Abstract
Bail
Application de la Loi française - Nullité d'un congé invoquant un motif non déterminé par la Loi
Résumé
Aux termes des articles 6 et 17 de la Loi française du 22 juin 1982 dite Loi Quilliot, le locataire a la faculté de résilier le contrat de location pour « des raisons financières personnelles, familiales, professionnelles ou de santé ».
En se bornant à alléguer dans le congé notifié aux bailleurs « des raisons personnelles » - lesquels motifs ne permettent pas aux bailleurs d'en vérifier le bien-fondé, le preneur ne se conforme pas aux textes susvisés - ce qui est de nature à entraîner la nullité dudit congé.
Observation :
L'immeuble loué était situé sur le territoire français (La Turbie) le litige concernant la résiliation du bail d'habitation se trouvait de ce fait soumis à la législation française des locaux d'habitation.
Motifs
La Cour,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par J.-C. E.-L. d'un jugement du Tribunal de première instance du 23 mai 1985 lequel, après l'avoir condamné à payer aux sieurs F. C., T. A. et T. J. (ci-après : les propriétaires ou les bailleurs) la somme de 30 029,52 francs a validé pour ce montant la saisie-arrêt pratiquée à leur requête auprès de la Compagnie Monégasque de Banque ;
Considérant qu'il résulte des éléments de la cause les faits suivants ;
Suivant acte sous seing privé du 30 novembre 1981 les propriétaires ont donné à bail à J.-C. E.-L., moyennant un loyer mensuel de 4 500 francs, une villa sise à La Turbie, ladite location étant « consentie et acceptée pour une durée de une année à compter du 1er décembre 1981, renouvelable ensuite par tacite reconduction et par période de une année faute de congé préalable... (devant) être signifié de part et d'autre par lettre recommandée avec accusé de réception en prévenant l'autre partie trois mois au moins avant l'expiration de la période en cours » ;
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 25 février 1983 J.-C. E.-L. informait les propriétaires, dans les termes suivants, de son intention de mettre fin au bail : « pour des raisons personnelles, je quitterai la villa que j'occupe actuellement et ce, le 31 mai 1983 », date à laquelle il vidait effectivement les lieux ;
Par lettre du 25 avril suivant, il leur demandait d'imputer les loyers demeurant dus des mois d'avril et mai 1983 (dont le montant avait été porté à 10 009,84 francs) sur le dépôt de garantie de 9 000 francs et joignait, à titre de complément, un chèque de 1 009,84 francs.
De leur côté les propriétaires, autorisés pour ce faire par une ordonnance sur requête du 31 mai suivant, faisaient pratiquer auprès de la Compagnie Monégasque de Banque une saisie-arrêt pour avoir paiement de la somme de 11 500 francs représentant notamment les loyers impayés des mois d'avril et mai 1983 et, par exploit du 9 juin 1983 assignaient le sieur E.-L. en paiement de ladite somme et en validation de la saisie-arrêt pratiquée ;
Le locataire résistait à cette demande en soutenant que ses bailleurs qui, faute d'avoir protesté lors de la réception de la lettre qu'il leur avait adressée le 25 février 1983, avaient accepté la résiliation anticipée du bail, se trouvaient remplis de leur droit relativement aux loyers impayés des mois d'avril et mai 1983 par la mise à disposition du dépôt de garantie et la remise du chèque de 1 009,84 francs ;
Par conclusions du 11 janvier 1985 les propriétaires contestaient avoir accepté la résiliation anticipée du bail et soutenaient que le congé qui leur avait été notifié était nul, en application de l'article 17 de la loi française du 22 juin 1982, faute d'avoir indiqué le motif de résiliation invoqué ; ils s'estimaient, en conséquence, fondés à réclamer le paiement des loyers jusqu'au terme du bail, soit le 30 novembre 1983 et portaient en conséquence leur demande à la somme de 40 039,36 francs ;
Le locataire répliquait en soulevant l'irrecevabilité de cette demande, par eux qualifiée de nouvelle, en soutenant que les débats avaient été liés sur les fins de la demande initiale qui tendait au paiement des loyers des seuls mois d'avril et mai 1983 ;
Pour donner gain de cause aux bailleurs et condamner le locataire à leur payer, selon un décompte non contesté en soi, la somme de 30 029,52 francs les premiers juges ont estimé :
* que la résiliation amiable d'une convention, au même titre que la conclusion d'un contrat, supposait un accord de volonté expressément manifesté par les parties, lequel n'apparaissait nullement démontré en l'espèce, un tel accord ne pouvant être déduit de l'absence de protestation ou de contestation des propriétaires en temps opportun ni des termes de la requête présentée au soutien de la saisie-arrêt sollicitée,
