Abstract
Délégué du personnel
Mise à pied - Incidents avec la clientèle - Faute grave (non) - Motif légitime de résiliation du contrat de travail (oui) - Indemnité compensatrice des salaires perdus.
Résumé
Les juges du fond ont pu déduire des faits par eux constatés (incidents avec la clientèle), non une faute grave mais un motif légitime de résiliation du contrat de travail d'un ancien délégué du personnel, et, prononçant cette résiliation au jour de leur décision, condamner l'employeur au paiement de l'indemnité compensatrice des salaires et accessoires perdus du fait de la mise à pied injustifiée de l'intéressé.
Motifs
La Cour de révision,
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué, rendu sur appel d'un jugement du Tribunal du Travail, en date du 6 avril 1978, tout en faisant droit à la demande de résiliation du contrat de travail par la Société Loews à l'encontre de L., son employé, ex-délégué du personnel, d'avoir cependant condamné l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de salaire,
- alors que, d'une part, la mise à pied en cas de faute grave d'un délégué du personnel, autorisée par l'article 16 de la loi n° 459, qui est la réplique de l'ancien article 16 de la loi française du 16 avril 1946, peut être valablement maintenue en attendant la décision définitive à intervenir sur l'instance en « résolution » judiciaire ;
- et que, d'autre part, dès lors qu'il est établi que le maintien du contrat de travail d'un salarié et la continuation de son exécution avaient été rendus impossibles en raison du comportement de l'intéressé qui refusait de se conformer à ses obligations, les juges du fond qui prononcent la résiliation du contrat de travail d'un délégué du personnel aux torts de celui-ci, peuvent en déduire qu'il est mal fondé à prétendre être indemnisé des salaires perdus par lui sans contre partie de travail postérieurement à la date d'introduction de l'instance en résiliation voire même à compter du jour de sa mise à pied ;
Mais attendu que les juges d'appel, après avoir exactement observé que L. bénéficiait en vertu de la loi monégasque, comme ancien délégué du personnel, d'une protection particulière expirant le 14 août 1977, constatent qu'il était responsable, dans l'exercice de ses fonctions, d'incidents vis-à-vis de la clientèle, de nature à porter atteinte au bon fonctionnement et au standing de l'hôtel ;
Qu'ils ont pu déduire des faits par eux constatés, non une faute grave, mais un motif légitime de résiliation du contrat de travail, et, prononçant cette résiliation au jour de leur décision, ont condamné par voie de conséquence, la société Loews Hotel Monte-Carlo à verser à L. l'indemnité compensatrice de la perte de salaire et accessoires qui lui avait été accordée par le jugement du Tribunal du Travail, dont il demandait la confirmation ;
Qu'en statuant ainsi, ils ont donné une base légale à leur décision ;
Note : Cet arrêt est suivi des deux jugements intervenus antérieurement dans l'affaire L.
Le Tribunal du Travail,
Audience du 28 juillet 1978
Statuant sur l'appel, régulièrement interjeté par la société Loews Hotel Monte-Carlo (ci-après société Loews) d'un jugement du Tribunal du Travail en date du 6 avril 1978, signifié le 26 avril 1978, lequel, a, après avoir joint les instances engagées :
par ladite société contre le sieur F. L., concierge de nuit et délégué du personnel, à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour faute grave ayant légitimé sa mise à pied immédiate,
par le sieur L. contre la société Loews aux fins d'obtenir paiement de ses salaires à compter du 25 mars 1977, date de sa mise à pied, ou des salaires équivalents à un emploi de même catégorie,
- ordonné la radiation de certaines expressions dans les conclusions du sieur L.,
- dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts de ce chef,
- dit recevable mais mal fondée la demande de la société Loews en résolution judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs du sieur L., et l'en a déboutée,
- donné acte à cette société du règlement en cours d'instance de la somme de 7 204,53 francs, à titre de salaires ou indemnités représentatives et accessoires y afférents pour la période du 25 mars 1977 au 27 avril 1977, et dit ce paiement satisfactoire pour cette dernière période seulement,
- condamné la société Loews à payer au sieur L. la somme de 41 500 francs à titre d'indemnité compensatrice de salaires perdus et de tout autre préjudice subi de ce fait, depuis le 27 avril 1977 jusqu'à la date de sa décision, avec intérêts légaux à compter de cette dernière date,
- réservé tous droits du sieur L. à nouveaux dommages-intérêts en cas de refus de réintégration,
- rejeté comme inopérantes ou mal fondées les conclusions plus amples ou contraires des parties,
- condamné la société Loews aux entiers dépens ;
Attendu qu'il résulte des documents versés au débat et des motifs du jugement entrepris, auquel le Tribunal se réfère pour plus ample exposé des faits de la cause et des moyens des parties, que le sieur L., engagé comme concierge de nuit par la société Loews le 11 août 1975 et élu délégué du personnel le 14 février 1976, puis réélu le 14 février 1977 - élection qui devait être annulée par arrêt de la Cour de Révision du 7 juin 1977 - a été mis à pied le 25 mars 1977, pour fautes graves, par son employeur qui saisissait le même jour la Commission instituée par l'Ordonnance-Loi n° 696 du 15 novembre 1960, conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi n° 459 modifiée du 19 juillet 1947, à l'effet d'être autorisée à le licencier ; que, par décision du 7 avril 1977, notifiée aux parties le 15 avril suivant, la commission refusait de donner son assentiment au licenciement envisagé ; que le 18 avril 1977, la société Loews s'opposait à la réintégration de son employé et qu'à la date du 25 avril 1977 le magistrat des référés, saisi par ce dernier d'une demande tendant aux mêmes fins se déclarait incompétent pour ordonner cette réintégration, en l'état du caractère sérieux de la contestation opposée par la société Loews, tiré du recours en annulation de l'élection de L. dont la Cour de Révision avait été saisie, décision confirmée sur appel par arrêt de la Cour de Monaco du 28 juin 1977 ; que la Société et le sieur L. saisissaient successivement en conciliation le Tribunal du Travail les 27 avril et 28 juillet 1977 des demandes sur lesquelles il a été statué par le jugement déféré ;
