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02/12/1980 | MONACO | N°25902

Monaco | Cour d'appel, 2 décembre 1980, Consorts C. et D. c/ X... (devenu J. M.).


Abstract

Concubin - Droit à l'indemnisation

Recevabilité de la constitution de partie civile d'un concubin en cas de décès de l'autre, victime d'un homicide involontaire - Conditions

Responsabilité pénale

Syndic - Copropriétaires - Présomption de responsabilité (non)

Résumé

L'article 1229 du Code civil n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur à réparation.

Il s'ensuit que, dès lors que le concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délic

tueux, un concubin doit être considéré comme justifiant d'un intérêt légitime à exercer une action en réparati...

Abstract

Concubin - Droit à l'indemnisation

Recevabilité de la constitution de partie civile d'un concubin en cas de décès de l'autre, victime d'un homicide involontaire - Conditions

Responsabilité pénale

Syndic - Copropriétaires - Présomption de responsabilité (non)

Résumé

L'article 1229 du Code civil n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur à réparation.

Il s'ensuit que, dès lors que le concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, un concubin doit être considéré comme justifiant d'un intérêt légitime à exercer une action en réparation de préjudice que lui cause le décès de son concubin, victime d'un homicide involontaire, en sorte que sa constitution de partie civile est recevable.

L'article 4 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 n'a pas pour effet de créer une présomption de responsabilité pénale à la charge tant du syndic que des membres de la copropriété.

Motifs

La Cour

Statuant sur les appels régulièrement interjetés d'une part par le sieur É. D., d'autre part par les consorts C., d'une ordonnance du juge d'instruction de Monaco du 9 octobre 1980, laquelle a dit n'y avoir lieu à suivre du chef d'homicides involontaires contre quiconque et contre le sieur J. M. plus précisément ;

Attendu que de l'information résultent les faits suivants :

Le 20 février 1978, vers 8 heures 30, l'appartement situé au 1er étage de l'immeuble ., a été le siège d'une explosion qui a provoqué de graves blessures à la demoiselle Y. C., âgée de 46 ans, locataire dudit appartement, et à sa mère, la dame R. C., âgée de 86 ans ;

Les deux femmes sont décédées des suites de leurs blessures, la demoiselle C. à l'Hôtel-Dieu de Marseille, le 17 mars 1978 et la dame C. à l'Hôpital de Monaco, le 8 avril suivant ;

Selon la dame C. qui, seule a pu être entendue, l'accident s'est produit dans les circonstances suivantes : sa fille, sortant de la salle de bains, a actionné l'interrupteur électrique placé dans la pièce voisine qui servait de chambre à coucher à la dame C., laquelle reposait dans son lit. C'est ce geste qui a provoqué l'explosion ;

Les ingénieurs Jean Étienne Bouvet et Guy Palausi, désignés en qualité d'expert par le magistrat instructeur ont, dans leur rapport, non contesté par les parties, décrit ainsi qu'il suit le processus de l'accident :

* fuite de gaz de ville provenant d'une cassure de la canalisation de distribution sous la chaussée du boulevard Princesse-Charlotte ;

* migration lente et stagnation de ce gaz sous le revêtement goudronné du remblai routier ;

* accès à l'égout public puis remontée de ce gaz dans la canalisation privative d'évacuation des eaux usées de l'immeuble habité par les victimes, cette canalisation n'étant pas siphonnée à son pied ;

* accumulation du gaz dans la partie supérieure de ladite canalisation dont le dispositif de mise à l'air libre, par le haut, était obturé par un bouchon de plâtre ;

* passage du gaz dans la salle de bains de la demoiselle C. au niveau, mal bouchonné, d'un bidet qui avait été déposé ;

* manœuvre d'extinction de l'éclairage par la demoiselle C. provoquant une étincelle à l'intérieur de l'interrupteur, laquelle a entraîné l'explosion, le mélange air-gaz au niveau de l'interrupteur étant en proportion de mélange explosif (entre 5 et 15 % de gaz).

