Motifs
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 26 JUIN 2018
En la cause de :
- La Société Anonyme Monégasque dénommée SOCIETE DE NEGOCE DE MATERIEL ayant pour sigle SO. NE. MA, dont le siège social est 7 avenue d'Ostende à Monaco, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° 85 S 02162, agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Virginie CECCHETTI, avocat au barreau de Nice, substituée par Maître Virginie POULET-CALMES, avocat en ce même barreau ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- Monsieur p. OD., demeurant X1, 06200 Nice ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉ,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 30 mars 2017 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 10 mai 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000145) ;
Vu les conclusions déposées les 3 octobre 2017 et 16 janvier 2018 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. OD. ;
Vu les conclusions déposées les 21 novembre 2017 et 13 mars 2018 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SAM SONEMA ;
À l'audience du 22 mai 2018, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM SONEMA à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 30 mars 2017.
Considérant les faits suivants :
Embauché à compter du 1er juillet 1998 par la SAM SOCIÉTÉ DE NEGOCE DE MATÉRIEL (la SONEMA), p. OD., par courrier du 23 juillet 2014 reçu le 28 juillet 2014, a présenté à son employeur sa démission et sollicité la réduction de son préavis pour qu'il s'achève le 31 août 2014.
Le 30 juillet 2014, l'employeur trouvait dans l'ordinateur de Monsieur OD. des documents internes à la société, qu'il ne devait pas détenir, et qu'il avait transféré sur le Cloud.
Des courriers ont été échangés entre les parties, suivis d'une interdiction faite par l'employeur à Monsieur OD. d'accéder au réseau informatique interne et de son refus de réduire la durée du préavis qui a expiré le 2 octobre 2014.
Par requête en date du 3 décembre 2014 reçue au greffe le 5 décembre suivant, la SONEMA a saisi le Tribunal du Travail, en paiement de la somme de 140.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral résultant de la violation du contrat de travail et du règlement intérieur, et plus généralement de l'obligation de loyauté par l'accomplissement notamment d'actes de concurrence déloyale.
À défaut de conciliation l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement. Par jugement en date du 30 mars 2017, le Tribunal du travail :
* s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts présentée par la SONEMA à hauteur de 36.000 euros en réparation de son préjudice moral,
* s'est déclaré compétent pour le surplus,
* a débouté la SONEMA de toutes ses demandes,
* a débouté p. OD. de sa demande reconventionnelle,
* a condamné la SONEMA aux dépens.
Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que :
* le Tribunal du travail connaît des actions nées de la violation par le salarié de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail et des actions en concurrence déloyale nées de faits commis pendant l'exécution du contrat de travail,
* les actions nées de faits commis postérieurement à la rupture du contrat de travail relèvent de la compétence de droit commun du tribunal de première instance,
* le procès-verbal de constat d'huissier qui liste les données et les documents confidentiels, qui selon l'employeur auraient été partagés par le salarié à partir du logiciel Google Drive installé sur son ordinateur professionnel, a été établi plus de deux mois après que Monsieur OD. se soit vu interdire tout accès à son ordinateur,
* l'huissier a constaté que des personnes tierces étaient intervenues sur l'ordinateur de Monsieur OD., en utilisant son identifiant, postérieurement à cette date,
* le logiciel Google Drive a été installé plus de deux ans avant la démission de Monsieur OD. de sorte qu'il n'existe pas de lien entre les deux,
* Monsieur OD. ne conteste pas qu'il a utilisé le logiciel Google Drive pour stocker des informations et des documents internes à la SONEMA,
* les fichiers restent cependant privés sauf si l'utilisateur décide de les partager,
* la SONEMA ne démontre pas que son salarié a divulgué des documents sensibles à des concurrents,
* si les faits de stockage se sont déroulés pendant l'exécution du contrat de travail, permettant de retenir la compétence du Tribunal du travail, l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une communication de documents pendant la relation de travail ni d'actes de concurrence déloyale,
* le préjudice moral résulterait d'actes de concurrence déloyale commis postérieurement à l'expiration du contrat de travail,
* Monsieur OD. ne conteste pas avoir externalisé des documents internes à la société SONEMA sur le Cloud, en méconnaissance du Règlement Intérieur,
* il n'établit pas avoir agi sur les directives de son employeur,
* la mise à disposition par l'employeur d'un téléphone GSM pour accéder à sa messagerie professionnelle, ne l'autorisait pas à l'envoi de fichier par ce biais sans la permission expresse de son employeur,
* cependant le préjudice invoqué par l'employeur est hypothétique, consistant dans une utilisation par Monsieur OD. de ces documents, qui n'est nullement démontré,
* Monsieur OD. ne rapporte ni la preuve de la faute commise par la SONEMA dans l'exercice de son droit d'agir en justice, ni la preuve du préjudice qui en serait résulté.
