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08/01/2019 | MONACO | N°17545

Monaco | Cour d'appel, 8 janvier 2019, Monsieur s. BA. c/ la Société Anonyme Monégasque BANQUE RICHELIEU DE MONACO, précédemment dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS


Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 8 JANVIER 2019

En la cause de :

- Monsieur s. BA., né le 12 janvier 1966, de nationalité italienne, consultant, demeurant au X1à Mougins (06250) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

- La Société Anonyme Monégasque BANQUE RICHELIEU DE MONACO, précédemment dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, dont le siège social est situé 8 avenue de Gr

ande-Bretagne à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualit...

Motifs

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 8 JANVIER 2019

En la cause de :

- Monsieur s. BA., né le 12 janvier 1966, de nationalité italienne, consultant, demeurant au X1à Mougins (06250) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

- La Société Anonyme Monégasque BANQUE RICHELIEU DE MONACO, précédemment dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, dont le siège social est situé 8 avenue de Grande-Bretagne à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 20 juillet 2017 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 18 octobre 2017 (enrôlé sous le numéro 2018/000037) ;

Vu les conclusions déposées les 23 janvier 2018, 26 juin 2018 et 13 novembre 2018 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM BANQUE RICHELIEU DE MONACO ;

Vu les conclusions déposées les 15 mai 2018 et 9 octobre 2018 par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de Monsieur s. BA.;

À l'audience du 20 novembre 2018, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur s. BA. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 20 juillet 2017.

Considérant les faits suivants :

s. BA. embauché par la SAM KBL PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, suivant contrat à durée indéterminée en date du 9 février 2011, en qualité de Directeur Général Administrateur à compter du 1er mars 2011, moyennant un salaire brut de 365.000 euros, outre divers bonus et avantages en nature s'est, parallèlement à ce contrat de travail, vu confier un mandat social, étant nommé le 21 mars 2011 en qualité d'Administrateur à effet au 31 mars 2011, puis administrateur délégué suivant délibération du conseil d'administration du même jour.

Monsieur BA. a, suivant procès-verbal de l'Assemblée Générale du 18 novembre 2013, été révoqué de ses fonctions d'Administrateur Délégué.

Le 20 novembre 2013, il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire confirmée par courrier recommandé avec accusé de réception le 21 novembre 2013.

Aux termes d'un courrier du 13 décembre 2013, Monsieur BA. a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Suivant requête en date du 19 février 2014, Monsieur BA. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* dire et juger son licenciement injustifié et dépourvu de motif valable, irrégulier et abusif,

* condamner KBL à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

* 730.000 euros en réparation du préjudice financier (2 années de salaires),

* 500.000 euros à titre de préjudice moral et réputationnel,

* 180.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte du bonus qu'il aurait dû percevoir pour l'exercice 2013,

* soit au total la somme de 1.410.000 euros.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le Bureau de Jugement et le Tribunal du travail, suivant jugement en date du 20 juillet 2017 :

* s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes formées par s. BA. à l'encontre de la SAM KBL PRIVATE BANKERS,

* a débouté la SAM KBL PRIVATE BANKERS de sa demande de dommages et intérêts,

* a condamné s. BA. aux dépens.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance relevé que les conditions n'étaient pas réunies pour établir que les parties auraient été liées par un contrat de travail distinct du mandat social conféré à Monsieur BA. en sorte que le Tribunal du travail devait se déclarer incompétent.

Suivant exploit en date du 18 octobre 2017, Monsieur s. BA. a interjeté appel du jugement susvisé du Tribunal du travail signifié le 18 septembre 2017 à l'effet de voir la Cour déclarer recevable son appel et réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal du travail, et, statuant à nouveau :

* dire et juger que son licenciement injustifié était dépourvu de motif valable, irrégulier et abusif,

* condamner la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS SAM à lui payer à titre de dommages-intérêts les sommes suivantes :

* 730.000 euros en réparation du préjudice financier occasionné à l'appelant par le licenciement litigieux,

* 500.000 euros à titre de préjudice moral et réputationnel,

* 180.000 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte du bonus qu'il aurait dû percevoir pour l'exercice 2013,

