Abstract
Exceptions et fins de non-recevoir - Prescription - Action en nullité pour dol - Point de départ du délai - Nécessaire examen des éléments caractérisant le dol - Date de la cession des actions - Irrecevabilité de l'action
Action en justice - Abus du droit d'ester en justice - Caractérisation (non)
Résumé
La cour d'appel a relevé que le demandeur était un homme d'affaires expérimenté et que compte tenu de sa participation à l'élaboration des documents de présentation de la société, il n'avait pu se méprendre sur le caractère prévisionnel des données chiffrées et qu'il ne rapportait pas la preuve de dissimulation ou de manœuvre révélant une volonté de tromperie. C'est donc à bon droit qu'elle a estimé qu'aucun élément ne permettait de reporter le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité pour dol après la date de la cession et que l'action était irrecevable.
En statuant par des motifs impropres à caractériser, au-delà du caractère infondé des arguments invoqués et de la prescription de l'action, des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice et celui d'exercer un recours, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Pourvoi N° 2023-21 en session civile
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 9 OCTOBRE 2023
En la cause de :
* d. A., né le jma à Lobbes (Belgique), de nationalité belge, domicilié x1, Lasne (B1380) en Belgique ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Erika BERNARDI, avocat près la même cour ;
DEMANDEUR EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
* p. B., né le jma à Olzai (Italie), de nationalité italienne, administrateur de société, demeurant x2 à Monaco (98000) ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur, et plaidant par Maître François-Henri BRIARD avocat aux Conseils ;
DÉFENDEUR EN RÉVISION,
d'autre part,
Visa
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
* l'arrêt rendu le 17 janvier 2023 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 8 février 2023 ;
* la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 9 mars 2023, par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, substituant Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de d. A. ;
* la requête déposée le 6 avril 2023 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de d. A., accompagnée de 63 pièces, signifiée le même jour ;
* la contre-requête déposée le 8 mai 2023 au Greffe général, par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de p. B., accompagnée de 46 pièces, signifiée le même jour ;
* les conclusions du Ministère public en date du 11 mai 2023 ;
* le certificat de clôture établi le 19 mai 2023 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 4 octobre 2023 sur le rapport de Monsieur Laurent LE MESLE, Vice-Président,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Monsieur p. B. a cédé, le 3 octobre 2012, 150 actions de la SAM C. à Monsieur d. A. ; que cette société a été dissoute par décision de son conseil d'administration en date du 27 novembre 2015 ; que, par acte du 23 octobre 2018, M. A. a assigné M. B. aux fins d'annulation pour dol de la cession d'actions, de restitution du prix de l'acquisition et de paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral ; que, par jugement du 14 janvier 2021, le Tribunal de première instance a dit que l'action engagée par M. A. est prescrite, déclaré en conséquence ses demandes irrecevables et l'a condamné à payer à M. B. une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ; que, sur appel de M. A., la Cour d'appel a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a condamné M. A. à payer à M. B. 5.000 euros pour appel abusif ; que M. A. s'est pourvu en révision ;
* Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que M. A. fait grief à l'arrêt de dire que l'action qu'il a intentée contre M. B. est prescrite et de déclarer en conséquence ses demandes irrecevables alors, selon le moyen, que 1/ « sauf dispositions contraires, l'action en nullité dure cinq ans ; que ce temps ne court, dans le cas de dol, que du jour où celui-ci a été découvert ; que saisis d'une fin de non-recevoir fondée sur la prescription d'une action fondée sur le dol, les juges du fond doivent rechercher à quelle date les faits fondant l'action ont été découverts, sans pouvoir s'attacher au bien-fondé de l'action ; qu'au cas d'espèce, M. A. invoquait, au titre des faits fondant l'action, la circonstance que les documents qui lui ont été transmis le 13 novembre 2011 et en mai 2012 faisaient état de manière mensongère de relations contractuelles entre les sociétés C. et D. ; qu'il précisait n'avoir appris que le 27 novembre 2015 que le contrat de prêt conclu entre ces deux sociétés n'avait jamais été exécuté, qu'il était caduc et qu'aucun flux financier n'était intervenu entre les deux sociétés ; que pour dire l'action prescrite, l'arrêt retient que M. A. ne démontre pas que le contrat de prêt conclu entre la société C. et la société D. a eu un caractère déterminant de son consentement et que le constat en novembre 2015 de l'absence d'exécution du contrat ne permet pas d'affirmer que des éléments d'information mensongers lui ont été communiqués dans le but de le tromper ; qu'en se fondant ainsi sur le caractère déterminant des informations ou sur le caractère intentionnel ou non de leur dissimulation quand, pour l'appréciation du délai de prescription, il leur appartenait seulement de déterminer si des informations avaient été découvertes dans le délai de cinq ans précédent la saisine du juge, les juges du fond ont violé les articles 1152, 964 et 971 du Code civil » ; 2/ « la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque une fin de non-recevoir ; que l'arrêt retient, pour dire l'action prescrite, que Monsieur A. ne démontre pas que le contrat de prêt conclu le 3 mai 2012 entre la société C. et la société D. a eu un caractère déterminant dans son consentement à l'acquisition des actions ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles 1152, 964, 971 et 1162 du Code civil » ; 3/ « le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que l'arrêt relève qu'aux termes des documents communiqués à M. A. en 2011 et 2012, sur la base de contrats d'ores et déjà conclus, la société D. devait avoir pour mission d'assurer la partie technique de l'activité