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15/02/2018 | MONACO | N°16716

Monaco | Tribunal du travail, 15 février 2018, Monsieur t. M. c/ SAM EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO)


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 15 FÉVRIER 2018

En la cause de Monsieur t. MA., demeurant X1 à NICE (06000) ;

Demandeur, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO), dont le siège social se situe Les Terrasses, 2 avenue de Monte-Carlo à MONACO ;

Défenderesse, plaidant par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et aya

nt élu domicile en son étude ;

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 15 FÉVRIER 2018

En la cause de Monsieur t. MA., demeurant X1 à NICE (06000) ;

Demandeur, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO), dont le siège social se situe Les Terrasses, 2 avenue de Monte-Carlo à MONACO ;

Défenderesse, plaidant par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 6 janvier 2015, reçue le 9 janvier 2015 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 75-2014/2015 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 10 mars 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur t. M. en date des 29 juillet 2015, 12 avril 2016, 5 janvier 2017 et 4 mai 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO), en date des 3 décembre 2015, 14 juillet 2016, 6 avril 2017 et 1er  juin 2017 ;

Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur t.M.et Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO), en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Monsieur t. M. a été embauché par la société anonyme monégasque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO) le 8 janvier 2007 en qualité de Gestionnaire - Sous-Directeur, moyennant un salaire fixe annuel de 70.000 euros brut, outre une gratification exceptionnelle calculée sur les données arrêtées au 31 décembre de chaque exercice.

Quatre avenants au contrat de travail ont ensuite été conclus entre les parties, modifiant le mode de calcul des gratifications.

À la date du dernier avenant du 10 mars 2011, Monsieur t. M. percevait un salaire fixe de 100.000 euros brut ainsi qu'une gratification exceptionnelle calculée sur les données arrêtées au 31 décembre de chaque exercice.

Monsieur t. M. a été convoqué à un premier entretien le mardi 22 avril 2014 au cours duquel l'avenir de ses relations contractuelles avec la Banque a été évoqué.

Un nouvel entretien a été fixé au mercredi 30 avril 2014.

À l'issue de ce second entretien, la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO) a notifié à Monsieur t.M.la rupture de son contrat de travail sur le fondement de l'article 32 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, pour insuffisance professionnelle, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 avril 2014.

Par requête en date du 6 janvier 2015, reçue au greffe le 9 janvier 2015, Monsieur t.M.a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* dire et juger que son licenciement est formellement irrégulier, ne repose pas sur un motif valable et revêt un caractère abusif s'agissant d'un faux motif,

* condamner en conséquence l'employeur au paiement de la somme de 1.420.000 euros à titre de légitimes dommages intérêts, ainsi qu'aux dépens.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Monsieur t. M. a déposé des conclusions les 29 juillet 2015, 12 avril 2016, 5 janvier et 4 mai 2017 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

* l'insuffisance professionnelle et l'insuffisance de résultats sont deux notions différentes,

* l'insuffisance professionnelle ne peut être valablement remise en cause, dès lors qu'il a atteint ses objectifs commerciaux et cumulé sept ans et demi d'ancienneté, à la plus grande satisfaction de l'employeur,

* il a été embauché par la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD notamment en raison de la clientèle propre qu'il lui a apportée ; clientèle aujourd'hui perdue,

* son licenciement trouve sa cause en ce qu'il n'a pas accepté d'être rémunéré de manière moins importante pour le travail qu'il accomplissait,

* la proposition faite par la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD permettant in fine de diminuer le montant de son salaire mensuel, constitue une modification d'un élément substantiel de son contrat de travail, qui ne pouvait lui être imposée unilatéralement,

* le licenciement est doublement abusif, en la forme et au fond,

* la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD aurait dû mettre en place la procédure disciplinaire prévue par les articles 27 et suivants de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques,

* il a perdu la chance de s'expliquer par ses propres moyens ou par l'intermédiaire de Délégués du Personnel et de démontrer qu'il n'avait commis aucun manquement,

* il a eu une carrière exemplaire et n'a jamais fait l'objet d'un rappel à l'ordre et encore moins d'une sanction,

* il verse aux débats les bilans de la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD depuis l'an 2000 jusqu'à son licenciement, qui révèlent clairement l'impact positif de son embauche sur les résultats de la Banque,

* dans le courrier de licenciement, l'employeur reconnait qu'il a atteint les objectifs préalablement fixés à son contrat,

* bien que cela ne fasse l'objet d'aucune clause contractuelle, il a toujours atteint/dépassé un taux de 1 % de rentabilité minimum par an et cela, jusqu'à son départ,