Attendu que l'appelante, qui développe en d'abondantes conclusions les moyens invoqués par elle en première instance en soutenant que le sieur L. s'est rendu coupable :
- d'une violation du règlement intérieur de l'hôtel, sanctionnée par un avertissement du 13 mai 1976, pour avoir notamment servi d'intermédiaire en prenant contact avec des dames de petite vertu pour le compte de clients de l'établissement,
- d'une faute tenant à son comportement sur les lieux du travail en proférant le 10 décembre 1976 des injures et menaces verbales à l'égard d'un supérieur hiérarchique et de la direction en des termes inadmissibles, faits qui ont en dernier lieu provoqué l'ouverture d'une information sur la plainte avec constitution de partie civile qu'elle a déposée le 19 mai 1977,
- d'une faute professionnelle pour avoir mis à profit ses fonctions, et avec la complicité d'un tiers, loueur de voitures de grande remise, organisé un véritable service auxiliaire évinçant les taxis de la Principauté et provoqué de vifs incidents en présence de la clientèle, ce qui était indiscutablement de nature à nuire à la réputation de l'établissement, fait grief aux premiers juges d'avoir écarté ou minimisé ces fautes, en dénaturant les faits, et d'en avoir tiré des conséquences inexactes en retenant en particulier, en des motifs contradictoires, le principe d'une faute indiscutable commise par son préposé, en raison des propos qu'il avait tenus, sans pour autant prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail qui en était la sanction inéluctible, en application du règlement intérieur, avec tous les effets qui devaient en découler et notamment la perte pour le salarié de tout droit à réclamer des salaires ou indemnités quelconques ;
Qu'elle poursuit ainsi la réformation du jugement entrepris en demandant au Tribunal de prononcer, à compter du 27 avril 1977, la résolution pour fautes graves du contrat de travail qui la liait au sieur L. avec toutes conséquences de droit, de déclarer sans fondement la demande dudit L. en paiement de salaires postérieurs à cette date et de l'en débouter, de dire et juger que la rupture du contrat a été, dans les faits, admise par l'intimé qui a restitué son uniforme après avoir exercé régulièrement une activité salariale à Monaco, « sous le couvert d'extra », et de réserver ses droits à dommages-intérêts qu'elle entend exercer dans le cadre de la constitution de partie-civile susvisée ;
Attendu que l'intimé, se référant tant aux motifs du jugement attaqué qu'à ses conclusions antérieures qu'il reprend pour réfuter dans le détail les griefs invoqués contre lui en contestant qu'une faute quelconque puisse lui être reprochée, sollicite pour sa part la confirmation en toutes ses dispositions dudit jugement ;
Sur quoi, le Tribunal,
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947, qui a institué un système de protection des délégués du personnel dont l'originalité et le particularisme interdit toute référence à la jurisprudence instaurée sur la base des textes français régissant la matière, que :
- le contrôle juridictionnel du licenciement d'un délégué du personnel est, dans tous les cas, réservé aux Tribunaux compétents de l'ordre judiciaire, soit en premier ressort au Tribunal du Travail,
- l'assentiment de la commission prévue par ce texte n'est qu'un préalable obligatoire à tout licenciement d'un délégué auquel il confère, s'il est accordé, un caractère exécutoire immédiat et ce, quelle que soit la gravité de la faute invoquée sans que son avis puisse préjuger du fond,
- la mise à pied d'un délégué, qui ne peut être prononcée par un chef d'entreprise que dans le cas de faute grave, ne peut se prolonger au delà de la date de notification de la décision de la commission qui n'aurait pas autorisé le licenciement ;
Sur la mise à pied et les salaires ou indemnités sollicités :
Attendu qu'il suit, dans le cas d'espèce, que par le seul effet de la loi et quelle que puisse être la décision de la juridiction saisie au fond sur la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, qui ne peut avoir effet qu'à compter de la date à laquelle elle intervient puisque l'exécution de ce contrat aurait dû reprendre normalement à partir du 15 avril 1977, date de la notification aux parties du refus de la commission de donner son assentiment au licenciement, le maintien pur et simple par la société Loews de la mise à pied du sieur L., lequel en sa qualité d'ancien délégué du personnel était en tout état de cause protégé par le texte susvisé pendant une période de six mois expirant le 14 août 1977, était une mesure illégitime ;
Attendu, dès lors, que l'intimé, dont il est constant qu'il a vainement sollicité sa réintégration et qu'il est demeuré à la disposition de son employeur qui est seul responsable de la suspension prolongée de l'exécution du contrat de travail, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges par des motifs que le Tribunal adopte et fait siens, est fondé à obtenir l'indemnisation de la perte de ses salaires et accessoires ;
Que le jugement, qui a chiffré à la somme de 41 500 francs, laquelle n'est pas contestée dans son montant, l'indemnité compensatrice devant lui être allouée de ce chef, pour la période du 27 avril 1977 au 6 avril 1978, et qui n'est pas frappé d'un appel incident de sa part, doit donc être confirmé sur ce point ;
Sur la demande en résiliation du contrat de travail ;
Attendu, étant observé que le contrat de travail est un contrat à prestations successives, que la demande de l'appelante doit s'analyser en une demande de résiliation qui n'est au demeurant qu'une modalité particulière de la résolution judiciaire d'un contrat ;
Attendu que la plainte adressée, le 23 mars 1977, par le Président de l'Association Professionnelle des chauffeurs de taxi de Monaco à la société Loews, et relative à des faits qui constituaient le seul grief invoqué dans la lettre de mise à pied du 25 mars 1977, a été incontestablement provoqué par le comportement du sieur L. à l'égard des membres de cette association ;
