Abstract
Simulation
Preuve de la contre lettre - Règle Nemo-auditeur... sans incidence sur la demande de nullité de l'acte apparent
Résumé
La preuve d'une simulation frauduleuse tendant à cacher dans un intérêt fiscal le nom du véritable bénéficiaire des actes apparents peut être administrée par tous moyens.
La déclaration écrite faite par la de cujus, annexée à un acte dressé par notaire, et par laquelle elle affirme que toutes les parts qu'elle possède dans une société civile appartiennent en pleine propriété et jouissance à son fils, constitue un commencement de preuve par écrit permettant, en application de l'article 1194 du Code civil de déroger à l'article 1168 du même Code dès lors que cette déclaration émane de l'auteur de toutes les parties, ses ayants cause à titre universel, et qu'elle rend vraisemblable la simulation alléguée.
L'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans ne peut jouer que pour refuser à celui qui invoque sa propre turpitude le droit d'obtenir la restitution des prestations fournies et ce, dans la mesure seulement où la contre-lettre constitue un acte immoral mais non point un acte illicite.
Motifs
La Cour,
Considérant qu'il ressort des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :
Dame M. S. née L. est décédée à Monaco le 27 juin 1976 laissant pour seuls héritiers : son fils R. S. et trois petits-enfants A. S., D. S. et A. S. épouse C. venant en représentation de leur père R. S. décédé le 14 septembre 1974 ;
Lors de l'établissement, par Maître Jean-Charles Rey, notaire, de l'inventaire descriptif et estimatif des biens dépendant de la succession, des difficultés se sont élevées entre les héritiers au sujet de la composition exacte de l'actif successoral, R. S. revendiquant certains éléments patrimoniaux comme lui appartenant personnellement ce qui selon lui les excluait de l'inventaire ;
C'est ainsi que suivant exploit d'huissier du 18 avril 1979 R. S. a assigné devant le Tribunal de première instance de Monaco, D., A. et A. S. aux fins de s'entendre juger qu'il est le véritable propriétaire :
a) des 50 parts de la Société civile « Relene » détenues par la dame Veuve S., de telle sorte que l'appartement et ses annexes que cette Société a acquis dans l'immeuble Le Château Périgord est en réalité sa propriété exclusive,
b) des créances à l'encontre des Sociétés Florentina, San Maria, Amiraute et Castel Régina ou subsidiairement légataire de celles-ci,
c) de la créance D. en capital et intérêts ou en tout cas créancier de la succession pour le montant en principal de cette créance dont il prétendait avoir fait l'avance de son montant et légataire pour les intérêts ; ceux-ci constituant un legs particulier à son bénéfice ;
Au soutien de sa prétention R. S. s'appuyait sur une déclaration écrite faite le 29 juillet 1972 par sa mère aux termes de laquelle cette dernière a confirmé à toutes fins utiles et au cas où elle viendrait à décéder avant la régularisation des cessions à son fils R., que toutes les parts qu'elle possède dans la Société civile « Relene » appartiennent en pleine propriété à celui-ci de même qu'appartiennent à R. S. des créances que la déclarante possède à l'encontre des Sociétés Le Florentina, le San Maria, l'Amiraute et le Castel Régina dont le montant total s'élève à 3 480 000 francs intérêts non compris ;
Dans un post-scriptum Dame M. S. précisait qu'il en était de même de la créance qu'elle possédait à l'encontre de A. D. pour un montant en principal et intérêts de 400 000 francs à la date de la déclaration ;
De plus R. S. faisait état des dires des divers porteurs de parts de la Société Relene reconnaissant qu'ils étaient ses prête-noms et d'attestations confirmant ces dires ;
R. S. en déduisait que la Société Relene était inexistante ;
Il convient de préciser que la Société Civile Immobilière Relene a été constituée le 30 mars 1967 par devant Maître R. S. alors notaire et que par acte également reçu par lui la Société Relene a acquis le 5 avril 1967 de la Société civile particulière Antinéa un grand appartement de 533 m2 au 25e étage de l'immeuble Château Périgord avec deux garages et une chambre de bonne, alors que R. S. bénéficiait d'une promesse de vente et d'achat sur ces mêmes biens, en date du 13 février 1966 ;
