Dossier PG n° 2017/001724
Cour d'appel correctionnelle
R.4672
ARRÊT DU 8 MAI 2023
En la cause de :
A., en sa qualité de gérant de la B., né le jma à TRICR.ICO (Italie), de v. et d'C., de nationalité italienne, demeurant x1,
NON COMPARANT, représenté par Maître Thomas BREZZO, avocat près la Cour d'appel de Monaco, plaidant par ledit avocat ;
Prévenu de :
* BANQUEROUTE SIMPLE
* ÉMISSION DE CHÈQUES SANS PROVISION
APPELANT / INTIMÉ
Contre :
le MINISTÈRE PUBLIC ;
INTIMÉ / APPELANT
En présence de :
D., en sa qualité de syndic à la cessation des paiements de la B., domicilié x2 (98000), constitué partie civile,
NON COMPARANT, bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 100 BAJ 23 par décisions en date des 16 novembre et 5 décembre 2022 et représenté à ce titre par Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et par Maître Clyde BILLAUD, avocat en cette même Cour, plaidant par ledit avocat ;
INTIMÉ
Visa
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 6 février 2023 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 12 juillet 2022 ;
Vu les appels interjetés le 27 juillet 2022 tant par Maître Thomas BREZZO, avocat, pour A., prévenu, que par le Ministère public ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 9 août 2022 ;
Vu la citation à prévenu et à partie civile signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 27 septembre 2022 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions aux fins de constitution de partie civile de D., èsqualités, en date du 28 juin 2022 ;
Ouï Magali GHENASSIA, Conseiller, en son rapport ;
Ouï Maître Clyde BILLAUD, avocat, pour D., ès qualités, en ses observations ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Thomas BREZZO, avocat, pour A., prévenu, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Motifs
Par jugement contradictoirement rendu le 12 juillet 2022, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« D'avoir à MONACO, entre courant avril 2015 et le 2 mars 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant de droit de la B. depuis sa création en février 2014, omis de faire au greffe général, dans les 15 jours de la déclaration de la cessation des payements de ladite société, en l'espèce, et dans le contexte d'un état de cessation des paiements constaté un jugement du TPI du 2 mars 2017, et fixant provisoirement au 31 décembre 2015 la date de cessation des paiements, et ce à la suite d'une requête du dirigeant enregistrée le 22 février 2017, ladite cessation des paiements étant caractérisée, et en écartant la date retenue par le juge civil du 31 décembre 2015, en l'état de créances exigibles dès avril 2015, par les éléments suivants :
* 1) s'agissant des créances exigibles : et notamment les créances mentionnées dans l'état des créances, dont 298.633,27 € à titre privilégié (dont la créance des services fiscaux pour 267.859,25 €), et au surplus pour certaines, des créances non pas seulement exigibles mais exigées, et notamment :
* la mise en demeure du 20 avril 2015 de la société de droit italien E. d'avoir à régler un montant de 522.730,57 € avant exploit d'assignation du 7 juillet 2015 (TPI 2016/000053),
* 2) s'agissant de l'insuffisance de l'actif disponible :
* en présence d'un passif total exigible net à moins d'un an :
* de 845.372,33 €, soit supérieur à l'actif disponible de 742.672,69 € (au 31/12/2014),
* de 1.273.967,46 €, soit supérieur à l'actif disponible de 531.758,95 € (au 31/12/2015) et s'agissant, plus exactement, d'actifs théoriques dont le montant s'élève à un montant total au bilan 2015 de 761.036,90 €, représenté par trois créances difficilement recouvrables :
* 379.074,59 €, outre intérêts, dus par la société de droit français " F. " en procédure collective depuis le 30 juin 2016,
* 10.332,14 € dus par la société de droit français " G. " qui s'engageait à faire des règlements en fonction de sa trésorerie,
* et le solde dû par la société de droit français " H. " également en procédure collective ;
et ce dans le contexte :
* d'un passif de l'entreprise d'un montant de 640.734,32 € au 31 décembre 2015 (intégrant la rémunération du gérant pour 80.929,30 €),
* de chèques et lettres de change (compte I. MARSEILLE) présentés au paiement et rejetés et notamment depuis le 18 août 2015 (plainte de J.),