* condamner la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS SAM aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de son appel et aux termes de l'ensemble de ses écritures, Monsieur s. BA. fait état des arguments suivants :

* son mandat social était un mandat fictif alors que son contrat de travail était réel puisqu'il était bien un salarié de la société KBL Monaco,

* un contrat de travail à durée indéterminée a bien été signé le 9 février 2011 et une demande d'autorisation d'embauchage a été établie à son nom en qualité de directeur général salarié, l'autorisation corrélative ayant été produite le 22 août 2011,

* le lien de subordination entre lui-même et la société KBL Monaco est établi, les organigrammes versés aux débats démontrant l'existence d'une organisation hiérarchisée avec à sa tête Monsieur j.PE.

* il ne décidait pas seul de rendre des comptes à sa hiérarchie lors des différentes réunions ainsi qu'en attestent les procès-verbaux de délibération et le témoignage de nombreux salariés versés aux débats,

* il percevait bien un salaire ainsi qu'en attestent ses bulletins de paye, l'employeur lui-même et Pole Emploi,

* le mandat social fictif le concernant a été établi pour les besoins de la cause et il lui a été prêté le 9 juin 2011 une action et ce, sans aucune contrepartie réelle,

* lors de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires du 31 mars 2011, il était nommé administrateur à effet du 31 mars 2011 jusqu'à la date de l'assemblée appelée à statuer sur les comptes de l'exercice 2011, en sorte que n'ayant jamais été reconduit dans ses fonctions au-delà du 31 décembre 2011 il ne pouvait pas se prévaloir du titre d'administrateur au-delà de cette date,

* le Tribunal du travail est compétent dès lors que la lettre de licenciement mentionne le lien de subordination du salarié et ce même s'il existe un cumul avec un mandat social,

* la mise à pied infligée sur le fondement d'une prétendue insuffisance professionnelle sans l'avis du conseil de discipline prévue par l'article 27 de la convention collective de banque caractérise un licenciement abusif,

* il était un financier réputé et performant, régulièrement remercié pour ses excellents résultats en sorte que le motif tiré d'une divergence de vue sur la stratégie de l'entreprise ultérieurement invoqué par l'employeur caractérise l'aveu de la mauvaise foi de ce dernier qui n'a pas hésité à invoquer trois motifs successifs fallacieux pour mettre fin à son contrat de travail,

* la rupture intervenue sans motif et selon des procédés déloyaux lui a créé un dommage moral et un préjudice à sa réputation, outre un dommage financier important le contraignant à quitter précipitamment la Principauté.

La société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, intimée, entend pour sa part voir la Cour :

* déclarer irrégulière l'attestation du dénommé f. GE. communiquée en cause d'appel sous le numéro 31 en ce qu'elle ne respecte pas les prescriptions de l'article 325 du Code de procédure civile et l'écarter en conséquence des débats,

* écarter des débats les pièces communiquées par l'appelant sous les numéros 27 et 39 ainsi que l'a fait le Tribunal du travail dans son jugement du 20 juillet 2017 par application de la règle selon laquelle nul ne peut se constituer de preuve à soi-même,

Et, in limine litis sur l'incompétence de la juridiction du travail,

* dire et juger que s. BA. n'exerçait pas de fonctions techniques distinctes de celles de son mandat social,

* dire et juger que les pouvoirs et prérogatives très larges qui lui avaient été délégués par le conseil d'administration le 31 mars 2011 excluaient tout contrôle continu de son activité par cet organe et, par là même, l'existence d'un lien de subordination,

* dire et juger que les bulletins de salaire de s. BA. font apparaître qu'il était rémunéré en qualité d'administrateur délégué et ne percevait donc aucune rémunération distincte au titre de son contrat de travail,

En conséquence,

* confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal du travail du 20 juillet 2017 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes formées par s. BA. à l'encontre de la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO et ce, avec toutes conséquences de droit,

Et, subsidiairement sur le fond si par extraordinaire la Cour devait juger le Tribunal du travail compétent,

* ordonner le renvoi de cette affaire devant le Tribunal du travail pour statuer au fond ce qu'il appartiendra et donner acte à la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO de ce qu'elle se réserve la faculté de conclure sur le fond de l'affaire après réouverture des débats,

* en tout état de cause, condamner s. BA. au paiement d'une somme de 50.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues et aux entiers dépens.

