COUR D'APPEL
ARRÊT DU 17 JANVIER 2023
En la cause de :
* Monsieur A., né le 28 août 1957 à Monaco, de nationalité monégasque, chirurgien-dentiste, domicilié et demeurant X1 à Monaco (98000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, plaidant par ledit avocat-défenseur et ayant pour avocat plaidant Maître Maguy BIZOT, avocat au barreau de Paris ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
* Madame B. épouse A., née le 2 mai 1955 à Mandaluyong (Rizal, Philippines), de nationalités monégasque et américaine, orthodontiste, domiciliée et demeurant X2 à Monaco (98000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
Visa
LA COUR,
Vu l'ordonnance de non-conciliation rendue par le magistrat conciliateur, le 8 avril 2022 (R. 3424) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 18 mai 2022 (enrôlé sous le numéro 2022/000098) ;
Vu les conclusions déposées les 12 juillet 2022 et 29 novembre 2022 par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de Madame B. épouse A. ;
Vu les conclusions déposées le 18 octobre 2022 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur A. ;
À l'audience du 6 décembre 2022, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La cause ayant été débattue hors la présence du public ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur A. à l'encontre d'une ordonnance de non-conciliation rendue par le magistrat conciliateur le 8 avril 2022.
Considérant les faits suivants :
Le 6 août 1985, B. née le 2 mai 1955 à Mandaluyong (Rizal, Philippines), de nationalités monégasque et américaine, a épousé par-devant l'Officier d'état civil de Monaco, A. né le 28 août 1957 à Monaco, de nationalité monégasque. De cette union, sont issus deux enfants désormais majeurs.
Le 15 décembre 2021, B. a présenté une requête en divorce.
Suivant ordonnance en date du 8 avril 2022, le magistrat conciliateur a notamment :
* constaté le maintien de la demande en divorce,
* autorisé B. à assigner A. par-devant le Tribunal aux fins de sa demande en divorce,
* autorisé les époux à résider séparément et attribué la jouissance de l'appartement situé au X2 à Monaco à B. à charge pour A. de régler le loyer, en exécution du devoir de secours,
* rejeté la demande relative à la jouissance de la maison située à la Turbie,
* condamné A. à payer à B. au titre du devoir de secours la somme mensuelle de 9.000 euros à titre de pension alimentaire,
* rejeté les demandes d'expertise judiciaire formulées par l'épouse,
* condamné A. à payer à B. la somme de 100.000 euros à titre de provision ad litem .
Cette ordonnance a été signifiée le 3 mai 2022 à A. à la requête d B.
Cette dernière a assigné son époux en divorce suivant acte d'huissier du 6 mai 2022.
Par exploit du 18 mai 2022, A. a formé appel parte in qua à l'encontre de l'ordonnance du 8 avril 2022, en sollicitant sa confirmation sur l'autorisation de résidence séparée, l'attribution du domicile conjugal, le règlement par ses soins du loyer et des charges relatifs au domicile conjugal, l'absence d'organisation d'une expertise mais sa réformation en ce qui concerne le montant de la pension alimentaire et de la provision ad litem, et a demandé à la Cour, statuant à nouveau, de les fixer respectivement aux sommes de 3.000 euros mensuels et de 50.000 euros.
