Abstract
Jurisprudence
Décision de. Invoquée - Argument (oui) - Moyen auquel il doit être nécessairement répondu (non)
Résumé
Au regard de la spécificité de la procédure d'arbitrage, on peut admettre que le fait pour une décision arbitrale d'avoir statué extra ou ultra petita constitue un moyen de cassation.
L'invocation d'une décision de jurisprudence est un argument et non un moyen auquel il doit être impérativement répondu.
Motifs
LA COUR SUPÉRIEURE D'ARBITRAGE
Vu la sentence arbitrale en date du 31 mai 1974, déposée le même jour, relative au conflit opposant le Personnel des Caisses Sociales Monégasques à la Direction Générale desdites Caisses, sentence rendue par Monsieur Roger Orecchia, Expert-comptable, arbitre désigné par Arrêté Ministériel n° 74-148 du 5 avril 1974 ;
Vu le procès-verbal de non-conciliation du 20 mars 1974 indiquant que le différend soumis à arbitrage portait sur la demande suivante présentée par le Personnel des Caisses Sociales Monégasques :
« Application des dispositions du Protocole d'Accord intervenu entre les signataires de la Convention Collective des Organismes de Sécurité Sociale Française le 26 avril 1973 » ;
Vu la requête formant recours contre ladite sentence, déposée le 14 juin 1974, par Me Jacques Sbarrato, Avocat à la Cour d'Appel de Monaco, agissant au nom dudit personnel, ladite requête tendant à ce qu'il plaise à la Cour annuler la sentence attaquée, le recours étant fondé sur deux moyens :
A. - Excès de pouvoir :
En ce que l'arbitre aurait statué au-delà de l'objet du procès-verbal de non-conciliation qui concernait uniquement « l'application des dispositions du Protocole d'Accord intervenu entre les signataires de la Convention Collective des Organismes de Sécurité Sociale Française du 26 avril 1973 » :
1° en fondant sa sentence sur le fait que le nombre de jours de congé des Caisses monégasques ne paraît pas inférieur à celui des caisses françaises et en déduisant de ce fait que la Direction des Caisses a bien observé les obligations légales en la matière ;
2° en se livrant à l'exégèse et à l'interprétation des articles 1 et 2 du Protocole d'Accord du 26 avril 1973, ce qui ne constituait pas l'objet de la demande ;
A. - Violation de la loi :
En ce que la sentence aurait méconnu les dispositions :
1° de l'article 8, alinéa 2, de la loi 473 du 4 mars 1948, modifiée le 2 juin 1955, en ce que l'arbitre n'aurait pas statué suivant les règles de droit alors qu'il s'agissait d'un conflit collectif d'ordre juridique, mais en équité par comparaison entre les jours de congé accordés en France et à Monaco ;
2° de l'article 2 de la loi 416 du 7 juin 1945 obligeant les personnes liées par une convention collective de travail à observer les conditions de travail y convenues, même dans les rapports avec les tiers, en ce que l'arbitre, bien qu'ayant constaté que la convention collective française avait été appliquée, a conclu que la Direction des Caisses n'avait pas d'obligation légale de le faire mais pouvait s'y référer pour accorder au Personnel tout ou partie des avantages y contenus, ce qui aurait pour effet de conférer unilatéralement à une partie le pouvoir arbitraire d'apprécier l'opportunité de l'application d'une convention et de son étendue, alors que l'adhésion à une convention ne peut être qu'intégrale ;
3° des articles 4 de la loi 800 du 18 février 1966 et 7 de la loi 619 du 26 juillet 1956, en ce que l'arbitre a méconnu le principe, édicté par ces textes, que des avantages supérieurs accordés par les conventions collectives ou par les usages doivent prévaloir sur les dispositions légales qui ne constituent qu'un minimum, en justifiant la position de la Direction des Caisses par le seul respect de ses obligations légales ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 21 juin par le Directeur Général des Caisses, tendant à la reconnaissance de l'irrecevabilité du premier moyen et au rejet du second en ses trois branches ;
Vu la loi n° 473 du 4 mars 1948 modifiée par les lois n° 603 du 2 juin 1955 et n° 816 du 24 janvier 1967, et l'Ordonnance Souveraine n° 3916 du 12 décembre 1967 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que si son intitulé invoque l'excès de pouvoir, sa motivation porte uniquement sur le fait que l'arbitre aurait statué au-delà des limites données au conflit par le procès-verbal de non-conciliation « application des dispositions du protocole d'accord... de la Sécurité Sociale française du 26 avril 1973 » ;
Qu'en admettant, au regard de la spécificité de la procédure d'arbitrage, que le fait, pour une décision, d'avoir statué extra ou ultra petita puisse constituer un moyen de cassation, en tant que peut être appliquée l'interprétation extensive donnée en France, en cette matière, à la notion d'excès de pouvoir (Durand - Traité de Droit du Travail, Tome III, n° 353, page 1055), il convient de rechercher si ce moyen est fondé ;