Aux termes de l'ensemble de ses écritures et au soutien de telles demandes la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO expose en substance que :

* la coexistence éventuelle d'un mandat social avec le contrat de travail exige que soient cumulativement réunies trois conditions que sont l'existence d'un lien de subordination continu, l'existence de fonctions techniques distinctes, l'existence d'une rémunération distincte entre le contrat de travail d'une part et le mandat social d'autre part,

* à défaut de réunir ces trois conditions, le contrat de travail est absorbé et s'efface au profit du mandat social,

* le mandat social qui a été donné à s. BA. n'a rien de fictif et ne s'est pas achevé le 31 décembre 2011, dès lors que suivant assemblée générale du 23 mars 2012 son mandat d'administrateur a été renouvelé pour une durée de six ans et ce, jusqu'au 31 décembre 2017,

* le lien juridique de subordination n'est pas établi dès lors que ce salarié ne devait pas rendre compte de manière continue de sa gestion au conseil d'administration, mais se contentait d'avoir des rapports avec la société mère KBL EUROPEAN PRIVATE BANKERS au même titre que les dirigeants d'autres filiales,

* les attestations produites aux débats par l'appelant sont inopérantes et contredites par d'autres témoignages, étant par ailleurs acquis que Monsieur s. BA. disposait d'une grande liberté dans ses horaires de travail et n'était astreint à aucun horaire déterminé,

* s. BA. ne justifie pas avoir exercé des fonctions techniques distinctes de celles résultant de son mandat social, les fonctions de ce dernier n'apparaissant pas définies par son contrat de travail et consistant à diriger la banque au sens large du terme avec les plus grands pouvoirs et sans supérieurs hiérarchiques,

* l'appelant n'a pas été déclaré éligible à l'allocation de retour à l'emploi et ne perçoit d'ailleurs aucune somme à ce titre, l'existence d'un contrat de travail n'ayant pas été reconnue par Pôle emploi,

* la preuve n'est pas rapportée par l'appelant de l'existence d'une rémunération distincte au titre du contrat de travail et du mandat social alors même que les bulletins de paye font état d'une rémunération unique au regard d'un emploi d'administrateur délégué,

* l'existence de la relation de travail qui ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination donnée à leur relation mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur n'est pas en l'espèce établie.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

En la forme

Attendu que l'appel formé par Monsieur s. BA. dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile apparaît régulier et doit être déclaré recevable ;

Attendu sur la demande tendant à voir déclarer irrégulière l'attestation produite par l'appelant sous la pièce numéro 31 émanant de f. GE.que ce témoignage n'apparaît pas manuscrit et ne respecte pas le formalisme édicté par l'article 324 du Code de procédure civile prescrit à peine de nullité pour toute attestation ;

Que l'attestation contenue dans la pièce 31 sera donc déclarée nulle et écartée des débats ;

Attendu sur la demande tendant à ce que soient écartées des débats les pièces communiquées par s. BA. sous les numéros 27 et 39 par application de la règle selon laquelle nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, que ces deux documents reproduisent un état des réunions et appels téléphoniques qu'aurait eus l'appelant avec le comité exécutif de l'entreprise ;

Que ces pièces ont été établies par le demandeur lui-même, apparemment à partir de son propre agenda, et ne sont corroborées par aucun élément extrinsèque en sorte qu'elles seront écartées des débats conformément à la demande de l'intimée ;

Au fond sur la compétence du Tribunal du travail

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 que le Tribunal du travail est compétent pour connaître des différends individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail ;

Que le législateur définit, en l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail comme la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé, lequel est également décrit par l'article 1er de la loi n° 739 du 16 mars 1963 comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier ;

