Motifs
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 25 MARS 2021
En la cause de Madame m. L., demeurant X1 à BEAULIEU-SUR-MER (06310) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Thierry TROIN, avocat au barreau de Nice, substitué par Maître Alexandra PAULUS, avocat en ce même barreau ;
d'une part ;
Contre :
Monsieur s. S., demeurant « X2, X3 à MONACO ;
Défendeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 15 octobre 2019, reçue le 18 octobre 2019 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 24-2019/2020 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 5 novembre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur au nom de Madame m. L. en date des 12 décembre 2019 et 12 mai 2020 reçues le 13 mai 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de Monsieur s. S. en date des 13 février 2020 et 9 juillet 2020 ;
Après avoir entendu Maître Alexandra PAULUS, avocat au barreau de Nice, pour Madame m. L. et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur s. S. en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Madame m. L. a été embauchée par Monsieur s. S. à compter du mois de juin 2017 en qualité de Gouvernante de maison.
Le contrat de travail a été rompu le 17 janvier 2019.
Les documents ont été remis à la salariée le 5 mars 2019 et mentionnaient comme motif de rupture une démission.
Estimant avoir été licenciée sans motif et sans courrier, Madame m. L. a saisi le Tribunal du travail en conciliation, par requête en date du 15 octobre 2019, reçue au greffe le 18 octobre 2019, des demandes suivantes :
* dire et juger que la rupture de son contrat de travail doit s'analyser en un licenciement,
* dire et juger que ce licenciement est dépourvu de tout motif,
* dire et juger que ce licenciement revêt un caractère abusif,
* avoir paiement des sommes suivantes :
* 1.988,92 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* 2.487 euros au titre de l'indemnité pour inobservation du préavis,
* enjoindre à s. S. sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, de remettre les documents de fin de contrat qui ne lui ont pas été remis lors de son départ,
* intérêts de retard au taux légal sur l'ensemble des condamnations à compter de la demande et jusqu'à complet paiement,
* exécution provisoire du jugement à intervenir.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
Madame m. L. a déposé des conclusions les 12 décembre 2019 et 13 mai 2020 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :
* l'employeur soutient faussement qu'elle a démissionné,
* la démission doit être l'expression d'une volonté certaine, libre et réfléchie, claire et non équivoque, en dehors de toute crainte et de toute pression. Elle doit résulter d'une manière non équivoque des éléments produits par la partie qui l'invoque ; à défaut de démission du salarié, la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement,
* l'employeur est incapable de produire un élément probant et notamment un courrier écrit de sa part exprimant sans équivoque et sans contrainte sa volonté de démissionner,
* elle conteste avoir tenu les propos relatés par le concierge de la Tour Odéon. Ce dernier confirme uniquement qu'elle est bien partie de son lieu de travail le 17 janvier 2019,
* la preuve de sa démission ne peut pas plus résulter du courrier de la Direction du Travail qui indique par erreur qu'elle a décidé de cesser ses fonctions le 17 janvier 2019,
* la volonté claire et non équivoque de démissionner d'un salarié ne peut pas résulter d'un courrier écrit à la Direction du Travail, tiers au contrat de travail,
* son courrier du 21 janvier 2019, dans lequel elle ne fait pas état d'un licenciement abusif, avait uniquement pour objet d'inviter l'employeur à enfin régulariser son embauche auprès de la Direction du Travail et des Caisses Sociales Monégasques,
* sa régularisation n'est intervenue que le 25 février 2019, vingt mois après son embauche, un mois après son licenciement, et en tout état de cause après l'intervention de la Direction du Travail,
* elle n'a jamais été déclarée pendant toute l'exécution du contrat de travail.
Monsieur s. S. a déposé des conclusions les 13 février 2020 et 9 juillet 2020 dans lesquelles il s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondus.
