Abstract
Responsabilité contractuelle
Garagiste réparateur : obligation de résultat - Préjudice d'immobilisation.
Résumé
Le garagiste réparateur se trouve tenu d'une obligation consistant à réparer entièrement la panne de véhicule sauf à prouver qu'il n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat d'entreprise.
L'indemnisation du préjudice résultant de l'immobilisation du véhicule pendant 7 mois comporte outre les frais de garage une indemnité pouvant être calculée en fonction des kilomètres qui auraient été parcourus, multiplié par un tarif kilométrique à caractère fiscal.
Motifs
LA COUR,
Considérant qu'il résulte des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :
Le 9 avril 1980 J.-M. V. a acquis aux établissements Garabedian Boursault Garage, sis à Boulogne-Billancourt, . une voiture automobile neuve de marque Jaguar type JA Alp pour le prix de 140 000 francs ;
A la suite d'une première panne survenue en juin 1980 suivie de nouveaux désordres (bruit insolite, fuite d'eau, échauffement du moteur, mauvais fonctionnement des freins), le garage Garabedian Boursault procédait à diverses reprises à des réparations sur ce véhicule courant juin, juillet, septembre et octobre 1980 ;
Puis le garage W. Frères (British Motors) sis à Monaco, chargé par V. de vérifier l'état du moteur était amené à son tour le 8 janvier 1981 à remplacer celui-ci en raison d'une très forte consommation d'huile au kilométrage 17 756 ; enfin ce véhicule était soumis courant 1981 à des contrôles effectués par le garage Auto-Riviera où il demeurait immobilisé plusieurs mois ;
V. assignait le 4 mai 1981 le garage British Motors et les établissements Garabedian Boursault S.A. aux fins d'ordonner une mesure d'expertise ;
Par Ordonnance du 18 mai 1981, le Juge des référés désignait en qualité d'expert M. Benchetrit avec mission :
* de faire tous examens utiles en ce qui concerne tant l'état du moteur que celui des roues et plus généralement de décrire l'état du véhicule,
* de se faire remettre tous documents concernant les interventions effectuées sur ledit véhicule, en précisant par qui elles ont été faites,
* de dire si, compte tenu de son prix, de son kilométrage et de la date de sa mise en service, lesdites interventions ont un caractère normal,
* de dire si l'utilisation du véhicule présente actuellement un caractère dangereux ; d'indiquer les réparations à effectuer et en préciser le coût,
* de fournir tous éléments permettant d'évaluer le préjudice subi par le demandeur ;
L'expert a déposé son rapport le 20 octobre 1981 en imputant au garage Garabedian-Boursault des défectuosités dans les réparations ;
Le 29 avril 1982 V. a assigné les établissements Garabedian Boursault devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins d'homologuer le rapport susvisé, de condamner lesdits établissements à lui payer :
1° la somme de 1 529,15 francs en règlement des réparations à effectuer,
2° la somme de 32 400 francs représentant la réparation du préjudice subi par l'immobilisation du véhicule,
3° la somme de 2 061,65 francs représentant les factures du garage Auto-Riviera - où le véhicule a été entreposé en attendant la fin de l'expertise,
4° la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de valeur du véhicule et du risque d'accident,
et de supporter les dépens avec distraction au profit de son avocat-défenseur ;
Les établissements Garabedian Boursault ont rejeté toute responsabilité et ont soulevé l'incompétence ratione loci de la juridiction saisie ;
Par jugement du 9 juin 1983 le Tribunal de première instance a rejeté l'exception d'incompétence, a homologué le rapport de l'expert, a déclaré les établissements Garabedian Boursault débiteurs envers V. de la somme de 33 590,80 francs, de celle de 15 000 francs à titre de dommages-intérêts, a déclaré V. débiteur de 6 191,14 francs et après compensation des sommes susvisées a condamné ceux-ci à payer à V. la somme de 27 399,66 francs avec intérêts au taux légal à compter du jugement et celle de 15 000 francs à titre de dommages-intérêts, a débouté les établissements Garabedian Boursault de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; et a condamné lesdits établissements aux dépens y compris les frais de référé et d'expertise avec distraction au profit de l'avocat-défenseur de V. ;
Par exploit d'huissier du 6 décembre 1983 les établissements Garabedian Boursault ont relevé appel et assigné V. devant la Cour d'appel de Monaco ;