Le même rapport conclut que l'explosion a été le résultat d'un concours de circonstances et de singularités mettant en cause, successivement et nécessairement :

1° un remblai non consolidé autour d'une canalisation maîtresse de distribution publique de gaz sous la chaussée du boulevard Princesse-Charlotte ;

2° le chevauchement de cette canalisation sur une autre canalisation publique enterrée ;

3° l'existence de manques de matières, dont certaines importantes, dans l'épaisseur même de la fonte de la canalisation de gaz, ces manques des matières étant d'origine ;

4° existence répétée quasi continuellement d'efforts de cisaillement dus aux coups de frein des véhicules descendant le boulevard Princesse-Charlotte ;

5° la création brutale et relativement récente d'une cassure circulaire totale de la fonte ;

6° la fuite du gaz sous pression à travers cette cassure dans le remblai étanche goudronné de la chaussée, impossible à détecter et non perçue par les voisins et passants ;

7° la formation de nappes sous la chaussée dont l'une trouvera un exutoire à travers un fourreau de canalisations électriques enterrées, jusqu'à l'égout public du boulevard Princesse-Charlotte ;

8° la remontée du gaz dans la canalisation d'eaux usées desservant la salle de bains de l'appartement C., canalisations directement raccordées à l'égout en raison de la non-existence d'un siphon réglementaire avec garde d'eau de 7 centimètres en limite de l'immeuble (infraction à l'article 50 de l'Ordonnance n° 3647 du 9 septembre 1966) ;

9° la non-possibilité pour ce gaz, plus léger que l'air, de sortir à l'air libre au sommet de cette canalisation à cause de la non-existence d'un orifice réglementaire librement ouvert à la partie supérieure de la canalisation (infraction à l'article 49 de l'Ordonnance n° 3647 du 9 septembre 1966) ;

10° l'existence fortuite, précaire et provisoire d'un bouchonnement de fortune constitué par un simple bouchon de liège et de plastique à l'emplacement du raccordement du bidet de la salle de bains sans pour autant que ce bouchonnement précaire constitue une faute ou un quelconque manquement aux règles de l'art ;

Interrogés par le magistrat instructeur, les experts ont précisé que la présence dans la conduite de gaz de failles qui ne pouvaient être décelées par les moyens techniques en usage lors de la pose de la canalisation ne constituait pas un vice car elle n'avait aucun effet sur l'usage normal de la canalisation destinée à transmettre du gaz de ville sous faible pression.

Cette cause de l'accident ne pouvant être considérée comme fautive, il restait au magistrat instructeur à examiner les conditions de la pose de la canalisation (chevauchement des conduites et remblai insuffisamment consolidé) et la non-conformité de l'immeuble avec la réglementation.

Sur le premier point, selon un rapport daté du 20 mars 1978, dont l'auteur n'est pas identifié et qui n'est pas signé, les travaux dateraient de plus de trente ans et aucun document les concernant n'aurait pu être retrouvé (cote 31) ;

Le second point a conduit à l'inculpation du sieur J. M., architecte, qui a conçu et dirigé les travaux de surélévation et de modification de l'immeuble intéressé dans le courant des années 1958 à 1960 ;

Le sieur M. a affirmé (cote 77) qu'au moment où il a élaboré ses plans, la canalisation d'évacuation des eaux usées comportait le dispositif de mise à l'air libre, qu'il avait passé une convention avec le bureau Securitas qui en fin de travaux avait procédé à leur vérification et qu'en conséquence, à ce moment là, la canalisation d'eaux usées ne devait pas comporter le bouchon dont la présence a été relevée par les experts ;

Entendu sur ce point, le sieur N., Directeur de l'Agence Niçoise de la Socotec a précisé (cote 86) que le contrat conclu par le sieur M. avait pour but exclusif d'obtenir de son assureur la délivrance d'une police d'assurance « spécial chantier » laquelle n'avait pas pour objet de garantir le fonctionnement de l'installation non plus que ses impropriétés ;

Les recherches entreprises sur les indications des deux syndics successifs de la copropriété et des parties civiles auprès des divers entrepreneurs et artisans qui ont eu accès à l'évent obturé sont demeurées négatives ;