Monsieur s. S. soutient essentiellement que :
* il est d'origine britannique, ne parle pas français et ignorait toutes les spécificités du droit du travail monégasque,
* pour des raisons indépendantes de sa volonté, la régularisation de l'embauchage de Madame m. L. est donc intervenue tardivement et il a acquitté spontanément toutes les sommes y afférentes,
* cette situation a été principalement causée par le comportement de la salariée qui repoussait sans cesse la signature des documents et contrats de travail qui lui étaient présentés, conditionnant son accord écrit à un contrat à durée indéterminée qu'il a toujours refusé,
* le comportement fautif de la salariée l'a donc induit et maintenu dans l'erreur et il a régularisé la situation dès que possible,
Madame m. L. ne montrait guère d'entrain dans l'exécution de ses tâches ménagères. Elle profitait de ses absences professionnelles pour n'effectuer que très rarement le quota d'heures (169 h/mois) pour lequel elle était payée. Certaines fois, Madame m. L. ne se rendait même pas sur son lieu de travail, ce qu'il n'a jamais relevé à l'encontre de celle-ci,
* à compter du 3 janvier 2019, Madame m. L. a invoqué des douleurs au dos pour ne plus se présenter sur son lieu de travail et sans en justifier,
* le 17 janvier 2019, la salariée a prétexté de soi-disant remarques déplacées de sa part sur la qualité de son travail pour quitter précipitamment son travail, abandonnant ainsi son poste,
Madame m. L. l'informait, ainsi que la conciergerie de la Tour Odéon de sa démission avec effet immédiat,
* le 18 janvier 2019, Madame m. L. s'est déplacée pour la dernière fois sur son lieu de travail pour récupérer certaines affaires et le solde de son salaire,
* le 21 janvier 2019, la salariée lui adresse un courrier pour qu'il régularise sa situation de travail et lui délivre ses documents de fin de contrat, mais sans faire état d'un quelconque licenciement,
* la démission est d'autant plus établie que Madame m. L. en a fait elle-même état auprès des services de l'Inspection du Travail, qui lui adresse un courrier en ce sens le 5 février 2019,
* ce n'est que par un courrier du 25 avril 2019 que la salariée va évoquer pour la première fois un prétendu licenciement abusif et solliciter sans fondement le règlement d'une somme de 15.543,75 euros à titre d'indemnités de licenciement et de déplacements. Madame m. L. faisait également état de l'impossibilité pour elle de percevoir des indemnités de Pôle Emploi,
* il lui répondait le 20 mai 2019 en lui rappelant qu'elle avait démissionné en sorte qu'aucune indemnité n'était due,
* la démission de Madame m. L. est dès lors non équivoque et traduit l'expression de sa libre volonté de rompre le contrat de travail,
* il est contraint de se défendre en justice alors qu'il est indéniable qu'il n'a pas initié la rupture du contrat de contrat. Au contraire, Madame m. L. n'a pas effectué le préavis de quinze jours dû par le salarié démissionnaire en sorte qu'il a été contraint de recourir à des prestataires externes pour compenser ce départ précipité, ce qui a un coût,
* il a même fait preuve de bienveillance et de patience à l'égard de Madame m. L. Le 4 octobre 2017, cette dernière avait une première fois démissionné de son poste de travail, sans aucun préavis, en prétextant avoir signé un contrat de travail à l'héliport de Monaco. Moins de deux mois plus tard (le 28 novembre 2017), elle l'a sollicité pour réintégrer son emploi à son service,
* il ne s'agit en aucun cas d'une démission forcée sous la contrainte de l'employeur, qui a lui-même subi l'attitude outrancière et un chantage inacceptable de la part de la salariée.
SUR CE,
Sur la nature de la rupture du contrat de travail
La rupture du contrat de travail n'est contestée par aucune des parties, seule la cause diffère : l'employeur soutenant que Madame m. L. a démissionné, cette dernière soutenant qu'elle a fait l'objet d'un licenciement.
Il appartient au salarié qui allègue un licenciement verbal d'en faire la preuve.
Un licenciement verbal actant la rupture du contrat, il convient de vérifier en l'espèce, si la salariée en rapporte la preuve.
Force est de constater que Madame m. L. ne produit aucun élément susceptible de démontrer la volonté de l'employeur de mettre fin au contrat de travail le 17 janvier 2019.
Elle ne produit aucun élément tendant à démontrer que l'employeur lui aurait demandé de partir de l'entreprise.
Le courrier qu'elle adresse à Monsieur s. S. le 21 janvier 2019 ne fait aucunement état d'un quelconque licenciement :
« Objet : Default de production d'un contrat de travail/fiche de paye
À l'attention de Mr et Mme S.
J'ai été embauché dans votre maison en juin 2017, en qualité de gouvernante de maison. On avait convenu à un salaire de 500e/semaine, pour le ménage, repassage, aide en cuisine, et occasionnellement les courses, du lundi au vendredi de 9h-17h (flexible).
À ce jour vous ne m'avez pas remis des documents attestant mon embauche.
En dépit de plusieurs demandes verbales de ma parte, je constate que jusqu'au dernier jour de travail chez vous, le 17 janvier 2019 vous ne m'avez pas donné les documents attestant ma période de travail (juin 2017-17 janvier 2019), aucune fiche de paye, ni permit de travail délivré par le Service de l'emploi Monaco.
En conséquence, je vous prie de bien vouloir vous approcher de Services de l'emploi Monaco pour une régularisation tardive de ma situation.
En vous remerciant par avance pour votre réponse rapide, je vous prie d'agréer Monsieur, Madame, l'expression de ma considération distinguée. ».
Il s'évince de ce courrier que la seule préoccupation de Madame m. L. est d'obtenir la régularisation de sa situation auprès du « Service de l'Emploi de Monaco «.
De plus, Madame m. L. ne détaille aucunement les circonstances de son départ, indiquant seulement : « Le 17 janvier 2019, sans motif et sans aucun courrier de licenciement, madame S. a initié la rupture du contrat de travail de madame L. de manière totalement abusive ».