* d'un passif produit au syndic d'un montant de 1.082.530,30 €,
* de l'absence de toute tenue de comptabilité à partir du 1(er) janvier 2016,
et ce au préjudice de Monsieur le syndic D. »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327, 328 et 328-2 du Code pénal,
« D'avoir, à MONACO, entre le 6 octobre 2016 et le 12 janvier 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, émis de mauvaise foi, sans provision préalable disponible ou avec une provision inférieure au montant du chèque,
* un chèque bancaire n° 2000151 d'un montant de 2.500 € tiré sur le compte de la B. ouvert dans les livres de la I. sous le n° 495915171420 au préjudice de J.,
* un chèque bancaire n° 2000152 d'un montant de 8.000 € tiré sur le compte de la B. ouvert dans les livres de la I. sous le n° 495915171420 au préjudice de J.,
* un chèque bancaire n° 2000158 d'un montant de 3.028,90 € tiré sur le compte de la B. ouvert dans les livres de la I. sous le n° 495915171420 au préjudice de J. »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27, 330, 331, 333 et 334 du Code pénal,
* reçu A. en son opposition, régulière en la forme,
* mis à néant le jugement en date du 1(er) mars 2022 en toutes ses dispositions,
et jugeant à nouveau,
sur l'action publique,
* relaxé A. des faits de banqueroute simple antérieurs au 31 décembre 2015 et postérieurs au 22 février 2017 et l'a déclaré coupable du surplus des faits qui lui sont reprochés, en répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que des articles 37-1 et 393 du Code pénal,
* condamné A. à la peine de DIX MILLE EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné,
* prononcé à l'encontre de A., à titre de peine complémentaire, une interdiction d'exercer une activité de gérant d'une société pendant 3 ans,
sur l'action civile,
* reçu D., ès qualités, en sa constitution de partie civile,
* le déclarant partiellement fondé en sa demande, condamné A. à lui payer la somme de 356.480,02 euros à titre de dommages-intérêts,
* condamné enfin, A. aux frais.
Maître Thomas BREZZO, avocat, pour A., prévenu, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 27 juillet 2022.
Le Ministère public a interjeté appel de ladite décision le même jour.
Considérant les faits suivants :
L'objet social de la B. constituée le 4 septembre 2013 entre K. (40 parts) et A. (60 parts) est l'« Achat, vente, import, export, commission, courtage, représentation de tout matériel de chantier pour les professionnels, dont la location (sans chauffeur) du matériel ; montage et démontage d'échafaudages ; fourniture, façonnage sur place et pose d'acier pour béton (treillis, acier ronds, armatures, poutres) ; récupération de métaux et revente au poids ».
Suite à l'acte du 22 février 2017 de dépôt de bilan de son gérant et associé désormais unique, le Tribunal de première instance a constaté, par jugement du 2 mars 2017, avec toutes conséquences de droit, la cessation des paiements de la société à responsabilité limitée L. et fixé provisoirement sa date au 31 décembre 2015, en désignant D. en qualité de syndic.
Le 13 mars 2017, J., huissier de justice à Monaco, déposait plainte pour l'émission par la B. de trois chèques sans provision. Les deux premiers du 6 octobre 2016 de 2.500 euros et 8.000 euros ont été émis dans le cadre de l'échelonnement du paiement d'une dette de 101.310,30 euros, ayant fait l'objet d'une contrainte décernée par la Direction des services fiscaux et rendue exécutoire par le Président du Tribunal de première instance. Le troisième du 24 novembre 2016 d'un montant de 3.028,90 euros correspond au recouvrement d'une ordonnance d'injonction de payer du Juge de Paix du 5 août 2016.
Entendu dans le cadre d'une garde à vue le 11 mai 2017, A. a reconnu les faits en cause, les expliquant par le fait qu'un de ses clients, la société M., actuellement en liquidation, lui devait à tout le moins la somme de 252.673,84 euros et précisant avoir continué à travailler et accepter de nouveaux marchés pour combler cette dette, en commandant de la ferraille qu'il n'avait pu payer et représentant la somme de 522.730,57 euros à devoir à la société italienne E., le tout ayant entraîné la cessation des paiements.