Aux termes d'écritures judiciaires des 12 juillet et 28 novembre 2022, B. a demandé à la Cour de :
in limine litis et à titre principal,
* juger qu'en application des dispositions de l'article 69 de la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021, entrée en vigueur le 17 février 2022, les dispositions de l'article 195 du Code de procédure civile introduites par ladite loi sont immédiatement applicables aux instances en cours au jour de son entrée en vigueur,
* juger qu'en application des dispositions de l'article 195 du Code de procédure civile, l'appel formé contre l'ordonnance de non-conciliation dont s'agit relève de la compétence exclusive de la juridiction saisie au fond, à savoir le Tribunal de première instance,
En conséquence,
* se déclarer incompétente pour statuer sur l'intégralité des demandes formées par A. aux termes de son acte d'assignation et d'appel,
À titre subsidiaire,
* déclarer irrecevable comme étant tardif et non interjeté dans les formes prescrites, l'appel formé par A. par acte d'huissier du 18 mai 2022, dès lors qu'il était comparant à l'audience de tentative de conciliation du 23 mars 2022,
En tout état de cause,
* condamner A. au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens à hauteur d'une somme de 15.000 euros augmentée à 25.863,68 euros,
* condamner A. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Elle soutient pour l'essentiel sur l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir que :
* conformément à l'article 69 de la loi nouvelle portant modification de la procédure civile, l'article 195 du Code de procédure civile, dont elle soulève l'application, est d'application immédiate aux instances en cours,
* la présente instance, sur mesures provisoires, introduite par sa requête en divorce déposée le 15 décembre 2021 était bien en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi, le 17 février 2022, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la partie adverse,
* les dispositions univoques de l'article 195 nouveau du Code de procédure civile permettent de considérer que l'appel formé contre les ordonnances relatives aux mesures provisoires relève de la « juridiction saisie au fond » et non plus de la Cour d'appel, et qu'elles s'appliquent aux ordonnances sur les mesures provisoires du magistrat conciliateur,
* la terminologie utilisée par le législateur a toute son importance puisque le Tribunal de première instance statuant sur les mesures provisoires ne peut rendre que des jugements, alors que le juge conciliateur rend pour sa part des ordonnances,
* toute interprétation qui viserait à les exclure serait manifestement contra legem,
* la juridiction saisie au fond est bien le Tribunal de première instance (l'article 201-3 alinéa 2 visant l'ordonnance qui renvoie la cause devant le Tribunal), alors que l'article 195 vient compléter la règle posée par l'article 201-3 du Code civil et spécifier le régime applicable à l'appel formé contre la décision sur mesures provisoires, s'agissant du point de départ du délai, en fonction de la comparution ou non de l'appelant à l'audience de conciliation,
* l'exposé des motifs du projet de loi n'a en lui-même aucune valeur contraignante puisqu'il ne constitue pas une norme juridique mais un simple éclairage sur la raison d'être du texte et la volonté du législateur,
* ainsi, l'exposé des motifs ne saurait être invoqué au soutien d'une interprétation contraire à la lettre du texte de loi effectivement édicté,
* le législateur s'est assuré d'un double degré de juridiction puisque l'appel de la décision rendue par un juge unique est porté devant la formation collégiale du Tribunal,
* l'exposé des motifs, qui évoque le pouvoir de modification du Tribunal et non du Président, fait référence à l'article 200-6 du Code civil,
* la phrase de l'exposé des motifs selon laquelle « la règle générale proposée est par suite conforme à ce qui est exprimé dans le Code civil : les mesures provisoires peuvent être modifiées par la juridiction qui a statué sur elles initialement » est manifestement détournée de son sens par la partie adverse, et ne peut être comprise comme excluant du champ d'application de l'article 195 du Code de procédure civile les décisions rendues à juge unique par le Président du Tribunal de première instance (composante de cette même juridiction) officiant en tant que magistrat conciliateur,
* l'article 195 ne peut donc qu'avoir vocation à s'appliquer aux ordonnances rendues par le juge conciliateur puisqu'appliquer cette disposition aux jugements serait contra legem et n'assurerait plus au justiciable le double degré de juridiction nécessaire au respect du droit au procès équitable,
* le jugement étant rendu en formation collégiale, à la différence de l'ordonnance, il n'est pas envisageable que la question de sa réformation (à la différence de sa modification en cas d'élément nouveau) soit portée devant la même formation que celle qui a statué initialement,
* l'ensemble de ces éléments plaide de plus fort en faveur de l'application de l'article 195 du Code de procédure civile aux ordonnances sur mesures provisoires rendues par le magistrat conciliateur, conformément à la lettre de ce texte,