Attendu en effet que les documents produits (et notamment lettre C. du 21 mars 1977 confirmée en réponse à une sommation interpellative du 17 mai 1977 et attestation B. du 22 mars 1977 - déclaration D. du 21 mars 1977, confirmée sur sommation interpellative en date du 13 mai 1977) démontrent que la préférence systématique qu'il accordait, dans l'exercice de ses fonctions de concierge de nuit, à une ou plusieurs voitures de grande remise, au détriment des taxis, a donné lieu à divers incidents, notamment les 18 et 20 mars 1977, en présence de clients de l'hôtel qui devaient utiliser l'un de ces véhicules ;
Attendu que, contrairement à l'appréciation des premiers juges, ces faits étaient de nature à occasionner un préjudice à la société Loews en ce qu'ils portaient atteinte au bon fonctionnement et au haut standing de l'hôtel et constituaient, par leur répétition, une faute certaine du sieur L. qui n'a d'ailleurs pas hésité, ce qui démontre le peu de crédit qu'il convient d'accorder à ses dénégations et la conscience qu'il avait du caractère fautif de son comportement, à organiser à la date du 5 avril 1977, une véritable machination dans le but de rendre indisponibles les taxis d'une station, tandis qu'il faisait constater dans le même temps par huissier l'impossibilité d'obtenir les services des taxis de cette station, ainsi que cela résulte de l'attestation d'un sieur F. en date du 23 janvier 1978 dont ce dernier a confirmé les termes en réponse à une sommation interpellative du 26 janvier 1978 ;
Attendu que si ce comportement fautif du sieur L., antérieurement au 25 mars 1977, ne revêtait pas le caractère d'une faute lourde rendant intolérable la poursuite du contrat de travail et pouvant justifier sa mise à pied immédiate, il n'en constituait pas moins un motif légitime de licenciement ;
Attendu en conséquence que, s'agissant d'un ancien délégué du personnel, bénéficiant au moins à ce titre de la protection légale, et à l'égard duquel le droit de résiliation unilatéral du contrat de travail de la société Loews ne pouvait s'exercer, il doit être fait droit à la demande de cette société en prononçant judiciairement la résiliation de ce contrat, de ce seul chef, et sans qu'il y ait lieu d'évoquer les autres griefs articulés, étant observé que dans le cas présent l'existence d'une faute lourde éventuelle de l'intimé, même si elle était démontrée, n'aurait pas de portée juridique ni d'incidence en ce qui concerne cette résiliation du fait du caractère illégal de la prolongation de la mise à pied que la société a cru devoir maintenir à ses risques et périls ;
Attendu que le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a débouté la société Loews de cette demande et réservé les droits de l'intimé à des dommages-intérêts en cas de refus d'une réintégration à laquelle il ne pouvait plus prétendre ;
Que les dépens doivent suivre la succombance et être supportés par moitié par les parties ;PAR CES MOTIFS,
Et ceux non contraires des premiers juges ;
LE TRIBUNAL,
Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail ;
Reçoit la société anonyme monégasque Loews Hotel Monte-Carlo en son appel régulier en la forme ;
Au fond, y faisant partiellement droit ;
Prononce la résiliation du contrat de travail du sieur L. F. aux torts de ce dernier ;
Dit en conséquence qu'il n'y a pas lieu de réserver ses droits à une action en dommages-intérêts ;
Infirme, de ces chefs, le jugement du Tribunal du Travail du 6 avril 1978 ;
Le confirme, pour le surplus ;
Le Tribunal du Travail,
Audience du 6 avril 1978
Attendu qu'ensuite d'un procès-verbal régulier de non-conciliation en date du 9 mai 1977, enregistré, la S.A.M. « Loews Hotel Monte-Carlo » (ci-après : Loews), a attrait, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, le sieur F. L., concierge de nuit, afin d'obtenir :
la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour fautes graves dans l'exercice de ses fonctions ayant légitimé sa mise à pied immédiate ;
des dommages-intérêts : Mémoire ;
Sous toutes réserves ;
Attendu qu'ensuite d'un second procès-verbal régulier de non-conciliation en date du 8 août 1977, le sieur F. L., concierge de nuit, a attrait ladite société « Loews », devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir paiement de :
- Salaire qu'aurait dû percevoir le requérant depuis le 25 mars 1977 jusqu'à ce jour, calculé à partir du minimum garanti, du pourcentage à la masse, de l'indemnité de nourriture et de l'indemnité spéciale pour travail de nuit (10%) :
Mémoire ;
et à défaut de justification de la part de l'employeur,
- Salaire équivalent à celui qu'a perçu, pour la même période, un employé de la même catégorie que le requérant (coefficient : 260) : Mémoire ;
Sous toutes réserves ;
Attendu que la S.A.M. « Loews Hotel Monte-Carlo » poursuit son employé et ancien délégué du personnel F. L., en résolution judiciaire du contrat de travail liant les parties, après mise à pied, et que L., contestant le bien-fondé de la demande, poursuit la société Loews en paiement de salaires ou indemnités compensatrices, non perçus depuis sa mise à pied ;
Attendu qu'en raison de la connexité, il y a lieu de joindre les deux instances, afin de statuer par un seul jugement ;
Attendu que préliminairement, il y a lieu de statuer sur la demande formulée par la société Loews, à la dernière audience, en bâtonnement dans les conclusions déposées au nom de L. dans l'instance en résolution de contrat, le 2 février 1978, du passage suivant : « le comportement hypocrite de la Société Loews qui se présente comme la défenderesse de l'Esprit National Monégasque, tout en bafouant quotidiennement et sans mesure les lois de ce pays » qu'elle considère comme injurieux et diffamatoire ;
Attendu que la phrase complète, en réponse aux faits de menaces et injures prêtés à L. par la société Loews, à l'appui de sa demande principale, est la suivante :
Qu'a fortiori, le sieur L. ne s'est jamais permis d'injurier ou d'offenser la Principauté de Monaco ou ses habitants, mais ne peut s'empêcher de s'insurger contre le comportement hypocrite de la Société Loews, etc... « ;
Que cette phrase, dans les conclusions prises au nom de L. et signées de son avocat, n'a pas le caractère que lui attribue la société Loews, mais que certains de ses termes lui donnent un accent de polémique, incompatible avec la dignité d'un débat en justice ;