Que lors de la conclusion de l'acte du 5 avril 1967 ont été créées par le notaire 100 grosses au porteur fractionnelles de 10 000 francs chacune en représentation du prix de vente : 60 avec inscription hypothécaire en 1er rang (600 000 francs) et 40 avec inscription hypothécaire en 2e rang (400 000 francs) que P. M. et R. B., porteurs de 50 parts chacun dans la société Relene les ont cédées le 17 mars 1970 respectivement à dame Veuve M. S. et à demoiselle P. S. ;
Que le 26 avril 1974 la société Relene a vendu par devant Maître Jean-Charles Rey d'une part à la Société civile Nike un appartement lot 219 de l'immeuble Château Périgord provenant de la division du grand appartement susvisé, d'autre part à la Société civile Mifre une chambre de bonne lot 1092 de l'immeuble Château Périgord ;
De leur côté D., A. et A. S. lesquels ont accepté la succession sous bénéfice d'inventaire ont par exploit du 23 avril 1979, assigné R. S. aux fins d'entendre ordonner qu'il soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de la défunte, conformément aux articles 912 et suivants du Code de procédure civile, après que le notaire et l'expert désignés aient établi la composition exacte de l'actif et du passif successoral et qu'à défaut d'accord des parties sur un partage des biens de la succession, il soit procédé à la vente aux enchères publiques en quatre lots distincts des immeubles ci-après désignés :
* deux magasins situés au rez-de-chaussée de l'immeuble 32, rue Comte Félix Gastaldi,
* un appartement au 1er étage de cet immeuble,
* un appartement au 2e étage du même immeuble,
* une maison de trois étages située sur la commune de Piedicorte di Gaggio en Corse ;
Au regard de la première instance dont la jonction avec la seconde a été demandée par R. S., les adversaires de celui-ci ont contesté le bien fondé de son action en revendication en l'absence d'une démonstration de preuve ce qui justifiait selon eux une mesure d'investigation ;
Par jugement du 21 janvier 1982 le Tribunal de première instance a joint les instances introduites les 18 avril et 2 avril 1979 ;
A constaté l'inexistence de la S.C.I. Relene en retenant que les porteurs de parts de cette Société n'étaient que des prête-noms et n'avaient jamais eu ni « l'affectio societatis » ni la volonté de participer aux pertes ainsi qu'ils l'avaient reconnu eux-mêmes ;
A débouté en conséquence, A., D. et A. S. de leurs demandes, fins et conclusions fondées sur la propriété de 50 parts sociales de cette société ;
A dit que les créances établies au nom de la dame Veuve S. concernant les Sociétés l'Amirauté et le Florentina appartenaient à R. S. ;
A débouté R. S. de ses demandes portant sur les créances concernant les Sociétés San Maria, le Castel Régina et A. D. ;
A dit, en conséquences, que ces créances sont exclues de la succession de la dame Veuve S. qui n'en était pas propriétaire ;
A ordonné le partage de la succession tant mobilière qu'immobilière de la dame Veuve S., compte tenu de ce qui a été jugé ci-dessus ;
A commis Maître Jean-Charles Rey, notaire pour procéder à ces opérations et Madame Monique François, Premier Juge, pour faire rapport en cas de difficultés ;
A dit qu'en cas d'empêchement du notaire et du juge ainsi commis, il sera procédé à leur emplacement par simple ordonnance ;
A ordonné à défaut d'accord des parties sur un partage en nature la licitation après expertise et conformément à l'article 916 du Code de procédure civile des biens immobiliers ;
A commis en qualité d'expert Monsieur Autuoro, avec mission de déterminer les bases de l'estimation en vue de la mise à prix des immeubles suivants :
* deux magasins au rez-de-chaussée de l'immeuble - Monaco-Ville 32, rue Comte Félix Gastaldi,
* un appartement au premier étage du même immeuble,
* un appartement au deuxième étage du même immeuble,
* une maison de trois étages située en Corse, dans la commune de Piedicorte di Gaggio ;
a désigné Madame Monique François Premier Juge, pour suivre lesdites opérations d'expertise ;
A dit que l'expert déposera rapport de ses opérations dans un délai de deux mois à compter de la date du commencement des opérations d'expertise ;
A dit que les frais d'expertise seront avancés par A., D. et A. S. ;
A dit que les dépens et ce compris les frais d'expertise seront enrôlés en frais privilégiés de partage dont distraction au profit de Maître Robert Boisson avocat-défenseur sous son affirmation ;