* qu'en conséquence « la résiliation n'avait pu avoir d'effet » en dépit du congé notifié en méconnaissance des termes du bail et sans justification des circonstances visées par l'alinéa 2 de l'article 6 de la loi Quilliot, qu'à la date contractuellement prévue du 30 novembre 1983, jusqu'à laquelle le locataire était tenu de satisfaire aux obligations mises à sa charge,
* qu'enfin, la demande en paiement des loyers jusqu'au 30 novembre 1983 constituait une demande incidente laquelle pouvait être régulièrement formée, en tout état de cause, par simples conclusions auxquelles le locataire avait d'ailleurs répondu, de telle sorte que le principe du contradictoire avait été respecté ;
Considérant qu'en cause d'appel le sieur E.-L. réitère sans justifications complémentaires les moyens déjà développés devant les premiers juges notamment en ce qui concerne l'irrecevabilité de la demande complémentaire des propriétaires, formée par simples conclusions, qu'il souligne toutefois que l'acquiescement de ses bailleurs à la résiliation anticipée du bail résulte tant de leur absence de protestations lors de la réception du congé que du fait que le 31 mai 1983, soit à la date même à laquelle ledit congé devait prendre effet, ils ont présenté, aux fins d'être autorisés à procéder à une saisie-arrêt, une requête comportant les termes suivants : « qu'il (le locataire) doit quitter les lieux à la date du 31 mai 1983 et que la créance des propriétaires est en péril » ; qu'il fait encore valoir, à cet égard, que si les intimés avaient alors estimé que le bail ne pouvait être résilié au 31 mai 1983, ils l'auraient immédiatement assigné en paiement du loyer exigible jusqu'au 30 novembre 1983 ; qu'enfin il soutient que le congé qu'il a notifié le 25 février précédent et qui mentionne qu'il usait de la faculté de résilier le bail « pour des raisons personnelles » est régulier au regard des dispositions de la loi du 22 juin 1982 ;
Qu'il conclut ainsi, par réformation du jugement entrepris, à ce que soit déclarée irrecevable la demande en paiement de la somme de 40 039,36 francs formée par voie des conclusions déposées à l'audience le 11 janvier 1985, au déboutement des intimés de leurs demandes et à ce que soit ordonnée la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée sur son compte ouvert à la Compagnie Monégasque de Banque ;
Considérant que les intimés concluent à la confirmation du jugement entrepris ;
Sur ce,
Considérant qu'il convient d'examiner successivement la recevabilité de la demande additionnelle des bailleurs, le moyen tiré par le preneur du prétendu acquiescement des bailleurs à une résiliation anticipée du bail et, en cas de rejet de ce moyen, la nullité, invoquée par les bailleurs, du congé qui leur a été notifié le 25 février 1983 pour le 31 mai suivant :
Sur la recevabilité de la demande additionnelle des bailleurs,
Considérant que l'article 156 du Code de procédure civile, qui édicte que l'exploit d'assignation contiendra l'objet de la demande, n'interdit pas de former en première instance une demande nouvelle, dès lors que cette demande a, avec l'action originaire, un lien suffisamment étroit de dépendance ou de connexité ;
Considérant qu'un tel lien de connexité existe en l'espèce et qu'il échet en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable la demande additionnelle des bailleurs ;
Sur l'acquiescement des bailleurs à la résiliation anticipée du bail,
Considérant que l'acquiescement des consorts F.-T. à la résiliation anticipée du bail, dont se prévaut l'appelant, s'analyse en une renonciation tacite desdits bailleurs à se prévaloir, soit de la clause du bail n'autorisant les parties à mettre fin à la location que pour le premier décembre de chaque année, soit de la nullité édictée par l'alinéa 3 de l'article 17 de la loi du 22 juin 1982 ;
Considérant qu'une telle renonciation ne se présume pas et ne peut résulter que de manifestations non équivoques de volonté, lesquelles ne sauraient être déduites des éléments de la cause ;
Considérant en effet que le silence des bailleurs lors de la notification du congé (en admettant la réalité d'un tel silence alors qu'ils soutiennent avoir protesté par une lettre, non recommandée, que l'appelant déclare n'avoir pas reçue) et le fait que, dans un premier temps, ils n'aient pas demandé le paiement des loyers que jusqu'à la date fixée par le congé pour la libération des lieux peuvent ne révéler qu'un manque d'informations à une époque où la loi Quilliot faisant dans la grande presse l'objet de commentaires qui n'étaient pas uniquement d'ordre juridique ;
Considérant de même que les termes « le locataire doit quitter les lieux à la date du 31 mai 1983 » figurant dans leur requête aux fins de saisie-arrêt n'établit pas qu'ils estimaient que leur locataire était tenu, et par là-même était en droit, de mettre fin au bail pour la date précitée, le verbe devoir étant susceptible d'autres significations et pouvant notamment n'exprimer qu'une intention ou même ne marquer qu'une simple supposition ;