Qu'il y a donc lieu d'ordonner la radiation du mot » hypocrite « et du dernier membre de la phrase soit : » ... tout en bafouant quotidiennement et sans mesure les lois de ce pays... « en page 6 » in fine « de ces conclusions ;
Qu'en raison des circonstances retenues, il n'y a pas lieu à dommages-intérêts de ce chef ;
Sur l'exposé des faits :
Attendu qu'il est acquis aux débats que F. L., engagé comme concierge de nuit à l'Hôtel Loews, au service de la Société Anonyme Monégasque » Loews Monte-Carlo Hotel «, le 11 août 1975, à l'ouverture de l'Hôtel, a été régulièrement élu délégué du personnel le 14 février 1976, fonctions qu'il a effectivement remplies ;
Que le 14 février 1977, date fixée pour de nouvelles élections, il a été à nouveau élu ; que le recours formé par la société Loews, contre cette élection ainsi que contre celle de deux autres employés, a été rejeté par jugement du Juge de Paix en date du 9 mars 1977, mais que sur pourvoi de la Société Loews, la Cour de Révision par arrêt en date du 3 juin 1977 a cassé et annulé ledit jugement, et par arrêt sur renvoi, en date du 7 juin 1977, a déclaré la Société Loews bien fondée en son recours et a annulé l'élection en qualité de délégués du personnel de L. et des deux autres employés, à laquelle il avait été procédé le 14 février 1977, en raison du non-renouvellement de la dérogation aux conditions d'ancienneté de travail en Principauté accordée pour les précédentes élections, leur ancienneté de travail à Monaco n'étant pas suffisante, en leur qualité d'étranger pour que la condition légale d'éligibilité de ce chef leur fût à nouveau acquise ;
Attendu qu'il est également constant que le 25 mars 1977, la Société Loews informait L. de sa mise à pied et saisissait le même jour la Commission prévue par l'Ordonnance-Loi n° 696 du 15 novembre 1960, afin d'obtenir autorisation de licenciement pour des faits considérés par elle comme faute grave, qu'elle reprochait à son employé, conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947, modifiée par la loi n° 639 du 11 janvier 1958 et par l'Ordonnance-Loi n° 696 du 15 novembre 1960 ;
Qu'en sa réunion du 7 avril 1977, par décision notifiée aux parties le 15 avril 1977 par l'Inspecteur du Travail, la Commission a refusé son assentiment au licenciement envisagé ;
Que suivant acte de Me Danielle Boisson-Boissière, Huissier, en date du 18 avril 1977, L. signifia à la Société Loews sommation interpellative en vue de reprendre son travail, reprise à laquelle la société se refusa formellement ;
Que par assignation en date du 25 avril 1977, L. a alors appelé la Société Loews devant le Président du Tribunal de Première Instance, statuant en matière, de référé, aux fins de réintégration, mais que par ordonnance de référé, en date du 4 mai 1977, ce magistrat s'est déclaré, en l'état, incompétent, incompétence confirmée sur appel par arrêt de la Cour d'appel en date du 28 juin 1977 ;
Attendu cependant que le 27 avril 1977, la Société Loews a saisi le Tribunal du Travail aux fins de préliminaire de conciliation à l'égard de L. en : » résiliation judiciaire de son contrat de travail pour fautes graves dans l'exercice de ses fonctions ayant légitimé sa mise à pied immédiate - et dommages-intérêts «, objet de la présente instance diligentée par ses soins ;
Attendu par ailleurs que L. l'a appelée le 28 juillet 1977 en paiement du salaire qu'il aurait dû percevoir depuis le 25 mars 1977 ou du salaire équivalent à celui perçu, pour la même période, par un employé de la même catégorie que lui, coefficient : 260 ;
Attendu enfin, qu'en cours d'instance, à la dernière audience du 16 mars 1978, la Société Loews a fait offre de paiement en la somme de : 7 204,53 francs, à titre des salaires et indemnité de congés payés auxquels pouvait prétendre L. jusqu'au 27 avril 1977, date de l'introduction de l'instance en résolution judiciaire, règlement opéré et reçu, sous réserves de tous droits des parties ;
Sur l'exposé des moyens et prétentions des parties :
de la Société Loews :
Attendu que la Société Loews ne conteste pas que le 25 mars 1977, date de sa mise à pied et de la saisine de la commission prévue par l'article 16 de la loi n° 459, modifié, L. - malgré son inéligibilité et l'annulation de sa précédente élection du 14 février 1977, ultérieurement et judiciairement constatées - était encore protégé, en ce qui concerne un licenciement, par les dispositions de ladite loi, en tant qu'ancien délégué du personnel, se trouvant dans la période de six mois ayant commencé le 14 février 1977 et devant se terminer le 14 août 1977 ;
Qu'elle expose que la décision de la Commission refusant son assentiment lui interdisait seulement, à l'époque, d'user de son droit de résiliation unilatérale du contrat de travail liant les parties ;
Attendu qu'elle soutient qu'était ainsi recevable l'action en résolution judiciaire aux torts et griefs de son employé de ce contrat de travail par elle intentée sur le fondement de l'article 1039 du Code civil, en raison des fautes graves commises par ce dernier, de nature à rendre impossible toute continuation de rapports contractuels, cette résolution devant avoir effet du jour de l'introduction de la présente instance, soit le 27 avril 1977, légitimant la mise à pied alors prononcée ;
Attendu qu'au fond, elle fait état, à l'appui de cette demande, des faits suivants dans lesquels elle trouve la preuve de ces fautes :
- le 23 mai 1976, signification d'un avertissement avec mise à pied de trois jours, pour incorrection envers une cliente, plainte de certains de ses collègues pour sa rudesse de langage et mouvements d'humeur, interdiction qui lui était faite, sous peine de renvoi, de servir d'intermédiaire ou de contacter pour le compte de clients des prostituées et autres vendeuses de charmes ;
- en mars 1977, avoir profité de ses fonctions pour organiser en marge de celles-ci et avec le concours d'un loueur de voitures un système qui avait pour effet d'interdire aux chauffeurs de taxis de la Principauté d'apporter normalement leurs services aux clients fréquentant le Loews Hotel, entraînant ainsi des protestations de la clientèle aussi bien que des chauffeurs de taxis et apportant un trouble grave dans le fonctionnement du service ;