L'analyse des documents comptables des exercices 2014 et 2015 ainsi que l'enquête des services de police ont démontré que :
* le gérant a procédé à la restitution du siège social, les locaux ayant été quittés le 31 janvier 2017,
* le passif produit auprès du syndic, D., était de 1.082.530,30 euros, dont 298.633,27 euros à titre privilégié et 789.897,03 euros à titre chirographaire,
* le chiffre d'affaires de la B. était de 1.029.567,10 euros au 31 décembre 2014 et 1.097.320,62 euros au 31 décembre 2015,
* le passif exigible à moins d'un an était de 845.372,33 euros pour un actif disponible de 742.672,69 euros au 31 décembre 2014,
* le passif exigible à moins d'un an de 1.195.638,04 euros pour un actif disponible de 531.758,95 euros au 31 décembre 2015,
* le résultat de l'exercice 2014 est nul et déficitaire de 640.734,32 euros au 31 décembre 2015, alors que l'indemnité de l'administrateur est de 42.574,85 euros en 2014 et de 80.929,30 euros en 2015,
* les documents comptables n'ont pas été établis pour l'exercice 2016,
* les licenciements ont été notifiés dès le 12 décembre 2016,
* la société italienne N., fournisseur de la B., l'a assignée, suivant exploit du 7 juillet 2015, en paiement à titre principal de la somme de 522.730,57 euros correspondant à 56 factures impayées établies sur la période du 30 août 2014 au 23 février 2015, cette dette étant toutefois contestée par l'intéressée (jugement du Tribunal de première instance du 27 avril 2017),
* les créances de la Caisse de congés payés du bâtiment ont été réglées,
* un remboursement échelonné des créances des caisses sociales (1.029,12 euros et 3.191,44 euros) à concurrence de la somme mensuelle de 200 euros a été mis en place,
* le recouvrement de la dette de la société O. (procédure collective française suivant jugement du 7 juillet 2016) portait sur la somme de 379.074,59 euros pour des factures remontant au mois d'août 2015 ainsi qu'il résulte de la mise en demeure de B. du 3 mars 2016 et du mandat donné à un avocat niçois le 17 juin 2016 pour délivrer assignation, bien que la déclaration de créance du 25 juillet 2016 ait porté sur la somme de 279.204,59 euros, en raison selon A. de l'octroi d'avoirs.
P., expert-comptable, a déclaré les 20, 31 août 2018 et le 6 mars 2019 aux services de police que :
* à la constitution de la B., il était question de créer une unité de production en Italie dont l'objet serait de confectionner le fer pour le bâtiment, l'entreprise monégasque se chargeant de commercialiser le produit,
* A. a toutefois décidé de la création d'un établissement stable de fabrication à Vintimille avec un expert-comptable italien et d'une entité juridique distincte, l'entreprise monégasque ayant sa propre comptable,
* l'intervention de son cabinet à Monaco consistait à effectuer les déclarations mensuelles d'usage pour Monaco en matière de TVA et le montage de bilan, qui a été établi pour les années 2014 et 2015,
* un client de la société O., en très grosse difficulté financière, devait à la B. une somme de 528.710 euros TTC au 31 décembre 2015, pour laquelle une provision a été faite, et a par la suite déposé le bilan en France,
* la B. a accumulé une dette vis-à-vis des services fiscaux en raison de cette créance non payée, et a tenté sans succès un échelonnement, aboutissant à la décision de dépôt du bilan,
* l'accord avec les services fiscaux permettait d'envisager de ne pas déposer le bilan mais A. a rapidement suivi ses indications lorsqu'il lui a conseillé de le déposer,
* le gérant n'avait pas de compte courant débiteur, a perçu une indemnité administrateur en 2014 de 42.574 euros sur 10 mois et en 2015 de 80.929 euros pour solde de tout compte, qui n'apparaît pas excessive,
* le dernier exercice déposé est celui de 2015 et le dépôt de bilan était déjà fait lorsque le bilan de l'exercice 2016 devait être établi en début d'année 2017,
* selon lui, A. n'a pas tardé dans la procédure de dépôt de bilan, ce qui exclut toute mauvaise foi de sa part,
* un de ses salariés a entendu parler de la recherche d'un nouvel associé par A.,
* s'il n'en a pas eu connaissance lui-même, de tels pourparlers apparaissent cohérents afin d'essayer de trouver une solution de financement avant de déposer le bilan notamment dans le secteur très prisé et fermé du bâtiment,
* il avait été préparé une demande pour obtenir une prorogation du délai de douze mois prévu pour pallier l'absence d'un second associé mais cette demande n'a pas été présentée en l'état de la décision de dépôt de bilan,
* l'analyse des bilans 2014 et 2015 permet de déduire que la dette de la société O., client douteux, pour 440.592,16 euros hors taxes, soit 528.710,60 TTC, la différence avec les 252.673,84 euros mentionnés sous toutes réserves par le liquidateur français pour cette entreprise pouvant résulter d'une comptabilité incomplète.