La SONEMA a interjeté appel du jugement qui lui a été signifié le 11 avril 2017, par exploit d'assignation en date du 10 mai 2017.
Dans l'assignation et par conclusions des 21 novembre 2017 et 13 mars 2018, elle demande à la Cour de :
* la recevoir en son appel « parte in qua » et de l'y déclarer bien fondée,
* réformer la décision entreprise en ce qu'elle :
* s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts présentée par elle à hauteur de 36.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral,
* l'a déboutée de toutes ses demandes,
* l'a condamnée aux dépens,
* la confirmer pour le surplus,
* dire et juger que Monsieur OD. a manqué à son obligation contractuelle de loyauté vis-à-vis de son employeur par l'accomplissement notamment d'actes de concurrence déloyale à son préjudice,
* se déclarer compétent pour statuer sur ses demandes de dommages et intérêts, en réparation de ses préjudices, tant matériel que moral,
* condamner Monsieur OD. à lui payer la somme de 104.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel,
* condamner Monsieur OD. à lui payer la somme de 36.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,
* rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Monsieur OD.,
* condamner Monsieur OD. aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir pour l'essentiel que :
* elle a mis en place un système visant à protéger ses données tout en permettant aux salariés de poursuivre leur mission consistant dans :
* l'installation d'un réseau informatique interne à l'entreprise sur lequel sont connectés tous les postes de travail des salariés,
* la mise à disposition à certains salariés, dont Monsieur OD., d'un smartphone, qui leur permet de téléphoner et de recevoir leurs emails professionnels mais qui ne sont pas reliés au réseau interne protégé,
* un règlement intérieur, auquel renvoie chaque contrat de travail, posant l'interdiction de communiquer tout document de la société, sans autorisation dûment accordée,
* depuis 2012, Monsieur OD. a, sans aucune autorisation de son employeur, procédé à l'installation du logiciel GOOGLE DRIVE sur son poste de travail, afin de pouvoir transférer et utiliser des documents à l'extérieur de la société,
* il n'a jamais reçu l'autorisation expresse d'externaliser les fichiers appartenant à la SONEMA,
* Monsieur OD. reconnaît qu'il avait l'habitude de « synchroniser les informations du pc de bureau vers le GSM »,
* il avoue avoir récupéré ces données par « défi »,
* il prétend qu'aucun document n'a été synchronisé à d'autres fins que l'exécution de son contrat de travail, alors qu'une mise à jour du logiciel a été effectuée le 28 juin 2017, et qu'une synchronisation des données, dont la liste des prospects a été faite le 15 juillet 2014, soit deux jours avant l'annonce de son départ à la concurrence,
* il a méconnu les obligations résultant de son contrat de travail et du règlement intérieur et a manqué à son obligation de loyauté envers son employeur,
* il a œuvré depuis 2012, pour se constituer une véritable base de données confidentielles appartenant à la société de nature à lui offrir un avantage compétitif en cas de départ vers la concurrence, pendant ses heures de travail,
* il a agi en toute connaissance de cause en créant le sous fichier SONEMA comportant une série de documents sensibles qui ne concernaient pas son activité,
* il a procédé à l'effacement de ses emails entre novembre 2013 et juillet 2014, démontrant sa volonté de faire disparaître les preuves d'une fuite d'informations vers l'extérieur et les contacts qu'il aurait pu entretenir afin de préparer son départ vers la concurrence,
* l'obligation de loyauté interdit au salarié de développer, pour son compte ou celui d'un tiers, tout acte de concurrence à l'encontre de l'entreprise qui l'emploie,
* le fait de se servir des informations obtenues caractérise un acte de déloyauté prémédité et révèle une intention de nuire,
* cette obligation de loyauté perdure après l'expiration du contrat de travail,
* l'absence de loyauté du salarié est caractérisée par le détournement de documents sensibles, son embauche par une entreprise concurrente et le démarchage actif des clients de la SONEMA,
* les agissements déloyaux de Monsieur OD. ont été rendus possibles grâce aux faits qui se sont produits pendant l'exécution du contrat de travail,
