Abstract
Créance – Créance certaine, liquide et exigibles (oui)
Contrat – Qualification – Prêt pour alimenter le jeu (non)
Résumé
b. A. fait grief à l'arrêt attaqué de déclarer la créance de la SAM B. certaine liquide et exigible, de juger qu'il ne s'agissait pas de prêt pour alimenter le jeu et de rejeter l'application de l'article 1804 du Code civil.
Or, d'une part, la Cour d'appel a constaté que la société B. versait aux débats le relevé de compte n° xxx ouvert au nom de b. A. permettant à celui-ci de bénéficier des services offerts par la société dont notamment, la possibilité de régler par chèque ses achats de plaques et de jetons et de bénéficier d'avances de plaques de jeu, que ce relevé retraçait les achats réalisés par b. A. et les paiements effectués sur la période du 20 juillet 2016 au 11 septembre 2018, permettant de déterminer l'existence d'une créance de la société B. d'un montant de 7.700.000 euros à son encontre. Tirant les conséquences qui s'évinçaient de l'absence des mentions exigées par l'ordonnance du 13 mai 1936, elle a retenu que le chèque remis par b. A. à la société B. ne valait plus que comme commencement de preuve par écrit de la créance invoquée, corroboré par les pièces produites aux débats, et que b. A. n'apportait aucune preuve remettant en cause l'existence et le montant de cette créance certaine, liquide et exigible.
D'autre part, la remise de plaques de casino contre un chèque ne peut constituer une avance et caractériser une opération de crédit que dans la mesure où les circonstances de l'espèce démontrent la commune intention des parties, au moment de l'exécution de l'opération, d'accorder un prêt au joueur pour alimenter le jeu et de couvrir ce prêt par la remise du chèque. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'intention des parties que la Cour d'appel, sans encourir les griefs du moyen, a estimé qu'en les circonstances de la cause, tenant à la fréquence de jeu de b. A., à l'importance du volume des achats de plaques effectués par lui depuis le 23 juillet 2016 et payés, il convenait de considérer que la facilité de caisse consentie à ce client ayant démontré sa solvabilité entre la mi-avril 2018 et le 5 juillet 2018, ne constituait pas un prêt destiné à alimenter le jeu, d'autant que le chèque remis n'avait pas été rejeté pour un défaut de provision, mais en raison de la clôture du compte par b. A. Elle a ainsi pu en déduire que la dette de ce dernier envers la société B. résultait d'acquisitions de plaques de jeu effectuées pour un montant total de 27.463.669,61 euros qu'il n'avait réglé qu'à hauteur de 19.763.669,61 euros.
Pourvoi N° 2024-36 en session civile
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 17 JUIN 2024
En la cause de :
* b. A., né le jma à Karmesde (Liban), de nationalité britannique, demeurant x1, Royaume-Uni ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophie JONQUET, avocat au barreau de Nice ;
DEMANDEUR EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
* La SAM B., anciennement dénommée F., dont le siège social est fixé au x2 à Monaco, agissant poursuite et diligence de son Président administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
DÉFENDERESSE EN RÉVISION,
d'autre part,
Visa
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
* l'arrêt rendu le 21 novembre 2023 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 6 février 2024 ;
* la déclaration de pourvoi souscrite au Greffe général, le 6 mars 2024, par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de b. A. ;
* la requête déposée le 4 avril 2024 au Greffe général, par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de b. A., accompagnée de 11 pièces, signifiée le même jour ;
* la contre-requête déposée le 24 avril 2024 au Greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM B., accompagnée de 15 pièces, signifiée le même jour ;
* les conclusions du Ministère public en date du 25 avril 2024 ;
* le certificat de clôture établi le 6 mai 2024 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 13 juin 2024 sur le rapport de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président,
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Ouï le Ministère public ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que b. A., homme d'affaires de nationalité britannique, a fréquenté régulièrement le casino de Monaco de 2016 à 2018 et est devenu client de la SAM F. (F.), devenue la SAM B. qui, notamment, commercialise les jetons et plaques servant à jouer au casino ; que le 8 mai 2019, la SAM F., devenue la SAM B., a délivré à b. A. un commandement de payer la somme de 7.700.000 euros correspondant au montant d'un chèque n° xxx, émis à Monaco le 17 avril 2019, tiré sur le compte de celui-ci à la banque C. de Monaco et rejeté pour motif « compte clos » lors de sa présentation le 19 avril 2019 ; que b. A. a fait opposition audit commandement et a assigné la F. devant le Tribunal de première instance, faisant valoir que ce chèque n'était pas valable et, subsidiairement, que la F. ne rapportait pas la preuve d'une créance certaine, liquide et exigible ; que par jugement du 12 mai 2022, le Tribunal a dit :
* que le titre au nom de b. A. remis à l'encaissement le 17 avril 2019 par la société B ne vaut pas comme chèque et rejeté en conséquence sa demande en paiement,
* que la créance de 7.700.000 euros détenue par la société B. envers b. A. est certaine, liquide et exigible,
* que l'exception de jeu ne peut être opposée à la société B. en vertu de l'article 1805-1 du Code civil,
* n'y avoir lieu à écarter l'application de l'article 1805-1 du Code civil,
* déclaré valable le commandement de payer en date du 8 mai 2019,
* débouté b. A. de l'ensemble de ses demandes le condamnant à payer à la société B. la somme de 7.700.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
* rejeté la demande en dommages et intérêts de la société B. ;
