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LA COUR DE RÉVISION,
Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions des articles 439 à 459-7 du Code de procédure civile et l'article 14 de la loi n° 1.375 du 16 décembre 2010 modifiant la loi n° 446 du 16 mai 1946, portant création d'un tribunal du travail ;
VU :
* l'arrêt rendu par la Cour d'appel, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal du travail, en date du 30 mai 2023, signifié le 30 octobre 2023 ;
* la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 29 novembre 2023, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A. ;
* la requête en révision déposée le 26 décembre 2023 au Greffe général, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A., accompagnée de 22 pièces, signifiée le même jour ;
* la contre-requête déposée le 25 janvier 2024 au Greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de m. B., accompagnée de 21 pièces, signifiée le même jour ;
* les conclusions du Ministère public en date du 29 janvier 2024 ;
* la réplique déposée le 2 février 2024 au Greffe général, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A., accompagnée de 3 pièces, signifiée le même jour ;
* le certificat de clôture établi le 19 février 2024 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 15 mars 2024, sur le rapport de M. Serge PETIT, Conseiller,
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué que M. m. B. engagé par la SAM A. (A.) à compter du 1er juin 2005 occupait le poste de mécanicien d'entretien, ayant notamment pour missions le dépannage, la réalisation, l'entretien courant et la maintenance des installations de la centrale à béton et des matériels associés ; que le 23 octobre 2014, M. B. a eu une violente altercation avec son collègue, M. C., qu'il a insulté et menacé d'égorger ; que la direction de la société A. l'a convoqué à un entretien informel le 28 octobre 2014 pour savoir comment la situation avait ainsi pu dégénérer ; que le jour de l'entretien, alors qu'il venait d'entrer dans le bureau de la direction, M. B. été pris de bouffées de chaleur, ce dont il a immédiatement fait part au directeur d'exploitation, qui lui a alors suggéré de prendre l'air puis l'a accompagné dehors ; que M. B. a alors fait un malaise sur le trottoir devant la société ; qu'il a été transporté à l'hôpital par les sapeurs-pompiers et en est ressorti le soir même, avec un premier arrêt de travail d'une durée de quatre jours, pour stress ; qu'il a fait une déclaration d'accident du travail, le 29 octobre 2014, au titre de ce malaise ; que la société A. a pris la décision de ne pas le sanctionner pour son comportement ; que par lettre du 30 octobre 2014, elle l'a cependant informé de ce qu'elle ne pouvait tolérer qu'il insulte et menace ses collègues sur son lieu de travail ; que M. B. n'a jamais repris son travail, bénéficiant d'arrêts de travail successifs ininterrompus depuis le 29 octobre 2014 jusqu'à mars 2016 ; que par jugement du 19 janvier 2017, devenu définitif, le Tribunal de première instance de Monaco a refusé de qualifier en accident du travail la maladie de M. B., dont l'absence prolongée a posé de sérieux problèmes dans l'organisation et le suivi de la maintenance de la centrale à béton ; que la société A. a d'abord été contrainte de multiplier les contrats intérimaires ou à durée déterminée avec des salariés n'ayant ni la même expérience, ni la même formation que M. B. ; que l'absence de visibilité sur la durée des absences de son salarié ne lui a pas permis de conserver ces collaborateurs successifs ; que la société, qui souffrait de l'absence d'un collaborateur formé pour assurer les tâches de maintenance qui lui étaient dévolues, a, par lettre du 2 mars 2016, informé M. B. de cette situation et lui a demandé s'il envisageait de reprendre le travail prochainement ; tout en lui indiquant qu'à défaut, elle envisageait de procéder à son remplacement définitif par le recrutement en contrat à durée indéterminée d'un collaborateur, ayant été recruté à durée déterminée, pour le remplacer ; que M. B. n'a pas répondu à cette lettre et s'est borné à envoyer tardivement un nouvel arrêt de prolongation jusqu'au 22 mai 2016 ; que la société A. a, par lettre du 23 mars 2016, licencié M. B. ;
Attendu que le contrat de travail de M. B. a définitivement pris fin le 25 mai 2016 ; que le 17 juin 2019, ce dernier a saisi le Tribunal du travail de Monaco au motif que son licenciement n'avait pas été prononcé pour un motif valable et revêtait un caractère abusif, et afin d'obtenir les sommes de 16.000 euros d'indemnités de licenciement et de 80.000 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et mauvaises conditions de travail ; que par jugement du 28 janvier 2022 le Tribunal du travail a dit que le licenciement de M. B. reposait sur un motif valable, qu'il n'avait pas été mis en œuvre de manière abusive, a rejeté l'intégralité des autres demandes de M. B. et l'a condamné aux entiers dépens de l'instance ; que par acte du 24 mars 2022, M. B. a interjeté appel, sollicité la réformation du jugement, à l'exception du chef du jugement ayant prononcé la nullité de la pièce n°16 produite par la société A. ; que par arrêt du 30 mai 2023, la Cour d'appel, après avoir déclaré l'appel recevable, a infirmé le jugement du 28 janvier 2022 rendu par le Tribunal du travail, a dit que le licenciement de M. B. ne reposait pas sur un motif valable et a condamné par conséquent la société A. à lui verser une somme au titre de l'indemnité de licenciement ; qu'elle a également dit que le licenciement de M. B. était abusif et a condamné la société A. à lui verser une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral outre une somme de 3.500 euros en vertu de l'article 238-1 du Code de procédure civile ; que la société A. a formé un pourvoi en révision à l'encontre de cette décision ;