Au cours de son audition libre du 30 août 2018, A. a relevé que :
* la comptabilité a été bien tenue, alors qu'une comptable italienne était en rapport avec Monsieur P.,
* la société était engagée au milieu de l'année 2015 dans un gros chantier (environ 300.000 euros) en France ayant nécessité des commandes en Italie de ferrailles à la société Q. qui se sont avérées défectueuses, alors que le client qu'il avait bon espoir de convaincre a finalement confié le travail à une autre entreprise,
* en 2016, le comptable l'a alerté et informé que le bilan devait rapidement être déposé,
* de même, les désengagements de deux potentiels associés (Messieurs R. et S.) et les conseils de Monsieur P. l'ont conduit à déposer le bilan, alors qu'il n'a pas réussi à régulariser la situation concernant son actionnariat unique,
* au moment où il a émis les trois chèques sans provision, il pensait que les discussions avec Monsieur R. aboutiraient, aucune mauvaise foi ne pouvant lui être imputée.
Suivant jugement rendu par défaut du 1^(er) mars 2022, le Tribunal correctionnel, sur la prévention de non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 15 jours, courant avril 2015 et le 2 mars 2017 (la date de cessation des paiements étant caractérisée selon le Ministère public dès le mois d'avril 2015) :
* a relaxé A. des faits de banqueroute simple antérieurs au 31 décembre 2015 et postérieurs au 22 février 2017,
* a déclaré A. coupable du surplus des faits reprochés,
* l'a condamné au paiement d'une amende de 10.000 euros assortie du bénéfice du sursis,
* a prononcé, à titre de peine complémentaire, une interdiction d'exercer une activité de gérant pendant 3 ans,
* a reçu D. ès qualités en sa constitution de partie civile et y faisant partiellement droit, a condamné A. à lui payer la somme de 356.480,02 euros à titre de dommages et intérêts.
Suite à l'opposition formée par A., le Tribunal correctionnel a, par jugement contradictoire du 12 juillet 2022 :
* reçu A. en son opposition, régulière en la forme,
* mis à néant le jugement du 1(er) mars 2022 en toutes ses dispositions,
et jugeant à nouveau,
sur l'action publique,
* relaxé A. des faits de banqueroute simple antérieurs au 31 décembre 2015 et postérieurs au 22 février 2017,
* déclaré A. coupable du surplus des faits reprochés, en le condamnant au paiement d'une amende de 10.000 euros assortie du bénéfice du sursis,
* prononcé, à titre de peine complémentaire, une interdiction d'exercer une activité de gérant pendant 3 ans,
sur l'action civile,
* reçu D. ès qualités en sa constitution de partie civile et y faisant partiellement droit, a condamné A. à lui payer la somme de 356.480,02 euros à titre de dommages et intérêts.