* la période à prendre en compte est celle du détournement des documents, soit avant juillet 2014, et non celle où il a pu faire utilisation de ces documents auprès de sociétés concurrentes,
* la chronologie des actes accomplis par Monsieur OD. dans un temps très proche de celui de sa démission établit la preuve irréfutable du dessein de ce salarié qui s'apprêtait à rejoindre la concurrence,
* la preuve du détournement de clientèle résulte de témoignages de collègues,
* le constat d'huissier établi le 1er octobre 2014 démontre que Monsieur OD. a emporté un très grand nombre de données confidentielles de la société aux fins de les utiliser,
* les fichiers externalisés par Monsieur OD., à qui il est loisible de continuer à faire usage de ces éléments, représentent une valeur considérable et le fonds de commerce de la SONEMA, et sont particulièrement intéressant pour qui souhaite valoriser son embauche auprès de la concurrence,
* il existe un faisceau d'indices concordants très fort démontrant l'utilisation des données de l'entreprise, et notamment concernant le client ORTEC, dont le contrat est récupéré après le départ de Monsieur OD., par l'entreprise dans laquelle il vient d'être embauché, grâce à une baisse de prix très importante qui n'a pu se faire que par la connaissance des prix et marges pratiqués par la SONEMA,
* le seul fait que le vol de ces données soit avéré est suffisant tant il compliqué de prouver l'utilisation de ces informations sur un marché international,
* le document « prospections » de la SONEMA qui a été externalisé par Monsieur OD. a une valeur financière correspondant au temps de travail effectué par un commercial pour le constituer, soit 62.000 euros peu important que les données qu'il contient aient ou non été utilisées par Monsieur OD.,
* la valeur des documents de formation et d'audit se calcule en tenant compte du temps de travail effectué par les ingénieurs et techniciens qui les ont élaborés soit 30.000 euros et 12.000 euros, indépendamment du fait que Monsieur OD. ait pu ou non les utiliser,
* il n'est pas nécessaire de démontrer un préjudice réel pour que soit reconnue la faute,
* les actes de démarchages et de concurrence déloyale ont été rendus possibles grâce aux synchronisations fautives de Monsieur OD., commises pendant l'exécution de son travail,
* c'est donc à tort que le Tribunal du travail s'est déclaré incompétent pour connaître du préjudice moral résultant des actes de concurrence déloyale,
* le préjudice moral résulte de la confiance trahie, Monsieur OD. utilisant toutes les bases commerciales et financières de la société pour prospecter des clients et prospects existants, en se positionnant sur des prix inférieurs,
* il se revendique être un ancien salarié de la SONEMA pour approcher les clients et prospect, ce qui constitue des actes parasitaires portant atteinte au bon fonctionnement de la SONEMA et à sa réputation,
* le démarchage de la société ORTEC n'a pas permis le renouvellement de son contrat,
* le démarchage du client OPTORG a pu être conservé par la SONEMA après une très importante baisse de prix.
En réponse, et par conclusions du 3 octobre 2017 et conclusions récapitulatives du 16 janvier 2018, Monsieur OD. demande à la Cour de :
À titre principal
* infirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'il a commis une faute et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* dire et juger qu'il n'a pas violé les stipulations de son contrat de travail et du règlement intérieur de la SONEMA,
* dire et juger qu'il n'a pas violé l'obligation générale de loyauté vis-à-vis de la SONEMA,
* débouter la SONEMA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* condamner la SONEMA à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
À titre subsidiaire
* constater l'absence de préjudice matériel et moral subi par la SONEMA,
* la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause
* confirmer l'incompétence du Tribunal du travail pour connaître de la demande en paiement de la somme de 36.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral fondée sur les agissements de concurrence déloyale qui lui sont attribués,
* condamner la SONEMA aux entiers dépens distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur sous sa due affirmation.