Ils demandent dans leur acte d'appel et leurs conclusions du 3 avril 1984 d'infirmer le jugement entrepris, de rejeter les demandes de V. à défaut de prouver l'existence d'une faute à son encontre, de l'accueillir dans sa demande reconventionnelle du 29 avril 1982 et de condamner V. à lui payer la somme de 7 462,26 francs avec intérêts de droit à compter du 29 avril 1982, celle de 10 000 francs de dommages-intérêts pour procédure et résistance abusive, celle de 10 000 francs à titre d'indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile français ainsi qu'aux dépens avec distraction ;
Les établissements Garabedian Boursault critiquent le rapport d'expertise en soutenant :
Que l'expert commis après le remplacement du moteur effectué par les établissements British Motors (à partir du 9 décembre 1980) n'a pu déterminer la cause de la réparation ;
Que le remplacement des plaquettes ayant provoqué leur intervention du 15 octobre 1980 constituait une usure normale, se situant hors garantie ; que l'expert reconnaît qu'il n'a pas constaté le desserrage des deux roues mais a seulement relevé la cassure des deux goujons de la roue avant droite ce qui ne lui permet pas d'incriminer la société Garage Garabedian Boursault ; que V. aurait dû soumettre son véhicule à la révision contractuelle des 15 000 km ; que l'affirmation de l'expert selon laquelle les réparations faites pour supprimer le bruit du moteur et les fuites d'eau n'ont pas été effectuées selon les règles de l'art, apparaît gratuite alors que le Garage Garabedian Boursault n'a pas été informé de la panne du 7 décembre 1980 ; qu'en l'état de la garantie contractuelle du constructeur dont bénéficiait V., la société British Leyland a accordé le remplacement du moteur une première fois le 25 juillet 1980 et une deuxième fois le 7 décembre 1980, la deuxième fois sans son concours et même à son insu ; que les établissements British Motors et la Station Paves n'ont décelé aucune anomalie ou bruit anormal ;
Sur ce :
Sur la responsabilité du garagiste réparateur,
Considérant qu'il est de règle jurisprudentielle que le garagiste réparateur se trouve tenu d'une obligation de résultat consistant à réparer entièrement la panne du véhicule sauf à prouver qu'il n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat d'entreprise ;
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise (page 14), du procès-verbal de constat du 14 janvier 1981 et des ordres de réparation et factures qu'à la suite de diverses défectuosités qui ont affecté le fonctionnement du véhicule « Jaguar », le garage Garabedian Boursault a effectué entre le 20 juin et le 15 octobre 1980 diverses réparations ;
Que les ordres de réparations des 20 juin, 22, 28 juillet et 26 septembre 1980 font apparaître, en dehors d'anomalies ne concernant pas le moteur et fournitures d'accessoires, les désordres d'ordre mécanique suivants :
* 20 juin au kilométrage 6 079 : échauffement du moteur, manque d'eau dans le circuit de refroidissement,
* 21 juillet au kilométrage 9 728 : petit frottement au démarrage, bruit sur chaîne de distribution,
* 28 juillet au kilométrage 9 829 : dépannage, bruit moteur, fuite d'eau, donnant lieu au remplacement de la culasse,
* 26 septembre au kilométrage 12 816 : collision, échauffement du moteur, consommation d'eau donnant lieu à une mise du circuit d'eau sous pression et au changement des thermostats et joints, freins tirant à droite donnant lieu à la pose de quatre plaquettes de freins (facture n° 4429 du 15 octobre 1980) ;
Que quelques semaines après la dernière intervention du garage Garabedian Boursault (le 15 octobre 1980), V., à la suite de fuites d'huile répétées a été dans l'obligation de conduire le 7 décembre 1980 son véhicule qui avait parcouru 18 412 kilomètres au garage British Motors à Monaco (concessionnaire de Jaguar) qui remplaçait le moteur - encore sous garantie ; que ce remplacement opéré moins de 6 000 kilomètres après la dernière réparation du garage Garabedian Boursault doit être causalement relié à l'état où se trouvait le véhicule le 26 septembre 1980 date à laquelle ce garage avait constaté un échauffement du moteur et des fuites d'eau avec buée sur le parebrise, ce qui avait entraîné le 15 octobre une réparation portant sur la mise du circuit d'eau sous pression et le remplacement des thermostats et joints ; qu'il s'en suit que cette réparation n'a pas été satisfaisante dans son exécution en ne permettant pas de remédier au désordre et que le garage Boursault faute d'établir un vice de fabrication est présumé ne pas avoir accompli ses obligations contractuelles selon les règles de l'art ainsi qu'en infère l'expert judiciaire ;