Mais attendu que l'existence d'un contrat de travail ne dépend pas de la dénomination que les parties ont conféré à leur convention, ni de la volonté qui s'y trouve exprimée, mais seulement des conditions effectives dans lesquelles s'accomplit l'activité du salarié, au regard notamment de l'autorité exercée par l'employeur consistant dans son pouvoir de directive, de contrôle et de sanction, mais aussi de la réalité du lien de subordination ;

Attendu par ailleurs que si le cumul entre un mandat social et un contrat de travail n'est pas prohibé, il convient alors de déterminer quelle est la commune intention des parties contractantes et de vérifier, s'il a pu être établi, le caractère continu du lien de subordination au regard du contrat de travail mais aussi le caractère distinct des fonctions et de la rémunération allouée respectivement afférentes d'une part au contrat de travail et, d'autre part, au mandat social ;

Qu'à cet égard, les premiers juges ont en effet légitimement relevé que le mandat d'administrateur délégué d'une société n'était pas incompatible avec des fonctions salariales, mais qu'un tel cumul exigeait en effet, selon une jurisprudence bien établie, la réunion des trois conditions suivantes :

* le maintien d'un lien juridique de subordination entre l'employé et la société,

* l'effectivité de fonctions techniques dissociables des fonctions de mandataire social,

* l'existence d'une rémunération du contrat de travail distincte de celle du mandat social ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que suivant une convention dénommée « contrat de travail » en date du 9 février 2011, Monsieur BA. a été embauché pour des fonctions de cadre de direction générale en charge de la marche générale des affaires de la banque, alors même qu'il était également nommé le 31 mars 2011 par le conseil d'administration de la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, en qualité d'administrateur délégué ;

Qu'à ce titre, la délibération du conseil d'administration donne à Monsieur BA. des pouvoirs particulièrement étendus nécessaires à l'exécution des délibérations du conseil et à la gestion courante des affaires sociales, outre un pouvoir de signature ;

Qu'en outre, contrairement à ce qui est soutenu en cause d'appel, le mandat social ainsi conféré par l'assemblée générale du 31 mars 2011, n'apparaît pas s'être achevé le 31 décembre 2011 mais a bien été reconduit pour une durée de six années, ainsi qu'en atteste le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 23 mars 2012 ainsi libellé :

« L'assemblée générale ordinaire renouvelle le mandat de Monsieur s. BA. en qualité d'administrateur pour une durée de six années qui viendra à expiration à l'issue de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2017 » ;

Qu'il en résulte qu'au jour de la révocation de ses fonctions d'administrateur délégué, advenue le 18 novembre 2013, Monsieur s. BA. était encore titulaire de son mandat social ;

Attendu s'agissant des critères inhérents au cumul d'un tel mandat avec un contrat de travail, qu'il apparaît que la condition inhérente à l'existence d'un lien de subordination effectif et continu n'est pas remplie ;

Attendu en effet que Monsieur s. BA. apparaît en réalité avoir exclusivement rempli les fonctions d'un mandataire social, simplement tenu de rendre compte de façon épisodique de l'exécution de son mandat au conseil d'administration, et ce, sans que la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, lui ait en aucune manière donné des instructions, ni contrôlé leur exécution ;

Qu'il s'induit notamment du courriel envoyé par ses soins le 2 janvier 2013 à l'ensemble du personnel que s. BA. rappelait son rôle d'administrateur délégué et l'ampleur de ses prérogatives organisationnelles ;

Qu'il résulte également du mail adressé le 20 novembre 2013 par Monsieur BA. lui-même aux membres du conseil d'administration que ce mandataire social fait alors le bilan de ses fonctions et indique avoir mis en œuvre certains moyens pour favoriser le meilleur fonctionnement de l'entreprise qu'il détaille dans les termes ci-après :

« Voici certains des résultats que j'ai obtenus au profit de KBLM et du groupe KBL :

* découverte et démantèlement de toutes les structures frauduleuses au sein de la société,

* relocalisation de mon activité depuis 2012, en acceptant uniquement les comptes déclarés depuis 2012 (par là nous avons précédé la décision du groupe),