Les premiers juges ont estimé pour l'essentiel que :
* il résulte des éléments du dossier et des débats que la créance de la société T. d'un montant de 522.730,57 euros ne devait pas être considérée comme exigible ou exigée en avril 2015 puisque celle-ci était contestée,
* la B. n'était pas encore en situation de cessation des paiements en avril 2015, bien qu'au 31 décembre 2015, l'actif disponible ne couvrait pas le passif exigible,
* il est établi que le prévenu a effectué les démarches de dépôt de bilan auprès du greffe le 22 février 2017, si bien qu'il convient de le relaxer pour les faits de banqueroute postérieurs à cette date,
* les faits de banqueroute simple sont établis puisque la créance des services fiscaux était bien, nonobstant un accord de paiementéchelonné, exigible, alors qu'il s'est écoulé un délai de plus de 15 jours entre la date de cessation des paiements, à savoir le 31 décembre 2015, et la date de déclaration de celle-ci,
* les faits d'émission de chèques sans provision sont par ailleurs établis,
* la somme de 356.480,02 euros correspond aux dettes apparues postérieurement à la date de cessation des paiements et constituant l'aggravation du passif.
Par déclaration au greffe de son conseil du 27 juillet 2022, A. a formé appel à l'encontre de ladite décision.
Le Ministère public a interjeté appel le même jour.
Les casiers judiciaires monégasque, français et italien de l'intéressé ne portent trace d'aucune condamnation pénale.
Lors de l'audience du 6 février 2023, A. était représenté par Maître Thomas BREZZO, avocat, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale.
SUR CE,
Attendu que les appels formés par le prévenu et le Ministère public dans les conditions de forme et de délai édictées par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, apparaissent réguliers et recevables ;
Sur l'émission de chèques sans provision
Attendu que les faits d'émission de chèques sans provision, qui ne sont pas critiqués et apparaissent caractérisés, justifient une confirmation de la décision des premiers juges sur la culpabilité ;
Sur la banqueroute simple
Attendu que le juge pénal n'étant pas lié par la date de cessation des paiements fixée par la juridiction civile, il convient de déterminer, en fonction des éléments soumis à l'appréciation des juridictions correctionnelles, la date à laquelle la B. a été dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;
Qu'à cet égard, le Ministère public situe la cessation des paiements au mois d'avril 2015 au regard de la poursuite mise en oeuvre pour l'infraction d'omission de déclaration au greffe général dans le délai de 15 jours reprochée au prévenu, bien que le Tribunal de première instance ait fixé sa date au 31 décembre 2015 dans le cadre de la procédure collective ;
Attendu que si le passif exigible à moins d'un an était de 845.372,33 euros pour un actif disponible de 742.672,69 euros au 31 décembre 2014, le Parquet Général a visé dans sa prévention la période comprise entre avril 2015 et le 2 mars 2017, en se référant notamment à une mise en demeure du 20 avril 2015 de la société T. ayant conduit à une assignation devant le Tribunal de première instance du 7 juillet 2015 ;
Qu'à cet égard, il ressort du jugement de cette juridiction du 27 avril 2017 que l'assignation ainsi délivrée par la société italienne N. pour le non-paiement de 56 factures établies au cours de la période du 30 août 2014 au 23 février 2015, après une mise en demeure du 20 avril 2015, a donné lieu à une contestation de la part de la B. qui a relevé, au cours de cette instance, que la preuve du bien-fondé des factures n'était pas rapportée faute de document contractuel signé par les parties, tandis que les devis émis portant son tampon ne concernaient pas les factures réclamées ; que cette créance invoquée, qui a fait l'objet d'une production au cours de la procédure collective, n'était aucunement exigible au mois d'avril 2015, comme l'ont justement relevé les premiers juges ;
Qu'en outre, les factures émises par la B. le 30 novembre 2015 à l'attention la société O., qui ont donné lieu à des relances dès le début de l'année 2016, ont fait l'objet d'une provision dans le bilan actif au 31 décembre 2015, en sorte que cet élément n'est pas davantage de nature à faire remonter la date de cessation des paiements au mois d'avril 2015 ;
Que les autres faits que le Ministère public estime comme significatifs aux termes de la prévention n'apparaissent pas davantage pertinents en ce sens puisqu'ils sont postérieurs au mois d'avril 2015 ;