A., D. S. et A. S. épouse C. ont régulièrement relevé appel de cette décision qui leur a été signifiée le 30 mars 1982 par exploit d'huissier du 30 avril 1982 par lequel ils ont attrait R. S. devant la Cour d'appel ;
Dans cette assignation et leurs conclusions des 24 février et 17 mai 1983, ils font valoir :
en ce qui concerne la Société Relene, que les premiers juges ont considéré à tort cette société comme inexistante sur la foi d'attestations présentées par R. S., que lesdites attestations constitutives d'une modification des statuts dressés par Maître R. S. lui-même, en qualité de notaire - n'ayant pas été enregistrées dans le délai d'un mois sont entâchées de nullité en vertu de l'article 9 de la Loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles ; que l'argument selon lesquel R. S. aurait eu le droit d'invoquer le caractère fictif de la société ne saurait résister à la règle « nemo auditur propriam turpitudinem allegans » laquelle interdit à R. S. de se prévaloir de sa propre fraude alors qu'il a instrumenté lui-même comme officier ministériel pour constituer cette société ;
Qu'il y a lieu en conséquence de dire que la Société Relene a été régulièrement constituée, que les cessions de parts intervenues ultérieurement ont été valablement conclues et que dame Veuve M. S. était régulièrement propriétaire des 50 parts de la Société Relene, lesdites parts étant entrées ensuite dans la succession de dame Veuve M. S. ;
En ce qui concerne les diverses créances, contestant la crédibilité des attestations produites contredisant l'affirmation de dame Veuve M. S. selon laquelle elle possédait des créances, les appelants sollicitent une mesure d'instruction de même qu'en ce qui concerne la destination des fonds provenant de la vente des appartements de dame Veuve M. S. ;
En ce qui concerne les frais de procédure de toute nature y compris ceux d'expertise, ils estiment que s'agissant d'une procédure collective ceux-ci doivent être partagés entre les deux groupes d'héritiers ;
Ils demandent également de commettre un commissaire priseur pour composer les lots meubles et objets immobiliers en vue de leur tirage au sort entre les parties ;
R. S. dans ses conclusions des 12 octobre 1982 et 12 avril 1983 conclut à la confirmation du jugement entrepris ;
Pour les chefs de demande dont il a été débouté il relève appel incident sollicitant qu'il soit fait droit à sa demande initiale ;
Il soutient que le jugement à bon droit, constaté l'inexistence juridique de la Société Relene en l'état des déclarations des associés et cessionnaires (qui ont affirmé n'être que des prête-noms) et du défaut d' « affectio societatis » ; qu'il a qualité pour invoquer cette inexistence en tant que partie quelle qu'ait été la participation de celle-ci à la fraude ; que la société n'ayant jamais pris naissance il y a lieu de rétablir la situation financière et matérielle telle qu'elle était avant même la rédaction des statuts ; que les premiers juges en ont justement déduit que les parts sociales litigieuses ne sont jamais entrées dans le patrimoine de la dame Veuve S. et qu'en conséquence les hoirs S. ne peuvent prétendre à une quelconque propriété de ces parts ;
En ce qui concerne les créances sur les Sociétés Florentina et Amiraute R. S. fait état de la déclaration de sa mère du 29 juillet 1972 et des lettres de Messieurs L. et G. desquelles il apparaît que R. S. avait remboursé personnellement des emprunts consentis aux S.C.I. Florentina et l'Amiraute ;
En ce qui concerne la créance envers D., ils se fondent sur un reçu établi par D. et une lettre d'un sieur G. établissant que R. S. avait prêté 100 000 francs à D. et remboursé 120 000 francs à un premier prêteur de D. ; il demande de dire et juger que la dame Veuve S. ne détenait aucune créance à l'encontre de D. et que les créances de 100 000 francs et celle de 120 000 francs acquises par subrogation sont sa propriété aux clauses et conditions du contrat de prêt originaire ;
L'affaire a été évoquée à l'audience du 10 janvier 1984 ;
Lors du délibéré, la Cour a invité R. S. à fournir au contradictoire des hoirs S. des précisions quant aux porteurs de parts successifs de la Société Relene et aux actes des cessions, des justifications quant aux paiements effectués par R. S. à la Société Antinéa et la communication des actes de vente intervenus entre la Société Relene et deux autres Sociétés ;
