Motifs
Pourvoi N° 2019-04 en session
Après cassation
R.4698
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 8 JUILLET 2020
En la cause de :
- La société SABA GROUP INC., société de droit du Panama, inscrite au Panama Public Registry (registre des sociétés du Panama) sous le numéro 600818, dont le siège social est à Panama City, ADR Tower, 8th floor, Samuel Lewis Avenue and 58th Street Obarrio Urbanization, Panama, prise en la personne de son Président en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
Contre :
- La Société Anonyme Monégasque EFG BANK (MONACO) S. A. M., dont le siège social est sis « Villa Les Aigles », 15 avenue d'Ostende à Monaco (98000), enregistrée au répertoire du commerce et de l'industrie de Monaco sous le numéro 90S02647, prise en la personne de son administrateur-délégué en exercice, domicilié es-qualités audit siège de la société ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sirio PIAZZESI, avocat au barreau de Nice et Maître Laurent CARRIE, avocat au Barreau de Paris ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
- l'arrêt de la Cour de révision du 19 juin 2019, cassant et annulant en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel, statuant en matière civile, rendu le 22 mai 2018 et renvoyant l'affaire à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée ;
- les conclusions additionnelles déposées le 31 juillet 2019 au greffe général, par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société SABA GROUP ING, signifiées le même jour ;
- les conclusions additionnelles déposées le 17 septembre 2019 au greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SAM EFG BANK (MONACO), accompagnées de 9 pièces, signifiées le même jour ;
- le certificat de clôture établi le 30 janvier 2020 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
- les conclusions après cassation de Madame le Procureur général en date du 31 janvier 2020 ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 29 juin 2020, sur le rapport de Mme Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu que le 22 décembre 2005, la société des îles caïman EQUITY TRADING FUND LTD (société EFT) a conclu avec la société BANQUE NATIONALE DE PARIS (BNP) un contrat optionnel indexé sur un portefeuille d'actions ; que, le 15 novembre 2006, elle a conclu avec la société de droit monégasque EFG Bank Monaco SAM (société EFG) un contrat de dépôt de ses actifs ; que le 3 novembre 2008, la société de droit panaméen SABA GROUP INC (société SABA) a acheté, par l'intermédiaire de la banque suisse MIRABAUD, 34,50 parts du fonds de la société ETF au prix nominal de 50.000 USD et que le 15 décembre 2008, la société ETF a informé la société SABA que M. b. M. avait été arrêté par la police fédérale et mis en examen pour fraude sur les marchés financiers et qu'elle était exposée aux opérations menées par celui-ci ; que la société SABA a ensuite été avisée par la société EFG de la décision de cette dernière de « ne retenir aucune valorisation pour ETF au 31 décembre 2008 » ;
Attendu que, par acte d'huissier en date du 7 juillet 2010, la société SABA a fait assigner la société EFG pour voir dire et juger que cette dernière a commis plusieurs fautes en sa qualité de dépositaire de Equity trading fund (ETF), la déclarer en conséquence responsable du préjudice qu'elle a subi et la condamner au paiement de 50.000 $ outre 50.000 € à titre de dommages-intérêts ; que par jugement du 27 septembre 2011, le tribunal de première instance a déclaré la société SABA irrecevable en son action, faute par son président de justifier avoir agi sur autorisation ; que par arrêt du 23 avril 2013, la cour d'appel a déclaré recevable l'action engagée par la société SABA, renvoyant les parties devant le tribunal pour statuer au fond ; que par jugement du 16 février 2017, le tribunal a débouté la société SABA de l'ensemble de ses demandes et rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de la société EFG BANK ; que sur appel interjeté par la société SABA, par arrêt du 22 mai 2018, la cour d'appel a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.
