrait lieu d'actes de ces partages et serait transcrit à la Conservation des hypothèques, à défaut de toute transcription à cette Conservation des protocoles susvisés, comme de tout enregistrement ;
Attendu, d'autre part, que, si, au vu d'un rapport dressé le 5 janvier 1971 par O., liquidateur, et produit par lui à l'appui de sa demande en décharge et quitus de sa mission, les premiers juges ont considéré à bon droit qu'il n'avait pas accompli complètement cette mission et l'ont chargé de la terminer par une liquidation définitive de toutes les affaires de la société Iris, tant à l'égard des porteurs de parts anciens que des nouveaux porteurs de cette société - la dissolution d'une société ne faisant pas obstacle à ce que les associés cèdent valablement leur titre demeuré personnel pendant la durée de la liquidation -, il y a lieu, cependant de modifier et de préciser la mission complémentaire qu'ils ont donnée ;
Qu'en effet, s'il est de principe indiscutable qu'une société dissoute pour une cause quelconque ne cesse pas d'exister brusquement et que pour les besoins de sa liquidation, elle se survit jusqu'à l'issue de celle-ci, sa survie ne peut être envisagée que pour la réalisation des choses antérieures à sa dissolution ; que la liquidation ne peut porter que sur le passé et ne saurait donner une existence légale à des faits totalement nouveaux et indépendants de ceux qui ont précédé la dissolution ;
Que, par suite, il y a lieu de dire, contrairement aux prétentions des appelants principaux, qu'O. terminera la mission de liquidation qui lui a été confiée par le jugement de dissolution du 14 novembre 1963, eu égard seulement à la situation active et passive de la société Iris avant ce jugement, compte tenu des partages en nature susvisés ;
III. - Sur les interventions de D., G. et R.
Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats par ces intervenants et appelants incidents, qu'outre le fait qu'A. D. est leur débiteur personnel, leurs créances sont postérieures au jugement de dissolution du 14 novembre 1963 ;
Qu'en conséquence, eu égard aux considérations qui précèdent sur les faits devant être retenus pour la liquidation de la société Iris, ils ne peuvent demander que les sommes qui leur sont dues leur soient payées à l'occasion de cette liquidation ;
Mais attendu qu'il y a lieu d'admettre, comme l'ont fait les premiers juges dont sur ce point la décision doit être confirmée, qu'ils ont intérêt à y intervenir pour pouvoir poursuivre la nullité de tout acte qui aurait pour effet de diminuer la part du capital social revenant ou devant revenir à A. D. ;
IV. - Sur l'intervention du Directeur des Services fiscaux de la Principauté
Attendu, pour les derniers motifs ci-dessus développés, que cette intervention doit également être admise et que l'acte de ses réserves délivré au Directeur des services fiscaux de la Principauté par le Tribunal doit être maintenu, par confirmation du jugement entrepris ;
V. - Sur les dépens
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
En la forme, reçoit les appels, principal et incident ;
Au fond, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Le modifiant, cependant, sur la mission complémentaire qu'il a donnée au liquidateur O. et précisant cette mission, dit qu'O. procédera à la liquidation définitive de la société Iris, eu égard seulement à la situation active et passive de cette société avant le jugement de dissolution du 14 novembre 1963, compte tenu des partages en nature intervenus ;
Composition
MM. Bellando de Castro pr., Default prem. subst. gén., MMe Sanita, Marquet, Marquilly, Lorenzi av. déf., Mazet. Giaufret (tous deux du barreau de Nice), Blot av.
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