Abstract
Vol
Remise par la victime ayant ses facultés altérées. La remise d'objets par une personne souffrant de déficience mentale exclusive d'une remise volontaire et consciente en l'état des circonstances de la cause caractérise une soustraction frauduleuse.
Motifs
La Cour,
Jugeant correctionnellement,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés, le 28 juin 1985, d'une part, par la dame A. Z. Veuve M., d'autre part, par le Ministère public, à l'encontre du jugement contradictoirement rendu le 25 juin 1985 par le Tribunal correctionnel de Monaco, condamnant A. Z. veuve M. à la peine de deux années d'emprisonnement et à 10 000 francs d'amende, pour avoir à Monaco, courant 1980, 1981, 1982 et 1983, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, frauduleusement soustrait au préjudice de Léonie P. de P. née R. :
* 9 lingots de 1 kilo d'or numérotés : 2 583 - 494 129 - 495 172 - 617 610 - 617 612 - 683 211 - 637 612 - 440 331 - et 271 461,
* une somme de 20 000 francs en espèces,
* une bague en or blanc montée en solitaire avec un gros brillant,
* une montre en or blanc avec brillants,
* un bracelet de perles blanches,
* une broche en or blanc avec brillants,
* 16 pièces de 20 dollars U.S. en or,
* des pièces d'argenterie marquées « Hôtel Majestic », « Grand Hôtel Victoria » et « CRV »,
* 33 bouteilles de vin et spiritueux,
* divers documents ;
Faits prévus et réprimés par les articles 309 et 325 du Code pénal ;
Ledit jugement :
* déclarant recevable les nommés M., A., L., A., F., R., J. et M. P. de P. en leur action civile,
* condamnant A. Z. veuve M. à restituer aux parties civiles les documents, bouteilles et pièces d'argenterie trouvés à son domicile et décrits par le procès verbal portant la cote D 20 du dossier d'instruction, et les neuf lingots d'or placés sous scellés et déposés à l'Agence de Monte-Carlo de la Banque Nationale de Paris, et à leur payer la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts,
* condamnant, en outre, A. Z. veuve M. aux dépens et fixant le minimum de la durée de la contrainte par corps ;
Considérant qu'il apparaît de l'enquête de police, de l'information et des débats aux audiences du Tribunal correctionnel et de la Cour, la relation suivante des faits incriminés ;
Dame P. de P. disposait d'un important patrimoine que gérait, depuis de longues années, M. A. P., ami de la famille, lequel lui fut désigné, en qualité d'administrateur judiciaire, par ordonnance du juge des Tutelles en date du 31 janvier 1983 en application de l'article 410-19° du Code civil ;
En effet, l'état psychique de dame P. de P. qui s'était depuis 1980, progressivement altéré (D 114 - D 115 - D 116) s'est aggravé à la suite d'une attaque cérébrale, dont elle a été atteinte le 10 mai 1982 jusqu'à son décès survenu le 9 juin 1984 (D 108 - D 61) ; les conclusions du rapport de l'expert judiciaire Zemori (D 123) font ressortir, à cet égard, que la détérioration mentale de dame P. de P. a évolué sur plusieurs années, que si la défaillance de ses facultés mentales était moindre en 1980/1981, elle n'en était pas moins hors de manifester sa volonté ;
Dans le cadre de sa mission, M. P. portait à la connaissance de ce magistrat la constatation qu'il en avait faite de la disparition d'une importante partie des biens mobiliers de dame P. de P., comportant auparavant 20 lingots d'or d'un kilo chacun, un grand nombre de monnaies en or, diverses pièces d'argenterie, environ 50 000 francs en espèces, de nombreux bijoux, bibelots, des documents justificatifs de placements financiers, des bouteilles de vins et spiritueux de grand prix ;
Au cours de l'enquête qui s'ensuivit, la police fut amenée à entendre dame Z., veuve M. qui fréquentant assidûment dame de P., depuis 1981, avait pris sur celle-ci un certain ascendant et gagné sa confiance au point d'être en possession des clefs de son appartement (D 12) et de l'accompagner quelquefois à l'occasion des visites de son coffre-fort (été 1981) ;
Entendue, dame Z., veuve M. déclarait que dame de P. lui avait fait don, antérieurement au 10 mai 1982, de divers objets dont trois lingots d'or et lui avait remis en dépôt, le 10 mai 1982, jour de son hospitalisation, des bijoux et documents (D 11) ;
Lors de la perquisition opérée au domicile de dame Z. (D 20), il était découvert un certain nombre d'objets ainsi répartis :
* dans la penderie de la chambre : 8 lingots de 1 kilo d'or numérotés 2 583 - 494 129 - 495 172 - 617 610 - 617 612 - 683 211 - 637 612 et 440 331, les sept premiers ayant figuré dans la succession de H. P. de P.,