Il fait valoir pour l'essentiel que :
* lorsque les actes de concurrence déloyale reprochés ont été commis après l'expiration du contrat de travail, le Tribunal du travail n'est pas compétent pour connaître du litige,
* le contrat de travail ne prévoit pas de clause de non concurrence,
* il appartient donc à l'employeur de démontrer que Monsieur OD. aurait accompli des actes déloyaux avant l'expiration de son préavis,
* l'employeur énonce expressément que les actes qu'elle lui reproche ont été commis après son départ de la société,
* le fait que des actes de concurrence déloyale postérieurs à la rupture du contrat de travail puissent être liés à d'autres actes fautifs perpétrés durant la relation de travail est indifférent,
* il n'a jamais commis aucun des actes déloyaux qui lui sont attribués,
* le procès-verbal de constat d'huissier a été établi le 1er octobre 2014, soit plus de 2 mois après qu'il n'ait plus eu accès à son ordinateur,
* il est certain que l'ordinateur a été manipulé par son employeur hors sa présence, de sorte qu'il y a lieu d'émettre les plus expresses réserves quant aux modifications qui ont pu être apportées au contenu de son ordinateur en son absence, et au caractère probant du constat du 1er octobre 2014,
* il n'a pas utilisé le logiciel Google Drive pour envoyer des fichiers ou pour externaliser des informations et des documents internes à la société, mais a synchronisé des données professionnelles sur Google Drive entre son ordinateur professionnel et son téléphone portable professionnel, afin d'exécuter ses missions,
* le logiciel Google Drive était fourni par la société SONEMA et nécessaire à l'accomplissement des missions,
* la synchronisation des données professionnelles était connue et autorisée par l'employeur,
* aucun des documents professionnels synchronisés n'ont été extériorisés par lui,
* les GSM remis à tous les commerciaux étaient sous système d'exploitation Google et disposaient donc automatiquement de l'application Google Drive,
* ce logiciel mis à disposition par l'employeur permettait de synchroniser les données appartenant à la SONEMA et de pouvoir y accéder lorsque le salarié était en déplacement à l'étranger,
* les documents qu'il a synchronisés concernent des dossiers qu'il a dû gérer ou des informations nécessaires afin de prospecter des nouveaux clients,
* il a eu recours à cette application depuis 2012 et son utilisation ne peut avoir aucun lien avec l'offre d'emploi qui lui a été faite bien des années plus tard,
* entre 2012 et 2014, l'employeur ne lui a jamais reproché l'utilisation de ce logiciel, ni ne l'a informé d'une quelconque interdiction à cet égard,
* l'article 17 du règlement intérieur n'est pas applicable puisqu'il s'est servi du logiciel pour synchroniser les données entre son ordinateur et son téléphone et non pour sortir des documents de la société,
* la SONEMA n'a jamais contesté le courrier du 16 août 2014, lui rappelant ses éléments,
* la SONEMA ne démontre toujours pas qu'il aurait communiqué ses documents à des tiers,
* c'est à la demande de l'employeur qu'il a procédé à l'effacement de toutes les données appartenant à la société qui y avait été synchronisées,
* il ne possède plus les données professionnelles qu'il a synchronisées,
* les emails pour la période du 14 novembre 2013 au 7 juillet 2014 ont été archivés de sorte que la société peut y avoir accès même s'ils ont été effacés, ce qu'il conteste,
* aucun document n'a été synchronisé à d'autres fins que l'exécution de son contrat de travail,
* il n'est pas démontré qu'il ait commis des actes de concurrence déloyale antérieurement à la rupture de son contrat de travail,
* il n'est pas davantage établi qu'il en ait commis à l'expiration de son contrat, l'employeur procédant par voie d'affirmation et sans apporter le moindre élément les étayant,
* la seule synchronisation des données de la société sur l'application Google Drive ne saurait suffire à démontrer l'existence d'un préjudice,
* le démarchage de la clientèle de son ancien employeur n'est nullement fautif dès lors qu'il n'est pas accompagné d'un procédé déloyal, et le simple report de clientèle ne suffit pas à caractériser la déloyauté d'un ancien salarié,