Qu'il ressort au contraire du bilan de l'année 2015, qu'au 31 décembre 2015, le passif exigible à moins d'un an était de 1.195.638,04 euros pour un actif disponible de 531.758,95 euros ;
Qu'en conséquence, la Cour retient, en l'état de l'ensemble des éléments de la cause, une date de cessation des paiements au 31 décembre 2015 ;
Attendu qu'en vertu de l'article 328 du Code pénal, « Sont punis des peines de la banqueroute simple, les dirigeants de toute personne morale exerçant même en fait une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, lorsque en cette qualité et de mauvaise foi ils ont :
1° sans excuse légitime, omis de faire au greffe général, dans les quinze jours, la déclaration de la cessation des paiements de la personne morale ; (…) » ;
Qu'il ressort des auditions concordantes de A. et d'P., expert-comptable, qu'au moment de la confection du bilan 2015, courant 2016, ce dernier a avisé le prévenu de la nécessité de déposer le bilan ou de trouver « une solution rapidement », ce qui avait conduit à la recherche d'investisseurs n'ayant finalement pas abouti ;
Que A., dirigeant de droit, était dès lors bien informé des difficultés économiques auxquelles la B. était confrontée et avait conscience de sa mauvaise situation financière, bien qu'il ait pris la décision de reporter l'accomplissement de la formalité essentielle de la déclaration de l'état de cessation des paiements au regard de l'espoir de trouver de nouveaux investisseurs ; qu'il s'ensuit que c'est avec mauvaise foi et de manière délibérée qu'il n'a pas procédé à la déclaration qui lui était imposée par la loi, en sorte qu'il doit être déclaré coupable de l'infraction de banqueroute simple pour la période comprise entre courant 2016 et le 21 février 2017, la relaxe s'imposant pour la période antérieure au 31 décembre 2015 et postérieure au 22 février 2017, date de la déclaration effective réalisée par le prévenu ;
Que la décision de première instance sera dès lors confirmée sur la culpabilité ;
Sur la peine
Attendu que A. n'a jamais été condamné par les autorités judiciaires ; qu'il est actuellement à la retraite sans qu'il soit justifié de ses ressources actuelles ; que les circonstances de l'espèce démontrent que l'intéressé a seulement reporté la déclaration de l'état de cessation des paiements afin de trouver une solution permettant de rétablir la situation financière de l'entreprise, même s'il n'y est pas parvenu ;
Qu'en conséquence, la Cour estime devoir infirmer partiellement la décision de première instance en prononçant uniquement une amende de 10.000 euros assortie du bénéfice du sursis, sans peine complémentaire ;
Sur l'action civile
Attendu que le conseil de A. a soutenu que l'action pénale ne devait pas venir suppléer l'action en comblement de passif, laquelle n'a pas été menée en l'espèce ;
Attendu qu'en vertu de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action pour la réparation du préjudice directement causé par un fait constituant une infraction appartient à tous ceux qui en ont personnellement souffert ;
Attendu que D., en sa qualité de syndic de la cessation des paiements de la B., était bien recevable en sa constitution de partie civile, afin de solliciter réparation du préjudice collectif subi par la masse des créanciers du fait de la diminution de l'actif et/ou de l'accroissement du passif entre la date de cessation des paiements du 31 décembre 2015 et la déclaration du 22 février 2017, indépendamment d'un quelconque comblement du passif qui relève d'une action civile distincte ;
Qu'en l'espèce, si l'omission de déclaration de la cessation des paiements a retardé de plusieurs mois son constat, il appartenait à D. ès qualités de démontrer que cet agissement a été à l'origine de l'aggravation du passif ;
Que cette aggravation ne peut consister en la prise en compte de l'ensemble des « créances postérieures au 31 décembre 2015 » (356.480,02 euros) telles que listées par le syndic aux termes de ses écritures judiciaires de première instance, comme l'ont retenu les premiers juges, puisque lesdites créances ne sont pas toutes effectivement postérieures à la date de la cessation des paiements, ou qu'il n'est pas démontré l'aggravation du passif depuis le 31 décembre 2015 les concernant ;