Il a été satisfait à cette invite par notes des 16 février, 17 avril (Maître Boisson) et du 5 avril 1984 (Maître Genarosch) ensuite de laquelle les débats ont été à nouveau réouverts à l'audience du 29 mai 1984 en présence du Ministère Public représenté par Monsieur Truchi, Premier Substitut du Procureur Général lequel s'en est rapporté à justice, après les avocats des deux parties Maître Adréani pour R. S. et Maître Benarosch pour les Hoirs S. aient repris les moyens exposés dans leurs écritures ;
Sur ce
Sur la demande en déclaration de simulation
Considérant que R. S. prétend que :
1° l'acte de constitution de la S.C.I. Relene reçu par lui-même alors notaire le 30 mars 1967,
2° l'acte de vente de l'appartement litigieux et de ses annexes (vente consentie par la Société civile particulière Antinéa à la S.C.I. Relene -) reçu également par lui-même le 5 avril 1967, de même que,
3° les cessions de parts de la Société Relene consenties le 17 mars 1970 respectivement l'une par P. M. à dame Veuve M. S., l'autre par R. B. à demoiselle Patricia S., constituent des actifs fictifs ; qu'ils dissimulent en réalité selon lui un mandat en vertu duquel les porteurs de parts de la Société Relene ou le gérant de celle-ci figurant dans les actes ostensibles comme contractants n'étaient en vérité que ses représentants ;
Considérant que les actes susvisés sont indivisibles comme procédant de la même opération ;
Considérant que dans sa demande tendant à prouver l'acte secret, R. S. n'apparaît point comme un tiers au sens de l'article 1168 du Code civil, en raison de sa qualité d'ayant cause à titre universel de Veuve S. cessionnaire de 50 parts (cédées par P. M.) alors qu'il est soutenu que celle-ci était son prête-nom comme l'étaient d'ailleurs P. M. et R. B. et P. S. (fille de R. devenue épouse C.) ;
Que les Hoirs S. venant par représentation à la succession de leur grand-mère, Veuve S., ne sont pas davantage étrangers à la contre-lettre invoquée ;
Qu'il s'en suit que l'article 1168 du Code civil s'oppose à ce que l'accord secret soit prouvé autrement que par un écrit ;
Que toutefois l'invocation circonstanciée d'une simulation frauduleuse tendant à cacher, dans un intérêt fiscal, (le droit de mutation des parts sociales étant inférieur au droit de mutation des biens immobiliers antérieurement à la loi n° 926 du 8 décembre 1972) le nom du véritable bénéficiaire des actes apparents, lequel n'aurait pu lui-même les établir que d'une manière illicite en raison de sa fonction de notaire, lui interdisant d'instrumenter pour son propre compte, permettrait d'administrer cette preuve par tous moyens ;
Considérant qu'en tout état de cause la déclaration écrite faite par dame Veuve S. le 29 juillet 1972 annexée à un acte dressé le 1er décembre 1978 par Maître Jean-Charles Rey (par laquelle elle affirme que toutes les parts qu'elle possède dans la Société Civile Relene appartiennent en pleine propriété et jouissance à son fils R.) constitue un commencement de preuve par écrit, permettant en application de l'article 1194 du Code civil de déroger à l'article 1168 du même Code dès lors que cet écrit d'une part émane de l'auteur des Hoirs S., ses ayants cause à titre universel, auxquels il est opposable et contre lesquels la demande est formée, d'autre part rend vraisemblablement la simulation alléguée ;
Considérant que le commencement de preuve par écrit est conforté par les attestations de P. M. et de R. B. (en date des 5 avril 1967 - 8 janvier 1969 - 5 janvier 1979) par la lettre de demoiselle P. S. (17 mars 1972) tous affirmant que le propriétaire réel de toutes les parts était R. S. ainsi que par les lettres de C. B., Marie L. et E. G. qui ont précisé que R. S. avait la pleine et entière propriété de l'appartement litigieux ;
Considérant que ces attestations et lettres des porteurs de parts ne sauraient être assimilées contrairement à ce qui est argué - à des modifications des statuts de la Société Relene ; qu'elles ne sont que des éléments de preuve fournies à l'appui de la thèse de la fictivité de celle-ci dont la dénomination significative - convient-il de remarquer - a été formée par l'association d'une partie du prénom de l'intimé (R.) et de celui de son épouse ;