* il a été un salarié irréprochable pendant plus de 16 ans, et s'est trouvé du jour au lendemain privé d'accès à ses outils de travail sur le fondement de motifs fallacieux,
* il a dû engager des frais conséquents pour assurer la défense de ses droits.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
1°- Sur la recevabilité des appels
Attendu que les appels du jugement, interjetés à titre principal par la SONEMA, et à titre incident par Monsieur OD., dans les formes et délais prescrits sont recevables ;
2°- Sur le fond
Sur les demandes de la SONEMA
Attendu que la SONEMA fait état de fautes commises par Monsieur OD. au cours de l'exécution de son contrat de travail, tenant d'une part à la violation de son contrat de travail et du règlement intérieur à l'origine d'un préjudice matériel évalué à 104.000 euros, et d'autre part à l'accomplissement d'actes de concurrence déloyale générateur d'un préjudice moral, dont elle demande réparation à hauteur de 36.000 euros ;
Attendu que s'agissant du premier grief, le contrat de travail impose au salarié d'observer le règlement intérieur ;
Que ce règlement intérieur fait interdiction aux salariés d'installer, sur l'équipement informatique, « d'autres logiciels que ceux fournis par la société et nécessaires à la bonne exécution des tâches confiées » (article 11), et de sortir « aucun document de la société, sous quelque forme que ce soit, y compris par des moyens de télécommunications tels que fax, mails, sauf si ces documents sont exclusivement personnels et ne concernent la société à aucun titre ou si la Direction a donné son autorisation expresse » (article 17) ;
Attendu qu'il est constant que Monsieur OD. disposait d'un smartphone, remis par son employeur pour les besoins de son activité professionnelle ;
Que Monsieur OD. indique, sans être contredit, que ce smartphone étant sous système d'exploitation Google, il disposait automatiquement de l'application Google Drive, et qu'ainsi il n'a procédé à aucune installation spécifique ;
Que ce logiciel permet de stocker, partager, modifier et visualiser des fichiers, et de les synchroniser à distance avec des terminaux fixes ou mobiles ;
Qu'il est établi que depuis 2012, le logiciel Google Drive a été installé sur le poste de travail de Monsieur OD., qui l'a utilisé pour transférer des fichiers à l'extérieur de la société, ce qu'il ne conteste pas, déclarant que l'utilisation de ce logiciel était nécessaire à la bonne exécution des tâches confiées par son employeur ;
Mais attendu d'une part, qu'il ne prétend pas que l'installation de ce logiciel sur son poste fixe soit le fait de son employeur, ce que ce dernier dénie ;
Que d'autre part, il ne saurait être déduit de la remise par l'employeur à certains salariés, de smartphones disposant automatiquement de l'application Google Drive, qu'il aurait donné son autorisation à l'installation de ce logiciel sur les postes fixes leur étant attribués et à son utilisation ;
Que cette autorisation ne résulte pas non plus de l'avantage que Monsieur OD. a pu tirer de l'utilisation de ce logiciel dans l'exécution de son travail ;
Que le smartphone dont il disposait lui permettait de recevoir des mails professionnels et les pièces jointes qui y étaient attachées, de sorte qu'il n'est pas établi que l'accomplissement des tâches qui lui était confiées était impossible sans avoir recours à ce logiciel ;
Attendu qu'en utilisant le logiciel Google Drive, Monsieur OD. a externalisé des fichiers internes à la SONEMA, puisque ces derniers ont été stockés sur le Cloud ;
Que l'autorisation expresse de l'employeur exigée par le règlement intérieur, pour sortir un document de la société, que ce dernier conteste formellement avoir donnée, n'est pas établie ;
Qu'en procédant à l'installation du logiciel Google Drive sur son ordinateur fixe et en externalisant des fichiers internes à la SONEMA sans autorisation expresse de son employeur, quand bien même il ne les aurait pas partagés, Monsieur OD. a contrevenu aux dispositions des articles 11 et 17 du règlement intérieur et a commis une faute ;
Attendu que la SONEMA fait état d'un préjudice résultant de l'externalisation du document « prospections » et des documents de formation et d'audit ;