* concernant l'insuffisance professionnelle reprochée, il n'a jamais reçu le moindre rappel à l'ordre sur la qualité son travail,

* l'insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits objectifs, précis et vérifiables,

* le volume mais surtout la constante rentabilité de sa clientèle ont démontré la régularité du travail fourni,

* à de nombreuses reprises, les dispositions de son contrat de travail ont été modifiées en sa faveur, ce qui fait échec à la théorie de l'insuffisance professionnelle et/ou de résultat,

* il n'a commis aucun manquement au regard de la prospection commerciale et ses initiatives ont toujours été réalisées avec sérieux et régularité et dans le cas contraire, ses résultats commerciaux s'en seraient ressentis,

* le licenciement lui a été notifié le 30 avril 2014 alors qu'il se rendait à ce qu'il pensait être une « simple réunion » pour parler d'un éventuel « avenant » devant toucher au calcul de sa rémunération,

* il a fait l'objet d'un licenciement brutal,

* jusqu'au jour de son licenciement, le 30 avril 2014, son employeur n'a jamais évoqué avec lui la possibilité de le licencier,

* il a subi un préjudice financier et moral très important.

La S.A.M. EDMOND DE ROTHSCHILD a déposé des conclusions les 3 décembre 2015, 14 juillet 2016, 6 avril et 1er  juin 2017 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :

« À TITRE PRINCIPAL

Vu les articles 177 et 274 du Code de procédure civile ;

Vu l'article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

Avant dire droit au fond ;

Enjoindre à Monsieur M. de communiquer le contrat le liant à la Société G and G, ainsi que tous les éléments démontrant quelle rémunération lui est servie par cette Société ou, à défaut, une preuve témoignant avec certitude d'une absence de rémunération.

À TITRE SUBISIDIAIRE

Vu l'article 32 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, Dire et Juger que le motif de licenciement de Monsieur M. est valable.

Dire et juger que le licenciement n'est pas abusif. Débouter Monsieur M. de toutes ses demandes.

À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,

Dire et Juger que le montant des dommages et intérêts qui pourraient être alloués à Monsieur M. se limiteront à un montant forfaitaire maximum et définitif de Douze Mille (12.000) euros, toutes causes de préjudices confondues ;

Débouter Monsieur M. du surplus de ses demandes. Le condamner aux dépens ».

La banque EDMOND DE ROTHSCHILD soutient essentiellement que :

* elle a parfaitement respecté ses obligations en adressant une lettre de licenciement comportant « l'énoncé de faits précis et matériellement vérifiables », tel que l'exige la jurisprudence en la matière,

* concernant les clients apportés par Monsieur t. M. le tableau produit indique d'une part, une forte baisse de la conservation moyenne annuelle de ses clients au cours des huit années d'activité au sein de la Banque et d'autre part, une baisse globale entre 2007 et 2013,

* la société de gestion de Monsieur t. M. a été un échec puisqu'elle a eu une durée de vie très limitée, ce qui constitue la preuve que le portefeuille des clients qu'il avait en gestion n'a pas permis à cette société de perdurer,

* si Monsieur t. M. a intégré la Banque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO), c'est bien parce que sa société de gestion n'a pas marché et qu'il a dû chercher un travail ailleurs ; ce qui lui a pris plusieurs années puisque d'avril 2004 à décembre 2006, il n'a pas eu de contrat de travail,

* depuis son départ, aucun des clients qu'il avait en gestion n'est parti, de sorte que s'il s'agissait réellement de sa propre clientèle attachée à lui, elle l'aurait certainement suivi dans ses nouvelles fonctions chez G and G,

* s'il n'est pas contesté que Monsieur t. M. a toujours perçu des gratifications calculées sur ses revenus, en revanche, du fait de ses difficultés à conserver la clientèle, ses revenus ont sensiblement baissé ainsi que nécessairement le montant total des gratifications allouées,

* sur plusieurs années consécutives, Monsieur t.M. n'est parvenu aux objectifs contractuellement fixés qu'avec l'aide des apporteurs d'affaires qui lui ont permis d'atteindre le seuil de 50 millions d'euros et de percevoir une gratification conséquente,

* en un peu plus de deux ans, il n'avait effectué que dix déplacements professionnels,

* le développement commercial implique nécessairement la recherche active de clients par le biais, notamment, de déplacements professionnels,

* cela démontre une réelle incapacité pour Monsieur t. M. à remplir les missions qui lui étaient confiées,

* Monsieur t. M. n'a pas su prendre les mesures nécessaires pour convier des clients à des évènements auxquels elle participe en Principauté et dans la région (tennis, golf organisé par la Banque, Voile de Saint-Tropez, Coupe Davis, Top Marques),

