Motifs
Pourvoi N° 2020-32
en session civile
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2020
En la cause de :
- Madame m. M. divorcée R., née le 25 octobre 1954 à Monaco, de nationalité monégasque, domiciliée « X1», X1 à Monaco ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 55-BAJ-15, par décision du Bureau du 19 février 2015
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Thomas BREZZO, avocat, près la même Cour ;
DEMANDERESSE EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
- la société à responsabilité limitée E. SARL, dont le siège social est sis X2 à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Stephan PASTOR, avocat, près la même Cour ;
DÉFENDERESSE EN RÉVISION,
d'autre part,
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
- l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la Cour d'appel, signifié le 29 janvier 2020 ;
- la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 27 février 2020, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de m. M. divorcée R.;
- la requête déposée le 26 mars 2020 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de m. M. divorcée R. accompagnée de 43 pièces, signifiée le même jour ;
- la contre-requête déposée le 20 mai 2020 au Greffe général, par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SARL E. signifiée le même jour ;
- les conclusions du Ministère public en date du 27 mai 2020 ;
- le certificat de clôture établi le 3 août 2020 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 7 octobre 2020 sur le rapport de Monsieur François CACHELOT, Conseiller,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï Madame le Procureur général ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon les arrêts critiqués et les pièces de la procédure, que Mme m. M. R. (ci-après Mme M. est associée fondatrice, avec M. j-p. C. de la SARL E. créée en 2008, tous deux ayant été désignés par les statuts constitutifs comme gérants statutaires ; qu'aux termes d'un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2013, celle-ci a démissionné de ses fonctions de cogérante et a été embauchée le 1er octobre 2013 par la société E. selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de secrétaire comptable ; que lors d'une assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2014, Mme M. a été nommée à nouveau cogérante de la société E. avant qu'il ne soit mis fin à ce second mandat selon procès-verbal d'assemblée générale du 6 mai 2015 ; que par acte en date du 24 mai 2016, celle-ci a fait assigner la SARL E. devant le tribunal de première instance aux fins de condamnation à lui payer la somme de 89.243,38 € au titre des indemnités de gérance impayées pour l'exercice 2013, ainsi que des dommages-intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers subis ; que, par jugement du 25 janvier 2018, le tribunal a rejeté les demandes de Mme M. et l'a condamnée à verser à la société E. la somme de 5 500 €, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, et débouté les parties de leurs demandes de dommages-intérêts ; que sur appel principal de Mme M. et appel incident de la société E. la Cour d'appel a, par arrêt du 30 avril 2019, débouté Mme M. de sa demande de communication de pièces complémentaires, ordonné la réouverture des débats à l'audience du 28 mai 2019 pour que les parties concluent au fond et réservé les dépens ; que, par arrêt du 14 janvier 2020, la Cour d'appel a confirmé le jugement précité et débouté la société E. de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif ; que, par déclaration au greffe général du 27 février 2020, Mme M. a formé un pourvoi en révision contre ces deux arrêts ;
Sur le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 30 avril 2019 :
Attendu que Mme M. fait grief à l'arrêt du 30 avril 2019 de la débouter de sa demande de communication de pièces complémentaires alors, selon le moyen, d'une part, « que les parties doivent, sous le contrôle et l'impulsion du juge, participer à la manifestation de la vérité ; que lorsqu'une pièce est essentielle à la solution du litige, le juge doit, lorsque l'autre partie en fait la demande, en ordonner la communication ; qu'en refusant d'ordonner la communication de pièces comptables de la société E. que la société invoquait pour dire que Madame M. R. avait perçu l'intégralité des sommes lui revenant et auxquelles cette dernière ne pouvait avoir accès, la Cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité des armes, du contradictoire, et le droit au procès équitable en violation de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de l'article 274 du Code de procédure civile » ; alors, d'autre part, « que, pour débouter Madame M. R. de sa demande de communication de pièces, l'arrêt retient que cette dernière n'avait pas formé une telle demande en première instance alors même qu'elle contestait déjà à ce stade de la procédure être l'auteur des mouvements figurant sur les comptes courant d'associés »455100-Principal« et »455000-Associés comptes courant« ; qu'en statuant ainsi, alors que les articles 274 et 435 du Code de procédure civile n'imposent pas qu'une telle demande soit formée devant les premiers juges, la Cour d'appel qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les textes susvisés » ; alors, encore que, « pour débouter Madame M.- R. de sa demande de communication de pièces, l'arrêt retient que cette dernière ne justifiait pas avoir délivré en cours d'instance une sommation ou une demande expresse et précise à la SARL E. d'avoir à lui communiquer des pièces comptables et financières complémentaires ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 274 du Code de procédure civile ne subordonne pas la communication des pièces à une sommation ou à une demande préalable, la Cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé » ; alors, de quatrième part, « que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause, spécialement les conclusions des parties ; que Madame M. R. a pris soin de détailler dans ses écritures judiciaires les circonstances de sa mise à l'écart de la société par Monsieur C. lequel l'a empêchée de mener à bien ses fonctions de gérant, et a expressément indiqué que ce dernier lui refusait l'accès aux documents relatifs à la SARL E. ; qu'en déboutant Madame M. R. de sa demande de communication de pièces aux motifs qu'il ne serait pas allégué par cette dernière qu'elle n'avait pas accès aux documents bancaires et fiscaux de la SARL E. lorsqu'elle a été nommée à nouveau cogérante de la SARL E. du 1er octobre 2014 au 6 