Qu'elle indique que ces documents ont une réelle valeur commerciale qu'elle chiffre en retenant le temps de travail passé pour l'établissement de ces documents, soit :
* pour le document « prospections » à la somme de 62.000 euros,
* pour les documents « formation et audit » aux sommes de 30.000 euros et 12.000 euros ;
Mais attendu qu'il convient de retenir d'une part que ces documents sont toujours détenus par la société, et d'autre part qu'il n'est pas établi que Monsieur OD. aurait fait usage de ces documents à son préjudice ;
Que si la suppression par Monsieur OD. des fichiers concernés, ainsi qu'il l'affirme, ne peut être garantie, le préjudice allégué résultant de leur possible utilisation dans l'avenir est incertain, alors de surcroît que près de quatre années se sont écoulées depuis la rupture des relations contractuelles, sans qu'aucun usage n'ait été signalé ;
Qu'ainsi l'atteinte à la valeur commerciale de ces documents n'est pas démontrée ;
Que l'allocation de dommages et intérêts suppose l'existence d'un préjudice, qui en l'espèce n'est pas établi ;
Attendu que par ailleurs, la SONEMA reproche à Monsieur OD. des actes de concurrence déloyale tenant au démarchage de ses clients ;
Que le Tribunal s'est à juste titre, déclaré incompétent pour connaître de cette demande, rappelant que sa compétence en la matière était limitée aux actions en concurrence déloyale nées de faits commis pendant l'exécution du contrat de travail, à l'exclusion de celles nées de faits commis à l'issue de ce contrat ;
Que devant la Cour, la SONEMA confirme que le démarchage de ses clients par Monsieur OD. est intervenu postérieurement à la rupture de son contrat de travail, mais qu'il n'a été rendu possible que par la commission d'actes commis pendant l'exécution du contrat de travail ;
Que ces actes qu'elle énumère consiste dans :
* la sélection des documents qu'il souhaitait emporter,
* la suppression de la trace de ses synchronisations, en désinstallant le logiciel Google Drive le 16 juillet 2014, veille de son entretien avec son chef de service,
* la suppression de ses mails entre le 14 novembre 2013 et le 17 juillet 2014, jour où il devait rencontrer son chef de service pour lui annoncer son départ,
* une demande de départ de la SONEMA dans l'empressement, sans exécution de son préavis ;
Attendu que ces actes, à supposer établis, quand bien même seraient-ils fautifs, ne constituent pas des actes de concurrence déloyale ;
Qu'il n'est pas établi qu'un acte de cette nature a été commis pendant l'exécution du contrat de travail, ce qu'admet implicitement la SONEMA lorsqu'elle mentionne « il est donc tout à fait vraisemblable que les actes déloyaux aient commencé avant même la fin de son contrat de travail » ;
Que dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal du travail s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande en réparation du préjudice moral résultant d'actes de concurrence déloyale ;
Attendu qu'en conséquence le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions statuant sur les demandes de la SONEMA ;
Sur la demande de Monsieur OD.
Attendu qu'il n'est pas établi que la SONEMA ait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice et de recourir à l'encontre d'une décision qui lui fait grief ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur OD. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que la SONEMA qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens de la présente procédure, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit la SAM SOCIÉTÉ DE NÉGOCE DE MATÉRIEL en son appel principal, et Monsieur OD. en son appel incident ;
Confirme le jugement du Tribunal du travail du 30 mars 2017 en toutes ses dispositions ;
Condamne la SAM SOCIETE DE NEGOCE DE MATERIEL aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président du Tribunal de première instance, complétant la Cour et remplissant les fonctions de Conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 26 JUIN 2018, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier substitut du Procureur général.
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