Qu'ainsi les formalités d'enregistrement prévues par l'article 9 de la loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles (lesquelles ont été respectées en ce qui concerne la constitution de la Société Relene et les cessions de part) ne lui sont point applicables ;
Considérant que ces divers éléments se trouvent corroborés par d'autres données extrinsèques savoir : l'existence d'une promesse de vente au profit de R. S., les paiements effectués par celui-ci relativement à l'acquisition du bien litigieux et aux travaux entrepris sur celui-ci, données qu'il convient de préciser ;
Considérant en effet qu'aux termes d'une promesse de vente, du 15 février 1966 la Société Antinéa s'était déjà engagée à vendre à R. S., avec faculté de substitution d'acquéreur, le bien litigieux moyennant un prix de 1 376 000 francs (diminué d'un montant de travaux à entreprendre) dont 60 % étaient payables en principe le 15 février 1966 mais en réalité selon les modalités suivantes : 200 000 francs avant le 28 février 1965, 565 000 francs avant le 15 juillet 1966, outre un intérêt de 10 % l'an prorata temporis à compter du 15 février 1966, la 2e fraction du prix (40 %) étant payable sans intérêt dans un délai de 5 ans ;
Qu'à la suite d'un accord modificatif intervenu le 27 février 1966, il était convenu que le paiement de 40 % s'effectuerait par un versement de 2 % du prix de chaque acte de vente formalisé par le ministère de R. S. ;
Considérant que, si l'acte de vente du 5 avril 1967 - concernant le même bien que celui objet de la promesse - ne faisait point allusion à celle-ci et ne comportait plus qu'un prix de 1 000 000 francs, il n'en demeure pas moins qu'il y était stipulé que le prix n'était point payé par la Société Relene et qu'en réalité - ainsi qu'il en est justifié par la production de reçus et de lettres émanant de la Société Antinéa - venderesse, la promesse de vente a été suivie d'exécution, R. S. ayant commencé à effectuer des règlements avant la réalisation de l'acte de vente du 5 avril 1967 que postérieurement à celle-ci R. S. a continué à les effectuer ;
Qu'ainsi en ce qui concerne le complément pour travaux non exécutés ceux-ci ont été réglés avec les intérêts soit 19 802 francs avant le 5 juillet 1969, par R. S., qu'en ce qui concerne la tranche de 60 % ce dernier a payé entre le 7 novembre 1966 et le 20 août 1967 la somme de 886 701 francs 83 centimes ;
Qu'au moment où il s'est démis de ses fonctions en mars 1970, R. S. restait devoir 268 597, 29 francs ; que ce solde qui a subsisté jusqu'au terme conventionnel des 5 ans accordé par P. gérant de la Société Antinéa (cf. lettre susvisée de V.), est passé au 5 avril 1972 à 412 672, 98 francs par l'effet des intérêts dus ; que R. S. a continué à régler à la société Antinéa laquelle détenait des grosses hypothécaires représentatives de sa créance, les intérêts de celle-ci d'avril 1972 à 1976 époque à laquelle la Société Antinéa a cédé ses grosses hypothécaires ;
Considérant que compte tenu de cette situation, la Société Antinéa attribuait à juste titre à R. S. qui a réglé une partie importante du prix d'acquisition et des intérêts prévus dans la promesse de vente du 15 février 1966 comme le véritable acquéreur de l'appartement du Château Périgord et de ses annexes ; que le mode de règlement de la tranche de 40 % consistant en un prélèvement de 2 % sur le montant des actes conclus en l'étude du notaire R. S. jusqu'en mars 1970 en apporte la preuve ;
Que la Société Antinéa a en somme encaissé entièrement le prix du bien immobilier vendu le 5 avril 1967 après avoir perçu les intérêts des grosses garantissant sa créance lesquels intérêts ont été payés exclusivement par R. S. ; que celui-ci a assumée et continue d'assumer seul le règlement du passif de la Société Relene (cf. lettre de Maître Rey du 9 avril 1984) ;
Considérant qu'il apparaît des pièces produites que R. S. a également payé entre les mains de l'entreprise Baudoin pour la décoration et l'aménagement de l'appartement du Château Périgord la somme de 545 539, 40 francs entre le 3e trimestre 1966 et le 2e trimestre 1969 ;
Considérant qu'il ressort des divers documents versés au débat qu'aucun paiement n'a été effectué par le gérant ou les porteurs de parts de la Société Relene (cf. attestation de Maître Jean-Charles Rey du 30 janvier 1984) ;