En conséquence, force est de constater que la salariée ne rapporte pas la preuve du licenciement verbal allégué, l'argumentation de celle-ci étant uniquement centrée sur la carence de l'employeur à rapporter la preuve de sa démission, alors que la charge de la preuve lui incombe ainsi qu'il a été indiqué supra .
Le dossier de l'employeur comporte en outre certains éléments démontrant une volonté claire et non équivoque de Madame m. L. de démissionner.
Une attestation établie par Monsieur f. V. Concierge à la Tour Odéon, ainsi libellée :
« Faisant partie de l'équipe des concierges de la tour Odéon, en dates du 17/01/2019 et 18/01/2019, je travaillais de 7h00 à 15h00 les deux jours. Le 17/01/2019, j'ai vu m. L. quitter la tour bien avant la fin de sa journée habituelle en nous expliquant que MME S. lui avait fait une remarque sur la qualité de son nettoyage qui ne lui avait pas plu et MME L. avait donc pris la décision de tout lâcher dans l'appartement et s'en était allée immédiatement.
Plus tard dans la même journée du 17/01/2019, MME S. m'informait que MME L. avait arrêté de travailler pour elle et me demandait de contacter la société de nettoyage avec laquelle nous travaillons habituellement pour vérifier leur disponibilité dans les plus brefs délais.
MME S. avait aussi demandé à la sécurité de retirer le droit d'accès à l'appartement à MME L. car elle ne travaillait plus pour elle.
Le matin successif du 18/01/2019, MME L. se présente vers neuf heures à la conciergerie pour me demander de contacter MME S. afin de récupérer ses affaires dans l'appartement.
En attendant une réponse de MME S. MME L. a saisi l'occasion pour partager avec le personnel présent dans le hall ses pensées négatives et maldisants à propos de la famille S.
MME S. me répond plus tard et me demande de faire monter MME L. Cette dernière a quitté les lieux après avoir passé quelque minutes à l'étage avec MME S. ».
Une lettre de Madame f. B. de la Direction du Travail, en date du 5 février 2019, adressée à Madame S. ainsi libellée :
« Madame,
L'inspection du travail a été saisie d'une réclamation émanant de Mme m. L. qui déclare avoir été employée à votre service, en qualité de gouvernante, à compter du 5 juin 2017 jusqu'au 17 janvier 2019, date à laquelle elle a décidé de cesser ses fonctions.
(...). ».
Madame m. L. soutient qu'il s'agit d'une erreur de Madame f. B. mais n'a jamais sollicité une quelconque rectification ou explication complémentaire de celle-ci.
Par la suite, Madame m. L. va recevoir les documents de fin de contrat le 5 mars 2019, et notamment l'attestation Pôle Emploi sur laquelle figure le motif de la rupture mentionnée par l'employeur, à savoir : démission, sans pour autant susciter une quelconque réaction de la salariée ; cette dernière ne contestant ce motif que par courrier de son conseil en date du 25 avril 2019.
Il convient de rappeler que la démission peut être orale ou écrite, elle n'a pas à être motivée et n'a pas à être acceptée par l'employeur. Autrement dit, la démission n'est soumise à aucun formalisme pour produire tous ses effets ; l'important étant que la salariée ait manifesté clairement sa volonté de démissionner.
Madame m. L. a ainsi manifesté sa volonté de démissionner en quittant son lieu de travail, en déclarant au concierge de la Tour Odéon qu'elle avait pris la décision de tout lâcher dans l'appartement et en ne revenant le lendemain que pour récupérer ses effets personnels.
De ces constatations, le Tribunal estime, en l'état, que Madame m. L. a elle-même rompu le contrat de travail la liant à Monsieur s. S.
Dans ces circonstances, Madame m. L. sera déboutée de toutes ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur s. S.
Monsieur s. S. sollicite la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts compte-tenu du non-respect du préavis par la salariée l'ayant contraint à brutalement assumer seul les tâches qui incombaient à sa salariée et à rechercher dans l'urgence à grand frais une nouvelle aide-ménagère, des affirmations trompeuses et méprisantes de la salariée démissionnaire, et de la mise en œuvre de cette procédure abusive qui occasionne à l'employeur des préjudices financier et moral indéniables dont elle doit assumer les conséquences en les réparant.
L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol.
En outre, le défendeur ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'il invoque.
Le défendeur sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens
Succombant dans ses prétentions, Madame m. L. sera condamnée aux dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Déboute Madame m. L. de toutes ses demandes ;
Déboute Monsieur s. S. de sa demande reconventionnelle ;
Condamne Madame m. L. aux dépens du présent jugement ;
Composition
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Anne-Marie MONACO, Monsieur Emile BOUCICOT, membres employeurs, Messieurs Philippe LEMONNIER, Karim TABCHICHE, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le vingt-cinq mars deux mille vingt et un, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Anne-Marie MONACO, Messieurs Emile BOUCICOT, Philippe LEMONNIER et Karim TABCHICHE, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.
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