* dans un coffret, parmi d'autres bijoux appartenant à A. Z. veuve M., une bague en or blanc montée en solitaire avec un gros brillant,
* dans le coffre mural de la salle à manger, une montre de femme en or blanc avec brillants, un bracelet en perles blanches, une broche en or blanc avec brillants, 16 pièces de 20 dollars U.S. en or, les 8 bons d'essai afférents aux lingots trouvés, 28 photocopies d'opérations de placements effectués par M. A. P. pour un montant total de 430 000 francs,
* dans le salon et divers lieux de l'appartement : 3 perruches et 2 perroquets en céramique, de la vaisselle en porcelaine de chine, des pièces d'argenterie marquées « Hôtel Majestic », « Grand Hôtel Victoria », ou « CRV »,
* dans la cave : 33 bouteilles de vins et spiritueux, plusieurs pièces d'argenterie marquées « Hôtel Majestic » ou « Grand Hôtel Victoria » ;
Réentendue après cette perquisition, dame Z. veuve M. indiquait (D 14) que dame de P. lui avait donné en réalité neuf lingots d'or dans le courant de l'été 1981 en deux fois (3 + 6) en lui disant qu' « ils pourront lui rendre service pour son travail » ; que ces lingots se trouvaient dans son placard à vêtements ; qu'elle avait déposé le neuvième lingot à sa banque à la Lloyd's Bank à Monte-Carlo en garantie d'un découvert bancaire ;
Qu'elle précisait que dans les instants précédant son hospitalisation (10 mai 1982) dame de P. lui avait demandé de s'occuper de ses bijoux et de ses papiers en l'avisant que ceux-ci se trouvaient dans les poches de ses vêtements et dans les tiroirs de son meuble de chambre et en lui demandant de les garder pour plus de sûreté en son absence ;
Qu'elle avait, de sa propre initiative, emporté ces bijoux et documents outre également 16 pièces d'or ainsi que 20 000 francs qui étaient dans la commode avec les papiers ; qu'elle avait utilisé ces 20 000 francs (ainsi que 1 000 francs remis par l'administrateur de l'hôpital le jour de la sortie de dame de P.) pour régler les frais nécessaires à l'entretien quotidien de celle-ci ;
Dame Z. veuve M. relatait également (D 11 et D 14) qu'elle avait déposé les documents (testament de feu H. de P., justificatifs de placements effectués par M. P., chéquiers) chez maître Marquilly, avocat-défenseur, laquelle s'était refusée à être dépositaire, sur sa demande, des bijoux de dame de P. ;
A. Z. veuve M. a, au cours de l'information et à l'audience du Tribunal correctionnel et de la Cour d'appel, confirmé d'une manière générale les dernières déclarations qu'elle avait faites à la police puis à l'instruction tendant à faire accréditer la thèse selon laquelle ce qui avait été découvert provenait soit de dons manuels consentis soit d'un dépôt conféré ;
Le conseil de l'inculpée, en plaidant la relaxe, s'est attaché à faire ressortir que dame P.de P. ne présentait pas de troubles du comportement avant son accident cérébral survenu ;
Le Ministère Public et les parties civiles, lesquelles sollicitent la confirmation du dispositif relatif à l'action civile, ont fait valoir leurs moyens tendant à démontrer, en s'appuyant sur les pièces du dossier, la culpabilité de dame A. Z. veuve M. ; le Ministère public a requis à la confirmation de la peine d'emprisonnement de deux ans assortie du sursis simple et à l'élévation du quantum de la peine d'amende sans remettre en cause la décision du Tribunal excluant des fins de la poursuite les faits relatifs aux cinq figures en céramique et la porcelaine de Chine ;
Sur ce :
Considérant que si l'on retenait la thèse de l'inculpé, les dons manuels portant sur des lingots d'or et pièces d'argenterie de valeur, constituant des largesses démesurées sans rapport avec les services rendus par dame Z. veuve M., traduiraient de la part de dame P. de P. qui souffrait d'une déficience mentale, un comportement exclusif d'une remise volontaire et consciente et de la part de l'inculpée une captation dolosive jurisprudentiellement assimilée à une soustraction frauduleuse ;
Mais considérant, de surcroît, que les variations de dame Z. veuve M. quant au nombre des lingots qu'elle détenait, l'absence de précisions quant aux circonstances qui auraient accompagné leur remise dépourvue de reçus, les visites effectuées au coffre-fort par la victime en compagnie de dame Z. veuve M., les contradictions existant entre les déclarations de l'inculpée et celles de sa sœur (laquelle avait précisé que les lingots se trouvaient à l'intérieur du coffre de l'appartement (D 82), ainsi que l'attitude dissimulatrice de l'inculpée vis-à-vis de la famille de la victime et de M. P., laissent présumer encore davantage d'une appréhension frauduleuse que d'une rétention frauduleuse ;
