Abstract
Résolution de vente
Voiture automobile livrée dans un état défectueux ne présentant pas les caractéristiques d'un véhicule neuf
Résumé
Le concessionnaire vendeur doit vérifier l'état du véhicule avant de le livrer à l'acheteur. Il ne remplit pas correctement son obligation de délivrance au cas de non-conformité entre le véhicule neuf promis et celui qui a été livré.
Ce dernier étant dans un état défectueux, l'acquéreur a pu considérer à bon droit que ledit véhicule ne présentait plus l'aptitude nécessaire à le satisfaire et être ainsi fondé à demander la résolution de la vente et la restitution du prix en application de l'article 1446 du Code civil.
Motifs
La Cour,
Considérant qu'il résulte des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :
C. V. a passé commande le 20 mars 1981 d'un véhicule Renault neuf de modèle 20 TX 1981 pour lequel il a versé le jour même un acompte de 6 000 francs et le solde soit 58 277 francs le 17 avril 1981 date de la livraison dudit véhicule au garage Saint-Christophe à Beausoleil ;
Ayant fait constater par un expert (M.) que ce véhicule présentait de fortes traces de corrosion (bloc moteur) et d'oxydation sur la carrosserie, V. adressait le 22 avril 1981 une lettre recommandée avec accusé de réception au garage Melchiore - . à Monaco, auprès duquel il avait souscrit le bon de commande, pour l'aviser qu'il refusait le véhicule livré en raison de ces avaries ;
En réponse M. M., directeur général de la société des Grands Garages du Carei à Menton lui offrait par lettre du 24 avril de remplacer ce véhicule par un autre de même modèle qu'il commandait ;
Par exploit d'huissier du 28 avril 1981, V. sommait M. M., ès-qualité d'avoir à lui restituer sous 48 heures la somme totale de 64 277 francs, lui déclarant qu'il entendait résilier le contrat de vente pour non respect des obligations incombant au vendeur ; qu'interpellé M. répondait : « J'ai proposé à M. V. par lettre du 24 courant de danger son véhicule. Je maintiens cette proposition et j'attends qu'il vienne le chercher » ;
Au nom de la société Les Grands Garages du Carei, M. écrivait le 6 mai 1981 à V. pour l'aviser que le nouveau véhicule était disponible ;
Commis par ordonnance de référé du 1er juin 1981, l'expert Benchetrit confirmait les constatations de l'expert officieux M. en concluant dans son rapport que le premier véhicule BO 210055 ne présentait ni les caractéristiques d'un véhicule neuf ni les qualités requises pour une utilisation normale alors qu'il n'en était pas de même du deuxième véhicule commandé ;
Par la même ordonnance du 1er juin 1981 susvisée Madame R. était désignée en qualité de séquestre de la somme de 64 277 francs devant être consignée entre ses mains par la société des Grands Garages du Carei ; cette consignation était effectuée ;
Le 22 décembre 1981 V. portait plainte contre X du chef d'escroquerie pour les défectuosités que présentait le véhicule vendu ;
L'information était clôturée par une ordonnance de non lieu rendue le 14 février 1983 laquelle était confirmée par arrêt de la Chambre du conseil du 28 juin 1983 après supplément d'information ordonné par cette dernière le 29 avril 1983 ;
La S.A. Les Grands Garages du Carei a le 10 mars 1982 assigné C. V. en présence de Madame C.-R. aux fins d'entendre condamner V. à lui payer la somme de 64 277 francs correspondant au prix du véhicule Renault 20 TX agréé par l'expert Benchetrit ; de dire et juger que contre remis avec les documents administratifs afférents ; de s'entendre en outre V. condamner à lui payer la différence entre la somme de 64 277 francs prix du neuf du premier véhicule et celui qui sera le sien selon l'argus au jour où le jugement sera définitif (au jour de l'assignation la différence étant de 19 377 francs) ; de s'entendre V. également condamner à 10 000 francs de dommages intérêts outre les dépens avec distraction ;
V. a conclu principalement à l'irrecevabilité de l'assignation au motif que la société demanderesse serait dépourvue de qualité et de statuts réels, mais subsidiairement et reconventionnellement à la résolution de la vente du premier véhicule et à la restitution de la somme de 64 277 francs majorée d'une part des intérêts de droit à compter de son immobilisation, d'autre part de 20 000 francs de dommages-intérêts ;
Le séquestre a dans ses conclusions déclaré détenir la somme de 64 277 francs ;
