Abstract
Banque
Compte courant - Service de caisse - Applicabilité à la Principauté de la loi française du 13 juillet 1941 (oui) - Obligation pour le banquier de solliciter les instructions de son client à la réception d'un effet de commerce (oui)
Résumé
Le contrat de compte courant fait obligation au banquier de demander à son client, dont il est le mandataire salarié, des instructions à la réception d'un effet, en application de l'article 4 de la loi française du 13 juillet 1941 rendue applicable à la Principauté par l'article 4 de la loi n° 3066 du 25 juillet 1945 promulguant la Convention Franco-Monégasque relative au contrôle des changes ; le fait de retourner l'effet sans au préalable solliciter les instructions du client constitue une faute dont le banquier doit réparation.
Motifs
La Cour,
Statuant sur l'appel interjeté par la S.A. Barclays Bank d'un jugement du Tribunal de première instance du 20 octobre 1983 lequel l'a condamné à payer à la S.A.M. Société générale de produits et de matières synthétiques « Mélania » (ci-après : Société Mélania) la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ; statuant également sur l'appel incident de la société Mélania ;
Considérant qu'il résulte des faits de la cause des éléments suivants :
Ayant sous-traité à la société italienne Stampoplast une commande de cendriers en matière plastique qui lui avait été passée le 20 mai 1981 par la société de la Loterie Nationale, la société Mélania a domicilié chez la Barclays Bank de Monte-Carlo, où elle était titulaire d'un compte courant, un effet de 199 500 lires italiennes tiré sur elle par la société Stampoplast en règlement d'un envoi d'échantillons ;
Cet effet qui venait à échéance le 27 juin 1981 a été présenté au début du même mois par l'intermédiaire de la Cassa di Risparmo in Bologna, à la Barclays Bank de Monte-Carlo qui, par lettre du 2 juin 1981, en a fait retour à son correspondant avec la mention : « Ce client n'entretient plus de compte sur nos livres » ;
Par lettre du 19 juin suivant, la société Stampoplast, regrettant que la société Mélania lui ait « donné de faux renseignements et une domiciliation bancaire inexistante » lui a fait connaître qu'elle était « obligée d'arrêter les commandes en cours, d'annuler la commande de matières premières correspondante et d'éliminer de son programme la fabrication des articles commandés » ;
Par lettre du 10 juillet suivant, l'effet ayant été entre temps payé sur instructions de la société Mélania, la Barclays Bank a adressé à celle-ci, ainsi qu'à la Cassa di Risparmo in Bologna des excuses circonstanciées par lesquelles elle reconnaissait son erreur ;
Soutenant que du fait de la hausse du prix des matières premières entre l'arrêt et la reprise de la fabrication des objets par elle commandés à la Société Stampoplast elle a subi une majoration des coûts de 62 000 francs qu'elle n'a pas pu répercuter sur la Société de la Loterie Nationale avec laquelle elle avait traité à prix fermes, la société Mélania, par exploit du 22 septembre 1982, a assigné la Barclays Bank en paiement de ladite somme ;
Pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait les premiers juges ont estimé qu'aucun reproche ne pouvait être fait à la société Mélania et que la lettre du 19 juin 1981 de la Société Stampoplast établissait que l'erreur non contestée de la banque avait entraîné l'annulation de la commande qui lui avait été passée ; qu'il était également établi qu'à la reprise des relations commerciales intervenues entre les deux Sociétés le 18 juillet 1981, la hausse du coût des matières premières avait entraîné un renchérissement des marchandises précédemment commandées ; que toutefois la société Mélania n'établissant pas qu'elle n'avait pu répercuter dans son prix de vente l'augmentation du coût de fabrication, il convenait d'apprécier son préjudice tant matériel que commercial à la somme de 50 000 francs ;
Pour demander, par son appel principal, d'être déchargé des condamnations prononcées à son encontre, la Barclays Bank reproche aux premiers juges d'avoir statué ainsi qu'ils l'ont fait alors que :
Sur la faute : l'erreur qu'elle a commise ne constituait pas une faute suffisamment grave pour justifier la lourde condamnation prononcée contre elle en raison de ce que, d'une part, lorsqu'elle a retourné la traite, elle n'était pas encore mandataire de la société Mélania, qualité qui n'est devenue la sienne que le 21 juin 1981 lorsque l'avis de domiciliation lui est parvenu et de ce que, d'autre part, le fait d'avoir retourné la traite avec la mention erronée que la société Mélania n'était plus titulaire d'un compte ne signifiait pas que ladite traite ne serait pas honorée à son échéance et n'interdisait pas au tireur de « se rassurer » en prenant directement contact avec le tiré ;
Sur le préjudice : la relation certaine, directe et exclusive devant exister entre la faute alléguée et le préjudice prétendu n'était pas établie en l'espèce ; qu'en effet, la Société Stampoplast n'avait aucune raison d'annuler le marché sans avoir la certitude que la traite ne serait pas payée à son échéance ; par ailleurs, elle n'a repris que fin juillet l'exécution dudit marché alors que la traite a été honorée le 27 juin et que, le 19 juin précédent, elle s'était déclarée prête à en reprendre l'exécution dès réception d'explications valables ;