Attendu que, sur pourvoi formé par la société SABA, la Cour de révision, par arrêt du 19 juin 2019, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel, renvoyant la cause et les parties à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée ; que le 31 juillet 2019, la société SABA a déposé, par l'intermédiaire de son conseil Maître Olivier MARQUET, des conclusions additionnelles aux termes desquelles elle sollicite : « I - Sur la loi applicable, de constater que les dispositions de la loi n° 1.339 du 7 septembre 2007 relative aux fonds communs de placement et au fonds d'investissement et de l'Ordonnance souveraine n° 1.285 du 10 septembre 2007 relèvent d'un régime d'ordre public de protection des épargnants ; constater que la relation entre Saba GROUP INC et l'EFG BANK MONACO SAM est de nature extracontractuelle ; constater que le fait dommageable est survenu à Monaco ; en conséquence, dire et juger que la loi applicable au litige est la loi monégasque ; dire et juger qu'en ayant son siège social à Monaco, l'EFG est nécessairement soumise aux dispositions d'ordre public des textes susvisés. II - Sur le fond, de constater que l'EFG BANK (MONACO) SAM était soumise à une obligation de surveillance des opérations d'investissement effectuées par le fonds, mais également à une obligation de contrôle notamment de la composition de l'actif du fonds au regard du règlement dudit fonds au moment où elle est devenue dépositaire de l'»EQUITY TRADING FUND LTD«, mais également pendant toute la durée de sa mission de dépositaire ; constater qu'il existait une grave discordance entre les actifs de l'»EQUITY TRADING FUND LTD« et les stipulations de son règlement, irrégularité manifeste que l'EFG BANK MONACO SAM n'a pas décelé en sa qualité de dépositaire ; dire et juger que l'EFG BANK MONACO SAM a manqué à l'obligation de contrôle qui lui incombait en sa qualité de dépositaire de l'»EQUITY TRADING FUND«, dire et juger que l'EGF BANK MONACO SAM n'a pris aucune mesure pour rectifier cette anomalie, la déclarer responsable du préjudice subi par SABA GROUP INC lequel réside dans la perte de l'intégralité de son investissement ; En conséquence, de condamner l'EFG BANK MONACO SAM à payer à la société SABA GROUP INC à titre principal la somme maximum de 50.000 $ ou son équivalent en euros au jour de la décision augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation jusqu'à parfait paiement ; - à titre subsidiaire la somme au minimum de 45.000 USD à titre de sa perte de chance d'éviter des pertes et de réaliser de meilleurs placements, outre la somme de 100.000 € à titre de dommages intérêts ; En tout état de cause, d'ordonner la cessation des activités de dépositaire du fond EQUITY TRADING FUND LTD par l' EFG BANK MONACO SAM » ;
Attendu que par conclusions en réponse déposées le 17 septembre 2019 par son conseil Maître Joëlle PASTOR-BENSA, la SAM EFG BANK MONACO conclut à la confirmation du jugement du tribunal de première instance en date du 16 février 2017 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société SABA et au débouté de cette dernière de l'ensemble de ses demandes ; qu'elle sollicite la condamnation de la société SABA à lui verser la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
SUR CE,
Sur la loi applicable
Attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que tel est bien le cas de l'action en responsabilité engagée par la Société SABA à l'encontre de la société EGB BANK MONACO, en sa qualité de dépositaire du fonds d'investissement ETF dans le cadre du contrat souscrit le 15 novembre 2006 ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 79 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé que : « Sauf disposition contraire, le droit applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celui de l'État sur le territoire duquel est survenu le dommage, quel que soit le lieu de situation du fait générateur ou des conséquences indirectes de ce fait » ;
Qu'ainsi que la Cour de révision l'a énoncé, la loi n° 1.339 du 7 septembre 2007 relative aux fonds communs de placement et aux fonds d'investissement et l'Ordonnance souveraine d'application n° 1.285 du 10 septembre 2007 établissent un régime d'ordre public de protection des épargnants, revêtant en conséquence un caractère impératif et sont dès lors applicables aux dépositaires monégasques d'un fonds, fût-il étranger ;
Que l'application de la loi monégasque n'est d'ailleurs plus contestée par la société EFG ;
Et, attendu que le dommage invoqué par la société SABA, dans le cadre de l'action en responsabilité délictuelle qu'elle a engagée à l'encontre du dépositaire, étant survenu postérieurement à l'entrée en vigueur des textes susvisés, ceux-ci sont bien applicables ;
Sur le fond
Attendu que le dépositaire est chargé de la conservation et de la surveillance des actifs ainsi que de la traçabilité des opérations ;
Que la loi n° 1.339 du 7 septembre 2007 dispose : article 16 « la société de gestion et le dépositaire doivent agir indépendamment l'un de l'autre et au bénéfice exclusif des souscripteurs » et, article 19 : « le dépositaire conserve les actifs du fonds commun de placement et s'assure de la régularité des décisions de la société de gestion » ; que l'article 2 de l'ordonnance n° 1.285, prise en application de cette loi, précise que « le dépositaire doit notamment : a) s'assurer que la vente, l'émission, le rachat, le remboursement et l'annulation des parts effectuées pour le compte du fonds ou par la société de gestion ont lieu conformément à la loi, à la réglementation et au prospectus complet du fond ; b) s'assurer que le calcul de la valeur des parts est effectué conformément à la loi, à la réglementation et aux prospectus complet du fonds ; (...) ; e) s'assurer que les produits du fonds et les plus-values réalisées reçoivent une affectation conforme à la loi, à la réglementation et au prospectus complet du fonds » ;