* l'insuffisance de résultats visée par Monsieur t. M. fait partie intégrante de l'insuffisance professionnelle qui lui est imputée,

* il n'a pas été licencié pour le motif « d'insuffisance de résultats » mais bien pour « insuffisance professionnelle » dont une des conséquences était la faiblesse des résultats,

* les supérieurs hiérarchiques de Monsieur t. M. l'ont à plusieurs reprises alerté sur ces manquements qui allaient aboutir irrémédiablement à une mesure de licenciement,

* le problème récurrent étant les difficultés pour Monsieur t. M. de parvenir à la conservation de sa clientèle, il a été décidé de supprimer totalement ce critère du mode de calcul de sa rémunération ; la Banque a alors proposé à Monsieur t. M. d'augmenter fortement sa rémunération fixe de 100.000 euros à 140.000 euros tout en lui garantissant un bonus contractuel minimum de 40.000 euros en 2015, au titre de l'année 2014, outre le financement d'une voiture,

* Monsieur t. M. a refusé cet avenant. Toute discussion étant devenue impossible, et eu égard aux insuffisances professionnelles récurrentes, le licenciement de Monsieur t. M. était devenu inéluctable,

* l'article 27 de la Convention collective n'est pas applicable en l'espèce,

* la procédure de licenciement a été mise en place dès le 22 avril 2014, aucune brutalité ne peut dès lors être relevée,

* Monsieur t. M. travaille pour la Société G & G depuis son licenciement,

* l'évaluation de son préjudice est sujette à caution.

À l'audience de plaidoirie, la banque a sollicité le rejet des débats de la pièce communiquée par Monsieur t. M. le 16 novembre 2017.

SUR CE,

1/ Sur la demande de rejet de pièce présentée par la défenderesse

À l'audience de mise en état du 2 mars 2017, un calendrier procédural a été mis en place aux termes duquel le conseil de la banque devait conclure pour le 6 avril au plus tard, le conseil de Monsieur t. M. pour le 4 mai au plus tard et le conseil de la banque devant conclure en dernier au plus tard le 1er  juin 2017, l'affaire étant fixée pour plaidoirie à l'audience du 6 juillet 2017 ; date à laquelle le dossier a été renvoyé à l'audience du 23 novembre 2017.

Il résulte des bordereaux de pièces produits que Monsieur t. M. a communiqué à la défenderesse le 14 novembre 2017 une nouvelle pièce consistant en une attestation établie par Monsieur Giancarlo G. le 13 novembre 2017.

Le Conseil de la banque s'oppose à une telle production en raison de son caractère tardif.

Le calendrier procédural qui a été mis en place et a reçu l'accord des parties emportait nécessairement obligation pour chacune d'elles de le respecter.

Il était en outre conforme au principe du contradictoire que le demandeur conclut le 4 mai, ce qui ouvrait un dernier délai pour ultime réplique de la défenderesse au plus tard le 1er  juin 2017.

En communiquant une pièce le 14 novembre 2017, soit plus de six mois après le délai dont il disposait et neuf jours avant la date des plaidoiries, le conseil du demandeur a agi de manière tardive et porté atteinte au principe du contradictoire, sur le respect duquel il appartient au juge de veiller, puisqu'il ne permettait pas au conseil de la banque d'y répondre utilement dans le délai procédural qui lui était imparti en raison de la prochaine fixation à plaider.

Au regard de la violation du principe du contradictoire auquel cette communication tardive porte atteinte, la pièce n° 92 produite par Monsieur t. M. sera dès lors écartée des débats.

2/ Sur la demande de communication de pièces présentée par la banque

Aux termes de l'article 177 du Code de procédure civile le Tribunal ordonnera, lorsque l'instruction de la cause paraîtra l'exiger, que les parties se communiqueront réciproquement les pièces dont elles entendront faire usage. Cet article, dont le but est de permettre de faire respecter le principe du contradictoire prévoit ainsi la communication, même forcée, de pièces utilisées par une partie à l'autre partie.

La banque vise également les dispositions de l'article 274 du même code aux termes desquelles :

« Si la communication des pièces n'a pas été ordonnée, en vertu de l'article 177, lors de la première comparution, ou si elle n'a pu être effectuée pour toutes celles qui sont employées, chaque partie pourra demander qu'elle ait lieu par des simples conclusions verbalement prises à l'audience où il sera fait usage desdites pieces ».

En l'espèce, la défenderesse sollicite la communication forcée de pièces alors que le demandeur n'entend pas utiliser d'autres pièces que celles versées aux débats.

