Motifs
Hors Session Tribunal du travail
LA COUR DE RÉVISION,
Pourvoi N° 2021-37
Hors Session TT
En la cause de :
- La société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J-B P. & FILS dont le siège social est sis à Monaco (98000), X1 agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, Monsieur p. P. y demeurant en cette qualité ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Françoise FABIANI, avocat aux Conseils ;
DEMANDERESSE EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
- Monsieur j-m. M., né le 9 juin 1975 à Nice, de nationalité française, demeurant à EZE (06360) ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Christophe PETIT, avocat au Barreau de Nice ;
DÉFENDEUR EN RÉVISION,
d'autre part,
Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions des articles 439 à 459-7 du Code de procédure civile et l'article 14 de la loi n° 1.375 du 16 décembre 2010 modifiant la loi n° 446 du 16 mai 1946, portant création d'un Tribunal du travail ;
VU :
- l'arrêt rendu par la Cour d'appel, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal du travail, en date du 15 décembre 2020 ;
- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 19 mars 2021, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J-B P. & FILS ;
- la requête en révision déposée le 16 avril 2021 au greffe général, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J-B P. & FILS, accompagnée de 11 pièces, signifiée le même jour ;
- la contre-requête déposée le 14 mai 2021 au greffe général, par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de j-m. M. signifiée le même jour ;
- les conclusions du Ministère Public en date du 28 mai 2021 ;
- le certificat de clôture établi le 15 juin 2021 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 13 octobre 2021, sur le rapport de M. Serge PETIT, Conseiller,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. j-m. M. a été embauché par la SAM SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J-B & FILS (la société P.) le 13 septembre 2004 en qualité de dessinateur projeteur, maquettiste, suivant contrat à durée indéterminée ; que son emploi consistait en la réalisation de maquettes de construction ; qu'il a été licencié par lettre du 21 juillet 2017 sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, en raison de la cessation de l'activité du département maquette, consécutive à la modification de l'ordonnance du 7 septembre 1966 par les Ordonnances du 10 octobre 2012 et du 20 décembre 2013, qui exigent que les demandes d'autorisation de travaux comportent une maquette numérique 3D en lieu et place d'une maquette physique, pour toute construction nouvelle ; que le Tribunal de travail, par jugement du 26 septembre 2019 a condamné la société P. à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire, dit que le licenciement de M. M. était abusif et a condamné la société P. à lui payer 25.000 € de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral ; que par arrêt du 15 décembre 2020, la Cour d'appel a confirmé le jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts qu'elle a fixé à 35.000 € ; que la société P. a formé un pourvoi en révision contre cet arrêt ;
Sur le moyen unique pris en ses sept branches
Attendu que la société P. fait grief à l'arrêt de statuer ainsi alors, selon le moyen, de première part, « qu'aucun texte n'impose à l'employeur qui entend exercer le droit unilatéral de résiliation que lui confère l'article 6 de la loi n° 729 du 13 mars 1963 de notifier dans un certain délai la décision de licencier qu'il a préalablement prise et annoncée à son salarié ; que pour dire que la rupture du contrat de travail avait été abusive, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la rupture du contrat avait été annoncée à M. M. le 20 juillet 2017 et que l'employeur n'avait ensuite adressé la lettre de licenciement datée du 21 juillet 2017 que »quelques jours plus tard«, ce qui constituait »une légèreté blâmable rendant la rupture abusive« ; qu'en se fondant sur ces motifs impropres à caractériser un abus, la Cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 » ; alors, de deuxième part, « qu'aucun texte n'impose à l'employeur qui entend exercer le droit unilatéral de résiliation que lui confère l'article 6 de la loi n° 729 du 13 mars 1963 d'informer préalablement le salarié de l'éventualité d'un licenciement, dans le cadre d'un entretien lui-même précédé d'un »délai de prévenance«, et ce quand bien même ce salarié justifierait d'une certaine ancienneté ; qu'en estimant que la rupture du contrat de travail de M. M. était intervenue de manière brutale au motif que ce dernier, qui justifiait de 12 ans d'ancienneté n'avait pas pu anticiper son licenciement, dont l'annonce lui avait été faite quelques instants avant sa mise en œuvre dans le cadre