Qu'il n'est point établi que dame Veuve S. ait elle-même directement financé, ne fusse qu'en partie, le prix d'acquisition, les dépenses d'aménagement et réglé les parts sociales ;
Que le produit 600 000 francs de la vente d'une partie du bien acquis le 5 avril 1967, vente intervenue le 26 avril 1974 a été affectée immédiatement par l'intermédiaire de Maître Jean-Charles Rey notaire au remboursement de certaines créances hypothécaires inscrites à l'encontre de la Société Relene (cf. attestation de Maître Rey susvisée) ;
Considérant en conséquence que tous les éléments relevés forment un tout indissociable démontrant l'existence d'une simulation portant à la fois sur la constitution de la société Relene et les cessions de parts qui ont suivi mais aussi sur l'acquisition consécutive de l'appartement du Château Périgord et de ses annexes, acquisition qui représentait dans l'opération d'ensemble la finalité dont la Société Relene n'était que le moyen ; qu'en l'espèce la combinaison globale des modalités de la simulation s'est apparentée à une interposition de personne : R. S. ayant ainsi acquis l'immeuble litigieux par personne morale interposée (Société Relene) moyennant la création préalable d'une société fictive, utilisée ensuite comme prête-nom ;
Sur le moyen tiré de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans
Considérant que les hoirs S. soutiennent que leur oncle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour solliciter l'anéantissement des actes apparents (constitution de la société Relene, acte de vente du 5 avril 1967, actes de cessions de parts) ;
Considérant que ce moyen de défense ne saurait avoir pour effet d'entraîner le rejet de la demande en nullité de l'acte de constitution de la Société Relene pour défaut d' « affectio societatis » et de l'acte de vente du 5 avril 1967 comme contraire à l'ordre public ;
Qu'il est en effet constant en jurisprudence que la règle invoquée ne peut jouer que pour refuser à celui qui invoque sa propre turpitude le droit d'obtenir la restitution des prestations fournies et ce dans la mesure seulement où la contre-lettre constitue par sa nature un acte immoral mais non point un acte illicite ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'écarter ce moyen ;
Sur la nullité des actes apparents (acte de constitution de la Société Relene et acte de vente du 5 avril 1967)
Considérant que la demande en déclaration de simulation étant fondée, il en résulte que la Société Relene étant fictive, ses associés ne pouvaient avoir l'intention de mettre quelque chose en commun en vue de partager le bénéfice susceptible d'en résulter - condition exigée par l'article 1670 du Code civil ;
Que le défaut de consentement des associés, sur un tel objet, condition de validité de la Société, constitue ainsi qu'il est généralement acquis en jurisprudence une cause de nullité absolue de la société plutôt que d'inexistence ;
Considérant d'autre part que R. S. ayant reçu lui-même, alors qu'il exerçait encore les fonctions de notaire, l'acte de constitution de la Société Relene et l'acte de vente du 5 avril 1967, dans lesquels il se trouvait personnellement intéressé, il doit en être inféré que ces actes, ainsi établis, contrairement aux dispositions d'ordre public de l'ordonnance du 4 mars 1886 sur le notariat - article 61 - 10e interdisant au notaire d'instrumenter pour son propre compte en se servant de prête-nom, doivent être frappés, en tant qu'actes notariés, d'une nullité absolue ;
Considérant que la nullité de l'acte de constitution de société a pour conséquence d'entraîner la nullité des actes de cession de parts ;
Considérant que la vente revêtant un caractère consensuel en vertu de l'article 1426 du Code civil et non point solennel, il y a lieu dès lors qu'un accord parfait existait à la fois sur la chose et le prix entre la société Antinéa et R. S. de déclarer - que celui-ci - ainsi qu'il le demande - avait acquis pour son propre compte les biens immobiliers désignés dans l'acte de vente annulé du 5 avril 1967 et d'ordonner à cet égard la transcription du présent arrêt à la Conservation des Hypothèques de Monaco ;
Sur la destination des fonds provenant de la vente consentie et de l'emprunt contracté par dame Veuve S.