Dès lors, il ne s'agit pas d'un incident de communication de pièces au sens des articles 177 et 274 du Code de procédure civile et il appartiendra au Tribunal de vérifier si les pièces sollicitées lui sont nécessaires sur le fond.

Il convient de relever à ce titre que la charge de la preuve du préjudice éventuellement subi par Monsieur t. M. incombe à ce dernier et que si cette preuve est partielle ou insuffisante, il appartient à l'employeur de le faire valoir afin que le Tribunal en tire alors toutes conséquences.

La demande sera donc rejetée.

3/ Sur la procédure préalable au licenciement

Selon le demandeur, son licenciement serait abusif dès lors que l'employeur n'aurait pas réuni le Conseil de discipline en application de l'article 27 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques.

Cependant cet article n'exige la délivrance d'un avis préalable par le Conseil de discipline qu'en cas de sanction disciplinaire du second degré, au nombre duquel ne figure pas le licenciement.

L'article 25 1. évoque, s'agissant de la toute première disposition du Chapitre VI intitulé « Discipline et sanctions - Conseil de discipline Requêtes et Réclamations », l'insuffisance de travail et l'insuffisance professionnelle comme pouvant toutes deux donner lieu à une observation de la Direction, seuls les 3 et 4 de l'article 25 détaillent par la suite l' insuffisance de travail, comme résultant de la mauvaise volonté de l'intéressé et édictent qu'elle est passible, comme tout manquement aux règles de la discipline ou pour toute faute, y compris les fautes professionnelles, d'une sanction disciplinaire.

L'article 32 énonce que l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle est un motif de licenciement, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, sous réserve qu'il ne soit démontré que cette incapacité n'est due qu'à un mauvais état de santé passager et qu'il doit en être valablement déduit que pour ce motif de rupture de la relation de travail, l'employeur n'est pas tenu de recueillir au préalable l'avis du Conseil de discipline.

En l'espèce, le salarié ne s'est pas vu reprocher une insuffisance de travail, des manquements à la discipline, ou des fautes professionnelles, comme cela résulte à la fois de la lettre de licenciement et des écritures judiciaires de la banque.

Le licenciement de Monsieur t. M. ne saurait être de ce chef considéré comme irrégulier.

4/ Sur le motif de la rupture

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

En l'espèce, Monsieur t. M. a été licencié par lettre du 17 mars 2014 ainsi libellée :

« Cher Monsieur,

Faisant suite aux entretiens que vous avez eus avec Monsieur Hervé O. Madame B. et Monsieur M. notamment ce jour, nous avons le regret de vous notifier par la présente, la rupture de votre contrat de travail sur le fondement de l'article 32 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, pour insuffisance professionnelle.

Nous sommes contraints à procéder à votre licenciement car notre Établissement a relevé un nombre trop important de manquements de votre part pour accomplir les missions qui vous ont été confiées en qualité de gestionnaire senior, principalement au niveau du développement commercial et de la valorisation et fidélisation des actifs gérés.

(...)

La faiblesse de vos résultats est d'autant moins explicable que, pour permettre de concentrer les efforts des Chargés de Clientèle sur l'aspect commercial, la gestion des portefeuilles de la clientèle gérée a été intégralement confiée à notre filiale, la SAM EDMOND DE ROTHSCHILD GESTION (MONACO), ce qui vous a libéré un temps de prospection qui n'a malheureusement pas été mis à profit de manière adéquate.

Les manquements qui seront détaillés ci-dessous et votre incapacité à conserver votre propre clientèle pour un montant total de 50 millions d'euros, ne peuvent plus justifier du maintien d'une gratification telle que calculée jusqu'à présent.

Cette réalité est d'autant plus incontestable que, pour vous soutenir, Monsieur O. vous a confié en décembre 2013 la gestion de quelque quatre millions d'euros d'actifs supplémentaires, dont vous êtes étranger au démarchage mais sur lesquels vous prétendez à une commission.

Ce qui précède explique que la Banque ne pouvait même plus vous confier une clientèle supplémentaire que vous n'étiez vous-même pas en mesure de vous procurer.

La Banque vous a proposé un nouveau mode de calcul de la part variable de votre rémunération, tout en augmentant de manière significative votre salaire fixe, de manière à vous permettre de conserver une rémunération très confortable.

Malheureusement, vous n'avez pas souhaité donner suite à cette proposition tout en n'effectuant aucune diligence, ne serait-ce que pour encourager l'apport d'actifs par la Clientèle existante ainsi que par le démarchage de nouveaux Clients.