Qu'en effet, la justification du solde débiteur du compte ouvert à la U. au 31 décembre 2016 (- 49.774,35 euros) et au 31 janvier 2017 (-51.620, 01 euros) n'établit pas que la somme de 51.701,06 euros constituerait l'aggravation du passif depuis le 31 décembre 2015 ; que l'absence de production exhaustive des relevés bancaires de ce compte ne permet pas à la Cour de vérifier si ce solde débiteur préexistait au 31 décembre 2015 ou a été créé postérieurement ;
Que de la même manière, les relevés du compte ouvert à la V. versés pour la seule période comprise entre le 31 octobre 2016 et le 28 février 2017 ne suffisent pas à justifier d'une aggravation du passif de 3.367,99 euros depuis le 31 décembre 2015 ;
Que si un chèque de 10.000 euros établi le 24 février 2017 à l'ordre de la W. a été rejeté, le syndic mentionne une créance de cette société de 11.566,55 euros qui est antérieure au 31 décembre 2015 et seulement une créance de 11,71 euros postérieure au 31 décembre 2015, laquelle n'est pas étayée ;
Que la production de la société X. faite auprès du syndic porte sur des factures d'un montant de 21.356,77 euros des mois de juin et juillet 2015, même si elles ont donné lieu à un échéancier à compter du 15 janvier 2016 qui n'a pas été respecté ; que ces factures antérieures au 31 décembre 2015 ne peuvent avoir entraîné une aggravation du passif après cette date ;
Que le syndic précise que le moratoire signé le 13 mars 2017 avec la Caisse de congés payés du bâtiment a été respecté, ce qui a diminué d'autant le passif ;
Que la production de la société Y. pour 26.883,72 euros auprès du syndic concernerait un loyer impayé de février 2017 et une indemnité de résiliation d'un contrat de location avec option d'achat d'un véhicule
d'une valeur de 54.000 euros conclu le 29 juillet 2014, bien que la Cour ne puisse concrètement apprécier à cet égard la réalité de l'aggravation du passif ;
Que le syndic n'a apporté aucune explication ou justificatif des créances Z., EL., FR., LM., SE. ou SG., de sorte que la présente juridiction n'est pas en mesure de déterminer si elles concernent l'aggravation du passif depuis le 31 décembre 2015 ;
Que toutefois, le syndic distingue clairement les créances antérieures et postérieures au 31 décembre 2015 pour la Direction des services fiscaux (166.734 euros postérieurement au 31 décembre 2015) et l'AA. (4.042,21 euros postérieurement au 31 décembre 2015) ;
Que la créance de la CR. pour la location du local commercial ainsi que les cotisations sociales relatives à la retraite, s'agissant d'un non-règlement depuis le mois de juin 2016, s'élève à la somme de 18.097,35 euros ;
Que la créance de la CS. pour 4.700,88 euros concerne les cotisations des mois de juin 2016 à janvier 2017 ;
Qu'en conséquence, la demande de D. ès qualités peut être accueillie à concurrence de la somme totale de 166.734 + 4.042,21 + 18.097,35 + 4.700,88 = 193.574,44 euros en vue de la réparation du préjudice résultant de l'aggravation du passif social, depuis le 31 décembre 2015, du fait de la déclaration tardive de cessation des paiements ; que le jugement du Tribunal correctionnel sera dès lors infirmé sur le montant des dommages et intérêts alloués ;
Attendu que A. doit supporter les frais d'appel ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,
Reçoit A. et le Ministère public en leur appel,
Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du 12 juillet 2022 en toutes ses dispositions appelées sauf en ce qu'il a :
* prononcé, à titre de peine complémentaire, une interdiction d'exercer une activité de gérant d'une société pendant trois années,
* déclaré D. ès qualités partiellement fondé en sa demande et a condamné A. à lui payer la somme de 356.480,02 euros à titre de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau sur ces chefs infirmés,
Déclare D. en sa qualité de syndic à la cessation des paiements de la B. partiellement fondé en sa demande et condamne A. à lui payer la somme de 193.574,44 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne A. aux frais d'appel ;
Composition
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le six février deux mille vingt-trois, qui se sont tenus devant Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général par intérim, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du huit mai deux mille vingt-trois par Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, assistée de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Madame Emmanuelle CARNIELLO, Substitut du Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de ladite loi.
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