mai 2015, la Cour d'appel a dénaturé ses conclusions et a ainsi violé l'article 989 du Code civil » ; alors, de cinquième part, « que s'il n'appartient pas au juge de pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve, il doit néanmoins s'assurer qu'elles concourent à la manifestation de la vérité ; que l'article 274 du Code de procédure civile permet au juge saisi par l'une des parties d'ordonner la communication des pièces probantes auxquelles elle ne peut avoir accès en ce qu'elles sont en possession de la seule partie adverse ; qu'en déboutant Madame M. R. de sa demande de communication de pièces au motif que ces documents, remontant à l'année 2013, étaient anciens et connus d'elle en sa qualité de cogérante de la SARL E. de 2008 au 1er octobre 2013, et ce alors même qu'il n'existait à cette époque aucun litige entre les deux cogérants et qu'elle n'avait plus accès aux dits documents, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 274 du Code de procédure civile » ; alors, enfin, « que pour débouter Madame M. R. de sa demande de communication de pièces, la Cour d'appel a énoncé que si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme implique l'obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la vérité, il implique également l'obligation pour celles-ci d'être normalement diligentes tout au long de la procédure ; qu'en statuant ainsi après avoir pourtant relevé que Madame M. R. avait déjà mis en demeure la société E. par le biais de son Conseil de lui communiquer certaines pièces, contestait déjà en première instance être l'auteur des mouvements figurant sur les comptes courants d'associés »455100-Principal« et »455000-Associés comptes courants«, et faisait état dans son acte d'appel de documents bancaires et fiscaux de nature à établir qu'elle n'était pas l'auteur ou le bénéficiaire de ces opérations, ce dont il résultait qu'elle avait fait preuve de diligence tout au long de la procédure, la Cour d'appel qui n' a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme » ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que l'ensemble des pièces dont Mme M. demandait la communication dans la lettre de mise en demeure émise par son conseil le 10 mars 2015 avaient été produites par la société E. suivant bordereau de pièces en date des 27 octobre 2016 et 3 avril 2017 et que si, dans son acte d'appel, Mme M. faisait état de documents bancaires établissant, selon elle, qu'elle n'était pas l'auteur ou le bénéficiaire de certaines opérations apparaissant sur le compte courant d'associé « 455 100-Principal » et sur le compte courant d'associé « 455 000-Associes comptes courants » de la société E. pour l'exercice comptable 2013 alors qu'il s'agissait pourtant de documents nécessairement anciens remontant à l'année 2013 et qui étaient parfaitement connus de Mme M. en sa qualité de cogérante associée majoritaire de la société E. de 2008 au 1er octobre 2013 pour lesquels elle n'alléguait pas qu'elle n'y avait pas accès lorsqu'elle avait été à nouveau cogérante de cette société à compter du 1er octobre 2014 jusqu'au 6 mai 2015, la Cour d'appel qui n'était pas tenue d'ordonner la production de pièces sollicitée dès lors qu'elle s'estimait suffisamment éclairée par celles versées aux débats a, par ces seuls motifs, hors la dénaturation prétendue et, sans encourir les autres griefs du moyen qui critiquent des motifs surabondants, légalement justifié sa décision ;
Et attendu que ce moyen étant rejeté, le moyen pris de la cassation de l'arrêt du 14 janvier 2020 par voie de conséquence de la cassation de l'arrêt du 30 avril 2019 est devenu sans portée ;
Sur le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 janvier 2020 :
Attendu que Mme M. R. fait grief à l'arrêt du 14 janvier 2020 de confirmer le jugement du tribunal de première instance du 25 janvier 2018 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de paiement de la somme de 89.243,38 € au titre des indemnités de gérance afférentes à l'exercice 2013 alors, selon le moyen, d'une part, « que dans ses écritures, l'exposante a formellement contesté être à l'origine des mouvements bancaires apparaissant sur les comptes courants d'associés »455100- Principal« et »455000-Associés comptes courants« ; qu'en se bornant à constater que l'addition des sommes apparaissant sur les comptes courants d'associés avec celle de 52.790 euros déjà perçue par Madame M. R. aboutissait très exactement au montant de l'indemnité de gérance de 135.033,38 euros sans même avoir vérifié l'identité du bénéficiaire des opérations bancaires y figurant, pour juger que Madame M. R. a perçu l'intégralité de son indemnité de gérance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1162 du Code civil » ; d'autre part « que les juges du fond ont l'obligation d'examiner les pièces versées aux débats par les parties ; qu'en déboutant Madame M. R. de ses demandes, sans analyser, ne serait-ce que sommairement les pièces produites par l'exposante qui établissaient au contraire qu'elle n' a pas perçu l'intégralité de son indemnité de gérance, la Cour d'appel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1162 du Code civil » ;
Mais attendu que pour décider que Mme M. avait perçu l'intégralité de ses indemnités de gérance afférentes à l'exercice 2013, l'arrêt ne s'est pas borné aux constatations effectuées par le moyen, mais a relevé que, lors de l'assemblée générale du 13 juin 2014, Mme M. avait voté en faveur de l'approbation des comptes de la société E. pour l'exercice clos le 13 décembre 2013, que, préalablement à cette approbation, Mme M. avait pu prendre connaissance du bilan et du compte pertes et profits et que ce compte faisait apparaître clairement l'encaissement par les deux administrateurs de leurs indemnités respectives ; que l'arrêt ajoute que Mme M. ne contestait ni la régularité de l'assemblée générale du 30 juin 2014, ni le vote des résolutions et qu'elle n'avait au surplus émis aucune réserve avant d'approuver les comptes, ni sollicité que d'autres pièces comptables lui soient soumises ;
Que de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue d'analyser les pièces qu'elle décidait d'écarter, a légalement justifié sa décision ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi ;
Condamne Mme m. M. divorcée R. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Composition
Ainsi jugé et prononcé le douze octobre deux mille vingt, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur François CACHELOT, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Le Premier Président,
^