Abstract
Licenciement
Caractère abusif. Préavis Insuffisant. Motifs inexacts. Droit du salarié à l'indemnité de licenciement et à dommages-intérêts.
Résumé
Revêt un caractère abusif et ouvre droit à l'indemnité de licenciement ainsi qu'à des dommages-intérêts, le licenciement notifié le jour même de la reprise du travail à la suite d'un arrêt de celui-ci médicalement reconnu et dont l'employeur n'a pu manifestement considérer qu'il en avait été informé tardivement.
Motifs
Le Tribunal du Travail,
Attendu qu'ensuite d'un procès-verbal régulier de non-conciliation en date du vingt-cinq janvier mil neuf cent soixante et onze, enregistré, la demoiselle C. C., Aide-manipulatrice, a attrait, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, le Docteur A. F., afin d'obtenir paiement de la somme de quatre mille cent cinquante francs, déduction faite de celle de six cent trente-cinq francs déjà perçue, représentant :
1° Préavis (un mois) reste dû : cinq cent soixante-dix francs ;
2° Congés payés (complément) : soixante-cinq francs ;
3° Indemnité de licenciement : cent cinquante francs ;
4° Dommages-intérêts : quatre mille francs ;
Sous toutes réserves ;
Attendu que la demanderesse expose qu'elle a été engagée par le docteur F. le quatorze juillet mil neuf cent soixante-dix en qualité d'aide-manipulatrice au salaire mensuel de sept cents francs ; que sa rémunération a été portée à sept cent cinquante francs par mois ; qu'elle a été victime, le vingt-deux octobre mil neuf cent soixante-dix, d'un accident de la circulation qui a provoqué une interruption de travail de quatre jours prescrite par le Docteur S. et prolongée de cinq jours le lundi vingt-six octobre à dix-huit heures trente ; qu'elle en a informé son employeur le mardi vingt-sept octobre à huit heures à l'ouverture de son cabinet et devait reprendre son service le trois novembre (le premier et le deux novembre étant des jours chômés) ; qu'à cette date elle a eu la surprise de trouver à sa place une nouvelle employée et s'est vu notifier son licenciement immédiat aux fallacieux prétextes qu'elle n'avait communiqué à son employeur la prolongation d'arrêt de travail que le vingt-sept octobre au matin au lieu du vingt-six au soir, qu'elle était incapable de remplacer la secrétaire en son absence puisqu'elle n'était pas dactylo et enfin qu'elle n'avait fait aucun progrès dans son travail depuis trois mois ; qu'elle conteste ces motifs en faisant valoir qu'il est surprenant que ses qualités professionnelles soient mises en cause après quatre mois alors qu'elle a bénéficié d'une majoration de salaire indépendante de toute augmentation légale ; qu'elle travaille actuellement en la même qualité dans une clinique privée en Suisse à la satisfaction de ses employeurs ; qu'elle a été engagée comme aide-manipulatrice et qu'on ne peut lui faire grief de ne pouvoir remplir les fonctions de secrétaire pour lesquelles elle n'a pas été embauchée ; qu'elle n'a enfin commis aucune faute ou négligence lors de la notification de ses arrêts de travail ; qu'estimant que son licenciement, qui avait été prémédité puisqu'il est intervenu au moment même de la reprise du travail et alors qu'une autre employée avait été engagée pour la remplacer définitivement, revêt un caractère abusif, elle sollicite paiement de l'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts compensateurs du préjudice tant moral que matériel qui lui a été occasionné, notamment par la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de s'expatrier et de quitter sa famille pour pouvoir poursuivre sa carrière ; qu'elle demande acte de ce qu'elle renonce aux deux premiers chefs de sa demande, les compléments d'indemnité de préavis et de congés payés lui ayant été réglés ;
Attendu que le défendeur déclare avoir versé les sommes sollicitées de ces chefs sans que la demoiselle C. ait eu à effectuer son préavis d'un mois et sans retenue des six pour cent sur les congés payés ; qu'il fait valoir pour s'opposer au surplus de ses demandes et conclure à son débouté que son licenciement ne peut être considéré comme abusif et qu'il ne saurait être tenu au paiement des indemnités qu'elle sollicite ; que la demanderesse a été engagée le quatorze juillet mil neuf cent soixante-dix au salaire de sept cent cinquante francs par mois dans le but d'en faire une aide-manipulatrice ou une aide de laboratoire, grade le plus bas dans l'échelle des employés de service de radiologie ; qu'ayant exercé divers métiers, elle n'avait aucune connaissance aussi bien en radiologie qu'en secrétariat ; qu'il avait, en effet, été convenu qu'elle devrait se mettre au courant du secrétariat en plus du peu de travail technique, tel que développement des clichés radiographiques, qui