Considérant que les Hoirs S. font valoir que dame Veuve S. a vendu le 24 mars 1969 un appartement pour lequel elle a perçu 140 500 francs et contracté le 10 avril 1970 un emprunt, garanti par une hypothèque, de 110 000 francs ; que ces opérations immobilières ont été effectuées à des époques coïncidant à l'échéance de certaines grosses au porteur créées au profit de la Société Antinéa ;
Qu'ils en ont déduit, tout en sollicitant une mesure d'investigation pour établir la destination des fonds provenant de cette vente et de cet emprunt, que lesdits fonds avaient profité à R. S. - ce qui revient implicitement à prétendre que ces fonds doivent entrer dans la succession de dame Veuve S. ;
Considérant que R. S. ne conteste pas que sa mère disposait courant 1969-1970 de ressources suffisantes évaluées par lui à 4 000 francs par mois, qu'il est certain qu'en dehors de l'appartement vendu le 24 mars 1965 celle-ci était propriétaire de biens immobiliers ; un appartement qu'elle occupait, un autre qu'elle louait, et une petite maison en Corse ;
Qu'il n'est nullement allégué qu'elle ait été endettée, alors qu'au contraire il est certain que dans l'année qui a précédé la démission de ses fonctions de notaire (mars 1970) R. S. s'est trouvé dans une gêne financière alors qu'il devait en outre faire face au paiement du prix de l'appartement du Château Périgord et aux frais d'aménagement de celui-ci ; que R. S. pourtant averti des affaires de sa mère n'a donné aucune explication quant à la destination des fonds ; que son silence prend une signification au regard des attestations produites par les hoirs S. et non contredites, émanant de dame Y. C. et de J. M. A. lesquels ont rapporté les confidences que leur avait faites dame Veuve S. qui leur avait avoué qu'elle avait été amenée à consentir des prêts et des avances à son fils en raison de ses difficultés - et avait dû vendre et hypothéquer ;
Considérant que sans qu'il y ait lieu de recourir sur ces faits à une mesure d'instruction - en l'état inutile, la Cour estime que ces éléments constituent des présomptions graves, précises et concordantes établissant que Dame Veuve S. a consenti des prêts à son fils R. S. ;
Que la preuve sans écrit de ces prêts se trouve permise en vertu de l'article 1195 alinéa 1, en raison de l'impossibilité morale pour dame Veuve S. de se ménager une preuve littérale à l'égard de son fils auquel elle accordait une grande confiance ainsi que le révèle le rôle de prête-nom qu'elle avait accepté de jouer dans l'intérêt de ce dernier ; qu'il est indifférent que ces prêts aient été affectés à telle ou telle dépense ;
Qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'instruction à cet égard pas plus que pour rechercher d'hypothétiques opérations financières qui auraient existé entre la de cujus et R. S., celles-ci ne faisant l'objet d'aucune allégation précise alors qu'il incombe aux parties d'apporter des faits à l'appui de leur prétention ;
Considérant en conséquence que R. S. sera tenu lors des opérations de partage et liquidation ordonnées de rapporter à la succession la somme de 250 500 francs en application de l'article 720 du Code civil cette dette étant productive d'intérêts au taux légal à compter du décès de dame Veuve S. en vertu de l'article 725 du même Code ;
Sur les créances de la de cujus à l'encontre de sociétés civiles
Considérant en ce qui concerne les Sociétés San Maria et Castel Régina, qu'il y a lieu d'adopter les motifs des premiers juges, l'appelant n'apportant en dehors de la déclaration de dame Veuve S. du 29 juillet 1972 aucun fait précis à l'appui de sa prétention, en se bornant à solliciter une mesure d'investigation laquelle ne saurait être ordonnée en vue de suppléer à la carence des parties ;
Considérant en ce qui concerne les créances à l'encontre de la Société Florentina et de la Société Amiraute, qu'il ressort des pièces versées que le nom de dame Veuve S. figure comme créancière dans la « situation » au 31 décembre 1970 de la Société Florentina sous le poste emprunts pour une somme de 253 000 francs et dans la « situation » au 31 décembre 1975 de la Société Amiraute sous le poste d'emprunt pour une somme de 220 000 francs ;
Considérant cependant que dans sa déclaration du 29 juillet 1972 dame Veuve S. a affirmé qu'en réalité c'était son fils R. qui était réellement créancier ; que sa déclaration a été confirmée par la lettre attestation du liquidateur de la Société Florentina (P. A.) et par le gérant de la société Amiraute (G.) ;
Que les « situations », documents d'ordre comptable, ne constituent qu'une apparence sans rapport avec le fond du droit alors que les données dont fait état R. S. suffisent à établir qu'il était lui-même le véritable créancier des sociétés susvisées dans un contexte de simulation comparable à celui examiné plus haut (prête-nom) ;
Considérant en ce qui concerne la créance à l'encontre de D., que R. S. tout en demandant la confirmation du jugement entrepris qui a estimé que dame Veuve S. n'avait point de créance opposable à D., ce que contestent les appelants, entend voir déclarer qu'il est lui-même créancier de D. ;