- le 10 décembre 1976, injures proférées à l'égard d'un attaché de direction, de ses supérieurs, des monégasques et des habitants de la Principauté, ainsi que menaces ayant motivé plaintes déposées le 10 décembre 1976 pour injures et le 13 mai 1977 pour menaces verbales en cours d'information ;
Attendu qu'elle persiste en conséquence en sa demande, sous réserve éventuellement d'un sursis à statuer jusqu'à décision de la juridiction pénale saisie ;
Attendu qu'en ce qui concerne la demande en paiement de salaires ou indemnités compensatrices formulée par L., la Société Loews soutient que par l'effet de la demande en résolution judiciaire du contrat de travail engagée le 27 avril 1977 qui devait produire effet dudit jour, de la mise à pied entraînant fin de ses fonctions, de la gravité des fautes qui lui sont reprochées, il ne pouvait prétendre à un quelconque salaire ou indemnité correspondants, postérieurement au 27 avril 1977 ;
Qu'elle fait état par ailleurs du rejet de la demande de réintégration qu'il avait présentée, du fait également que L. aurait trouvé un autre emploi au Café de Paris et qu'enfin le 27 octobre 1977 il avait restitué son uniforme de concierge et récupéré ses affaires qu'il avait laissé entreposées dans le vestiaire des employés, ce qui démontrait que le lien contractuel était à jamais rompu ;
Attendu qu'elle soutient en conséquence que le règlement des salaires et indemnités jusqu'au 27 avril 1977 a rempli entièrement L. de ses droits et conclut au rejet de toute autre demande en paiement de ce chef ;
Attendu enfin qu'elle impute à L. la responsabilité du dépôt tardif des conclusions ayant nécessité les renvois successifs de l'examen de l'affaire par le Tribunal de céans, au motif qu'il n'aurait pas lui-même d'abord déposé ses conclusions en exception d'incompétence du Tribunal dans l'affaire en résolution du contrat, exception qu'il se proposait de soulever à l'origine ;
Du sieur F. L. :
Attendu que L. conteste expressément ces dernières allégations, contestant avoir jamais manifesté l'intention de soulever l'incompétence du Tribunal de céans, soulignant au contraire que le dépôt tardif des conclusions de la partie adverse, à laquelle il ne pouvait répondre qu'après avoir eu connaissance de l'objet et du fondement de la demande, était la seule cause du délai ainsi imposé pour la suite de la procédure ;
Attendu qu'il conteste par ailleurs la substitution dans les conclusions adverses d'une demande en » résolution judiciaire « à celle en » résiliation judiciaire « initiale, ce qui constituerait une modification substantielle de l'action introduite, la première - à ses dires - si elle était, par pure hypothèse, admise, pouvant avoir effet dès le jour où le Tribunal en a été saisi, alors que la seconde, toujours dans l'hypothèse où elle serait déclarée bien fondée, ne pourrait avoir effet que du jour du prononcé du jugement ;
Attendu qu'en réponse à cette demande en résiliation judiciaire, il fait état de la pression économique intolérable constituée par la mise à pied dont il est l'objet depuis le 25 mars 1977, avec privation de salaire, mesure qui se trouvait sans fondement à la suite de la décision de la Commission refusant l'autorisation de licenciement ;
Attendu qu'il conteste par ailleurs les prétendues fautes graves contre lui invoquées, alors qu'au demeurant, les événements de mars 1976, relatifs à des difficultés existant avec des chauffeurs de taxis, étaient le seul grief initial invoqué par son employeur à l'appui de sa mise à pied et de la saisine de la Commission ;
Attendu qu'en ce qui concerne l'incident de mai 1976, il soutient que le fait d'avoir introduit des dames » de petite vertu « dans l'hôtel, pour le compte de clients de l'hôtel, ne lui est aucunement imputable, l'employé qui y avait alors eu recours ayant reconnu que c'était lui et non L. qui avait suivi une telle pratique, et la Société Loews, sans répondre à sa lettre de protestation du 18 mai, en avait reconnu le bien-fondé, puisque la mesure disciplinaire de trois jours de mise en congé sans solde, alors signifiée par la lettre du 13 mai, n'avait pas été appliquée, ainsi que cela résultait de ses bulletins de salaires postérieurs ;
Attendu que sur l'incident ayant fait l'objet de la lettre de mise à pied du 25 mars 1977, il expose qu'il s'agit essentiellement d'actes de concurrence de la part de voituriers de grande remise dont s'est plaint le Président de l'Association Professionnelle des Chauffeurs de Taxis de Monaco, qui n'ont pourtant pas un monopole de choix en leur faveur ;
Qu'il conteste expressément avoir organisé un système quelconque - sous-entendant le profit qu'il aurait pu en tirer - excluant les chauffeurs de taxis du bénéfice de la clientèle de l'hôtel, et affirme qu'il a parfois fait appel à des chauffeurs de grande remise dans le seul but de rendre un service sûr et rapide à ladite clientèle ;
Qu'il dénie en conséquence avoir commis quelque faute que ce fût de ce chef ;
Attendu enfin qu'en ce qui concerne l'incident du 20 décembre 1976, il affirme que les propos qui lui sont prêtés, n'ont été tenus qu'à titre de boutade entre deux personnes liées d'amitié et qui ne sont pas constitutives de menaces ou d'injures à l'égard de son employeur ;
Qu'il expose que la Société Loews ne les a dénoncés, dans une plainte, que le 13 mai 1977, c'est-à-dire après que lui-même ait déposé une plainte contre son employeur, en ce qui concerne la répartition du pourcentage de service ;
Attendu qu'il conteste, en conséquence, avoir commis aucune faute de nature à justifier le bien-fondé de la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail ;
Qu'il conclut en conséquence, par ses dernières conclusions, au rejet de cette demande et de : » Dire et juger, en effet, qu'il n'existe aucune preuve d'une faute commise par l'employé et susceptible de justifier la validité de la mesure de licenciement ;
Dire et juger, en conséquence, que le contrat de travail susvisé demeure toujours en vigueur avec toutes conséquences de droit, et notamment l'obligation pour l'employeur de lever la sanction de mise à pied, de mettre le sieur L. en état d'effectuer son travail et de lui payer la totalité de ses salaires « ;