Qu'il n'est point établi que le fait de ne pas procéder à la vérification au 15 000 kilomètres soit en rapport causal avec le désordre constaté le 7 décembre 1980 dès lors que le véhicule avait été vérifié au kilométrage 12 816 et qu'il avait été soumis à une vidange (facture n° 4429 du 15 octobre 1980) ;
Considérant qu'il ressort des données de la cause et du rapport officieux de M. C., ingénieur E.C.P. inscrit sur la liste nationale des experts judiciaires français, rapport produit au contradictoire de V. qu'une sérieuse incertitude demeure quant à l'imputabilité au garage Garabedian Boursault du desserrage des boulons des roues avant ; qu'en effet, après la dernière réparation effectuée par ledit garage portant sur les plaquettes de frein, le véhicule avant d'être confié au garage British Motors à Monaco, avait déjà parcouru 5 596 kilomètres sans qu'un phénomène classique en ce cas de « flottement » de roue ait été perçu dans les premiers kilomètres ayant suivi ladite réparation ; que la dépose d'une roue avant pour crevaison constitue une hypothèse plausible ; que de surcroît la station Esso Coraille, en Italie est intervenue pour fixer la roue droite ;
Considérant dans ces conditions que la preuve n'est point rapportée que le garage Garabedian Boursault soit à l'origine du caractère dangereux que présentait la Jaguar par suite du mauvais serrage des roues avant ;
Sur le préjudice
Considérant qu'en tirant conséquence de ce qui vient d'être énoncé que le temps d'immobilisation du véhicule d'abord au garage British Motors (1 mois) aux fins de réparation consécutive à une mauvaise réparation antérieure puis au garage Auto-Riviera (6 mois) aux fins de déroulement des opérations d'expertise, doit être imputable au garage Garabedian Boursault et non point le temps d'immobilisation au garage Garabedian Boursault (2 mois), cette dernière immobilisation ayant été motivée par diverses raisons : contrôle des 5 000 kilomètres, des 10 000 Kilomètres, accident, travaux de peinture, pose d'accessoires ;
Qu'ainsi il convient de ne retenir qu'un temps d'immobilisation de 7 mois en adoptant les bases de calcul proposées par l'expert (2 400 kilomètres par mois à 1,50 le kilomètre) et d'allouer ainsi à V. à titre d'indemnisation pour l'immobilisation de son véhicule la somme de 25 200 francs et pour les frais de garage dont il est justifié (page 18 du rapport) la somme de 2 061,65 francs ;
Considérant que V. n'apporte point d'éléments de nature à justifier un préjudice supplémentaire ;
Sur la demande reconventionnelle,
Considérant qu'il résulte des pièces produites que V. n'a pas réglé les factures numéros 3373 (2 117,85 francs), 3486 (387,09 francs), 4431 (623,40 francs), 4430 (3 662,90 francs) de même que la facture n° 4429 d'un montant de 1 271,12 francs laquelle concerne aussi des fournitures d'accessoires et des prestations de services non comprises dans la garantie du véhicule et étrangères aux désordres imputés au garage Garabedian Boursault ;
Qu'il échet en conséquence de condamner V. à payer aux établissements Garabedian Boursault la somme de 7 462,26 francs ;
Considérant que la demande en dommages-intérêts pour procédure et résistance abusive n'est pas établie, en l'état de la condamnation des établissements Garabedian Boursault ; que la demande d'indemnité sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile français lequel n'a pas de correspondant dans la Principauté de Monaco, n'est point fondée ;
Sur les dépens,
Considérant qu'eu égard au fait que les parties gagnent et perdent partiellement dans une certaine mesure, il convient de faire masse des dépens et de les repartir dans la proportion des 4/5 à la charge des établissements Boursault partie principale succombante et d'1/5 à la charge de V. ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Déclare recevable l'appel interjeté à l'encontre du jugement du 9 juin 1983 ;
Réformant ledit jugement ;
Dit et juge que les établissements Garabedian Boursault sont redevables envers J.-M. V. de la somme de 27 261,65 francs en réparation du préjudice subi par ce dernier pour les causes sus-énoncées ;
Dit et juge que J.-M. V. est redevable envers les établissements Garabedian Boursault de la somme de 7 462,26 francs représentant des factures impayées ;
Après compensation, condamne les établissements Garabedian Boursault à payer à J.-M. V. la somme de 19 799,39 francs et ce avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Serdet, subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi, Marquilly av. déf. ; Simonet, av.
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