Sans être exhaustif, nous avons été contraints de constater que :

* depuis le 31 décembre 2009, la somme des avoirs de votre propre clientèle n'a cessé de diminuer, puisqu'elle est passée de 52.342.598,74 € à la somme de 47.634.035,31 € au 31 décembre 2013, soit 4.708.563,43 € d'actifs en moins.

Ce résultat est d'autant plus étonnant que, sur la même période, l'évolution des marchés boursiers a progressé de quelque 65 % pour les produits européens et même de plus de 125 % pour les investissements américains.

Outre cela, vous n'ignorez pas que, le seul élément complémentaire ayant permis de stabiliser vos chiffres et de parvenir aux 50 millions d'euros fixés dans votre contrat, est un recours aux apporteurs d'affaires qui, ces quatre dernières années, ont réalisé à votre place le travail propre à l'activité commerciale considérée, rémunérée, en l'état de l'avenant de votre contrat de travail du 10 mars 2011, à 50 % par l'ensemble de la Banque et à 50 % seulement par votre cellule.

En d'autres termes, il n'est pas logique que l'ensemble du personnel de la Banque ait à supporter quelque 50 % de la rémunération des apporteurs amenés à suppléer vos carences.

En effet, je vous rappelle à ce titre que le coût pour la Banque est plus élevé si les apports de clientèle proviennent des apporteurs d'affaires puisqu'elle perçoit une rémunération de 66,67 % sur tous les clients que vous lui amèneriez « par vos propres efforts »  contre 58,4 % pour les clients apportés par les apporteurs d'affaires.

* alors que votre principale mission est de prospecter de nouveaux clients, et que votre charge de travail a été allégée afin de vous permettre de vous concentrer totalement sur l'aspect commercial, la Banque a relevé que, en près de deux ans, vous n'avez effectué que 10 déplacements professionnels, qui plus est tous en Italie.

Incidemment, ces déplacements ne vous ont pas permis, sur cette période, d'augmenter votre clientèle propre, et ce, encore une fois, au détriment de la Banque.

* toujours dans le même objectif de développement de la clientèle, la Banque a encore constaté que vous ne fournissez aucun effort pour convier des clients à des évènements auxquels elle participe en Principauté et dans la région (tennis, golf organisé par la Banque, Voile de Saint-Tropez, Coupe Davis, Top Marques).

Ainsi, depuis 2011, vous n'avez invité que 9 prospects dont, en définitive, aucun n'est devenu client de notre Établissement.

Par ailleurs, malgré les conseils de vos supérieurs, vous n'avez jamais souhaité participer activement au Club des Résidents Étrangers de Monaco, lequel offre pourtant des opportunités de nouer des relations avec ses membres constituant une clientèle potentielle importante à ne pas négliger.

* enfin, depuis le 31 décembre 2009, la balance retraits/apports de vos clients propres est chaque année négative, ce qui démontre en tant que de besoin que vous n'êtes pas à même d'inciter votre Clientèle à conserver, sinon à amener plus d'actifs à gérer dans notre Banque... ».

Le Tribunal relève à ce titre que la lettre de licenciement fait état non seulement d'une insuffisance professionnelle, mais également d'une insuffisance de résultat (n'a pas atteint les objectifs qui lui ont été confiés).

Il n'est pas contesté que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal et le Juge ne peut prétendre y substituer son appréciation ; néanmoins, il convient pour celui-ci de vérifier que ses exigences étaient justifiées.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au juge de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci mais doit reposer sur des éléments concrets pour constituer un motif valable de licenciement

Il incombe en conséquence à l'employeur d'apporter au Juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.

Par ailleurs, l'insuffisance de résultats ne constitue pas en soi une cause de licenciement, le Juge doit vérifier que les objectifs étaient fixés et réalistes, et que les mauvais résultats procèdent d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle imputable au salarié.

Elle ne résulte pas nécessairement d'un comportement volontaire mais révèle l'inaptitude du salarié à assumer ses fonctions, son incompétence.

En outre, l'insuffisance de résultats doit être constatée sur une certaine durée.

L'insuffisance professionnelle se trouve caractérisée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat et devait reposer sur des éléments matériels précis et objectifs imputables au salarié ; elle se manifeste dans les répercussions en tant qu'elle perturbe la bonne marche de l'entreprise.

Monsieur t. M. a été embauché en qualité de « gestionnaire senior » avec un statut hors classe - sous-directeur, de sorte que la banque pouvait légitimement attendre un développement commercial significatif au regard de la qualification professionnelle du salarié et de son niveau de rémunération.

Les fonctions du salarié ont été définies de la manière suivante dans le contrat de travail :

« À ce poste, le salarié sera plus spécialement chargé du développement commercial, de la gestion des portefeuilles sous mandat, du respect des politiques et des directives en vigueur au sein de la Banque. Il sera hiérarchiquement rattaché au responsable de la cellule gestion Italie IV, Monsieur René S.

