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LA COUR DE RÉVISION,
VU :
* l'arrêt de la Cour de Révision du 16 décembre 2022, rectifié le 11 avril 2023, ayant cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel du 23 juin 2022, statuant en matière d'accident du travail, et renvoyé l'affaire à la prochaine session de la Cour de Révision autrement composée ;
* les conclusions additionnelles déposées le 7 février 2023 au Greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société F., accompagnées de 32 pièces, signifiées le même jour ;
* les conclusions additionnelles déposées le 16 mars 2023 au Greffe général, par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de f. B., accompagnées de 13 pièces, signifiées le même jour ;
* le certificat de clôture établi le 22 mars 2023 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
* les conclusions après cassation du Ministère public en date du 27 mars 2023 ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 14 juin 2023 sur le rapport de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu que M. fa.B exerçait la profession de conducteur de bus pour le compte de la SAM C., effectuant un service de nuit, 3 fois par semaine, à partir de janvier 2010 ; que le 24 octobre 2016, une leucémie aiguë myéloblastique lui ayant été diagnostiqué, il a été en arrêt de travail à compter du 24 octobre 2016 et est décédé le 19 juin 2017 des suites de cette pathologie ;
Que le 14 juin 2018, Madame f. B., sa veuve, a saisi le juge chargé des accidents du travail afin de solliciter la requalification de la pathologie cancéreuse en maladie professionnelle ; que, par lettre du 22 juin 2018, la société anonyme F., assureur-loi, a refusé la prise en charge en raison de l'expiration du délai de déclaration de la maladie ; qu'une ordonnance de non-conciliation ayant été rendue le 6 janvier 2020 par le juge chargé des accidents du travail, Mme E., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure m.B, a assigné le 18 décembre 2020 la SAM C. et la société F., assureur-loi, devant le Tribunal de première instance aux fins de voir juger que la pathologie de son époux était une maladie professionnelle, telle que prévue au tableau n°4 des maladies professionnelles, et dire que l'assurance-loi devra prendre en charge les conséquences de cette maladie ;
Que par jugement du 8 juillet 2021, le Tribunal a mis hors de cause la SAM C., dit que la leucémie aiguë myéloblastique qui a entraîné le décès de M. E., est une maladie professionnelle au sens de la loi n° 444 du 16 mai 1946, que son conjoint survivant et sa fille mineure devraient bénéficier des dispositions des articles 4-1 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 et que la SAM F. devait prendre en charge les prestations dues à M. E. avant son décès en application de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, renvoyant l'affaire devant le juge chargé des accidents du travail ;
Que ce jugement a été confirmé par arrêt du 31 mai 2022 ;
Que sur pourvoi de la société F., la Cour de révision, par arrêt du 11 avril 2023, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la Cour d'appel, rejetant la demande formée par Mme E. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile et renvoyant l'affaire à la session la plus proche de la Cour de révision autrement composée ;
Attendu que le 7 février 2023, la société F. a déposé des conclusions additionnelles au terme desquelles, elle sollicite la réformation du jugement rendu le 8 juillet 2021 par le Tribunal de première instance en ce qu'il a dit :
* que la pathologie qui a entraîné le décès de M. E., à savoir une leucémie aiguë myéloblastique, est une maladie professionnelle au sens de la loi n° 444 du 16 mai 1946,
* que Mme E., conjoint survivant, et sa fille mineure, m.B, doivent bénéficier des dispositions des articles 4-1 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958,
* que la société anonyme F. devra également prendre en charge les prestations dues en application de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 à M. E., avant son décès ; qu'elle conclut à la confirmation pour le surplus et statuant à nouveau demande de :
* constater que la leucémie aiguë myéloblastique n'a pas été déclarée dans les délais prescrits par les dispositions de l'article 51 de la loi n° 444 du 16 mai 1946,
* dire et juger en conséquence, que compte tenu du non-respect des dispositions de l'article 5 de la loi n° 444 du 16 mai 1946, l'assureur-loi n'a pas à prendre en charge les conséquences pécuniaires de la pathologie cancéreuse dont a souffert M. E. ;
En tout état de cause :
* dire et juger que le travail n'a pas joué un rôle causal dans la survenance de la maladie et le décès de M. E.,
* dire et juger, avec toute conséquence de droit que la leucémie aiguë myéloblastique dont a souffert M. E. ne constitue pas une maladie professionnelle au titre de la loi n° 444 du 16 mai 1946 et ne doit donc pas être prise en charge à ce titre par l'assureur- loi,
* dire et juger que le refus de prise en charge par l'assureur-loi des conséquences pécuniaires de cette pathologie cancéreuse est parfaitement fondé et légitime,
* débouter Mme E., agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de sa fille, m.B, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en les condamnant au versement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Attendu que Mme E. a également déposé des conclusions additionnelles le 16 mars 2023 ; qu'elle demande à la Cour de dire :
* que la pathologie cancéreuse de son mari est une maladie professionnelle telle que prévue au tableau n°4 des maladies professionnelles annexées à la loi n° 444 du 16 mai 1946,
* que l'assureur-loi doit prendre en charge les conséquences pécuniaires de cet accident du travail,
* de renvoyer l'affaire et les parties devant le juge chargé des accidents du travail en application de l'article 21 bis de la loi n° 636 du 11 janvier 1958,
* de débouter la société F. de toutes ses autres demandes et de la condamner au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'assistance judiciaire sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE,