de la société C., de sorte que l'activité de la seconde [ne] pouvait être exercée sans l'intervention de la première ; qu'eu égard à ces constatations, en retenant que le caractère déterminant des contrats entre la société C. et D. n'est pas démontré au motif impropre que les compétences personnelles de M. A. lui permettaient de connaître la situation de la société, la Cour d'appel a violé les articles 1152, 964 et 971 du Code civil » ; 4/ « si M. A. soulignait le caractère mensonger des comptes prévisionnels qui lui ont été présentés, c'est à raison du caractère mensonger des informations et des données sur la base desquelles ces comptes ont été établis ; que pour dire l'action prescrite, l'arrêt retient que M. A. n'est pas un acquéreur inexpérimenté et qu'il n'a pu se méprendre sur le caractère prévisionnel des données chiffrées qui lui ont été présentées ; qu'en statuant ainsi sans s'expliquer, au-delà des comptes prévisionnels, sur les éléments ayant servi à les établir, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1152, 964 et 971 du Code civil » ; 5/ « et en tous cas, dans ses conclusions, M. A. invoquait une manœuvre dolosive résultant de la mention, dans les documents qui lui ont été transmis, de ce que la société C. avait conclu un certain nombre de contrats avec des sociétés étrangères et de ce que des négociations avec de telles sociétés étaient très avancées, sachant qu'il précisait que cette manœuvre n'avait été mise à jour qu'en 2017, à la suite de l'arrêté ministériel ayant prononcé la révocation de l'autorisation de la société C. pour défaut d'activité et de la réunion du Conseil d'administration du 27 novembre 2015 ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces éléments, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1152, 964 et 971 du Code civil » ;
Mais attendu qu'après avoir exactement retenu, par motifs adoptés, qu'il s'évince des dispositions des articles 964, 971 et 1152 du Code civil que, saisi d'une fin de non-recevoir invoquant la prescription de l'action en nullité pour dol, le juge doit rechercher, parmi les éléments qui lui sont présentés, ceux qui sont de nature à caractériser un dol afin d'être le cas échéant en mesure de se prononcer sur la date à laquelle celui-ci a pu être découvert, et après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que M. A., homme d'affaires expérimenté en matière de gestion de sociétés et d'implantation de filiales pour le compte de sociétés internationales, avait participé, avant même la cession litigieuse, à l'élaboration des documents de présentation de la société et à plusieurs réunions avec les associés de la SAM C., qu'il n'avait pu se méprendre sur le caractère prévisionnel des données chiffrées qui lui étaient présentées et qui concernaient une société dont il est constant que l'activité ne faisait alors que débuter, et qu'il n'a rapporté la preuve ni de dissimulation ni de manœuvre révélant une volonté de tromperie de la part de ses associés et notamment de M. B., que ce soit sur les contrats, en cours ou en projet, ou sur leur exécution, non plus d'ailleurs que celle du caractère déterminant de son consentement d'informations qui lui auraient ainsi été cachées, c'est sans insuffisance ni contradiction, et sans inversion de la charge de la preuve, que la Cour d'appel a jugé qu'aucun élément ne permettait de reporter le point de départ du délai de prescription après la date de la cession, c'est-à-dire le 3 octobre 2012, et qu'en conséquence la demande de M. A. en date du 23 octobre 2018 était prescrite et donc irrecevable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
* Mais sur les deuxième et troisième moyens :
Vu les articles 1229 et 1230 du Code civil,
Attendu que pour condamner M. A. à verser à M. B. les sommes de 10.000 euros pour procédure abusive et vexatoire et 5.000 euros pour appel abusif, la Cour d'appel retient d'une part qu'en tentant sciemment de minorer sa connaissance de la société dont il a acheté des actions et le rôle actif qu'il a joué dans l'élaboration des documents de présentation, il a fait preuve de mauvaise foi, alors qu'il a en réalité réalisé un investissement qui s'est avéré malheureux et d'autre part que l'argumentation qu'il a développée à l'appui de son appel apparaît particulièrement téméraire en ce qu'il a persisté à soutenir des contrevérités sans démontrer l'existence de manœuvres ou de réticences dolosives portant sur des informations qui auraient été déterminantes de son consentement à la cession ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, au-delà du caractère infondé des arguments invoqués et de la prescription de l'action, des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice et celui d'exercer un recours, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
* Sur la demande de M. B. de voir M. A. condamné à lui payer la somme de 20.000 euros à tire de dommages et intérêts :
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande non autrement motivée ;
* Et sur la demande de M. A. de voir M. B. condamné à lui payer des indemnités sur le fondement des articles 238-1 et 459-4 du Code de procédure civile :
Attendu qu'il n'y a pas d'accueillir ces demandes non autrement motivées ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 17 janvier 2023, mais seulement en ce qu'il a condamné Monsieur d. A. à payer à Monsieur p. B. les sommes de 10.000 euros pour procédure abusive et vexatoire et de 5.000 euros pour appel abusif,
Rejette la demande de dommages et intérêts présentée par Monsieur p. B.,
Rejette les demandes présentées par M. d. A. au titre des articles 238-1 et 459-4 du Code de procédure civile,
Et vu l'article 457-1 du Code de procédure civile, la cassation n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dit n'y avoir lieu à renvoyer l'affaire,
Condamne p. B. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Ainsi jugé et prononcé le neuf octobre deux mille vingt-trois, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Laurent LE MESLE, Président, rapporteur, Jean-Pierre GRIDEL, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Serge PETIT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence du Ministère public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Président.
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