* dans le système procédural repensé par la réforme, l'intervention de la Cour d'appel à ce stade des mesures provisoires est non seulement prématurée mais nuirait à la cohérence de la procédure dans son ensemble, telle que voulue par le législateur,
* l'article 422 du Code de procédure civile énonce effectivement que la Cour connaît de l'appel des jugements rendus en premier ressort par le Tribunal de première instance et le Juge de paix, si bien que la procédure ordinaire ne vise expressément que les jugements et non les ordonnances telles que rendues par le magistrat conciliateur,
* l'avis de droit du Professeur C. manifestement commandé pour les besoins de la cause, est contraire à la lettre de l'article 195 mais également à la volonté exprimée par le législateur,
* il ne peut être valablement soutenu que les ordonnances sur mesures provisoires en matière de divorce doivent obéir à un régime spécifique, les excluant de l'article 195 du Code de procédure civile, tout en arguant que le droit commun leur serait applicable, et ce, puisque le droit commun de l'appel ne constitue pas une procédure spécifique,
* il est absurde de prétendre, contra legem, que les ordonnances sur mesures provisoires, qui n'ont au demeurant pas la nature juridique d'un jugement, seraient soumises au régime général applicable aux jugements visés à l'article 422 du Code de procédure civile, plutôt qu'au régime spécial nouvellement conçu pour elles par l'article 195 du même code qui les vise expressément,
* il est pertinent de souligner que les dispositions de l'article 195 du Code de procédure civile ne sont évoquées dans l'exposé des motifs du projet de la loi que dans le passage relatif à la matière familiale, anéantissant définitivement l'argument selon lequel ces dispositions ne concernaient pas les ordonnances rendues par le magistrat conciliateur,
* en l'espèce, la Cour n'est pas compétente pour connaître de l'ordonnance de non-conciliation du 8 avril 2022,
* à titre subsidiaire, dès lors que A. a comparu à l'audience de conciliation du 23 mars 2022, le délai d'appel de 15 jours a commencé à courir à compter du prononcé de la décision, si bien que l'appel formé le 18 mai 2022 par assignation et non par déclaration au greffe est tardif et irrégulier en la forme,
* l'appel devant une juridiction manifestement incompétente s'inscrit dans un contexte d'agissements particulièrement intolérables visant à l'asphyxier financièrement dans le cadre de la procédure de divorce, en sorte qu'il serait parfaitement inéquitable de lui laisser supporter la somme de 25.863,68 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Par des conclusions sur incident du 18 octobre 2022, A. demande à la Cour de se déclarer compétente pour connaître de l'appel interjeté par ses soins, de débouter B. de l'ensemble de ses demandes, d'ordonner la réouverture des débats et l'instauration d'un calendrier procédural en enjoignant à la partie adverse de conclure au fond et en la condamnant aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Il soutient en substance que :
* il n'entend pas contester que les dispositions de la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021 s'appliquent à la procédure de divorce l'opposant à B.
* toutefois, il apparaît que la procédure de divorce est régie par les dispositions spécifiques du Code civil en ses articles 200-1 à 202-10,
* conformément aux articles 200-6 et 201-3 du Code civil, l'appel des ordonnances de non-conciliation, fixent-elles des mesures provisoires, relève des dispositions spécifiques édictées par le Code civil,
* le législateur de 2021 s'est penché sur les dispositions de l'article 200-6 du Code civil, dont il a modifié le deuxième alinéa, mais sans apporter aucun changement sur les délais, les conditions ou le formalisme de l'appel de l'ordonnance de non-conciliation fixant les mesures provisoires pendant la procédure de divorce,
* il est opportun de souligner qu'au stade du prononcé de cette ordonnance, aucune procédure n'est pendante au fond puisque c'est cette décision qui va autoriser le demandeur à assigner son époux en divorce,
* si le législateur avait entendu modifier les dispositions du Code civil sur la procédure de divorce, il n'aurait pas manqué d'amender les textes applicables et notamment les délais d'appel,
* il s'ensuit que l'article 195 du Code de procédure civile, qui est au demeurant indissociable des articles 193 et 194 qui le précèdent, ne concerne pas la procédure de divorce,
* ces textes d'application générale tendent à régir les mesures provisoires ordonnées par la juridiction du fond en toutes matières, et ne peuvent s'appliquer aux ordonnances de non-conciliation du magistrat conciliateur, alors que le Tribunal n'est même pas saisi au fond,
* il convient de noter que l'article 195 du Code de procédure civile diffère des dispositions du Code civil en ce qui concerne le point de départ du délai d'appel, alors qu'il est de principe que les dispositions spécifiques du Code civil en matière de divorce prévalent et s'imposent par rapport aux mesures générales du Code de procédure civile,
* le délai d'appel de 15 jours à compter du prononcé de l'ordonnance, prévu par l'article 195 du Code procédure civile, doit être confronté au délai d'un mois imposé par l'article 200-8 du Code civil à l'époux demandeur pour assigner en divorce et saisir le juge du fond,