* instauration de nouvelles procédures, pratiques courantes et mesures de précautions en vue de la protection et de la gestion prudentielle de la société,

* licenciement des personnes tirant parti du système pour leur intérêt personnel,

* responsabilisation des salariés en énonçant clairement leurs attributions, responsabilités et objectifs,

* création et embauche d'une équipe de professionnels dotés d'une expérience internationale afin d'éliminer totalement le risque de la banque, en acceptant des clients internationaux de qualité qui se sont installés à Monaco,

* le personnel que j'ai gardé et embauché a fait des heures supplémentaires et a travaillé pendant les week-ends pour accélérer l'assainissement de la banque,

* rôle de leader et de moteur dans l'élaboration d'une vision de la banque que nous voulions avoir, et insufflant un esprit d'équipe et de cohésion,

* mise en place de procédures, d'une méthodologie de management commercial, de segmentations de la clientèle, d'indicateurs clés de performance pour les banques privées, etc., et d'une communication à double sens qui a renforcé l'équilibre des objectifs de la banque,

* les consultants de McKinsey&Co étaient tellement impressionnés par l'ensemble des outils/procédures qu'ils ont même demandé des spécimens/copies » ;

Attendu que si Monsieur BA. dont les pouvoirs étendus et la grande autonomie apparaissent ainsi consacrés, avait pour obligation de rendre compte de sa gestion au conseil d'administration, devant lequel il était responsable, il ne démontre cependant pas avoir été destinataire de directives dans le cadre de ses fonctions de directeur général et d'administrateur délégué ;

Attendu qu'il résulte à cet égard de l'attestation de Monsieur y. PI. salarié de la société KBL EUROPEAN PRIVATE BANKERS, que Monsieur BA. était investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dont il était le mandataire social et que leurs rencontres avaient seulement lieu six à huit fois par an ;

Que la preuve d'une autorité effective et continue, voire de contrôles exercés sur toutes les initiatives prises par ce dernier, n'apparaît nullement rapportée, les relations entretenues par le dirigeant de la SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO et la société KBL EUROPEAN PRIVATE BANKERS s'inscrivant dans les rapports normaux entretenus entre une filiale et sa société mère et procédant du nécessaire respect des normes comptables et financières internationales ;

Attendu que les attestations nouvellement produites par l'appelant émanant de salariés précédemment embauchés par s. BA. puis licenciés ultérieurement par la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, apparaissent totalement contredites par les témoignages versés aux débats, émanant notamment de Messieurs y PI. y ST.et f.NE. et sont en conséquence inopérantes pour établir le caractère effectif et continu de la subordination alléguée ;

Qu'à cet égard, y PI. membre du comité de direction du groupe décrit l'important pouvoir décisionnel de s. BA. qui initiait seul les grandes orientations de la banque monégasque et planifiait les projets de développement externe ; il ajoute encore qu'il était seul responsable du recrutement et de la rémunération de tout employé de la société et n'avait aucun besoin de rendre des comptes organisant seul son emploi du temps et ses tâches professionnelles ;

Que force est en tout état de cause de constater que la convention intitulée contrat de travail de s. BA. ne comportait pas l'obligation pour ce prétendu salarié d'être soumis à certains horaires de travail, dès lors qu'il y est au contraire expressément indiqué qu'il ne serait astreint à aucun horaire déterminé, sa rémunération et son niveau de responsabilité impliquant une grande indépendance dans l'organisation de son temps de travail ;

Attendu que les premiers juges ont également à bon droit constaté que Monsieur BA. bénéficiait de pouvoirs très étendus correspondant précisément à la mission attribuée dans « le contrat de travail », consistant à avoir la responsabilité de la marche générale des affaires de la banque, et ce, alors même que les courriels étaient signés avec la mention « administrateur délégué », ce qui accrédite la thèse de l'absorption du contrat de travail par le mandat social ;

Attendu s'agissant par ailleurs des fonctions exercées, que la convention par laquelle l'appelant dit avoir été embauché ne définit pas de manière précise sa mission consistant, selon les termes employés, à diriger la banque au sens large du terme avec tout pouvoir pour la gestion courante de la société, mission qui s'induit également de l'analyse des rapports d'Audit produits aux débats par s. BA. ;