En ce qui concerne le siphon le sieur M. a déclaré : « Je dois préciser qu'en 1955, environ, les Travaux Publics de Monaco ont entrepris des travaux d'élargissement du boulevard Princesse-Charlotte et ont pris une bande de trois mètres sur toute la largeur de la Villa G. qui est la partie basse de l'immeuble et dont je suis propriétaire. Lors de l'exécution de ces travaux, les canalisations ont été refaites et je pense que les Travaux Publics ont dû ou auraient dû installer le siphon réglementaire au niveau du raccordement à l'égout public de la canalisation d'eaux usées de la Villa G. et de la Villa D. » ;

Les recherches entreprises dans ce sens auprès de l'Administration monégasque n'ont donné aucun résultat, aucun document relatif à ces travaux n'ayant pu être retrouvé ;

Attendu que par « conclusions » du 28 octobre 1980, les consorts C. ont déclaré se désister de leur appel ; qu'il échet de leur en donner acte ;

Attendu que le Ministère Public requiert la confirmation de l'ordonnance entreprise et que le conseil de l'inculpé conclut aux mêmes fins après avoir soulevé l'irrecevabilité de la constitution de partie civile du sieur D., motif pris de ce qu'elle est fondée sur sa qualité de concubin de l'une des victimes ;

Attendu que la partie civile de son côté, par le mémoire de son conseil en date du 20 novembre 1980, conclut à ce qu'il soit « dit et jugé que l'explosion de gaz survenue à Monaco le 20 février 1978, ayant entraîné le décès de la demoiselle Y. C. et de sa mère, R. C. est intervenue dans des circonstances et faits qui constituent le délit d'homicides involontaires prévu par l'article 250 du Code pénal et qu'en conséquence, soit renvoyé devant la juridiction compétente sous la prévention de ce chef, le sieur J. M. et tous autres dont la responsabilité pénale se trouve engagée sauf à ordonner un supplément d'information... à l'effet de rechercher par qui et comment furent exécutés les travaux d'acheminement du gaz et la pose de la conduite incriminée ainsi que ceux de la surélévation dans sa partie qui concerne son raccordement à l'ancienne canalisation des eaux usées et afin de définir l'identité des membres du syndicat propriétaires de ladite canalisation non conforme à la date du sinistre à la réglementation en vigueur » ;

Attendu qu'à l'appui de cette demande, l'appelant fait notamment valoir :

1° sur la responsabilité du service ou de l'entreprise ayant procédé à l'installation de la conduite de gaz, « que ne saurait être retenu comme élément déterminant pour aboutir à une ordonnance de non-lieu qu'il n'a pas été conservé en archives les documents ou pièces relatives à l'établissement de ces travaux, alors que le propre de l'instruction est justement de parvenir à la découverte, par une instruction approfondie, des éléments permettant de fixer les responsabilités encourues » ;

2° sur la responsabilité du sieur M., en tant qu'architecte, « que celle-ci n'est couverte ni par la prescription, ni par la souscription d'une convention avec la société Socotec et qu'il lui faut, par voie de conséquence, rapporter la preuve qu'il n'a pas commis une négligence en établissant, ce qui n'est pas acquis au résultat de l'instruction, que la gaine d'évacuation des eaux usées était nantie d'un siphon en sa partie basse, le seul fait de s'être raccordé à une installation préexistante ayant pu ne pas être à la limite conforme à la réglementation en vigueur constituant pour l'homme de l'art une violation des règles déontologiques de sa profession » ;

3° sur la responsabilité du syndicat de copropriété ou de ses membres, que chacun d'entre eux a commis une faute grave pour ne pas avoir veillé à la libre et conforme utilisation par rapport aux règlements publics de la gaine d'évacuation des eaux usées, partie commune ;

SUR CE,

Attendu qu'il échet de donner acte aux consorts C. de leur désistement d'appel ;

Sur la recevabilité de constitution de partie civile du sieur D. :

Attendu que l'article 1229 du Code civil n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur à l'indemnisation ;

Attendu, en l'espèce, qu'il résulte des pièces produites que le concubinage du sieur D. avec la demoiselle C. offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux ;

Qu'il en résulte que le sieur D. justifie d'un intérêt légitime à exercer une action en réparation et qu'il échet, en conséquence, de déclarer recevable la constitution de partie civile ;

Sur la responsabilité éventuelle des copropriétaires ou du syndic :