Par jugement du 3 mai 1984 le Tribunal a débouté la société des Grands Garages du Carei de ses demandes ; a prononcé la résolution du contrat de vente au profit de V. ; a ordonné la restitution à celui-ci de la somme de 64 277 francs ; a dit que le séquestre se libérera de ladite somme entre les mains de C. V. et qu'il se trouvera dès lors déchargé de sa mission ; a condamné la société des Grands Garages du Carei à payer à C. V. la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts ; a débouté C. V. de sa demande d'intérêts de retard ;
Le 19 février 1985 la société des Grands Garages du Carei a interjeté appel de cette décision et a assigné V. et le séquestre aux fins d'infirmation et d'allocation de l'entier bénéfice de son acte introductif d'instance et de condamnation de V. aux dépens de première instance et d'appel ;
Elle fait valoir qu'ayant proposé à V. un véhicule identique alors que le premier selon un rapport officieux de N. A. (du 5 mai 1982) présentait des anomalies secondaires, celui-ci a manifesté sa mauvaise foi en refusant cette offre, qu'il a profité ainsi d'un fallacieux prétexte pour annuler l'achat en poursuivant une procédure abusive dans le but de nuire à ses intérêts légitimes ;
Qu'aucune faute ne peut lui être reprochée du fait qu'elle lui a proposé aussitôt l'échange du véhicule par un autre absolument identique sans faire jouer les clauses de garantie ;
Que V. ne peut valablement arguer de ce qu'il a entendu acheter le véhicule litigieux à l'exception de tout autre identique et ce d'autant qu'il ignorait lors de la passation de l'acte de vente les données techniques précises tel que numéro de chassis et de moteur ; qu'il faut ramener à de plus justes propositions les constatations de l'expert Benchetrit qui a conclu que le véhicule n'avait pas les caractéristiques d'un véhicule neuf alors que celui-ci avait vraisemblablement souffert de mauvaises conditions de stockage ; que les traces de rouille étaient en fait très secondaires et n'affectaient en rien la sécurité dudit véhicule ;
Dans ses conclusions des 26 mars 1985 et 22 octobre 1985, V. demande au principal de constater que la société des Grands Garages du Carei n'a pas qualité pour agir ; qu'en effet, elle n'a pas d'existence réelle, en raison de sa fictivité du fait qu'elle a été inscrite au registre du commerce de Menton par fraude faute de disposer d'un immeuble effectif pour son siège social et son exploitation ; que de surcroît elle n'a jamais été contractante de V., le véritable contractant étant la régie Renault ;
Subsidiairement il sollicite la confirmation de la décision entreprise et qu'acte lui soit donné de ce qu'il se réserve d'actionner la société des Grands Garages du Carei du chef des dommages-intérêts nés de cette résolution ;
Que dans ses dernières conclusions du 22 octobre 1985, V. ne demande que la restitution de la somme de 64 277 francs, à l'exclusion de toute autre ; qu'il précise à cet égard qu'il « ne tient à réclamer devant la juridiction de céans que la restitution du montant du prix en principal, à l'exclusion de tous dommages-intérêts, fût-ce sous la forme d'intérêts moratoires, qu'il se réserve de demander par ailleurs » ;
Madame R. dans ses conclusions du 4 juin 1985 demande qu'acte lui soit donné de son rapport à justice ;
Sur ce :
Sur l'irrecevabilité de l'action intentée par la S.A. Les Grands Garages du Carei
Considérant que la société des Grands Garages du Carei justifie être concessionnaire de la Régie Nationale des Usines Renault par la production d'un contrat de concession établi le 5 janvier 1981 qui concédait à ladite société une zone comprenant les cantons de Menton et de Beausoleil ainsi que le territoire de la Principauté de Monaco en lui attribuant divers agents dont le Garage Melchiore à Monaco et le Garage Brunet à Beausoleil ;
Qu'elle produit un extrait du registre du commerce duquel il apparaît que M. M. représentait la société des Grands Garages du Carei en qualité de Président Directeur Général et que l'objet social comportait l'achat et vente en gros et détails de tous véhicules ; que s'il est vrai que la société des Grands Garages du Carei était inscrite au registre du commerce de Menton sans disposer encore d'un immeuble dans cette ville qu'elle escomptait posséder, elle n'en exerçait pas moins son activité de concessionnaire au siège de Garage Melchiore, . à Monaco où fut adressé le bon de commande souscrit au Garage Brunet de Beausoleil ;