Attendu qu'en ce qui concerne sa demande principale en paiement de salaires il reprend ses motifs quant au maintien - à ses dires illicite - de sa mise à pied, reconnaît qu'il a été amené à effectuer un certain nombre d'heures de travail en qualité d' » extra « au Café de Paris, mais à titre provisoire, et dans le seul but de résister aux pressions financières intolérables de son employeur, qu'il expose que dans l'instance en référé, sa demande en réintégration n'a pas été rejetée pour des motifs de fond, mais de compétence ;
Qu'il affirme ainsi s'être toujours tenu à la disposition de son employeur, ainsi que le démontrent en outre les actions qu'il a poursuivies, démentant de sa part toute acceptation d'une rupture de contrat ;
Attendu qu'il conclut, en conséquence, au paiement de ses salaires, et à défaut, à titre d'indemnités compensatrices ou de dommages-intérêts depuis le 25 mars 1977, jusqu'au jour du prononcé du présent jugement, sans préjudice de tous salaires ou dommages-intérêts ultérieurs ;
Sur quoi :
Sur la résolution judiciaire :
Attendu qu'EN DROIT, l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947, modifié par la loi n° 639 du 11 janvier 1958, et par l'Ordonnance-Loi n° 696 du 15 novembre 1960, soumet à l'agrément préalable de la Commission instituée, présidée par l'Inspecteur du Travail, le licenciement d'un délégué du personnel titulaire ou suppléant, des candidats aux fonctions de délégués du personnel pendant les quinze jours précédant les élections et les trois mois qui suivent celles-ci, et des anciens délégués du personnel durant une période de six mois à compter du jour de la cessation de leurs fonctions ;
Que le texte porte : » Toutefois, en cas de faute grave, le chef d'entreprise a la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé en attendant la décision de la Commission « ;
et » les décisions de la Commission ne préjudicient pas au recours que les parties pourront introduire auprès des juridictions compétentes « ;
Attendu qu'en l'état actuel de la législation monégasque, il apparaît ainsi que l'employeur, pour les mêmes faits, garde la faculté d'introduire une action en résolution judiciaire du contrat de travail liant les parties, bien que l'autorisation de licenciement précitée ait été préalablement refusée ;
Attendu que la qualification de » résolution judiciaire « ou de » résiliation judiciaire « est indifférente en la matière, s'agissant d'une seule et unique action, quant à son objet, à son fondement et quant aux conditions et conséquences de son admission ou de son rejet ;
Attendu cependant qu'en raison de la nature spécifique du contrat de travail et de la protection spéciale instituée à l'égard des délégués du personnel, les motifs légitimes justifiant l'admission d'une telle demande ne peuvent être trouvés que dans une faute certaine, grave et rendant intolérable la continuation des rapports contractuels du salarié qui s'en est rendu coupable ;
Que cette faute grave doit être appréciée » in concreto « et non » in abstracto «, c'est-à-dire qu'il doit être tenu compte des circonstances de la cause ;
Que la preuve doit en être rapportée par l'employeur ;
Qu'enfin il est nécessaire en ce qui concerne son incidence sur les rapports contractuels de travail des parties qu'elle ait été invoquée immédiatement en tant que telle, après sa commission ou dès que l'employeur en a eu connaissance ;
Attendu qu'en l'espèce, en fait, il n'est pas sans intérêt de retenir que le texte même de la lettre de mise à pied du 25 mars 1977 invoque seulement une faute grave de L. dans l'exercice de ses fonctions » comme suite aux démêlés que nous avons actuellement avec l'Association Professionnelle des Chauffeurs de Taxis de Monaco et dont l'entière responsabilité vous incombe « ;
Que la lettre de saisine de la Commission de l'article 16 de la loi n° 459 modifié, comporte le même et seul motif avec précision notamment que L... » s'est avisé d'organiser un service parallèle à l'intention des clients qui demandaient un taxi « ... et que » cette situation nonobstant le désagrément apporté aux clients qui assistent à des algarades entre taxis et non-taxis et nous a valu une plainte du président de l'Association Professionnelle des Chauffeurs de Taxis de Monaco, qui pourrait entraîner des poursuites à l'encontre de l'hôtel « ;
Que les conclusions écrites de la Société Loews, déposées devant la Commission en sa réunion où les parties ont été entendues contradictoirement, et qu'elle a versées aux débats de la présente instance, font état de ce même motif et également des faits et de l'avertissement du 13 mai 1976 ;
Qu'il a pu être verbalement question à cette réunion des faits du 20 décembre 1976, mais qu'il n'en est pas fait mention dans ces conclusions ;
Attendu qu'en tout état de cause, il y a lieu d'examiner la valeur de ces trois griefs en leur ordre chronologique ;
Attendu que pour les faits, objets de l'avertissement du 13 mai 1976 (et non du 23 mai comme le mentionne par erreur de plume la Société Loews dans ses conclusions), il apparaît que dès le 18 mai, par lettre recommandée avec avis de réception, L. s'était disculpé auprès de la Direction du Loews d'avoir appelé à l'hôtel pour le compte d'un client, une » professionnelle «, ce qui était le fait d'un autre employé de l'hôtel qui l'avait reconnu ;
Que la sanction de trois jours de mise à pied n'a d'ailleurs pas été appliquée, ainsi que cela résulte des bulletins de salaires ;
Que, par ailleurs, si dans une attestation en date du 8 avril 1977, soit près d'un an après les faits, l'intermédiaire réel du » contact « litigieux, toujours employé au Loews, a dénié les propos qui lui étaient prêtés quant au chef du personnel vis-à-vis de L., il résulte cependant de cette attestation que c'était bien lui et non L. qui avait facilité l'entrevue du client ;
Attendu qu'il ne subsistait de ce fait aucune charge sérieuse à l'encontre de L., ce qu'avait implicitement reconnu son employeur ;
Attendu qu'en ce qui concerne les événements du 20 décembre 1976, il résulte de l'enquête officieuse de police, alors diligentée sur la plainte de Michel C., Attaché de Direction, pour injures, non pas en son nom personnel, mais sur l'ordre et au nom de M. H. L., vice-président du Loews-Europe, que ce jour, vers 7 heures du matin, L. a été invité par C. à venir en son bureau où ils ont parlé de la Direction et du Syndicat - tout en se tutoyant - qu'en sortant, dans le hall de l'hôtel, à proximité de la réception, L. se serait laissé emporter à tenir des propos tels que notamment : » Moi, je suis syndiqué, je fais ce qui me plaît et j'emmerde tout le monde, monégasque ou non « ;