Attendu que le procès-verbal de non-conciliation ne se borne pas à mentionner l'objet de conflit mais reproduit très largement les moyens et arguments des parties et les pièces produites par elles, notamment le texte du protocole d'accord, celui du « compte rendu de l'entrevue du 5 juin 1968 » et les relevés comparatifs des jours de congé alloués en France et à Monaco ; que l'arbitre a rappelé, examiné et analysé ces pièces et arguments, à juste titre, pour délimiter et éclairer le débat, faute de quoi il lui eût été valablement reproché de n'avoir pas répondu aux moyens des parties ; qu'il ne peut donc être reconnu qu'il ait statué au-delà des objets déterminés par le procès-verbal de non-conciliation ; que le premier moyen ne peut être accueilli ;
SUR LE DEUXIÈME MOYEN :
En sa première branche :
Attendu qu'en comparant les jours de congé accordés en France et à Monaco, mais en distinguant des congés annuels et des jours fériés légaux ceux qui résultent du protocole de 1973, l'arbitre n'a pas statué en équité mais a recherché si ces derniers congés constituaient un avantage nouveau dont ne bénéficierait pas le personnel monégasque ; qu'il a abouti à une réponse négative, du fait que cet avantage, revendiqué à Monaco dès 1967 comme existant en France, a été obtenu matériellement dans les deux Pays et que le protocole de 1973 n'a fait que consacrer une situation déjà acquise ;
Attendu que l'arbitre a bien statué en droit, en cherchant le fondement du principe de l'identité d'avantages tant dans la loi prescrivant l'égalité de salaires à fonctions semblables, que dans l'adhésion par la Direction des Caisses à la Convention Collective française, invoquée par les demandeurs et résultant selon eux du compte rendu de l'entrevue du 5 juin 1968 qu'ils produisaient ;
Que si l'arbitre admet le premier de ces fondements mais seulement « dans la mesure où un lien existe entre rémunération et régime des congés », il a très juridiquement retenu, pour le second, que la Direction n'avait, en 1968, admis l'application en pratique de la Convention Collective française que « dans ses grandes lignes », réservant d'ailleurs certains articles, attitude ne permettant pas de considérer comme établie une adhésion totale et inconditionnelle ;
Attendu que si l'arbitre n'a pas répondu plus explicitement à l'argument tiré de l'arrêt de la Chambre Sociale du 5 juin 1958 invoqué, qui a imposé à une entreprise, à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail, le respect d'un délai-congé plus avantageux pour l'employé, résultant d'une convention collective à laquelle elle était réputée avoir adhéré du fait d'une application fréquente (hypothèse fort différente de l'espèce où une telle application globale est démentie), il doit être retenu que l'invocation d'une décision de jurisprudence est un argument et non un moyen auquel il doive être impérativement répondu ;
Qu'il ne peut donc être admis que l'arbitre ait omis de statuer en droit pour se référer à l'équité et que ce grief doit être rejeté ;
En sa deuxième branche :
Attendu que la référence de seul principe à la Convention Collective française (à laquelle s'est incorporé le protocole de 1973) telle qu'elle résulte du compte rendu d'entrevue du 5 juin 1968, ne permet pas de dire que la Direction des Caisses soit « liée » par la Convention Collective française au sens de l'article 2 de la loi n° 416, d'autant qu'une adhésion à la convention collective étrangère, dont l'application est revendiquée, n'a pas fait l'objet de la déclaration à la Direction des Services Sociaux à laquelle l'article 11 de cette même loi subordonne sa validité ; qu'il ne peut donc être reconnu que l'arbitre ait violé l'article 2 de la loi n° 416 ;
En sa troisième branche :
Attendu qu'il ne peut être allégué que l'arbitre ait méconnu des droits acquis, dès lors qu'il a constaté que l'avantage revendiqué bénéficiait déjà au personnel monégasque, au-delà des congés annuels et des jours fériés légaux et sans nulle confusion avec ceux-ci, et que seule manquait une consécration écrite, comparable à celle qui est intervenue en France le 26 avril 1973, dont il conseille, en la partie finale de son dispositif, qu'elle intervienne aussi à Monaco, ce qui assurerait le respect des conditions de forme prévues par la loi 416 ;
Que, de ce chef non plus, la loi n'a pas été violée ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Déclare le pourvoi recevable en la forme,
Le rejette quant au fond.
Composition
MM. J. de Monseignat, pres., R. Garanger, rapp., M Scarrato et Marquet, ar.
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