Qu'il en résulte à suffisance qu'aucune fonction distincte de celle inhérente à l'administration générale de la SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, exercée conformément à la délégation de pouvoir conférée par le conseil d'administration du 31 mars 2011 n'était en réalité exercée par l'appelant ;

Attendu en outre que Monsieur s. BA. ne percevait pas deux rémunérations distinctes, les bulletins de paie produits définissant, en dépit de la dénomination de « salaire», l'emploi unique de Monsieur BA. comme étant celui d'« administrateur délégué » ;

Qu'enfin, il n'est nullement établi que le statut de salarié de l'appelant aurait été admis par le service de Pôle emploi dans le courrier invoqué du 3 mai 2016 intitulé « confirmation du rejet de participation à l'assurance-chômage relatif à Monsieur s. BA. » qui apparaît au contraire ainsi libellé : « l'instruction du dossier n'avait pu faire apparaître un cumul valide entre son contrat de travail et son mandat social d'administrateur d'où notre avis défavorable quant à son assujettissement à notre régime pour son contrat conclu le 7 mars 2011 au sein de votre établissement » ;

Attendu qu'il résulte en définitive de l'analyse susvisée que Monsieur s. BA. s'était vu conférer des prérogatives très larges par le conseil d'administration le 31 mars 2011 dont la mise en œuvre effective permettant d'exclure tout caractère fictif au mandat social considéré, n'était soumise à aucun contrôle continu de cet organe et apparaissait exclusive d'un lien de subordination, alors même qu'il n'exerçait concomitamment aucune fonction technique distincte ;

Qu'il en résulte que les premiers juges se sont à bon droit déclaré incompétents, la preuve de l'existence d'un contrat de travail liant les parties qui ne serait pas absorbé par le mandat social n'étant pas rapportée ;

Que le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef ;

Sur la demande reconventionnelle de la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO en dommages et intérêts

Attendu qu'il résulte des pièces produites qu'en l'état de la complexité des relations ci-dessus décrites, Monsieur BA. n'apparaît pas avoir commis d'abus en saisissant le Tribunal du travail, ni avoir commis dans la mise en œuvre de son droit d'action une erreur qui serait équipollente au dol, ni avoir fait preuve d'une quelconque intention de nuire envers son contradicteur ;

Que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits ne saurait être en elle-même constitutive d'un abus à l'encontre de l'autre partie ;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont à bon droit rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO ;

Attendu que le jugement entrepris sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions ; Attendu par ailleurs que Monsieur BA. sera également condamné aux dépens d'appel ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare l'appel recevable,

Déclare nulle et écarte des débats l'attestation produite par l'appelant sous le numéro de pièce 31, Écarte également des débats les pièces 27 et 39 versées aux débats par l'appelant,

Au fond confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal du travail le 20 juillet 2017,

Déboute s. BA. de l'ensemble de ses demandes et la société KBL MONACO PRIVATE BANKERS, devenue BANQUE RICHELIEU DE MONACO, des fins de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

Condamne aux entiers dépens d'appel Monsieur s. BA. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 8 JANVIER 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17545
Date de la décision : 08/01/2019