Qu'il lui est prêté le propos : » N'oubliez pas que lorsque les drapeaux français et monégasques seront rouges, je ferai de cet hôtel un hôpital « ;
Que cependant, il s'agissait d'une conversation privée, dont des bribes ont été saisies par deux ou trois employés présents, que les propos incriminés pouvaient répondre à ceux tenus par C. : » Bientôt il faudra remplacer l'inscription Loews sur le fronton de l'hôtel par l'inscription « Syndicat » «, et sans qu'il soit démontré que le ton en ait été autrement menaçant, leur excès même leur ôtant toute signification sérieuse ;
Qu'il n'y a pas lieu de minimiser les écarts de langage de L., mais de les replacer dans le contexte, étant évident qu'en aucun cas il ne pourrait être supporté un propos offensant pour le Prince Souverain, ce qui aurait légitimé un renvoi immédiat, sans préjudice d'une sanction pénale dûment motivée ;
Que tel n'était pas manifestement le cas, aucun trouble n'ayant été par ailleurs apporté dans l'établissement et l'interlocuteur de L. n'ayant pas attaché personnellement d'importance aux propos tenus ;
Que ces propos, tels que les relate la Société Loews, avaient été immédiatement portés à sa connaissance, ainsi que cela résulte de deux attestations écrites en date du 10 décembre, qu'elle verse aux débats ;
Que cependant, elle n'a alors signifié à L. aucune protestation écrite, ni même aucun avertissement relatif à ces faits, qu'elle l'a conservé en activité de service et que ce n'est que le 7 avril 1977, au plus tôt, c'est-à-dire près de quatre mois après ces événements, qu'elle en a fait état verbalement devant la Commission, puis, après décision négative de cette dernière, en réponse à la sommation interpellative du 18 avril 1977 et enfin en la présente instance ;
Que le procès-verbal du dépôt de plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de L. du chef de menaces verbales, par le représentant légal du Loews, devant le Juge d'Instruction est du 23 juin 1977, et que le procès-verbal de première comparution de l'inculpé est en date du 29 novembre 1977, l'instruction étant toujours en cours ;
Attendu qu'il apparaît en définitive de ces circonstances que s'il y a eu faute de la part de L. dans le choix de ses expressions, en tout état de cause répréhensibles, cette faute n'a pas été invoquée immédiatement par son employeur à propos des relations de travail liant les parties, qui ont normalement continué, et ne peut être donc retenue en l'état comme présentant un caractère de gravité suffisant légitimant une résolution judiciaire de ce contrat, quel que puisse être le résultat de l'action publique mise en mouvement dans les conditions qui viennent d'être rappelées ;
Attendu enfin, qu'en ce qui concerne les derniers événements du mois de mars 1977, motifs déterminants de la volonté de l'employeur d'exclure son employé de l'entreprise, soit par licenciement, soit par résolution judiciaire du contrat de travail, il apparaît des pièces contradictoirement versées aux débats que si effectivement, par lettre du 23 mars 1977, le Président de l'Association Professionnelle des Chauffeurs de Taxis de Monaco s'est plaint à la Direction de Loews qu'entre 5 heures et 8 heures du matin, des voitures de location de grande remise soient attribuées aux clients plutôt que des taxis, les seuls faits précis de ce chef sont ceux du 17 mars (un taxi commandé par un bagagiste et une voiture de grande remise envoyée par L.) et du 20 mars (mêmes circonstances, mais le conducteur de la voiture de grande remise a cédé la place au taxi) ;
Qu'en admettant même par hypothèse que des faits semblables se soient produits à plusieurs reprises les mois précédents, il y a lieu de retenir que commander une voiture de grande remise plutôt qu'un taxi n'est pas en soi un acte répréhensible, qu'il y a pu avoir de ce chef conflit entre les intérêts des chauffeurs de taxis et ceux des voituriers de grande remise, mais qu'il n'est rapporté preuve ni d'une signification écrite par le Loews à L. lui interdisant un recours à un voiturier de grande remise, ni du refus systématique de ce dernier d'appeler, le cas échéant, un taxi, étant évident qu'aux heures de nuit et de matinée pendant lesquelles il était en service, l'une ou l'autre des voitures pouvait faire défaut ;
Que la brusque signification de mise à pied pour les seuls faits rapportés n'était donc pas justifiée ;
Attendu qu'en définitive, de l'ensemble des circonstances ainsi exposées et retenues, la Société Loews ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'une faute grave, telle que celle qui a été définie, de nature à justifier une résolution judiciaire du contrat de travail liant les parties aux torts et griefs de son employé ;
Attendu que cette demande ne peut en conséquence être admise ;
Sur la mise à pied et les salaires ou indemnités :
Attendu que la mise à pied est une mesure grave, privant le salarié, qui en est l'objet, de tout salaire et avantages sociaux y afférents ;
Attendu qu'en l'espèce, le fait même que la Société Loews ait réglé - en fin d'instance - les salaires afférents à la mise à pied du 25 mars 1977, date de saisine de la Commission, prévue par l'article 16 de la loi n° 459, modifié, au 27 avril 1977, date de l'introduction de l'instance en résiliation ou résolution judiciaire de contrat, ne peut que faire constater sa seule libération de ce chef pour cette période ;
Attendu que la seule date de l'introduction d'une demande en résolution judiciaire ne rétablit pas » ipso facto « au bénéfice de l'employeur, et dès cette date, la légitimation de la mesure de mise à pied, étant constant que légalement, pendant la mise en vigueur d'une telle mesure, l'exécution du contrat de travail est seulement suspendue, mais qu'en fait le salarié, ainsi privé de son salaire, et de l'exercice de ses fonctions éventuelles de délégué du personnel, peut difficilement attendre pendant des mois et même des années une décision judiciaire définitive, alors qu'il doit théoriquement se tenir à la disposition de son employeur, sinon risquer d'être considéré comme ayant reconnu le bien-fondé des prétentions de ce dernier ;
Que son usage apparaît donc devoir être limité à des cas exceptionnels ;