* en l'espèce, le délai prévu à l'article 195 aurait expiré le 24 avril 2022, alors que le Tribunal de première instance n'a été saisi de l'assignation en divorce que le 6 mai 2022, si bien qu'aucune juridiction au fond n'était saisie au jour de l'expiration du délai d'appel,
* si l'article 195 du Code de procédure civile devait s'appliquer aux ordonnances de non-conciliation, il suffirait à l'époux demandeur de n'assigner qu'après le délai de quinzaine (comme c'est le cas en l'espèce), pour empêcher la partie adverse d'interjeter appel de ladite ordonnance,
* l'exposé des motifs de la loi vient conforter une telle analyse, le législateur ayant voulu combler un vide juridique inhérent à l'appel des décisions sur mesures provisoires ordonnées par le Tribunal statuant comme juge de la mise en état, au cours de l'instance, et ce, en toutes matières à l'exception de celles disposant d'un régime spécifique,
* l'avis de droit du 7 octobre 2022 du Professeur C. confirme que l'objet de la réforme porte sur les mesures provisoires ordonnées par le Tribunal et prises en cours d'instance, en instaurant des règles générales hors procédure spécifique réglementée, et que les textes généraux des articles 193 et suivants (qui visent les mesures provisoires innommées) n'ont pas modifié la règle de compétence ancienne dans le cadre de la procédure de divorce spécifiquement organisée par le Code civil,
* la Cour est dès lors compétente pour connaître de l'appel formé qui est également recevable,
* la demande adverse au titre des frais irrépétibles est abusive en sachant qu'il sollicite une modification raisonnable de la provision ad litem à concurrence de 50.000 euros,
* l'injonction de conclure s'impose désormais puisque les condamnations prononcées continuent à être exécutées.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'intimée revendique, pour soutenir son exception d'incompétence et sa fin de non-recevoir, l'application à l'appel de l'ordonnance du magistrat conciliateur du 8 avril 2022 des dispositions nouvelles de l'article 195 du Code de procédure civile ;
Attendu qu'il est constant et non contesté que, conformément à l'article 69 de la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021, les dispositions nouvelles des articles 193 à 195 du Code de procédure civile sont d'application immédiate à toutes les procédures en cours à la date d'entrée en vigueur de ladite loi (17 février 2022) ou à tout procès engagé postérieurement à son entrée en vigueur, en sorte qu'elles sont susceptibles d'être invoquées dans le cadre de la présente instance d'appel et en particulier le nouvel article 195 du Code de procédure civile ;
Attendu que la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021 a inséré, au sein du Livre II consacré à la « PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE », et de son Titre VI intitulé « DES JUGEMENTS EN GÉNÉRAL », après l'article 192, trois nouveaux articles rédigés de la manière suivante :
« Article 193 : Les demandes formées au titre des mesures provisoires durant l'instance pourront, en cas de survenance d'un fait nouveau, être portées devant la juridiction qui les aura ordonnées. Cette juridiction pourra, jusqu'à son dessaisissement, supprimer, modifier ou compléter les mesures provisoires qu'elle aura prescrites. En cas d'appel, ce pouvoir reviendra à la cour.
Article 194 : L'ordonnance relative aux mesures provisoires sera exécutoire de droit jusqu'à ce que la décision au principal devienne exécutoire. Dans ce cas, les mesures provisoires cesseront de produire leur effet.
Article 195 : L'ordonnance relative aux mesures provisoires sera susceptible d'appel devant la juridiction saisie au fond, en formation collégiale, dans le délai de quinze jours suivant son prononcé ou sa signification selon que la partie appelante aura comparu ou non à l'audience.
En cas d'appel, les modifications des mesures provisoires, s'il y a survenance d'un fait nouveau, ne pourront être demandées qu'au premier président de la cour d'appel ou au magistrat par lui délégué.
L'appel de l'ordonnance relative aux mesures provisoires se formalisera par déclaration au greffe et la juridiction statuera dans les meilleurs délais au regard de l'urgence présentée par la situation » ;
Attendu que la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021 n'a pas modifié la procédure applicable en matière de divorce laquelle est spécifiquement prévue par diverses dispositions du Code civil (articles 200-1 à 202-10) - si ce n'est le deuxième alinéa de l'article 200-6 du Code civil ;
Qu'il s'ensuit que les articles 200-6 (procédure sur requête de l'un des époux) et 201-3 (procédure sur requête conjointe des époux) du Code civil relatifs à l'ordonnance rendue par le « Président du Tribunal », ou le magistrat conciliateur, sur les mesures provisoires en matière de divorce, disposent, en tenant compte de cette seule évolution :
« Article 200-6. - En l'absence de réconciliation ou en cas de défaut, le président du tribunal de première instance rend une ordonnance qui constate le maintien de la demande en divorce et autorise l'époux demandeur à assigner devant le tribunal de première instance.