La société Mélania réplique que s'agissant d'une opération de caisse le banquier avait la double qualité de dépositaire et de mandataire salarié et doit en conséquence répondre de sa faute, même légère ; qu'elle fait encore valoir que les factures qu'elle a produites n'ont pas été contestées par son adversaire et établissent sans contestation possible que l'erreur de celui-ci s'est bien traduite dans la réalité par une augmentation de 62 000 francs du coût de la marchandise qui lui a été livrée ; elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu le principe de la responsabilité de la Barclays Bank à son information pour le surplus et à la condamnation de la Barclays Bank à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 62 000 francs représentant son manque à gagner et celle de 50 000 francs en réparation du préjudice moral et commercial qui lui a été occasionné ;
Sur ce :
Sur la faute de la Barclays Bank
Considérant qu'il n'est pas soutenu que la société Mélania ait donné un avis de domiciliation permanent à la Barclays Bank ;
Considérant par ailleurs que l'effet de 199 500 lires adressé par la Cassa di Risparmo in Bologna à la Barclays Bank ne comportait pas d'avis de domiciliation et qu'il n'est pas contesté qu'un tel avis n'est parvenu à la Banque qu'après qu'elle ait retourné l'effet à son expéditeur ;
Qu'il en résulte que c'est à juste titre que la Barclays Bank soutient que le 2 juin 1981, date de ce retour, elle n'était pas mandataire de la société Mélania en raison de la domiciliation à son agence de Monte-Carlo de l'effet susvisé ;
Considérant toutefois qu'il est constant qu'à cette date un contrat de compte-courant liait la société Mélania à la Barclays Bank ; que, dans un tel cas, l'obligation pour le banquier de demander des instructions à son client à la réception d'un effet s'insère dans le cadre du service de caisse défini à l'article 4 de la loi française du 13 juillet 1941 rendue applicable à la Principauté par l'article 4 de la loi n° 3066 du 25 juillet 1945 promulguant la Convention Franco-Monégasque relative au contrôle des changes ; qu'il en résulte que lorsqu'elle a retourné l'effet sans au préalable solliciter les instructions de son client, la Barclays Bank était bien, en vertu du contrat de compte courant la liant à la société Mélania, mandataire salarié de cette dernière et, comme tel, tenue de sa faute, même la plus légère ;
Considérant que la Barclays Bank ne conteste pas la réalité de la faute qui lui est reprochée et qu'il y a lieu en conséquence, sans même avoir à rechercher qu'elle en était la gravité, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le principe de sa responsabilité ;
Sur la relation de causalité entre la faute et le préjudice invoqué ;
Considérant que la société Mélania ayant domicilié à l'agence de Monte-Carlo de la Barclays Bank une traite tirée sur elle par la société Stampoplast, il ne peut être fait grief à cette dernière d'avoir interrompu une fabrication destinée au tiré à la réception de l'avis donné par la Barclays Bank que celui-ci n'entretenait pas de compte sur ses livres ; qu'en effet une telle information dont l'inexactitude ne pouvait, a priori, être suspectée, laissait planer un doute important sur la solvabilité de la société Mélania qui pouvait à juste titre être soupçonnée d'avoir tenté de tromper son co-contractant ;
Considérant par ailleurs que lorsque, dans un délai qui ne peut être considéré comme anormal, la production a été reprise après la régularisation de la situation, il en est résulté une hausse des coûts non contestée par l'appelante ;
Considérant que c'est donc également à bon droit que les premiers juges ont estimé que le lien de causalité entre la faute de la Barclays Bank et le préjudice invoqué par la société Mélania était suffisamment établi ;
Sur l'importance du préjudice :
Considérant que malgré le reproche qui lui en a été fait par les premiers juges, la société Mélania n'a pas justifié devant la Cour avoir intégralement supporté la hausse susvisée des coûts de production ;
Considérant par ailleurs, qu'en l'état d'une telle situation, les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice tant matériel que commercial causé à la société Mélania et qu'il convient en conséquence de confirmer également de ce chef le jugement entrepris, le point de départ des intérêts au taux légal demeurant fixé à la date dudit jugement et ce, en tant que de besoin, à titre de dommages-intérêts supplémentaires ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Et ceux non contraires des premiers juges ;
Déboute la Société anonyme Barclays Bank et la Société Anonyme Monégasque Société générale de produits et de matières synthétiques « Mélania » de leur appel principal et incident ;
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du 20 octobre 1983 ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Merqui, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquet et Boeri, av. déf., Léandri, av.
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