d'un entretien organisé sans délai de prévenance, la Cour d'appel, qui a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne prévoit pas, a de ce chef (sic) violé les articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 » ; alors, de troisième part, « que l'article 6 de la loi n° 729 du 13 mars 1963 confère à l'employeur un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans l'en informer préalablement et sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et partant sans avoir à lui fournir d'explications préalables ; qu'après avoir rappelé que M. M. n'invoquait »aucun motif fallacieux de rupture« et relevé que le principe du licenciement ne procédait »d'aucune intention de nuire de l'employeur, ni ne présentait un caractère illicite«, l'arrêt, pour déclarer ce licenciement abusif, relève pourtant que M. M. avait »appris brutalement la fin de son contrat de travail sans explication véritable de la part de son employeur après plus de 12 années d'exercice normal de ses fonctions« et que »le fait de mettre fin à une relation de travail de plus de 12 ans immédiatement, sans explication préalable, avec dispense d'exécution de préavis et en dehors de toute attitude fautive du salarié caractérise à suffisance la soudaineté et la précipitation fautive ouvrant droit à la réparation du préjudice moral subi par le salarié brusquement congédié« ; qu'en statuant ainsi, quand l'ancienneté de son salarié n'imposait aucunement à son employeur de l'informer préalablement de sa décision et de lui fournir une »explication« pour rompre le contrat de travail, la Cour d'appel a encore violé les articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 » ; alors, de quatrième part et subsidiairement, « que dans ses écritures (concl. p. 31 et 32), la société des Entreprises J-B P. et Fils s'était longuement expliquée, éléments de preuve à l'appui, sur la nature du travail accompli par M. M. depuis 2013 et jusqu'à son licenciement et rappelait notamment, dans des termes qui n'étaient pas discutés par ce dernier, que : »M. M. a été embauché en qualité de maquettiste pour réaliser des maquettes physiques dans un but extrêmement précis, à savoir le fait qu'à l'époque la législation monégasque exigeait que soit produite dans le dossier d'autorisation de construire une construction nouvelle une maquette de la construction que le pétitionnaire projetait d'édifier. Ainsi qu'il a été rappelé cette obligation de réaliser une maquette physique de la construction projetée ayant disparu, l'objet même de l'atelier maquettes et donc de l'emploi de M. M. qui était employé en qualité de maquettiste, a disparu. La société des entreprises J-B P. et Fils a, dans un premier temps, continué à faire fabriquer des maquettes physiques par l'atelier maquette par M. B. et M. M. alors qu'elles n'avaient plus d'utilité effective, dès lors qu'elles ne constituaient plus une pièce du dossier d'autorisation de construire une construction nouvelle, ce qui avait été l'unique raison de l'embauche de M. B. et de M. M. et de la création du département maquettes de l'entreprise. Bien entendu, tant que le département maquettes n'était pas supprimé, la société des entreprises J-B P. et Fils entendait que M. M. continue à réaliser des maquettes, même si elles n'avaient plus d'utilité effective pour l'entreprise. Contrairement aux assertions figurant dans le jugement du Tribunal du travail du 26 septembre 2019, M. M. comme M. B., n'ont jamais travaillé sur un projet de construction. M. M. réalisait uniquement des maquettes relatives à des projets de constructions immobilières qu'allait réaliser la société des entreprises J-B P. et Fils. Les personnes qui travaillent sur les projets de construction de la société des entreprises J-B P. et Fils sont celles qui les conçoivent et les réalisent, à savoir les architectes, les ingénieurs, les chefs de chantiers et ouvriers, pas les maquettistes. Il est donc totalement inexact d'indiquer comme l'a fait le tribunal que M. M. travaillait sur des projets de construction et que ces projets se sont poursuivis postérieurement à la rupture. M. M. réalisait des maquettes d'immeubles et n'a jamais participé au projet de construction desdits immeubles« ; que pour dire que le licenciement de M. M. était intervenu de manière brutale, l'arrêt attaqué retient que »M. j-m. M. a appris brutalement la fin de son contrat de travail sans explication véritable de la part de son employeur après plus de 12 années d'exercice normal de ses fonctions et ce, alors même que le calendrier de production des maquettes était en cours d'exécution et qu'il résulte des pièces produites qu'il était précisément lui-même en train de travailler à l'élaboration d'un nouveau projet de construction depuis plusieurs semaines, qui s'est au demeurant poursuivi