Étant précisé que les tâches principales ci-dessus n'ont qu'un caractère indicatif et que la Banque pourra affecter le salarié à un autre poste ou lui confier toute autre tâche ou fonction en rapport avec sa classification ou ses qualifications, selon les nécessités du fonctionnement de la Banque ».

Le contrat comporte en outre une clause « objectifs » ainsi libellee:

« L'objectif de conservation demandé est de 50 millions d'euros en capitaux moyens trimestriels calculés ponctuellement sur le montant de la conservation à chaque fin de mois.

Les parties déclarent qu'elles ont l'une et l'autre conscience que leur accord est conclu en référence à la loi monégasque, laquelle définit dans le contrat de travail la notion de subordination et surtout la nécessité d'un intérêt pour l'employeur dans l'exécution du contrat par le salarié, dont le salaire est la contrepartie. Elles déclarent que la rémunération librement convenue entre elles résulte de la perspective d'une marge de revenu pour la Banque, après couverture du salaire, des charges sociales et des frais inhérents à l'exécution du contrat. Cette condition a été déterminante dans la volonté de contracter de part et d'autre.

Les parties conviennent que, si à la fin d'une période annuelle, la conservation est inférieure à 50 millions d'euros, l'économie même du contrat disparaissant, la Banque pourra légitimement, trois mois après avoir mis en garde le salarié, envisager de rompre le contrat pour insuffisance professionnelle, dans le respect des lois, des règlements et des dispositions de la convention collective bancaire, en la matière ».

Pour justifier l'insuffisance professionnelle alléguée, l'employeur fait état de faits qu'il convient d'examiner :

* chute de la conservation moyenne des clients confiés au salarié.

Pour démontrer ce grief, l'employeur produit un tableau en pièce n° 14 entre 2007 et 2013 montrant une diminution en K€ des clients personnellement apportés par Monsieur t. M. (de 61.509 à 48.000).

Il convient à ce titre de relever que le total des clients gérés par Monsieur t. M. est supérieur au seuil de 50 millions fixés dans le contrat de travail si l'on ajoute les clients apportés par les apporteurs d'affaires.

Cependant, la contribution de ces derniers est particulièrement minime eu égard au chiffre global.

Bien plus, il n'y a pas lieu de faire une distinction entre les clients apportés personnellement par le demandeur et ceux provenant des apporteurs d'affaires, le contrat de travail n'en faisant pas lui-même.

L'objectif ainsi assigné à Monsieur t. M. tel que repris supra a toujours été atteint. Il a, à ce titre, perçu des gratifications liées à ces objectifs sans que la banque n'apporte le moindre commentaire sur la notion de clients personnels et de clients provenant d'apporteurs d'affaires.

L'insuffisance de résultat est dès lors inexistante.

L'employeur produit également des études sur l'évolution de l'activité et des résultats de la place bancaire monégasque démontrant que le niveau moyen des actifs gérés par commercial/gestionnaire est très supérieur à celui géré par Monsieur t. M. Il en est de même pour la moyenne des actifs sous gestion en France, en Suisse et au Luxembourg.

S'agissant d'une moyenne calculée sur de nombreux établissements bancaires, elle ne saurait être appliquée in extenso pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle sans que l'employeur apporte des éléments matériels objectifs internes à l'entreprise.

Le Tribunal constate ainsi que la banque ne fournit aucune comparaison avec les collègues de Monsieur t. M. sur la période considérée.

Il en résulte que les objectifs assignés au demandeur ont été atteints, même si les résultats ne sont pas ceux souhaités par l'employeur.

Absence de toute activité significative de prospection et de démarchage commercial.

L'employeur invoque une insuffisance de déplacements professionnels, une absence de prospection de nouveaux clients et la mauvaise volonté de Monsieur t. M. à rechercher de la clientèle.

Il a été démontré supra que Monsieur t. M. avait atteint les objectifs qui lui avaient été assignés et avait ainsi conservé « 50 millions d'euros en capitaux moyens trimestriels calculés ponctuellement sur le montant de la conservation à chaque fin de mois », peu importe la stratégie mise en œuvre par Monsieur t. M. pour atteindre ledit résultat.

L'employeur justifie d'une baisse de la conservation de la clientèle sur plusieurs années mais sans pour autant avoir pris des mesures à l'encontre de Monsieur t. M. ou lui avoir fait la moindre remarque à ce titre.

La banque ne démontre pas le lien de causalité entre ladite baisse et l'activité du salarié.