Par la même ordonnance, sauf à renvoyer à date fixe les parties devant le Tribunal de première instance, il statue sur les mesures provisoires prévues à l'article 202-1. Le juge conciliateur reste saisi des incidents tant que le Tribunal de première instance n'est pas saisi. En revanche, en cas d'incident de compétence soulevé devant lui, le juge conciliateur renvoie à date fixe les parties devant le tribunal de première instance. Le juge conciliateur peut siéger dans la formation du Tribunal de première instance qui se prononce sur la question de compétence.
La décision sur ces mesures est exécutoire par provision ; elle n'est pas susceptible d'opposition ; elle peut être frappée d'appel dans les quinze jours de sa signification.
Lorsqu'il existe des enfants mineurs, le greffier en chef transmet copie de la décision au juge tutélaire.
(...)
201-3. Au jour indiqué, le président du Tribunal de première instance examine la demande avec chacun des époux séparément, avant de les réunir. Il appelle ensuite, le cas échéant, le ou les avocats.
Si les époux persistent dans leur demande, le président du Tribunal de première instance rend une ordonnance qui constate le maintien de la demande en divorce et qui renvoie la cause devant le Tribunal de première instance en invitant les époux à soumettre à cette juridiction une convention réglant les conséquences du divorce. Par dérogation aux articles 163 et suivants du Code de procédure civile, l'inscription de la cause est effectuée par le greffe. La date fixée pour l'audience au fond ne peut être antérieure à un mois suivant le prononcé de l'ordonnance.
Par la même ordonnance, le président du Tribunal de première instance statue sur les mesures provisoires prévues à l'article 202-1. Dans l'intérêt des enfants et de chacun des époux, il peut apporter toute modification aux mesures provisoires proposées par les époux.
La décision sur ces mesures est exécutoire par provision ; elle peut être frappée d'appel par les époux dans les quinze jours de la notification à parties faite par le greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal » ;
Attendu qu'il ressort de ces énonciations que les articles 200-6 et 201-3 du Code civil :
* qui fixent le point de départ du délai d'appel (15 jours), suivant la nature de la requête initiale, à partir de la notification (par voie de signification ou de lettre recommandée avec demande d'avis de réception) de l'ordonnance du magistrat conciliateur statuant sur les mesures provisoires en matière de divorce,
se distinguent clairement de l'article 195 nouveau du Code de procédure civile ayant trait à l'appel de « l'ordonnance relative aux mesures provisoires »,
* le point de départ du délai d'appel (15 jours) différant (prononcé ou signification) selon la comparution ou non de l'appelant à l'audience,
et ne sont ainsi aucunement complétés par cette disposition nouvelle de portée générale mais y dérogent ;
Qu'en effet, la mention générale faite par l'article 195 du Code de procédure civile de l'appel de l'« ordonnance relative aux mesures provisoires » ne peut avoir pour conséquence d'écarter l'application des dispositions spécifiques du Code civil relatives à l'appel des ordonnances rendues par le magistrat conciliateur sur les mesures provisoires en matière de divorce, lesquelles n'ont pas été modifiées, ni même abrogées par la loi nouvelle n° 1.511 du 2 décembre 2021 sur ce point ;
Qu'il ne peut davantage être invoqué à cet égard une contradiction avec la « lettre du texte » ou une interprétation contra legem, puisque l'article 195 nouveau du Code de procédure civile, en l'état de son caractère général et malgré son apparente clarté, doit être lu et analysé à la lumière de l'ensemble des dispositions légales monégasques, avec lesquelles il fait corps, et ne peut prévaloir sur des textes spécifiques, maintenus, qui y dérogent ;
Que par ailleurs, la Cour d'appel demeure la juridiction d'appel de droit commun, tandis que l'article 22 du Code de procédure civile modifié par la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021 :
* qui vise, dans le périmètre de « connaissance » de cette juridiction, l'appel des jugements rendus en premier ressort par le Tribunal de première instance et y ajoute l'appel des jugements rendus en premier ressort par le Juge de paix,