Attendu que la Cour de révision a cassé l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel en énonçant : « Qu'en statuant ainsi, alors que la présomption d'imputabilité au travail d'une pathologie inscrite au tableau des maladies professionnelles ne peut bénéficier qu'au salarié dont l'exposition au risque défini par le tableau a été habituelle en sorte que le caractère professionnel de la leucémie aiguë myéloblastique inscrite au tableau n° 4 des maladies professionnelles n'est subordonné qu'à une exposition directe pendant une durée de 6 mois au benzène et autres produits en renfermant, dont la charge de la preuve incombe au salarié, la Cour d'appel qui s'est bornée à énoncer que l'assureur ne démontre pas que le ravitaillement des bus s'effectue au gasoil, lui-même émetteur de particules toxiques et potentiellement cancérigène, sans rechercher en quoi le remplissage ponctuel du réservoir de l'autobus avec un carburant, dont elle n'a pas précisé la nature, avait présenté un risque de caractère habituel lié au benzène, permettant à M. E. de bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail de la pathologie dont il est décédé et alors que la société F. contestait l'exposition de M. E. au benzène dans le cadre de son activité de chauffeur de bus et faisait valoir que le carburant utilisé dans ces bus ne contenait pas de benzène au moment des faits puisqu'il s'agissait de gasoil et non d'essence, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés » ;
* Sur la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. E. :
Attendu que, selon l'article 2 de la loi n° 444 du 16 mai 1945 étendant aux maladies professionnelles la législation sur les accidents du travail : « Sont considérées comme maladies professionnelles les affections aiguës ou chroniques, mentionnées aux tableaux annexés à la présente loi, lorsqu'elles atteignent des ouvriers habituellement occupés aux travaux industriels correspondants… » ; que le tableau n°4 des maladies professionnelles annexé à la loi n° 444 vise « les hémopathies provoquées par le benzène ou tous les produits en renfermant » avec une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies ;
Que pour bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail prévue par le tableau n° 4, le salarié ou ses ayants droits doivent démontrer qu'il est atteint d'une des maladies figurant au tableau, qu'il a été exposé habituellement et directement au risque prévu par ce tableau (benzène) pendant une durée minimale de 6 mois, en effectuant les travaux prévus mentionnés au tableau qui vise notamment la « préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne » ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que M. E. a été atteint d'une leucémie aiguë myéloblastique, maladie prévue au tableau n° 4 ; que Mme E. fait valoir que la présomption d'imputabilité doit bénéficier à M. E. puisqu'il a été exposé, dans le cadre de son travail, de façon habituelle et certaine, pendant 15 ans aux risques liés au carburant qu'il a régulièrement manipulé et qu'il a également été régulièrement exposé à ses vapeurs, étant rappelé que tant le benzène que le gazole sont cancérigènes ; qu'elle souligne qu'à l'issue de son service de nuit, il devait effectuer le plein de son véhicule de travail à raison de 3 nuits par semaine, 3 semaines sur 4, inhalant tout au long de la nuit et/ou journée de travail les gaz d'échappement produits par les autobus, les pièces communiquées par la société F. ne permettant pas d'apporter la preuve contraire ; qu'elle ajoute que le gazole, d'une toxicité aiguë par inhalation peut également être cancérigène et qu'elle a pu constater personnellement que son défunt époux rentrait souvent de son service de nuit avec des vêtements souillés de carburant ; qu'elle rappelle que le tableau des maladies professionnelles n'est qu'un tableau indicatif dont la liste n'est pas forcément exhaustive et qu'enfin, les docteurs D. et E. ont considéré que la pathologie cancéreuse de M. E. devait être requalifiée en maladie professionnelle ;
Mais attendu qu'il ressort des pièces versées au débat et notamment de l'attestation du directeur de la société C. que les bus et les cars de cette société étaient équipés de motorisation diesel roulant au gazole et que le carburant utilisé pour le remplissage du réservoir du bus conduit par M. E. se faisait donc avec du gazole, lequel ne contient pas de benzène ainsi qu'il ressort des précisions du Ministère de l'emploi et de la solidarité ; que de surcroît, le dispositif mis en place sur les pompes à essence correspondait à un système hermétique anti-retour, coupant l'alimentation lorsque le réservoir est plein de façon à empêcher les émanations du carburant de s'évaporer, rendant l'exposition au gaz quasi-inexistante ;
Qu'il s'ensuit que la condition d'exposition habituelle au risque exigée par le tableau de n°4 n'étant pas remplie, M. E. ne peut bénéficier de la présomption d'imputabilité, les certificats médicaux produits par Mme E. ne permettant pas d'établir que la leucémie aiguë myéloblastique ayant entraîné le décès de son époux soit imputable à une exposition habituelle de ce dernier liée au benzène ;
Qu'il il y a lieu, en conséquence et sans qu'il soit dès lors nécessaire de se prononcer sur le respect des conditions de l'article 5 de la loi n° 444 susvisée, d'infirmer le jugement déféré et de débouter Mme E., agissant tant à titre personnel qu'ès-qualité de représentante légale de sa fille m.B, de l'ensemble de ses demandes ;
* Sur les demandes de la société F. et de Mme E. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile :
Attendu que la Société F. sollicite la condamnation de Mme E., agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de sa fille, à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'au vu des circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
Et attendu que Mme E. qui succombe, ne peut se voir allouer aucune somme sur le même fondement ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Déboute f. B. de l'ensemble de ses demandes,
Rejette la demande de la société F. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Condamne f. B. aux dépens de l'entière procédure, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Ainsi jugé et prononcé le dix-neuf juin deux mille vingt-trois, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Jacques RAYBAUD, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Le Premier Président.
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