Par ailleurs, l'insuffisance professionnelle peut également être constituée par la faiblesse des résultats du salarié par rapport à ceux obtenus par ses collègues placés dans une situation comparable.

Force est de constater que la banque ne produit aucun élément de comparaison concrets et fiables sur les résultats de Monsieur t. M. ainsi que sur son activité de prospection et de démarchage commercial, par rapport à ceux d'autres salariés placés dans une situation identique à la sienne.

La défenderesse n'établit pas en quoi Monsieur t. M. a concrètement manqué au professionnalisme attendu de lui qui aurait perturbé la bonne marche de l'entreprise ou été préjudiciable aux intérêts de celle-ci.

Cette insuffisance professionnelle ne peut, faute d'éléments concrets, être considérée comme établie.

5/ Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Au cas particulier, Monsieur t. M. sollicite d'être indemnisé à hauteur de la somme de 1.420.000 euros en réparation de ses préjudices.

Il soutient que le véritable motif de son licenciement repose sur son refus d'accepter la modification du mode de calcul de sa rémunération que voulait lui imposer l'employeur.

Le mode de calcul de la rémunération est un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié unilatéralement par l'employeur.

Le fait que la modification n'ait pas d'effet sur le montant global de la rémunération ou que le nouveau mode de rémunération soit plus avantageux pour le salarié est sans incidence. Dans tous les cas, si l'employeur souhaite modifier un élément de calcul du salaire, il doit obtenir l'accord de l'intéressé.

À défaut, l'employeur peut licencier le salarié mais le refus de ce dernier d'une modification de son contrat de travail ne peut pas être le motif du licenciement. C'est la raison à l'origine de la proposition de modification qui constitue ce motif et le juge vérifie si celui-ci est valable.

Selon les cas, le licenciement est donc économique ou personnel.

En l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement, des écritures et des dossiers des parties que l'employeur a envisagé une modification du mode de calcul de la part variable tout en augmentant de manière significative la part fixe du salaire au motif d'une insuffisance professionnelle de Monsieur t. M. ne justifiant plus le versement d'une gratification aussi importante.

Il a été démontré supra que l'insuffisance professionnelle et l'insuffisance de résultat n'étaient pas avérées. S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Monsieur t. M. ne démontre pas avoir été licencié pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture.

À cet égard, il convient de souligner que les insuffisances reprochées, à tort à Monsieur t. M. ont justifié pour l'employeur la modification de sa rémunération.

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Monsieur t. M. ne démontre pas la volonté de nuire ou de tromper l'employeur.

Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Monsieur t. M. soutient en outre que son licenciement s'est réalisé dans des conditions brutales.

Il n'est pas contestable que les parties étaient en pourparlers dans le cadre de la modification de la rémunération de Monsieur t. M. ainsi qu'il résulte d'un projet de courrier de l'employeur, produit en pièce n° 17 par le demandeur, daté du 26 février 2014 et qui aurait constaté l'accord du salarié à ladite modification.

Entre le mois de février 2014 et le 22 avril 2014 (mèl de convocation à un entretien en vue d'évoquer l'avenir des relations contractuelles du salarié avec la banque), il n'est produit aucun autre document démontrant une poursuite ou une rupture des pourparlers.

De plus, à l'issue de l'entretien du 22 avril 2014, l'employeur convoquait Monsieur t. M. à un nouvel entretien pour le 30 avril 2014, « afin de nous entretenir de votre avenir dans notre établissement ».

Ce faisant, l'employeur a licencié Monsieur t. M. le 30 avril 2014, à savoir le même jour que l'entretien « préalable ».

Il résulte de ces constatations que la rupture est intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur t. M. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de la défenderesse lorsque le licenciement lui a été notifié au cours d'un entretien dont la teneur n'avait pas été précisée dans la lettre de convocation ; ce qui confère au licenciement un caractère abusif.

Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans lequel elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal.

Il en résulte que Monsieur t. M. a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec légèreté et brutalité, et qu'il ne pouvait aucunement anticiper.