* Sur le premier moyen pris en ses première, deuxième et sixième branches :
Vu les articles 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 et l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que l'employeur peut valablement licencier le salarié non en raison de son état de santé mais en raison de la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par son absence prolongée ou ses absences répétées, entrainant la nécessité de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié à une date proche du licenciement ;
Attendu que pour juger le licenciement de M. B. dépourvu de motif valable, la Cour d'appel relève que la société A. ne prouve pas le report de la charge de travail de ce dernier sur d'autres salariés et que ce report a engendré des perturbations dans son fonctionnement, qu'elle ne fournit aucun élément démontrant que l'absence prolongée, depuis le 28 mars 2014, de M. B., qui assurait la maintenance de la centrale à béton, a perturbé le fonctionnement de la société A., fabricant et producteur de béton ;
Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la société A. n'avait aucune visibilité sur la durée de l'absence de M. B., qui n'a pas répondu à sa lettre du 2 mars 2016, qu'elle a eu recours à des salariés en intérim ou en contrat à durée déterminée pour pourvoir aux tâches de M. B. et tout en relevant qu'elle démontre avoir définitivement remplacé ce dernier le 30 avril 2016, dans un délai proche de son licenciement, par un salarié sous contrat à durée indéterminée, alors d'une part que la société A. faisait valoir, sans être démentie, que l'absence de M. B., depuis son arrêt de travail initial, avait fortement perturbé le fonctionnement, l'organisation de l'entreprise et la maintenance du matériel et que la technicité du poste occupé par ce dernier, acquise au moyen de plusieurs formations avait nécessité son remplacement définitif par l'embauche d'un employé qualifié et alors, d'autre part, que la société A. exposait dans ses conclusions avoir été contrainte de multiplier les contrats intérimaires à durée déterminée, sans pouvoir conserver ces collaborateurs successifs, car la technicité du poste de travail, acquise au moyen de plusieurs formations, rendait impossible le recours au travail temporaire et impliquait la nécessité de procéder au remplacement définitif de son salarié, la Cour d'appel, qui, sans répondre aux conclusions de l'employeur relatives à la situation objective de l'entreprise, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes susvisés ;
* Et sur les deux premières branches du second moyen :
Vu l'article 13 de la loi n°729 du 16 mars 1963 ;
Attendu, selon ce texte, que toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages-intérêts qui seront fixés par le juge à défaut d'accord des parties ; qu'il en résulte que l'employeur commet une faute dans l'exercice de son droit de rompre le contrat de travail lorsque le licenciement est intervenu pour un motif fallacieux ou si le licenciement révèle une intention malveillante, l'intention de nuire, ou encore, s'il a été mis en œuvre dans des circonstances brutales ou vexatoires, ou avec légèreté ou une précipitation blâmable ;
Attendu que pour infirmer le jugement, dire que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive et condamner la société A. à payer à M. B. des dommages et intérêts, à titre d'indemnisation de son préjudice matériel et moral, la Cour d'appel énonce que les faits de harcèlement et de dégradation de ses conditions de travail révèlent une intention de nuire de son employeur à l'origine de sa maladie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la faute de l'employeur, de nature à constituer une rupture abusive du contrat de travail, doit avoir été commise lors de la mise en œuvre du licenciement lui-même et que le motif invoqué ne doit pas être le motif réel ou que le licenciement révèle une intention de nuire, ce qui n'était pas invoqué ; la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, a violé le texte susvisé ;
* Sur la demande, formée par la société A., de condamnation de M. B. au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile :
Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause il n'y a pas lieu de condamner M. B. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Sur les demandes formées par M. B. de condamnation de la société A. au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile et de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 459-4 du Code de procédure civile :
Attendu qu'il y a lieu de rejeter les demandes de M. B. ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les trois autres branches du premier moyen, ni sur la troisième branche du second moyen,
Casse et annule l'arrêt attaqué,
Dit qu'en application de l'article 457-1 du Code de procédure civile la cassation n'implique pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond,
Dit n'y avoir lieu à renvoi,
Rejette la demande formée par la société la SAM A. sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Rejette les demandes formées par M. m. B. au titre de l'article 238-1 et de l'article 459-4 du Code de procédure civile,
Condamne M. m. B. aux dépens dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Ainsi jugé et rendu le dix-sept avril deux mille vingt-quatre, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Serge PETIT, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller.
Et Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier-Président, a signé avec Madame Laurie PANTANELLA, Greffier principal.
Le Greffier principal, Le Premier Président.
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