Attendu qu'en tout état de cause, en l'espèce, le rejet de la demande en résolution judiciaire prive de toute justification la mise à pied prononcée et maintenue par l'employeur depuis le 25 mars 1977 ;
Attendu qu'il y a lieu de relever - par incidence - qu'étant demandeur en résolution judiciaire de contrat, il n'a déposé ses premières conclusions, précisant le fondement et la portée de sa demande, que le 12 janvier 1978, alors que son adversaire ne pouvait soulever ses propres moyens qu'en réponse ;
Que le dépôt de ses conclusions en l'instance en demande en paiement de salaires n'est que de même date, bien que le demandeur en ladite instance ait déposé les siennes deux mois auparavant ;
Que les délais ainsi supportés lui sont donc imputables ;
Attendu que la Société Loews a ainsi maintenu la mise à pied à ses risques et périls ;
Qu'il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté qu'elle n'ait refusé catégoriquement à L. toute reprise de travail à son service, aussi bien en fait qu'à l'occasion des actions successives engagées par ce dernier en réintégration, ou à propos d'élections de délégués du personnel, survenues postérieurement à sa mise à pied, ou encore du droit auquel il prétendait de rester inscrit comme électeur auxdites élections, sur lequel il a été statué récemment ;
Que le juge des référés en son ordonnance du 4 mai 1977, et la Cour d'appel en son arrêt du 28 juin 1977, n'ont pas refusé à L. la réintégration qu'il sollicitait alors, mais se sont déclarés incompétents en raison des circonstances du moment, pour des motifs de droit et sans préjuger du fond ;
Qu'enfin, le fait d'avoir retiré ses effets personnels et restitué son uniforme le 27 octobre 1977, n'implique aucunement de la part de L., à défaut de manifestation de volonté contraire inexistante en l'espèce, sa renonciation à ses droits ni la reconnaissance du bien-fondé des prétentions de la partie adverse ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de retenir qu'en l'état, L. est resté à la disposition de son employeur jusqu'à ce jour ;
Qu'il peut ainsi légitimement prétendre à l'allocation non pas de salaires proprement dits - le salaire étant la contrepartie d'un travail qui n'a pu être fourni du fait de son employeur - mais d'une indemnité compensatrice desdits salaires perdus et de tous les avantages sociaux et accessoires y afférents, pour la période du 27 juin 1977, en raison du paiement effectué, comme il a été dit, pour la période du 25 mars 1977 - jusqu'au jour du prononcé du présent jugement 6 avril 1978, déduction faite, le cas échéant, des ressources qu'il a pu percevoir ailleurs comme gains de remplacement ;
Que tel a été le cas pour son emploi provisoire au Café de Paris, comme » extra ", pendant 85 jours de mai à août 1977, moyennant un salaire journalier de 120,00 francs, comme l'établit l'attestation contradictoirement versée aux débats par la Société Loews elle-même ;
Que preuve n'est pas rapportée qu'il ait pu accomplir un autre travail salarié pendant la période considérée ;
Attendu, en conséquence, que sur la base du dernier salaire versé, de l'ordre de 4200,00 francs par mois, toutes indemnités comprises, compte tenu des majorations successives intervenues depuis, ainsi que de la perte de tous les avantages sociaux, et déduction faite du gain de remplacement perçu, il existe éléments suffisants d'appréciation pour fixer à la somme de : 41 500,00 francs l'indemnité compensatrice de salaires perdus et de tout préjudice subi de ce chef par L. à ce jour, outre la somme de : 7 204,53 francs réglée pour la période du 25 mars au 27 juin 1977, comme il a été dit ;
Attendu par ailleurs, qu'il est constant - sans que le Tribunal de céans n'ait à rechercher ni à apprécier, en l'état, les responsabilités encourues de ce chef - qu'il y a eu dans l'entreprise conflits en lesquels sont intervenus les délégués du personnel, que la Société Loews a considéré en fait comme rompues définitivement les relations de travail la liant à son employé, délégué ou ancien délégué, et que la reprise de telles relations apparaît des plus aléatoires ;
Attendu cependant que le Tribunal de céans n'est pas formellement saisi d'une demande principale ou reconventionnelle de L. en réintégration ou à défaut en paiement de dommages-intérêts, ni en résiliation du contrat de travail aux torts et griefs de son employeur et que les débats n'ont pas été liés de ce chef ;
Qu'en l'espèce, un refus de réintégration devant se résoudre en dommages-intérêts, les droits de L. restent nécessairement réservés de ce dernier chef ;PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
Joint les instances ;
Statuant sur la demande principale de la Société Loews :
Ordonne la radiation, dans les conclusions déposées au nom du sieur L. le 2 février 1978, des termes tels que spécifiés dans les motifs initiaux du présent jugement ;
Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts de ce chef ;
Dit et juge la Société Loews recevable mais mal fondée en sa demande en résolution judiciaire aux torts et griefs du sieur L. du contrat de travail liant les parties ;
L'en déboute en conséquence ;
Statuant sur la demande principale du sieur L. :
Donne acte à la Société Loews du règlement en cours d'instance de la somme de : sept mille deux cent quatre francs cinquante-trois centimes (7 204,53 Frs) à titre de salaires ou indemnité représentative et accessoires y afférents, pour la période du 25 mars 1977 au 27 avril 1977, et dit ce paiement satisfactoire pour cette dernière période seulement ;
Condamne la Société Loews au paiement au sieur L. de la somme de : quarante et un mille cinq cents francs (41 500,00 Frs) à titre d'indemnité compensatrice de salaires perdus et de tout autre préjudice subi de ce fait, depuis la date du 27 avril 1977 à ce jour, date du prononcé du présent jugement ; avec intérêts légaux de cette somme à dater de ce jour ;
Tous droits du demandeur à nouveaux dommages-intérêts, en cas de refus de réintégration, demeurant nécessairement réservés ;
Rejette les conclusions plus amples ou contraires des parties comme inopérantes ou mal fondées ;
Dispositif
Rejette le pourvoi ;
Composition
M. Toselli, prés. ; MMe Boéri, av. déf. ; Léandri et Sbarrato, av.
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