Que, sur appels, principal et incident, de b. A. et de la société B., la Cour d'appel, par arrêt du 21 novembre 2023, a infirmé le jugement en ce qu'il a :
* dit que l'exception de jeu ne peut être opposée à la société B. en vertu de l'article 1805-1 du Code civil et dit n'y avoir lieu à écarter l'application de cet article,
* condamné b. A. à payer à la société B. la somme de 7.700.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
Statuant à nouveau :
* débouté b. A. de sa demande tendant à opposer à l'action en recouvrement de créance de la société B. l'exception de dette de jeu de l'article 1804 du Code civil,
* dit sans objet les demandes relatives à l'application des dispositions de l'article 1805-1 du Code civil,
* condamné b. A. à payer à la société B. la somme de 7.700.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 8 mai 2019,
* confirmé le jugement du 12 mai 2022 pour le surplus de ses dispositions et débouté la société B de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif,
* condamné b. A. à payer à la société B. la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Que M. D. s'est pourvu en révision le 6 mars 2024 ;
* Sur les trois moyens réunis :
Attendu que b. A. fait grief à l'arrêt attaqué de déclarer la créance de la SAM B. certaine liquide et exigible, de juger qu'il ne s'agissait pas de prêt pour alimenter le jeu et de rejeter l'application de l'article 1804 du Code civil, alors, selon le moyen, de première part, « en considérant que les documents produits par la société, à savoir un relevé de compte établi par la E., étaient probants alors que dans le même temps l'arrêt considère que la société B était "affiliée à la E.", de sorte qu'alors que M. b. A. contestait le montant dû, le seul document produit pour établir le montant dû étant un document établi par la partie elle-même sans élément extérieur permettant de procéder à quelques vérifications que ce soit, la cour d'appel a violé l'article 1162 du Code civil » ; alors, de deuxième part, que « la société B. n'est pas en mesure de verser aux débats la moindre demande de justificatif de la solvabilité de M. b. A. » ; et alors, de troisième part « qu'en considérant qu'il s'agissait de recouvrer des sommes correspondantes à la vente de plaques alors qu'il s'agissait d'obtenir le remboursement d'un prêt (appelé par le juge d'appel facilité de caisse), prêt octroyé pour permettre la continuation du jeu à un joueur compulsif, la cour d'appel a violé l'article 1804 du Code civil » ;
Mais attendu d'une part que la Cour d'appel a constaté que la société B. versait aux débats le relevé de compte n° xxx ouvert au nom de b. A. permettant à celui-ci de bénéficier des services offerts par la société dont notamment, la possibilité de régler par chèque ses achats de plaques et de jetons et de bénéficier d'avances de plaques de jeu, que ce relevé retraçait les achats réalisés par b. A. et les paiements effectués sur la période du 20 juillet 2016 au 11 septembre 2018, permettant de déterminer l'existence d'une créance de la société B. d'un montant de 7.700.000 euros à son encontre ; que, tirant les conséquences qui s'évinçaient de l'absence des mentions exigées par l'ordonnance du 13 mai 1936, elle a retenu que le chèque remis par b. A. à la société B. ne valait plus que comme commencement de preuve par écrit de la créance invoquée, corroboré par les pièces produites aux débats, et que b. A. n'apportait aucune preuve remettant en cause l'existence et le montant de cette créance certaine, liquide et exigible ;
Et, attendu d'autre part que la remise de plaques de casino contre un chèque ne peut constituer une avance et caractériser une opération de crédit que dans la mesure où les circonstances de l'espèce démontrent la commune intention des parties, au moment de l'exécution de l'opération, d'accorder un prêt au joueur pour alimenter le jeu et de couvrir ce prêt par la remise du chèque ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'intention des parties que la Cour d'appel, sans encourir les griefs du moyen, a estimé qu'en les circonstances de la cause, tenant à la fréquence de jeu de b. A., à l'importance du volume des achats de plaques effectués par lui depuis le 23 juillet 2016 et payés, il convenait de considérer que la facilité de caisse consentie à ce client ayant démontré sa solvabilité entre la mi-avril 2018 et le 5 juillet 2018, ne constituait pas un prêt destiné à alimenter le jeu, d'autant que le chèque remis n'avait pas été rejeté pour un défaut de provision, mais en raison de la clôture du compte par b. A. ; qu'elle a ainsi pu en déduire que la dette de ce dernier envers la société B résultait d'acquisitions de plaques de jeu effectuées pour un montant total de 27.463.669,61 euros qu'il n'avait réglé qu'à hauteur de 19.763.669,61 euros ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur les demandes sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile :
Attendu que b. A. sollicite la condamnation de la société B. au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que celui-ci qui succombe en son pourvoi, ne peut se voir allouer aucune somme de ce chef ;
Attendu que la société B. demande la condamnation de b. A. à lui verser la somme de 5.000 euros sur le même fondement ;
Et attendu qu'au vu des circonstances de la cause, il y a lieu d'accueillir cette demande ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi de b. A.,
Rejette sa demande sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Le condamne à payer à la société B. la somme de 5.000 euros en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Condamne b. A. aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Ainsi jugé et prononcé le 17 JUIN 2024, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Monsieur Jacques RAYBAUD, Conseiller et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, en présence du Ministère public, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.
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