Considérant qu'en dépit de la déclaration de Veuve S. la remise par D. à R. S. de grosses en remboursement de 100 000 francs pas plus que le règlement par ce dernier à G. premier prêteur de D. de 12 grosses (100 000 francs) ne suffisent à prouver l'existence certaine d'un titre de créance à l'encontre de D., soit au profit de dame Veuve S. soit au profit de R. S. - faute par les parties de fournir d'autres éléments, et ce, en l'absence du contradictoire de D. ou de ses ayants-cause ;
Sur la demande de désignation d'un commissaire priseur dans les opérations de partage et liquidation
Considérant qu'il échet, dans le cadre des opérations de partage et liquidation ordonnées par les premiers juges dont les parties ont sollicité la confirmation, de donner - la faculté à Maître Jean-Charles Rey notaire désigné pour effectuer lesdites opérations de désigner, s'il l'estime opportun, un commissaire-priseur aux fins de composer les lots meubles et objets mobiliers pour être tirés au sort entre les parties, dans le cas où celles-ci ne s'entendraient pas sur un partage en nature ;
Sur les dépens et frais d'expertise
Considérant que les dépens et les frais de l'expertise ordonnée, étant exposés dans l'intérêt des co-partageants, il échet de les faire supporter par les co-héritiers au prorata de leur part en ordonnant que les frais d'expertise soient avancés pour moitié par R. S. et pour moitié par les hoirs S. et que les dépens soient distraits au profit de Maître Boisson et de Maître Sanita chacun en ce qui le concerne ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Déclare recevable l'appel principal et l'appel incident interjeté par les hoirs S. et R. S. à l'encontre du jugement du 21 janvier 1982 ;
Réformant le jugement entrepris ;
Déclare nul et sans effet l'acte de constitution de la S.C.I. Relene en date du 30 mars 1967 ;
Dit en conséquence que les 50 parts de la S.C.I. Relene cédées fictivement le 17 mars 1970 à dame Veuve M. S. ne sont pas entrées sans sa succession ;
Déclare nul, en tant qu'acte notarié, l'acte de vente du 5 avril 1967 conclu entre la Société civile particulière Antinéa et la S.C.I Relene ;
Déclare que R. S. a, à la date du 5 avril 1967 acquis personnellement de la Société civile particulière Antinéa les parties suivantes de l'immeuble du Château Périgord telles que désignées dans l'acte annulé du 5 avril 1967 - savoir :
Parties privatives :
1° un grand appartement de 533 m2, lui-même formé par la réunion au 25e étage des appartements de type K, escalier B, et N, escalier C,
Ces deux appartements représentant eux-mêmes les lots numéros 215, 216, 217, 218 et 219 de copropriété au cahier des charges de l'immeuble « Château Périgord » ;
2° deux garages portant les numéros 348, 349 et 350, 351 situés cote 51, 90 plan Ex. 3 au 3e étage formant les lots de copropriété numéros 704 et 705 au cahier des charges de l'immeuble Château Périgord ;
3° une chambre de bonne numéro 107 au 2e étage, escalier E formant le lot n° 1092 ;
Parties communes :
correspondant aux lots 215, 216, 217, 218, 219, 704, 705 et 1092 ;
Ordonne la transcription au bureau de la Conservation des Hypothèques de Monaco de la partie sus énoncée du dispositif ;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner une mesure d'instruction à quelque titre que ce soit ;
Dit et juge que R. S. sera tenu de rapporter à la succession la somme de 140 500 francs provenant de la vente d'un appartement de sa mère et celle de 110 000 francs provenant d'un emprunt contracté par celle-ci, soit au total la somme de 250 500 francs qui lui a été avancée par la de cujus, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession de cette dernière ;
Confirmant pour le surplus le jugement entrepris ;
Dit que dame Veuve S. n'avait aucune créance à l'encontre des Sociétés San Maria, Castel Régina, Florentina et Amiraute ainsi qu'à l'encontre de D. ;
Dit que R. S. est seulement créancier de la Société Florentina et de la société Amiraute, à l'exclusion de toute autre créance prétendue ;
Ajoutant au dispositif du jugement entrepris relativement au partage et à la liquidation ordonnée ;
Dit que Maître Jean-Charles Rey notaire désigné pour procéder à ces opérations aura la faculté de recourir s'il le juge nécessaire, à tel commissaire priseur aux fins de composer les lots meubles et objets mobiliers pour être tirés au sort entre les parties, dans l'hypothèse où celles-ci ne s'entendraient pas sur un partage en nature ;
Dit que les frais d'expertise ordonnée par les premiers juges et s'il est échet les frais que nécessiterait l'intervention d'un commissaire-priseur seront avancés pour moitié par R. S. pour moitié par les Hoirs S. ;
Dit que les dépens, y compris les frais d'expertise et s'il y a lieu les honoraires du commissaire priseur seront supportés par les co-héritiers au prorata de leur part successorale ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Merqui, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sanita et Boisson, av. déf.
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