Abstract
Licenciement
Préavis. Durée. Cadre. Critères.
Suppression d'emploi
Souci de rentabilité de l'employeur. Loi n° 845 du 27 juin 1968. Motif non valable.
Caractère abusif (non)
Réorganisation de l'entreprise. Suppression d'emploi.
Résumé
1. Ne peut prétendre à la qualification de cadre ouvrant droit à un préavis d'une durée plus longue que le préavis légal, le salarié placé sous l'autorité hiérarchique de la Direction d'une agence voisine, n'ayant qu'une seule employée sous ses ordres et dont ni la rémunération, ni l'ancienneté dans l'entreprise ne permettent de le regarder comme exerçant des fonctions supérieures.
2. La suppression de poste qui procède plus d'un souci de rentabilité de l'employeur que d'une nécessité économique impérieuse constitue un motif de licenciement non valable au regard de la loi n° 845 du 27 juin 1968.
3. Il ne peut être dénié à une entreprise le droit de procéder à la réorganisation de ses services dans le but de diminuer ses frais généraux ; le licenciement d'un employé consécutif à la suppression de son poste ne revêt pas alors un caractère abusif ouvrant droit à des dommages-intérêts.
Motifs
Le Tribunal du Travail,
Attendu qu'ensuite d'un procès-verbal régulier de non-conciliation en date du vingt-quatre août mil neuf cent soixante-dix, enregistré, le sieur J. D., Attaché de Direction, a attrait, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, la Société « Bureau Industrie Services » (ci-après BIS), afin d'obtenir paiement de la somme de trente-cinq mille cent huit francs quatre-vingt-un centimes, représentant :
1° Préavis (trois mois sous déduction d'un mois déjà perçu) : trois mille francs ;
2° Indemnité de licenciement (sous déduction d'une somme de deux cent trente et un francs dix-neuf centimes) : deux mille cent huit francs quatre-vingt-un centimes ;
3° Dommages-intérêts pour licenciement abusif et injustifié : trente mille francs ;
Sous toutes réserves ;
Attendu que le demandeur expose qu'il a signé avec la Société le dix-sept juillet mil neuf cent soixante-sept un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'Attaché de Direction de l'Agence « BIS » à Monaco ; qu'il a été licencié le trois juillet mil neuf cent soixante-dix au motif que les résultats et perspectives de l'Agence imposeraient la suppression de son poste ; qu'il a été immédiatement remplacé par une dame R., chef du Département Bureau et Industrie et responsable de l'Agence ; que le sieur I., Attaché commercial de la Société à Nice, et le sieur M. consacrent plusieurs journées par semaine à l'Agence de Monaco qui fonctionne comme par le passé ; qu'il n'y a donc pas eu de compression de personnel et qu'il a été licencié sans motif ; qu'il s'estime en conséquence fondé à prétendre à un préavis de trois mois, en qualité de cadre, sous déduction d'un mois déjà perçu, soit à la somme de trois mille francs sur la base d'une rémunération mensuelle de mille cinq cents francs et à une indemnité de licenciement proportionnelle à son ancienneté s'élevant à deux mille cent huit francs quatre-vingt-un centimes, compte tenu d'une somme de deux cent trente et un francs dix-neuf centimes qui lui a été versée le cinq août mil neuf cent soixante-dix ; qu'il sollicite également la somme de trente mille francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par cette rupture qui revêt un caractère abusif en l'absence de motifs légitimes ; qu'il s'est, en effet, trouvé dans l'impossibilité de se reclasser dans un emploi similaire du fait de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat et que son congédiement a été signalé à tous les clients de l'agence qui ont pu légitimement en déduire qu'une faute devait lui être reprochée ;
qu'il soutient encore par conclusions responsives que la juridiction saisie est bien compétente en raison de la situation de l'Établissement ; qu'il a bien été remplacé dans ses fonctions par les personnes citées savoir la dame R., engagée en qualité d'employée administrative, qui a fait l'objet d'une promotion qui ne peut être que la conséquence de son départ, par le sieur M., Directeur de l'Agence de Nice, qui n'avait jamais travaillé à Monaco où il s'était borné à effectuer deux ou trois visites de contrôle, et par le sieur I., également employé à Nice, qui n'avait pas dans le passé d'activité effective en Principauté ; que les deux derniers nommés ont d'ailleurs sollicité et obtenu, depuis son licenciement, un permis de travail à Monaco et leur affiliation aux Caisses Sociales Monégasques ; que l'obtention de ce permis était d'ailleurs nécessaire pour pourvoir à son remplacement comme Agent responsable du « BIS » de Monaco, qualité en laquelle il était encore inscrit au Répertoire du Commerce et