Analyses

Il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 que le tribunal du travail est compétent pour connaître des différends individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.Cependant, le législateur définit le contrat de travail comme la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé. Celui-ci est décrit comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier.Il convient de rappeler que l'existence d'un contrat de travail ne dépend pas de la dénomination que les parties ont conféré à leur convention, ni de la volonté qui s'y trouve exprimée, mais seulement des conditions effectives dans lesquelles s'accomplit l'activité du salarié, au regard notamment de l'autorité exercée par l'employeur consistant dans son pouvoir de directive, de contrôle et de sanction, mais aussi de la réalité du lien de subordination.Par ailleurs, si le cumul entre un mandat social et un contrat de travail n'est pas prohibé, il convient alors de déterminer quelle est la commune intention des parties contractantes et de vérifier, s'il a pu être établi, le caractère continu du lien de subordination au regard du contrat de travail mais aussi le caractère distinct des fonctions et de la rémunération allouée respectivement afférentes, d'une part, au contrat de travail et, d'autre part, au mandat social.À cet égard, les premiers juges ont légitimement relevé que le mandat d'administrateur délégué d'une société n'était pas incompatible avec des fonctions salariales. En effet, un tel cumul exigeait, selon une jurisprudence bien établie, la réunion de trois conditions : le maintien d'un lien juridique de subordination entre l'employé et la société ; l'effectivité de fonctions techniques dissociables des fonctions de mandataire social, et l'existence d'une rémunération du contrat de travail distincte de celle du mandat social.En l'espèce, suivant une convention du 9 février 2011, l'appelant a été embauché pour des fonctions de cadre de direction générale en charge de la marche générale des affaires de la banque, alors même qu'il était également nommé le 31 mars 2011 par le conseil d'administration de la société intimée.S'agissant des critères inhérents au cumul d'un tel mandat avec un contrat de travail, il apparaît que la condition inhérente à l'existence d'un lien de subordination effectif et continu n'est pas remplie.De plus, il a été constaté que la convention intitulée contrat de travail de l'appelant ne comportait pas l'obligation pour ce prétendu salarié d'être soumis à certains horaires de travail, dès lors qu'il y est au contraire expressément indiqué qu'il ne serait astreint à aucun horaire déterminé, sa rémunération et son niveau de responsabilité impliquant une grande indépendance dans l'organisation de son temps de travail.En l'espèce, les premiers juges ont également à bon droit constaté que l'appelant bénéficiait de pouvoirs très étendus correspondant précisément à la mission attribuée dans « le contrat de travail », consistant à avoir la responsabilité de la marche générale des affaires de la banque, et ce, alors même que les courriels étaient signés avec la mention « administrateur délégué », ce qui accrédite la thèse de l'absorption du contrat de travail par le mandat social.Par ailleurs, s'agissant des fonctions exercées, la convention par laquelle l'appelant dit avoir été embauché ne définit pas de manière précise sa mission consistant, selon les termes employés, à diriger la banque au sens large du terme avec tout pouvoir pour la gestion courante de la société, mission qui s'induit également de l'analyse des rapports d'Audit produits aux débats par l'appelant.Il en résulte qu'aucune fonction distincte de celle inhérente à l'administration générale de l'intimée, exercée conformément à la délégation de pouvoir conférée par le conseil d'administration du 31 mars 2011, n'était en réalité exercée par l'appelant. En outre, ce dernier ne percevait pas deux rémunérations distinctes, les bulletins de paie produits définissant, en dépit de la dénomination de « salaire », l'emploi unique de l'appelant comme étant celui d'« administrateur délégué ».En définitive, l'appelant s'était vu conférer des prérogatives très larges par le conseil d'administration le 31 mars 2011 dont la mise en œuvre effective permettant d'exclure tout caractère fictif au mandat social considéré, n'était soumise à aucun contrôle continu de cet organe et apparaissait exclusive d'un lien de subordination, alors même qu'il n'exerçait concomitamment aucune fonction technique distincte.En conséquence, les premiers juges se sont à bon droit déclaré incompétents, la preuve de l'existence d'un contrat de travail liant les parties qui ne serait pas absorbé par le mandat social n'étant pas rapportée. Ainsi, le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef.

Contrats de travail  - Relations collectives du travail.

Tribunal du travail – compétence – cumul entre un mandat social et un contrat de travail – contrat de travail absorbé par le mandat social – lien de subordination effectif et continu – existence (non) – rémunérations distinctes (non) – incompétence du tribunal du travail.


Parties
Demandeurs : Monsieur s. BA.
Défendeurs : la Société Anonyme Monégasque BANQUE RICHELIEU DE MONACO, précédemment dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS

Références :

article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 324 du Code de procédure civile
article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946
Code de procédure civile
article 1er de la loi n° 739 du 16 mars 1963
article 325 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;cour.appel;arret;2019-01-08;17545 ?

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