lui était confié ; que dans ces deux domaines elle révélait de très sérieuses lacunes pendant le premier mois ; que devant partir en vacances durant les mois d'août et septembre, qui sont des mois creux, il était décidé de lui accorder une chance de progresser avec son remplaçant, malgré sa lenteur et son insuffisance dans le travail ; que ce dernier, le docteur A., déclarait la considérer comme une employée peu efficace et une aide médiocre ; que la situation ne devait pas s'améliorer ; qu'à la suite de l'arrêt de travail de quatre jours prescrit par le Docteur S., la demoiselle C. ne s'est pas présentée le vingt-sept octobre à huit heures, jour de la reprise et que ce n'est que vers onze heures qu'elle l'a averti qu'elle avait obtenu une prolongation de cinq jours, manifestant ainsi, de surcroît, son manque de conscience professionnelle puisqu'elle savait que les malades sont examinés à partir de huit heures ; que c'est dans ces conditions qu'il a été amené à la licencier le trois novembre mil neuf cent soixante-dix, jour où elle devait reprendre son travail ; qu'il soutient enfin qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un préjudice, qu'elle n'établit pas qu'elle est actuellement employée dans le service de radiologie d'une clinique suisse, et qu'il est de notoriété publique que les offres d'emploi sont très nombreuses dans cette branche dans le département des Alpes-Maritimes ; qu'il offre en cas de contestation de prouver par voie d'enquête l'incompétence de la demanderesse et son manque de conscience professionnelle ;
Attendu que la demanderesse a été brusquement licenciée le trois novembre mil neuf cent soixante-dix, au terme d'une période d'invalidité de neuf jours médicalement reconnue, avec dispense d'exécution du délai-congé ; qu'elle a perçu notamment à cette occasion une indemnité de préavis de cent quatre-vingts francs correspondant à une semaine de salaire, complétée en cours d'instance par le versement de la somme de cinq cent soixante-dix francs, qui a eu pour effet de porter à un mois la durée de ce préavis ;
Attendu que les conditions dans lesquelles son congé lui a été notifié le jour de la reprise du travail - alors qu'elle avait déjà été remplacée à son poste - démontrent qu'il n'a pas été la conséquence de l'insuffisance professionnelle qui lui est présentement imputée, mais bien plutôt de ce qu'elle aurait donné tardivement, au gré de son employeur, avis de la prolongation de son arrêt de travail ;
Attendu, en effet, que si le défenseur excipe de son incompétence, sans toutefois s'expliquer sur le fait qu'il a porté son salaire qui était de sept cents francs, lors de la délivrance du permis de travail, à sept cent cinquante francs dès le premier mois de son emploi, il ne fait pas état de manquements graves ou même sérieux susceptibles de justifier la rupture immédiate des relations contractuelles ;
Attendu qu'il est constant que la demoiselle C. qui s'était vu prescrire un arrêt de travail de quatre jours le vingt-trois octobre mil neuf cent soixante-dix, prolongé de cinq jours le vingt-six octobre à dix-huit heures trente, selon ses dires, en a informé son employeur le lendemain dans la matinée ;
qu'en admettant même que cet avis n'ait été donné qu'à onze heures, comme le soutient le défendeur, et non à huit heures, comme elle le prétend, il ne peut manifestement pas être considéré comme tardif et qu'il n'est pas permis d'en déduire un manque de conscience professionnelle de sa part du seul fait que les examens des malades commencent à huit heures ;
Attendu, dès lors, que l'offre de preuve testimoniale formulée est inopérante et doit être rejetée ;
Attendu que la rupture s'avère non seulement irrégulière dans les formes qu'elle a revêtues, mais encore abusive, le motif qui l'a provoquée n'étant pas de nature à la légitimer ;
qu'il convient, en conséquence, de faire droit à la demande en paiement de l'indemnité de licenciement s'élevant en l'espèce à la somme de cent cinquante francs ;
Attendu, par ailleurs, que la demanderesse a subi un préjudice incontestable dont elle est fondée à solliciter réparation ;
que sa demande est toutefois exagérée et que le Tribunal possède les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à mille cinq cents francs le montant des dommages-intérêts qui doivent lui être alloués de ce chef ;
que toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
Dit et juge irrégulier et abusif le licenciement de la demanderesse ;
Condamne, en conséquence, le défendeur à lui payer :
1° la somme de cents cinquante francs à titre d'indemnité de licenciement ;
2° celle de mille cinq cents francs à titre de dommages-intérêts ;
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