Attendu qu'il convient d'examiner ce moyen non sans avoir relevé qu'il paraît étrange qu'il soit soulevé pour la première fois devant la Chambre du Conseil à l'occasion de l'appel interjeté contre une ordonnance de non-lieu, alors que l'information est ouverte depuis le 1er mars 1978, et que le sieur D. s'est constitué partie civile depuis le mois de décembre 1979 ;

Attendu que s'il résulte de l'article 4 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959, « que tout propriétaire sera personnellement responsable des troubles de jouissance, des fautes ou négligences ou des infractions de toute nature dont lui-même, les locataires ou occupants de ces locaux... seraient directement ou indirectement les auteurs » et de l'article 6 de la même ordonnance que « le syndic sera chargé... au besoin de » pourvoir de sa propre initiative à la conservation, à la garde et à l'entretien en bon état de propreté et de réparations de toutes les parties communes ", ces textes, pour autant, n'ont pas eu pour effet d'instaurer une présomption de responsabilité pénale à la charge tant du syndic que des membres de la copropriété ;

Attendu, en l'espèce, que les infractions relevées à l'occasion de l'information ne pouvaient être décelées que par un examen minutieux d'un homme de l'art ;

Que c'est donc à bon escient que le magistrat instructeur n'a pas entrepris d'investigations dans ce sens ;

Sur la responsabilité du service ou de l'entreprise ayant procédé à l'installation de la conduite de gaz :

Attendu que, hormis les constatations matérielles ci-avant rapportées, le rapport des experts ne donne aucune indication sur ce point et que les seules précisions fournies résultent d'un rapport non signé rédigé par un agent non identifié de la Société Monégasque du gaz et de l'électricité dans le mois ayant suivi l'explosion ;

Qu'il échet, en conséquence, sur ce point, de faire droit à la demande de supplément d'information formée par la partie civile et d'ordonner l'audition du Directeur de la Société Monégasque du gaz et de l'électricité ainsi que de toute autre personne dont le témoignage se révèlerait utile ;

Sur la responsabilité du sieur M. :

Attendu que l'inculpé ne s'est pas expliqué d'une manière complète quant à l'incidence des travaux de surélévation qu'il a entrepris sur la conservation de l'évent de la conduite des eaux usées et sur le raccordement de cette conduite avec l'égout public ;

Qu'il échet, en conséquence d'ordonner également sur ce point un supplément d'information ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS.

Donne acte aux consorts C. de leur désistement d'appel ;

Déclare recevable la constitution de partie civile du sieur É. D. ;

Dit que c'est à bon escient que le juge d'instruction n'a pas entrepris d'investigations relativement à la responsabilité éventuelle du syndic ou des membres de la copropriété ;

Et avant de statuer plus avant sur les mérites de l'appel relevé par la partie civile contre l'ordonnance de non lieu du 9 octobre 1980, ordonne un supplément d'information à l'effet :

1° Entendre le Directeur de la Société Monégasque du gaz et de l'électricité et tout autre témoin dont l'audition se révèlera utile en vue de déterminer la date des travaux à l'occasion desquels a été posée la conduite défectueuse ainsi que l'identité des responsables desdits travaux ;

2° Entendre à nouveau le sieur M. sur la relation de cause à effet pouvant exister entre les travaux effectués sous sa responsabilité entre 1958 et 1960 et les infractions constatées par les experts aux articles 49 et 50 de l'ordonnance souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966 ;

Composition

M. François, prem. prés., Mme Picco-Margossian, prem. subst. gén., MMe Boeri, av. déf., Champsaur (du barreau de Nice), av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25902
Date de la décision : 02/12/1980

Analyses

Procédure civile ; Copropriété ; Responsabilité pénale


Parties
Demandeurs : Consorts C. et D.
Défendeurs : X... (devenu J. M.).

Références :

article 50 de l'Ordonnance n° 3647 du 9 septembre 1966
articles 49 et 50 de l'ordonnance souveraine n° 3647 du 9 septembre 1966
article 49 de l'Ordonnance n° 3647 du 9 septembre 1966
article 4 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959
article 1229 du Code civil
article 250 du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;1980-12-02;25902 ?

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