Attendu que, selon le Memorendum (Prospectus) d'ETF en date de janvier 2006, il est indiqué sous la rubrique « Objectif de l'investissement » : « l'objectif d'investissement du fonds est la préservation et l'augmentation constante du capital par une stratégie d'achat et de vente d'options financées par l'emprunt nommé »conversion Split strike«... » ; qu'il est également précisé sous la rubrique « Stratégie d'investissement » : « la stratégie de »conversion Split strike« a des paramètres de risque et de profit définis qui peuvent être évalués lorsqu'une position spécifique est établie. L'établissement d'une position normale comprend l'acquisition d'un groupe (ou panier) d'actions qui, ensemble sont corrélées à l'index S&P 100 (l'OEX)... La logique de cette stratégie est qu'une fois qu'une position acheteuse sur action a été établie, la vente d'options Call sur cette position acheteuse augmente le taux de rendement constant tout en permettant le mouvement haussier vers le prix d'exercice d'option Call. L'acquisition de put »at the money« (au cours) ou »out of the money« financée par tout ou partie de la prime d'achat, protège la position sur actions des risques de baisse... Le fonds peut éventuellement placer certains de ses actifs dans des obligations à court terme émise par l'État fédéral américain, des certificats de dépôts, des billets de trésorerie à court terme, et d'autres instruments monétaires » ;
Mais attendu que, contrairement aux énonciations du prospectus, l'EFG ne s'est pas assurée que le gestionnaire du fonds respectait les stipulations de la stratégie annoncée puisque la totalité des actifs investis par la banque SABA, a été placée, non pas dans un panier d'actions corrélées à l'index S&P 100, mais dans un fonds M. en sorte que la somme investie, le 3 novembre 2008, avait perdue toute valeur quelques semaines plus tard ;
Que si la fraude commise par M. M. n'était effectivement pas prévisible par la société EFG, il n'en reste pas moins que celle-ci, en sa qualité de dépositaire, n'a manifestement pas respecté ses obligations de surveillance et de contrôle concernant la stratégie prescrite par les stipulations du règlement du fonds et qu'elle a ainsi commis une faute qui a contribué au préjudice subi par la Société SABA ;
Attendu toutefois qu'il convient de relever que le Memorandum d'ETF indiquait également que « l'investissement dans les titres financiers offerts comprend un degré élevé de risques et n'est adapté qu'aux investisseurs avertis... » et, sous la rubrique « Facteurs de risque » : « les placements dans les Actions du fonds comprendront certains risques liés à l'investissement dans des instruments financiers sur les marchés internationaux et il n'y a aucune assurance que les objectifs d'investissement du fonds seront atteints. Un placement dans les Actions du fonds doit être considéré par les investisseurs comme étant spéculatifs et ne convient qu'aux personnes pouvant assumer le risque de perdre la totalité de leur investissement. Un placement en Actions ne devrait pas constituer l'unique ou principal placement d'un investisseur... » ;
Qu'il s'ensuit que la Société SABA qui a investi 50.000 USD, dans ce fonds ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de placements spéculatifs à risque ;
Que, dans ces conditions, elle peut seulement reprocher à la société EFG, qui a manqué à ses obligations de dépositaire lui imposant, ainsi que le prescrivait le prospectus, de veiller à la diversification des actifs dans un panier d'actions corrélées, de lui avoir fait perdre une chance de mieux investir cette somme ou de réduire ses pertes ; que compte tenu de la somme initiale investie et du temps qu'a duré cet investissement, la réparation résultant du dommage ainsi causé peut être fixée à la somme de 15.000 euros, augmentée des intérêts à la date de l'assignation ;
Attendu, compte tenu des circonstances de l'espèce, qu'il n'y pas lieu de faire droit à la demande de dommages-intérêts ;
Qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société SABA aux fins d'ordonner la cessation des activités de dépositaire du fonds ETF par l'EFG BANK MONACO, l'article 21 de la loi n° 1.339 du 7 septembre 2007 n'autorisant cette sanction que dans le cas où le siège social de la société est situé en Principauté, ce qui n'est pas le cas d'ETF ;
Attendu enfin que la Société EFG qui succombe, ne peut se voir allouer des dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la loi monégasque applicable et dit n'y avoir lieu à ordonner la sanction prévue par l'article 21 de la loi n° 1.339 du 7 septembre 2007,
Le réformant pour le surplus,
Dit que la SAM EFG BANK MONACO, en sa qualité de dépositaire, a manqué à son obligation de contrôle en ne veillant pas au respect par la société ETF de la réglementation et du prospectus,
Dit qu'il en est résulté une perte de chance pour la société SABA GROUP INC d'éviter pour partie la perte qu'elle a subi et de mieux investir la somme versée,
Dit que cette perte de chance sera réparée par la condamnation de la SAM EFG BANK MONACO à verser à la société SABA GROUP INC la somme de 15.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
Rejette les demandes de dommages-intérêts de la société SABA GROUP INC et de la SAM EFG BANK MONACO,
Condamne la SAM EFG BANK (MONACO) aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Composition
Ainsi jugé et prononcé le huit juillet deux mille vingt, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs Serge PETIT et Laurent LE MESLE, Conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, le Premier Président,
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