Considérant que l'invocation de la fraude dans l'immatriculation au registre de commerce laquelle ne saurait être présumée et de la fictivité de la société s'avère gratuite alors qu'il n'est nullement établi que la société des Grands Garages du Carei n'ait point de patrimoine social ou d'activité qui lui soit propre ;
Considérant que V. qui demeure à Monaco s'est trouvé, en passant une commande que ce soit à Monaco, ou à Beausoleil, contractuellement lié avec le concessionnaire de la Régie Renault lequel n'était autre dans cette zone que la société des Grands Garages du Carei ; qu'à ce titre cette société qui ne saurait être considérée comme le mandataire du constructeur, exploite son entreprise à ses risques et périls en traitant avec la clientèle en son nom personnel ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'action intentée par la S.A. Les Grands Garages du Carei représentée par son président directeur est recevable ;
Sur les demandes en résiliation et résolution
Considérant qu'il est constant que V. a entendu acquérir une voiture automobile neuve ; qu'il ressort du rapport de l'expert judiciaire Benchetrit que le véhicule BO 210055 présentait des traces de corrosion sur le carter du moteur et la boîte de vitesse ainsi que des traces d'oxydation sur la partie droite de la traverse supérieure, le filtrage de l'axe de l'alternateur, l'intérieur des pare-chocs avant et arrière, le support charnière des portes arrière droite et arrière gauche, les deux supports fusés avant, les deux boulons de fixation des amortisseurs droit et gauche, le boulon de fixation du triangle inférieur droit et celui du triangle inférieur gauche, le collecteur et le tube d'échappement ; que la baie de pare-brise recelait des marques d'étanchéité de ladite baie ; que la plupart des piqûres de rouille étaient avancées et excessives ; que ces défectuosités sérieuses provenaient d'un stationnement prolongé du véhicule dans un endroit sans abri exposé à l'humidité et aux pluies ;
Que l'expert en concluait que le véhicule livré n'offrait pas les caractéristiques d'un véhicule neuf et les qualités requises pour une utilisation normale ;
Considérant que le concessionnaire vendeur qui se devait d'avoir connaissance de l'état du véhicule avant de le livrer n'a pas dans ces conditions rempli correctement son obligation de délivrance, étant donné la non conformité existante entre le véhicule neuf promis et celui qui a été livré ;
Que le véhicule livré était dans un état suffisamment défectueux pour que l'acquéreur ait pu considéré que ledit véhicule ne présentait plus l'aptitude nécessaire à le satisfaire ;
Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1446 du Code civil et ont ordonné la restitution du prix soit de la somme de 64 277 francs à V., en application de l'article 1463 du même code étant énoncé au surplus que le vendeur - qui avait perdu la confiance de l'acquéreur ne pouvait légalement ou contractuellement imposer à celui-ci la délivrance d'un véhicule de remplacement ;
Sur le donner-acte formé par V.
Considérant que dans ses écritures du 22 octobre 1985 V. a retranché de sa prétention tout chef de demande en dommages-intérêts découlant de la résolution ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de ne point statuer sur ce chef de demande en donnant acte à V. de ses réserves à cet égard ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Et ceux non contraires des premiers juges,
Déclare recevable l'appel interjeté par la S.A. Les Grands Garages du Carei à l'encontre du jugement du 3 mai 1984 ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'action intentée par la S.A. Les Grands Garages du Carei, a prononcé la résolution de la vente et a ordonné la restitution de la somme de 64 277 francs au profit de V., a dit que le séquestre se libérera de ladite somme entre les mains de V. et sera dès lors déchargé de sa mission et a condamné la S.A. Les Grands Garages du Carei aux dépens ;
Donne acte à V. de ce qu'il renonce présentement à réclamer des dommages-intérêts découlant de sa demande en résolution et de ses réserves quant à l'exercice d'une action judiciaire ultérieure de ce chef ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi, Boisson et Marquilly, av. déf. ; Mancilla, av.
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