* n'exclut pas, comme c'était d'ailleurs aussi le cas avant la loi n° 1.511 du 2 décembre 2021, que des ordonnances susceptibles d'appel puissent faire l'objet de ce recours devant la Cour d'appel, juridiction de droit commun, suivant la procédure dite « ordinaire » sauf l'hypothèse où un texte particulier en prévoirait autrement ;
Qu'il en découle que l'appel des ordonnances du Président du Tribunal de première instance ou du magistrat conciliateur statuant sur les mesures provisoires en matière de divorce doit bien continuer à être porté devant la Cour d'appel par voie d'assignation, dans le silence des textes du Code civil sur la désignation de la juridiction d'appel et son mode de saisine, et dans les conditions fixées par les articles 200-6 et 201-3 précités de ce même code, suivant le cas ;
Qu'en tout état de cause, l'application de l'article 195 du Code de procédure civile, qui prévoit que l'appel de la décision sur mesures provisoires sera porté devant la juridiction saisie au fond, en formation collégiale, dans le délai de quinze jours suivant son prononcé ou sa signification, selon que la partie appelante aura comparu ou non à l'audience, se heurterait à une autre disposition du Code civil, s'agissant de l'article 200-8 qui impose à l'époux demandeur en divorce d'assigner son conjoint « dans le mois de l'ordonnance constatant le maintien de la demande en divorce » à peine de forclusion ;
Que comme c'est le cas en l'espèce, le délai d'appel prévu par l'article 195 du Code de procédure civile pourrait expirer (23 avril 2022 à minuit en l'état de la comparution de A. à l'audience de conciliation) avant que la juridiction, qui doit être saisie au fond dans le mois de l'ordonnance de non-conciliation, s'agissant du Tribunal de première instance, ne le soit effectivement (assignation du 6 mai 2022, date d'inscription de la cause ignorée), alors que l'article 195 vise clairement l'appel « devant la juridiction saisie au fond » ;
Que l'incompatibilité de ces deux textes vient conforter l'inapplicabilité de l'article 195 nouveau du Code de procédure civile à l'appel des ordonnances du juge conciliateur sur mesures provisoires dans le cadre de la procédure de divorce sur requête de l'un des époux ;
Attendu au surplus, que l'exposé des motifs du projet de la loi en cause, même s'il n'a pas de valeur contraignante, est de nature à donner un éclairage concernant le sens voulu par la législation nouvelle et vient en réalité confirmer l'analyse qui précède, ainsi que l'inapplicabilité des articles 193 à 195 du Code de procédure civile aux mesures provisoires ordonnées dans le cadre de la procédure de divorce ;
Qu'il y est précisé que l'article 22 du projet de loi, qui vise à l'insertion des articles 193 à 195 du Code procédure civile (sans que les amendements votés par le Conseil national aient modifié le sens du texte) et ne s'inscrit aucunement dans un « passage relatif à la matière familiale » :
« ambitionne de combler un vide juridique en instaurant un dispositif spécifique à l'appel des mesures provisoires. La question de l'appel des mesures provisoires qui sont ordonnées par le Tribunal sans trancher tout ou partie du principal reste en effet sans réponse dans le Code de procédure civile dans son actuelle version. Il est en conséquence ajoute la mention et le régime de l'appel de ces mesures provisoires.
La manière de compléter le texte est de nature à éviter que l'on puisse tenter d'interpréter la nouveauté comme visant les décisions rendues par un juge du provisoire (requête, référé) et qui sont soumises à un régime qui leur est propre.
Dans le Code de procédure civile, trois articles sont actuellement vacants dans le Titre VI (« Des jugements en général ») : les articles 193, 194 et 195. Le texte entend utiliser ce support des articles 193 à 195 pour créer des dispositions générales relatives aux mesures provisoires. Elles seront ainsi placées avant l'article 196, texte qui autorise de réunir provisoire et fond. Cet emplacement redonnera sa continuité de numérotation au Code de procédure civile.
Il faut rappeler que les mesures provisoires, lorsqu'elles sont ordonnées, sont exécutoires de droit (ce qui est d'une évidente nécessite concernant des mesures de cette nature), mais il est clair que dès que la décision sur le fond sera exécutoire, les mesures provisoires disparaîtront ou deviendront définitives du fait de la décision intervenue sur le fond. Le texte nouveau vient énoncer expressément cette règle.