Considérant qu'il échet dès lors de confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a décidé que n'était pas établi l'accord de la volonté des parties pour résilier amiablement le bail du 30 novembre 1981 ;
Considérant en conséquence, qu'il convient d'examiner la situation résultant de la notification du congé du 25 février 1983 ;
Sur le congé du 25 février 1983,
Considérant que les parties s'accordent pour considérer comme applicables au congé litigieux les articles 6 et 17 de la loi française du 22 juin 1982, dite loi Quilliot, étant observé que, dans l'hypothèse contraire, ce congé serait nécessairement sans effet, comme n'entrant pas dans les prévisions du bail originaire ;
Qu'il échet en conséquence de rechercher s'il a été régulièrement délivré au regard des dispositions susvisées ;
Considérant que l'article 6 de la loi Quilliot édicte que le locataire peut résilier le contrat de location au terme de chaque année de contrat, selon les règles prévues à l'article 17 et, par son second alinéa, que le locataire a également la faculté de résilier le contrat, selon les mêmes règles, à tout moment pour des raisons financières personnelles, familiales, professionnelles ou de santé ;
Considérant que l'alinéa 3 de l'article 17 de la même loi édicte, à peine de nullité, que le congé notifié par le locataire, en application de l'article 6, second alinéa, indique le motif allégué ;
Qu'ainsi, la question qui se pose est celle de savoir si, en alléguant « des raisons personnelles » le locataire a, ainsi qu'il le soutient, répondu aux vœux de la loi ou si, au contraire, il a omis de s'y conformer ainsi que les premiers juges l'ont estimé ;
Considérant que l'article 6, deuxième alinéa, de ladite loi prévoit de façon générale les raisons, classées dans diverses catégories, qui permettent au locataire de résilier le contrat à tout moment, lesquelles raisons ne sauraient être confondues avec le motif réel nécessitant son départ du logement que le locataire est tenu d'indiquer dans le congé, sous peine de nullité, afin de permettre au bailleur d'en vérifier le bien-fondé après avoir éventuellement réclamé toutes justifications utiles ;
Considérant en l'espèce, qu'en se bornant à alléguer dans le congé qu'il a fait notifier à ses bailleurs « des raisons personnelles » l'appelant, non seulement ne s'est pas conformé aux prescriptions de l'article 17 alinéa 3 de la loi, ce qui entraîne la nullité du congé, mais encore, ne s'est même pas référé d'une manière exacte à l'une des catégories de raisons générales édictées par l'article 6 ;
Considérant en effet que la première catégorie de raisons prévues par ledit article est celle des « raisons financières personnelles » dont les deux qualificatifs, qui ne sont pas séparés par une virgule, ne peuvent être retenus isolément : qu'au surplus, à les considérer comme formant à eux deux une seule catégorie, ces termes de « raisons personnelles » constitueraient une redondance par rapport aux raisons familiales, professionnelles ou de santé qui lui font suite et qui entrent nécessairement dans cette même catégorie ;
Qu'il échet dès lors de confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'argumentation de l'appelant en ce qu'elle était fondée sur le congé du 25 février 1983 ;
Considérant par ailleurs que les premiers juges ont estimé que le congé litigieux, s'il était nul au regard de la loi Quilliot, n'en avait pas moins eu pour effet de mettre fin au bail au terme annuel contractuellement prévu ;
Considérant que cette décision, approuvée par les intimés, n'est pas contestée, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire, par l'appelant lequel, ainsi qu'il a été vu ci-avant, s'est borné à arguer, d'une part, de l'acquiescement de ses bailleurs à la résiliation anticipée du bail, d'autre part, de la régularité du congé ;
Considérant qu'il échet en conséquence de confirmer également de ce chef le jugement entrepris ;
Considérant enfin que les chefs du jugement entrepris relatifs au décompte établi par les premiers juges et à la validation de la saisie-arrêt ne sont pas critiqués et qu'il échet, dès lors en tant que de besoin, de les confirmer également ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
En ceux non contraires des premiers juges ;
La Cour d'appel de la Principauté de Monaco ;
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement entrepris du 23 mai 1985 ;
Composition
MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sanita et Sbarrato, av. déf.
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