après son départ de l'entreprise« ; qu'en statuant par ce motif, sans répondre aux chefs précités des conclusions de la société des Entreprises J-B P. et Fils, alors même qu'il n'était ni discuté ni discutable que depuis l'ordonnance n° 4.652 du 20 décembre 2013, les demandes d'autorisation de travaux pour une construction nouvelle devaient désormais comprendre, non plus une maquette physique, mais une maquette numérique 3D, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 » ; alors de cinquième part et plus subsidiairement encore, « qu'en affirmant que M. M. n'avait pas pu anticiper le licenciement dont il a fait l'objet de manière »expéditive«, au motif qu'il n'avait pas été »officiellement informé« par son employeur du projet de suppression de son poste, sans examiner les éléments de preuve régulièrement versés aux débats par la société des Entreprises J-B P. et Fils attestant que M. M. était depuis 2013 en mesure de prévoir la suppression du département »maquettes« au sein duquel il était employé et partant le licenciement dont il avait fait l'objet quatre ans plus tard, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 » ; alors de sixième part « que l'employeur exerçant son droit de mettre unilatéralement fin au contrat de travail sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'étant pas tenu d'informer préalablement son salarié de sa décision ni de lui fournir des explications préalables, ni de justifier d'une faute de sa part, la dispense de préavis, qui constitue une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur, ne constitue pas davantage une faute ; que pour condamner la société des Entreprises J-B P. et Fils à payer à M. M. une somme de 35 000 euros en réparation de son préjudice moral, l'arrêt attaqué retient que »le fait de mettre fin à la relation de travail immédiatement sans explication préalable avec dispense d'exécution de préavis et en dehors de toute attitude fautive du salarié caractérise à suffisance la précipitation fautive ouvrant droit à la réparation du préjudice moral subi par le salarié brusquement congédié« ; qu'en statuant par ces motifs la Cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, ensemble l'article 1229 du Code civil monégasque » ; alors enfin et en tout état de cause « que le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose à tout tribunal de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence ; que dans ses conclusions d'appel (concl. p. 28, §6) la société des Entreprises J-B P. et Fils faisait valoir que »le fait de considérer que le licenciement de M. M. auquel elle a procédé dans le cadre de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 (sic) présente un caractère abusif parce que M. M. n'a pas été convoqué à un entretien préalable, alors que la législation monégasque ne prévoit aucunement que l'employeur doit procéder à un tel entretien préalable, et ce quelle que soit son ancienneté, constitue une violation de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1959 relative au droit à un procès équitable qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen et en s'abstenant d'en apprécier la pertinence, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Mais attendu que par une décision motivée, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la Cour d'appel, ayant nécessairement répondu aux conclusions prétendument délaissées en les écartant, a relevé que le licenciement était intervenu brutalement, sans explication préalable, avec une précipitation blâmable conférant à la rupture du contrat de travail un caractère abusif dans les conditions de sa mise en œuvre ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa sixième branche, est mal fondé pour le surplus ;
Sur la demande de condamnation de la Société des Entreprises J-B P. & Fils au paiement de la somme de 10 000 euros pour recours abusif et abus de pourvoi, formée par M. M. sur le fondement de l'article 459-4 du Code de procédure civile
Attendu qu'au vu des circonstances de la cause il n'y a pas lieu d'accueillir la demande ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi,
Rejette la demande formée par M. j-m. M. sur le fondement de l'article 459-4 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Condamne la SAM DES ENTREPRISES J-B P. & FILS aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sa sous due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Ainsi jugé et rendu le onze novembre deux mille vingt et un, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs Serge PETIT, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Jacques RAYBAUD, Conseiller.
Et Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier-Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Le Premier Président.
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