Au regard des mesures provisoires, le Code civil (art.202-2) prévoit que le Tribunal de première instance peut prendre les mesures provisoires prévues à l'article 202-l « ou modifier toute mesure » provisoire déjà ordonnée. Ainsi, c'est bien le tribunal et non le président qui dispose du pouvoir de modification. La règle générale proposée est par suite conforme à ce qui est exprimé dans le Code civil : les mesures provisoires peuvent être modifiées par la juridiction qui a statué sur elles initialement. Il est possible d'interjeter appel devant la juridiction saisie au fond de l'ordonnance relative aux mesures provisoires dans les quinze jours suivant son prononcé ou sa signification selon que la partie appelante a comparu ou non à l'audience. L'appel se fera en formation collégiale et se formalisera par déclaration au greffe. En cas de survenance d'un fait nouveau lors de l'appel, toute demande de modifications des mesures provisoires ne pourra être sollicitée qu'auprès du Premier Président de la Cour d'appel » ;
Que le législateur a entendu prévoir, dans le silence du Code de procédure civile, des « dispositions générales » concernant les mesures provisoires ordonnées par le Tribunal sans trancher tout ou partie du principal ainsi que leur appel - lesquelles ne s'appliqueront pas aux régimes spécifiques tels que celui de la requête ou du référé ; qu'un parallèle est d'ailleurs opéré à l'égard des dispositions du Code civil concernant la modification des mesures provisoires, auxquelles le dispositif général ainsi envisagé apparaît conforme, et ce, sans qu'il puisse être déduit qu'ils devraient se confondre ;
Qu'il n'est ainsi nullement démontré que le législateur ait envisagé de soumettre les mesures provisoires ordonnées en matière de divorce aux dispositions nouvelles des articles 193 à 195 du Code de procédure civile et en particulier l'appel des décisions rendues par le magistrat conciliateur sur les mesures provisoires à l'article 195 ;
Attendu enfin, que la circonstance que le dispositif mis en place par l'article 195 du Code de procédure civile n'assure un double degré de juridiction que si la décision susceptible d'appel est rendue par un juge unique, en dépit du fait que :
* cette disposition nouvelle s'inscrit dans le titre « jugements » du livre relatif à la procédure devant le Tribunal de première instance,
* « les mesures provisoires ordonnées par le Tribunal » sont bien visées dans les motifs du projet de loi,
* il n'est donné aucune définition du terme « ordonnance » ainsi inséré dans le titre « jugements », ni précision sur les conditions de son prononcé,
ne saurait suffire à considérer que ledit article 195 s'appliquerait aux ordonnances rendues par le juge conciliateur sur les mesures provisoires en matière de divorce ;
Attendu en définitive, que l'appel interjeté par A. à l'encontre de l'ordonnance de non-conciliation du 8 avril 2022 relève de la compétence de la Cour d'appel, apparaît régulier et recevable en ce qu'il a été formé par acte d'assignation du 18 mai 2022, dans le délai de 15 jours à compter de la signification du 3 mai 2022, et ce, conformément à l'article 200-6 du Code civil, applicable à la présente procédure de divorce initiée sur requête d B. ;
Attendu que les demandes présentées par B. au titre de l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir doivent dès lors être rejetées et les dépens réservés en fin de cause, si bien que la prétention de cette dernière fondée sur l'article 238-1 du Code de procédure civile apparaît prématurée ;
Attendu qu'il convient désormais de renvoyer la cause et les parties pour les conclusions au fond d B. sans que l'injonction de conclure apparaisse à ce stade s'imposer ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Avant dire droit au fond,
Se déclare compétente pour connaître de l'appel formé par A. à l'encontre de l'ordonnance de non-conciliation du 8 avril 2022,
Déclare recevable l'appel interjeté par A. à l'encontre de l'ordonnance de non-conciliation du 8 avril 2022,
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MARDI 7 FÉVRIER 2023 à 9 heures pour les conclusions au fond d B.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Réserve les dépens en fin de cause,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Après débats à huis clos en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Composition
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 17 JANVIER 2023, par Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, Madame Marie-Hélène PAVON-CABANNES, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.
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