de l'Industrie à la date du vingt-six octobre mil neuf cent soixante-dix ; que la prétendue diminution d'activité de l'Agence « BIS » de Monaco n'est qu'un prétexte qui ne correspond pas à la réalité, la moyenne mensuelle des heures de travail accomplies par l'intermédiaire de ses préposés s'étant élevée à mille trois cent quarante pour mil neuf cent soixante-huit, deux mille trois cent trente-deux pour mil neuf cent soixante-neuf et à trois mille trois cent quatre-vingt-quatorze pour les six premiers mois de mil neuf cent soixante-dix, et ce compte non tenu de nombreux intérimaires venant de l'extérieur qui sont comptabilisés à Nice ; que la position de cadre ne peut lui être contestée en raison de sa qualité d'Agent responsable de la Société pour Monaco et du niveau de sa rémunération ainsi que des responsabilités qui lui étaient dévolues aux termes de son contrat ; qu'il n'a jamais signé le reçu pour solde de tout compte qui lui avait été adressé ; qu'enfin, s'il a retrouvé un emploi dans la Société Lancaster, il n'en a pas moins été inscrit au chômage pendant plus de deux mois, son reclassement s'étant avéré difficile du fait de la clause de non-concurrence dont la Société « BIS » a réclamé judiciairement l'application à l'égard de deux de ses anciens collaborateurs les sieurs G. et T. ;
Attendu que la Société « BIS » après avoir conclu à l'incompétence du Tribunal du Travail en raison de l'existence dans le contrat de louage de services d'une clause attributive de compétence aux Tribunaux de la Seine, a déclaré à la barre renoncer à ce moyen ; qu'elle fait valoir au fond que le demandeur n'a pas été remplacé à son poste d'Attaché de Direction à l'Agence de Monaco ; que tant la dame R. que les sieurs I. et M. étaient déjà employés au service de la Société ; que la première était chef du département Bureau et Industrie dans cette Agence ; que les sieurs I. et M. étaient respectivement Attaché commercial à l'Agence principale de Nice, celle de Monaco étant une sous-agence, et Directeur à Nice ; que depuis le départ du demandeur ils ont continué à assurer les mêmes fonctions en consacrant quelques heures par semaine au Bureau de Monaco ; que le demandeur n'apporte pas la preuve de ses allégations sur ce point ; que l'activité de l'Agence de Monaco était surtout consacrée à la location de personnel temporaire, presque exclusivement de secrétariat, pendant la période des congés ; qu'il s'agit d'un marché de plus en plus réduit avec des possibilités d'expansion limitées ; que la diminution considérable de l'activité industrielle et commerciale dans la Principauté de Monaco et l'usage d'une fermeture annuelle n'impliquant pas l'emploi de personnels de remplacement temporaire ont réduit la demande dans ce domaine à sa plus simple expression ; que cette activité ne nécessitait pas la présence de deux personnes au siège de Monaco, une seule pouvant assurer l'ensemble des tâches ; que le demandeur ne peut être considéré comme un cadre, ses fonctions étant celles d'un simple attaché dans une sous-agence ; qu'il a par ailleurs signé un reçu pour solde de tout compte, sur lequel il ne saurait revenir, à la suite du règlement de ses indemnités qui lui a été fait le cinq août mil neuf cent soixante-dix ; qu'il a enfin été employé par la Société Lancaster, au moins aux mêmes avantages, quelques jours après et ne justifie d'aucun préjudice ; qu'elle conclut en conséquence à son débouté ;
Attendu que le demandeur a été employé, aux termes d'un contrat à durée indéterminée en date des cinq et douze juillet mil neuf cent soixante-sept, en qualité d'Attaché de Direction de l'Agence « BIS » de Monaco jusqu'au trois juillet mil neuf cent soixante-dix, date de son licenciement qui lui a été notifié au motif de suppression de son poste en raison des résultats et des perspectives de cette sous-agence ;
qu'il a reçu un préavis d'un mois et a perçu outre ses salaires, gratifications et congés payés, une indemnité de congédiement de deux cent trente et un francs dix-neuf centimes et une indemnité compensatrice de préavis de même montant ;
Attendu qu'il n'est pas justifié qu'il ait signé à cette occasion un reçu pour solde de tout compte de nature à faire obstacle à ses demandes, l'exemplaire de ce reçu versé au débat, qui lui avait été envoyé pour émargement, n'étant pas revêtu de sa signature ;
Sur le premier chef de la demande :
Attendu que le contrat de travail du cinq juillet mil neuf cent soixante-sept prévoyait au cas de démission ou de licenciement un préavis d'un mois ;
Attendu que le demandeur, dans un temps assez proche de la date dudit contrat, avait demandé à la Société « BIS », par lettre du trois janvier mil neuf cent soixante-huit, à bénéficier du statut de cadre ;