Considérant que cette intime conviction se trouve confortée par les conditions dans lesquelles a été opéré, le 10 mai 1982, l'enlèvement au domicile de dame P. de P., de ses bijoux, documents, pièces d'or et d'argent (20 000 francs) ;
Qu'en effet, il est invraisemblable que les fouilles de vêtements et de tiroirs accomplies par dame Z. veuve M. aient pu l'être sur les directives de dame P. de P. au moment même où celle-ci était victime d'une attaque cérébrale nécessitant son hospitalisation ; que le docteur S. qui a prescrit celle-ci a précisé que dame P. de P. dont le bras gauche était paralysé et la bouche déformée, n'émettait que des paroles inintelligibles, inaudibles, qu'il était physiquement impossible à celle-ci de donner des indications ou des instructions à une tierce personne (D 70) ; que dame L. N., épouse M. (D 71) a constaté de son côté, que vers 7 h 30 - 8 heures, avant l'arrivée de dame Z. veuve M., dame P. de P. paraissait hébétée et marmonnait des mots difficilement compréhensibles ;
Que d'ailleurs, dame Z. veuve M. a reconnu implicitement avoir pris des initiatives en ce qui concerne les pièces d'or et d'argent ;
Que le caractère frauduleux de la soustraction se trouve d'autant plus établi qu'après la sortie de dame P. de P.de l'hôpital, le 15 juin 1982, dame A. Z. veuve M. s'est bien gardée de lui restituer ce qui lui aurait été confié ou encore d'en effectuer la restitution soit à sa nièce (D 125 - D 127), soit à M. P. dont elle savait pourtant qu'il gérait ses affaires ; qu'elle s'est même rendue après le retour de dame P. de P. chez un avocat-défenseur pour y déposer sinon des bijoux - ce qu'elle avait vainement tenté de faire (D 14) - du moins des documents dont certains concernaient les relations d'affaires de P. avec les époux de P., auxquelles elle était étrangère ;
Que dame Z. veuve M. n'a point été capable de donner un compte détaillé de l'utilisation qu'elle a faite des 20 000 francs pour les besoins prétendus de la malade, alors qu'elle savait que M. P. était chargé d'y pourvoir ;
Qu'il ne saurait être admis que dame P. de P. avec son grand âge ait à diverses reprises transporté régulièrement au domicile de dame Z. veuve M. les bouteilles de vins fins et spiritueux alors que cette dernière possédant la clef de l'appartement pouvait disposer de la clef de la cave - ce que pensait dame C. (D 10) - cave dans laquelle se trouvaient non seulement les bouteilles susvisées mais encore les objets en argenterie, ce que n'ignorait point l'inculpée (D 12) ;
Qu'au surplus, dame Z. veuve M. avait poussé l'audace jusqu'à utiliser à ses fins personnelles une bague avec solitaire, à l'insu de dame P. de P. qui avait confié, en juin 1983, à sa nièce M. L. (D 127) « ne pas savoir comment cette bague avait quitté son doigt » ;
Considérant que l'ensemble de ces présomptions graves précises et concordantes sont de nature à caractériser les vols qui sont reprochés à dame Z. veuve M. tels qu'ils ont été retenus par les premiers juges, dont il y a lieu de confirmer les énonciations relatives aux cinq figures en céramique et de la porcelaine de Chine exposés ostensiblement dans l'appartement de l'inculpée depuis plusieurs années ;
Considérant qu'en ce qui concerne l'action publique, il y a lieu, en considération de la gravité des faits et de l'absence d'antécédents dont fait l'objet dame Z. veuve M., de confirmer le jugement entrepris relativement à la peine de deux ans d'emprisonnement assortie du sursis simple et d'élever à 20 000 francs la peine d'amende ;
Qu'en ce qui concerne l'action civile, il échet de confirmer intégralement le jugement ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,
Statuant correctionnellement,
Déclare recevables les appels interjetés le 28 juin 1985, à l'encontre du jugement prononcé par le Tribunal correctionnel de Monaco, le 25 juin 1985,
Faisant application des articles 2, 3 et 359 du Code de procédure civile, 309, 325, 392, 393 et 395 du Code pénal,
Sur l'action publique,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré dame A. Z. veuve M. coupable des faits de vols qui lui sont reprochés, l'a condamnée à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis, l'avertissement prévu par l'article 395 du Code pénal ayant été donné par le Président de la juridiction de céans ;
Elève à vingt mille francs (20 000 francs) le montant de l'amende à laquelle est condamnée dame Z. veuve M. ;
Sur l'action civile,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sbarrato et Boeri, av. déf. ; Bennarosh et Escoffrir, av.
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