Ainsi, compte tenu des éléments d'appréciation dont dispose le tribunal et notamment l'âge de Monsieur t. M. lors de la notification de son licenciement (cinquante-six ans) et de son ancienneté de service (sept ans quatre mois), de l'absence de toute sanction ou de toute remarque sur la qualité de son travail, le préjudice moral subi par ce dernier, consécutivement à la rupture de son contrat de travail sera équitablement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Succombant dans ces prétentions, la défenderesse sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Rejette des débats la pièce n° 92 produite par Monsieur t. M. ;

Rejette la demande de communication de pièces présentée par la société anonyme monégasque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO) ;

Dit que le licenciement de Monsieur t. M. ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ; Condamne en conséquence la société anonyme monégasque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO)

à payer à Monsieur t.M.la somme de 50.000 euros (cinquante mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société anonyme monégasque EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO) aux dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Alain GALLO, Daniel BERTI, membres employeurs, Madame Fatiha ARROUB, Monsieur Philippe LEMONNIER, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le quinze février deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Alain GALLO, Philippe LEMONNIER et Madame Fatiha ARROUB, Monsieur Daniel BERTI étant empêché, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 16716
Date de la décision : 15/02/2018

Analyses

Selon le demandeur, son licenciement serait abusif dès lors que l'employeur n'aurait pas réuni le Conseil de discipline en application de l'article 27 de la Convention collective monégasque du Travail du Personnel des Banques. Cependant cet article n'exige la délivrance d'un avis préalable par le Conseil de discipline qu'en cas de sanction disciplinaire du second degré, au nombre duquel ne figure pas le licenciement. L'article 25 1. évoque, s'agissant de la toute première disposition du Chapitre VI intitulé « Discipline et sanctions - Conseil de discipline Requêtes et Réclamations », l'insuffisance de travail et l'insuffisance professionnelle comme pouvant toutes deux donner lieu à une observation de la Direction, seuls les 3 et 4 de l'article 25 détaillent par la suite l' insuffisance de travail, comme résultant de la mauvaise volonté de l'intéressé et édictent qu'elle est passible, comme tout manquement aux règles de la discipline ou pour toute faute, y compris les fautes professionnelles, d'une sanction disciplinaire. L'article 32 énonce que l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle est un motif de licenciement, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, sous réserve qu'il ne soit démontré que cette incapacité n'est due qu'à un mauvais état de santé passager et qu'il doit en être valablement déduit que pour ce motif de rupture de la relation de travail, l'employeur n'est pas tenu de recueillir au préalable l'avis du Conseil de discipline. En l'espèce, le salarié ne s'est pas vu reprocher une insuffisance de travail, des manquements à la discipline, ou des fautes professionnelles, comme cela résulte à la fois de la lettre de licenciement et des écritures judiciaires de la banque. Le licenciement de Monsieur t. M. ne saurait être de ce chef considéré comme irrégulier.Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.Il n'est pas contesté que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal et le Juge ne peut prétendre y substituer son appréciation; néanmoins, il convient pour celui-ci de vérifier que ses exigences étaient justifiées.Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au juge de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci mais doit reposer sur des éléments concrets pour constituer un motif valable de licenciementIl incombe en conséquence à l'employeur d'apporter au Juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.Par ailleurs, l'insuffisance de résultats ne constitue pas en soi une cause de licenciement, le Juge doit vérifier que les objectifs étaient fixés et réalistes, et que les mauvais résultats procèdent d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle imputable au salarié.Elle ne résulte pas nécessairement d'un comportement volontaire mais révèle l'inaptitude du salarié à assumer ses fonctions, son incompétence.En outre, l'insuffisance de résultats doit être constatée sur une certaine durée.L'insuffisance professionnelle se trouve caractérisée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat et devait reposer sur des éléments matériels précis et objectifs imputables au salarié ; elle se manifeste dans les répercussions en tant qu'elle perturbe la bonne marche de l'entreprise.Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve. Il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné. En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce. L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé. Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.Si l'employeur souhaite modifier un élément de calcul du salaire, il doit obtenir l'accord de l'intéressé. A défaut, l'employeur peut licencier le salarié mais le refus de ce dernier d'une modification de son contrat de travail ne peut pas être le motif du licenciement. C'est la raison à l'origine de la proposition de modification qui constitue ce motif et le juge vérifie si celui-ci est valable.Selon les cas, le licenciement est économique ou personnel. Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».Le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ». En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.En l'espèce, la rupture est intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur t. M. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de la défenderesse lorsque le licenciement lui a été notifié au cours d'un entretien dont la teneur n'avait pas été précisée dans la lettre de convocation ; ce qui confère au licenciement un caractère abusif. Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans lequel elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail  - Responsabilité de l'employeur.

Contrat de travail - Licenciement - Procédure préalable au licenciement - Régularité du licenciement (oui)Licenciement abusif - Cause valable (non) - Rupture abusive (oui) - Dommages-intérêts (oui).


Parties
Demandeurs : Monsieur t. M.
Défendeurs : SAM EDMOND DE ROTHSCHILD (MONACO)

Références :

article 177 du Code de procédure civile
articles 177 et 274 du Code de procédure civile
article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2018-02-15;16716 ?

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