qu'il lui était répondu, sous la date du dix janvier mil neuf cent soixante-huit, qu'il ne pouvait être accédé à sa requête, le poste qu'il occupait n'étant pas défini comme un emploi de cadre auquel il pourrait toutefois éventuellement prétendre ultérieurement en fonction de son ancienneté et des résultats obtenus ;
Attendu que le fait de sa désignation en qualité d'Agent responsable de la société pour Monaco dès son entrée en fonctions ne saurait donc en soi être retenu à l'appui de ses prétentions ;
que sans méconnaître l'étendue des responsabilités, comme des attributions qui lui étaient dévolues, il y a lieu de remarquer qu'il était placé sous l'autorité hiérarchique de la Direction de « BIS - Nice », et qu'il n'avait qu'une seule employée sous ses ordres, la dame R. ;
que ces considérations, rapprochées du niveau de sa rémunération, qui était en dernier lieu de l'ordre de mille cinq cents francs par mois, comme aussi de son ancienneté de trois années de services de la Société, ne l'autorisent pas à soutenir valablement qu'il doive être regardé comme exerçant des fonctions supérieures justiciables d'un délai-congé d'une durée plus longue que le préavis légal ;
qu'ayant bénéficié d'un préavis d'un mois et de l'indemnité prévue à l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968, il a été rempli de ses droits et doit, en conséquence, être débouté de ce chef ;
Sur les deuxième et troisième chefs :
Attendu que la Société « BIS » ne conteste pas expressément les chiffres avancés par le demandeur quant à la progression de l'activité de son Agence de Monaco de mil neuf cent soixante huit à mil neuf cent soixante-dix et admet même implicitement en dernier lieu que ces éléments peuvent être exacts tout en soutenant qu'ils n'ont qu'une valeur relative et que ce sont surtout les perspectives de développement et de rentabilité de cette Agence, appréciées en fonction des résultats obtenus par elle dans l'ensemble de ses implantations, qui doivent être prises en considération et qui l'ont déterminée à procéder à la suppression du poste du demandeur ;
qu'il lui aurait d'ailleurs été aisé, dans le cas contraire, de démontrer l'inexactitude des dires du sieur J. relativement à l'augmentation de son chiffre d'affaires par la production de ses bilans ou de tous autres documents comptables, ce qu'elle ne fait pas ;
Attendu ainsi que cette suppression de poste doit être considérée comme procédant bien plus d'un souci de rentabilité que d'une nécessité économique impérieuse, conséquence de résultats déficitaires ;
qu'à cet égard il ne peut être admis que la Société puisse en déduire un motif valable de licenciement au sens de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 seul susceptible de l'exonérer du paiement de l'indemnité prévue audit texte ;
qu'il suit que le sieur J. doit être déclaré fondé dans sa demande en paiement de l'indemnité de licenciement qui s'établit à la somme de (2 220,00 F - 231,19 F indemnité de congédiement déjà perçue) = mille neuf cent quatre-vingt-huit francs quatre-vingt-un centimes, compte tenu de son ancienneté du dix-sept juillet mil neuf cent soixante-sept au cinq août mil neuf cent soixante-dix sur la base d'une rémunération mensuelle de mille cinq cents francs ;
Attendu par ailleurs qu'il n'est pas contestable que le poste du demandeur ait été effectivement supprimé, ses attributions étant réparties entre plusieurs préposés de la Société déjà à son service, dont la dame R. antérieurement placée sous ses ordres ;
qu'il ne peut être dénié à une entreprise le droit de procéder à la réorganisation de ses services dans le but de diminuer ses frais généraux ;
qu'il n'apparaît pas, dans le cas d'espèce, que le licenciement du demandeur ait revêtu un caractère abusif ou soit intervenu dans des conditions irrégulières ;
qu'il convient, dès lors, de le dire mal fondé dans sa demande de dommages-intérêts et de l'en débouter ;
que les dépens doivent suivre la succombance et être supportés dans le cas présent par moitié par les parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
Et rejetant toutes conclusions plus amples ou contraires comme injustifiées ou inopérantes,
Dit et juge que le demandeur ne pouvait prétendre à un préavis supérieur au délai-congé légal et que son licenciement ne revêt pas un caractère abusif ;
Le déboute, en conséquence, des premier et troisième chefs de sa demande ;
Dit par contre que la Société « BIS » ne peut exciper d'un motif valable de licenciement au sens de la loi n° 845 précitée ;
La condamne à verser de ce chef au sieur J. la somme de mille neuf cent quatre-vingt-huit francs quatre-vingt-un centimes ;
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